La revue du projet

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Droit de vote des résidents étrangers : La proposition de loi doit être présentée devant le Sénat

le 25 octobre 2005

Nicolas Sarkozy a annoncé « qu'il n'était pas opposé au droit de vote pour les résidents étrangers », s'empressant d'en limiter la portée aux élections locales et uniquement pour les étrangers résidant régulièrement en France, depuis au moins dix ans.

Fidèle à son discours populiste, cette « non opposition » démontre surtout que l'opinion publique y est plutôt favorable. En conséquence, plutôt que de l'ignorer, Sarkozy en fait une monnaie d'échange. Il s'agit bien de reconnaître un droit bafoué jusqu'ici, et non pas une sorte de récompense sanctionnant l'intégration.

Pour mémoire, le Parti communiste a été le premier à déposer une proposition de loi en ce sens. Le principe de ce droit a été adopté par l'Assemblée nationale sous le gouvernement Jospin, sans condition de durée de résidence. Le gouvernement Jospin n'a cependant pas jugé bon, à l'époque, de le présenter devant le Sénat.

Aujourd'hui, étant donné le consensus qui semble se dégager autour de cette question, il est temps de présenter devant le Sénat cette proposition de loi, déjà adoptée par l'Assemblée nationale.

Dans ce cadre, le groupe communiste proposera un amendement pour élargir ce droit aux élections nationales pour tous les étrangers résidant en France depuis au moins dix ans.

Parti communiste français Paris, le 25 octobre 2005.

Au sujet de la table ronde sur les 50 ans d'Économie et Politique

Par Gonod Pierre, le 31 mars 2005

Au sujet de la table ronde sur les 50 ans d'Économie et Politique

 

(deuxième partie*)

 

Un article PDF, ci-joint, de Pierre F. GONOD

ACTION ET NOVATION Pour résister et avancer vers des transformations radicales

Par Paul Boccara, le 31 juillet 2004

ACTION ET NOVATION  Pour résister et avancer vers des transformations radicales

Editorial

L' heure est au déploiement de l’action, en relation avec la construction d’un nouveau projet social et politique. Le défi d’idées novatrices pour des luttesde résistance mais aussi de transformation sociale émancipatrice a toujours été au cœur des avancées comme des difficultés des salariés, de tous les exploités et dominé(e)s, comme en leur sein des communistes. Ce défi est de nos jours d’une acuité sans précédent, après les effondrements de bien des anciens repères révolutionnaires, les offensives hyperlibérales, mais aussi désormais l’exacerbation des antagonismes et la montée des contestations. Dans la crise systémique actuelle s’opposent les potentiels de civilisation nouvelle de la révolution technologique informationnelle et le chômage massif, la précarité généralisée, la domination du capital financier mondialisé, la monopolisation des pouvoirs sociaux dans tous les domaines de la vie. 

Depuis le début des années 2000, on assisterait à une maturation de la crise systémique.

C’est l’accélération de l’élévation de la productivité des nouvelles technologies, économisant le travail direct et le travail contenu dans les moyens de production, et sa conjonction avec l’aggravation des pressions contre les dépenses salariales et sociales pour rentabiliser les capitaux financiers, la mise en concurrence accrue des salariés du monde entier. D’où l’insuffisance renforcée de la demande et du développement des populations. Après les effondrements financiers et la relance mondiale du chômage massif de 2001 à 2003, la reprise de la croissance depuis la fin de 2003 s’effectuerait avec une progression de l’emploi plus faible même aux Etats-Unis, comme cela semble se confirmer en 2004, et avec des affrontements internes et internationaux intensifiés. Mais aussi montent les défis des besoins sociaux nouveaux dans tous les domaines.

C’est dans ce cadre que se situent les enjeux des affrontements présents en France. D’un côté, s’exacerbent les pressions pour renforcer l’exploitation, contre les dépenses salariales et sociales, avec la précarité de l’emploi et l’insécurité sociale dans tous les moments de l’existence. D’un autre côté, c’est la montée des besoins de contrôle social et de promotion de chacun, mais leur traitement réactionnaire par des réformes de répression sociale et un déferlement de démagogie.

Le gouvernement encourage les agressions patronales contre les salariés sous prétexte de flexibilité.

Il pousse à l’allongement du temps de travail et aux réductions des taux de salaires contre les 35 heures et contre les majorations d’heures supplémentaires. Déjà le PS, avec la réduction du temps de travail, avait encouragé la baisse des coûts salariaux (baisses des charges sociales et négociations sur le gel des salaires). Il importe, au contraire, avec la réduction du temps, de revaloriser le travail et sa qualification avec les nouvelles technologies.

Nombre de patrons se lancent dans les délocalisations et, pour abaisser les salaires, dans le chantage aux délocalisations, favorisées par les conditions de l’élargissement de l’Union européenne. Malgré ses protestations, le gouvernement y contribue en facilitant les licenciements sous prétexte d’encourager la création d’emplois. Il veut renforcer la logique d’abaissement des dépenses salariales, à l’opposé de la qualification, comme Sarkozy évoquant des exonérations de charges sociales sur les salaires pour les emplois délocalisables ou relocalisés. Le ministre des finances se glorifie de sa politique de réduction des impôts sur les riches (sur les successions, le revenu) et sur les bénéfices des entreprises, sous prétexte de favoriser la demande, alors que cela contribue aux placements financiers et spéculatifs. Cela aggrave les pressions contre les dépenses budgétaires sociales, en relation avec les exigences du Pacte de stabilité européen contre les déficits publics et sociaux. Cependant, se renforce la conjonction des difficultés de l’emploi et des salaires ou des remises en cause des droits sociaux avec les réformes réactionnaires des retraites, de la santé, de l’école.

Le Plan dit de « cohésion sociale » de Borloo prétend développer les aides au retour à l’emploi des chômeurs. Mais il aggrave la pression sur les salaires et sur la qualité des emplois, à l’opposé d’une expansion de la formation et de la qualification pour sécuriser et promouvoir les activités à finalité professionnelle. Il prévoit que le refus d’un « poste compatible avec ses possibilités » (et non sa qualification) après six mois de chômage entraîne une baisse d’allocation, dégradant encore les conditions de retour à l’emploi, comme le déplore le Conseil Economique et Social. Un « contrat d’activité » de deux ans serait payé aux trois-quarts du Smic mensualisé pour les Rmistes et les chômeurs de longue durée, dans les collectivités territoriales, les associations et les entreprises d’insertion. Il comprend en principe un volet formation, mais il n’y a pas d’obligation pour cette formation, qui doit être financée par les départements et les régions. Cela renvoie aux déficiences fondamentales de la dite décentralisation, avec le non transfert suffisant de moyens financiers, et la déconcentration à l’opposé des pouvoirs des populations elles-mêmes. Le RMA va dans le même sens avec l’attribution du RMI aux patrons pour réduire les coûts salariaux, faisant pression sur la qualification et les autres salaires. Quant à « l’accompagnement » de800 000 jeunes en difficulté pour des contrats avec formation en alternance ou vers l’emploi marchand en entreprise, il cumule les aides aux bas salaires pour des emplois non qualifiés et les insuffisances de la formation.

Les « maisons de l’emploi » seraient révélatrices de l’antagonisme entre la montée de nouveaux besoins et leur traitement fallacieux et réactionnaire. D’un côté, il s’agirait de recenser les ressources humaines et les besoins locaux en emploi, en mettant en relation l’UNEDIC avec l’ANPE et l’AFPA. Mais d’un autre côté, cela se rapporte à des mesures répressives de réduction des allocations chômage, d’obligation d’accepter des emplois précaires et des formations ne correspondant pas aux qualifications et aux aspirations, de concurrence des agences d’intérim pour les placements, et non à des concertations démocratiques pour des objectifs annuels d’emploi et de formation dans les localités.

On retrouverait ici, comme dans l’ensemble des réformes réactionnaires, les exigences de nouvelles régulations, d’évaluation, de contrôle, de responsabilités personnelles, mais utilisées pour la répression personnalisée et la réduction des dépenses et non pour l’expansion efficace et la promotion de chacun. Cela s’observe par exemple dans la réforme de l’assurance-maladie de Douste-Blazy avec les instituts sur les données de santé ou le contrôle des parcours de soins.

Les limites du financement du Plan Borloo expriment les exigences des orientations hyperlibérales de la construction européenne actuelle. Un tout autre financement devrait s’opposer aux restrictions des dépenses budgétaires comme des orientations du crédit dominées par le marché financier. Cela concerne la base « financement » d’un triangle institutionnel permettant une transformation profonde : 1) financement, 2) pouvoirs, 3) objectifs sociaux.

Les critiques et propositions venant du Parti socialiste ne peuvent correspondre aux besoins sociaux nouveaux.

On comprend à quel point les critiques et propositions venant du Parti socialiste, ne mettant pas en cause l’orientation du crédit par la Banque Centrale Européenne, le Pacte de stabilité européen, ni la domination des critères de rentabilité financière sur les gestions des entreprises, ne peuvent correspondre aux besoins sociaux nouveaux. Elles ne répondent ni à ce qui a commencé à monter dans les luttes (sur le droit à la formation, les licenciements et les délocalisations, la sécurisation des parcours professionnels, les retraites, la santé et l’école) et dans les élections (sur d’autres pouvoirs et financements dans les régions, ou sur une autre orientation sociale de l’Union européenne), ni d’ailleurs aux défis populistes de la droite. Celle-ci souligne davantage à juste titre le rôle des entreprises tout en le traitant de façon agressivement réactionnaire.

Pour le moment, du côté du PS, on assiste surtout à des propositions d’un certain nombre de petits coups de pouce sociaux sur fonds publics, ainsi qu’à la demande de transferts de moyens financiers pour accompagner le transfert de compétences aux régions. Mais on n’a rien de substantiel pour l’emploi en quantité et en qualité, même si un certain temps des dirigeants ont tenté de récupérer en paroles la Sécurité sociale professionnelle de la CGT en partie inspirée de notre projet de Sécurité d’emploi ou de formation. Le PS joue petit bras et il n’y a pas de renouvellement fondamental. D’ailleurs, on parle d’alternance pour 2007 au lieu de l’alternative d’un autre projet de société. Malgré les protestations dans sa gauche, la direction du PS prône le oui au référendum sur le traité constitutionnel européen. Mais celui-ci renforce les orientations hyperlibérales d’une Union européenne dominée par les marchés et le marché financier, contre les services publics et contre l’emploi avec le rôle de la BCE indépendante. Il maintient les pouvoirs non démocratiques de la Commission et l’éloignement des citoyens. Il exprime au fond un manque d’ambition pour l’Union européenne.

Avec les luttes de résistance, des propositions de transformation des objectifs sociaux, des moyens et critères financiers, des pouvoirs.

Au contraire, dans le PCF nous nous efforçons de mettre en avant, avec les luttes de résistance et pour des avancées immédiates, des propositions de transformation profonde des objectifs sociaux, des moyens et critères financiers, des pouvoirs. Cela concerne les trois domaines de l’emploi-formation, de l’Union européenne, des services publics et socialisés.

Les luttes sur l’emploi et la formation se rapportent aux chantiers de construction d’un système de Sécurité d’emploi ou de formation. Il s’agit surtout des mesures pour l’amélioration de l’indemnisation des chômeurs et des conditions de promotion et non de répression de leur retour à l’emploi ; contre les licenciements pour des moratoires suspensifs permettant des contre-propositions, avec la remise en vigueur des pouvoirs nouveaux des CE suspendus par le gouvernement Raffarin ; contre les délocalisations et pour des alternatives de développement local avec la formation et les recherches ; pour de nouveaux droits et contrats de sécurisation et de promotion des parcours professionnels.

Le rôle décisif des moyens se réfère déjà aux idées sur les actions dans les régions et localités : des concertations pour des objectifs annuels d’emploi et de formation sur les territoires, des Fonds régionaux de garantie et de prise en charge par des fonds publics de tout ou partie des intérêts des crédits des banques pour les investissements des entreprises, suivant l’importance de leurs engagements de création d’emploi et de formation. Ils seraient soutenus par un Fonds national décentralisé. C’est aussi la proposition de taxation des produits financiers ou des crédits pour l’exportation des capitaux contre les délocalisations. C’est le contrôle des fonds publics pour l’emploi, jusqu’à leur remboursement notamment en cas de délocalisation.

Le plus important pour les moyens financiers, c’est un autre crédit des banques permis par une réorientation fondamentale de la Banque Centrale Européenne. La BCE « refinancerait » par création monétaire des crédits à long terme à taux d’intérêts très abaissés, voire nuls ou même négatifs (avec une réduction du remboursement) pour les investissements dans la mesure des engagements de création d’emploi et de formation. Elle serait contrôlée démocratiquement depuis le Parlement européen et les Parlements nationaux jusqu’aux pouvoirs décentralisés de faire appel à elle dans les régions.

Cela se rapporte à une autre construction européenne : du non au référendum sur le traité constitutionnel à la revendication d’autres orientations économiques et sociales, des initiatives pour des convergences de luttes pour une Sécurité d’emploi ou de formation au plan de l’Union, et une démocratisation permettant l’intervention des citoyens, mettant en relation des pouvoirs locaux nouveaux avec leurs conditions nationales et européennes. Cela rejoint la construction d’un autre monde de paix et de co-développement de tous les peuples. A l’opposé des régulations anti-démocratiques et largement chaotiques, dominées par les marchés financiers et par l’hégémonie des Etats-Unis, on viserait la promotion des biens communs à toute l’humanité et leur gestion partagée : l’eau, l’énergie, les transports, les télécommunications ; les conditions écologiques ; le crédit, avec un autre FMI, une monnaie commune mondiale et l’émancipation du dollar ; la santé, l’éducation et la culture…

L’immense défi d’un autre développement des services publics et entreprises publiques concerne avant tout les services socialisés de développement des capacités humaines.

our ces services socialisés, comme ceux de santé, d’éducation, ou de recherche et culturels, les enjeux de leur expansion, des besoins nouveaux, comme des luttes récentes feraient monter l’exigence d’un projet de société d’une urgence et d’une radicalité comparable à celle du système de sécurité d’emploi ou de formation. La révolution informationnelle et la révolution démographique (de réduction de la natalité et de longévité) poussent à la prédominance de leur développement, alors que celui-ci est refoulé.

Au cœur de la transformation révolutionnaire de ces services, il y aurait la montée des pouvoirs et du rôle créateur non seulement de tous les personnels mais plus encore des usagers, qu’il s’agisse des parents et des élèves, ou des malades ou personnes âgées en traitement et de leurs parents, etc. Cela concernerait une coopération et une participation créative à des projets communs de chaque usager. On dépasserait avec d’autres transformations, les rejets, comme ceux des échecs scolaires face au besoin de massification de haut niveau de la scolarisation, ou encore le traitement des patients comme des objets de soins et non des personnes créatives. Cela viserait des partages d’activités, de formation et de participation à la création, de tous les concernés, libérant l’intercréativité.

Dans tous les domaines, il s’agit d’avancer dans les actions et dans les débats (et non dans des forums seulement de discussion) vers la construction d’un nouveau projet social et politique, en dépassant aussi bien les aspects délégataires du politique que la coupure entre les interventions autonomes des mouvements sociaux et l’élaboration de cadres politiques.

Économie et Politique, dont nous fêtons le cinquantenaire,a déjà participé à la création d’idées nouvelles pour l’action, jusqu’au lancement d’une grande vague de tentatives de transformations vers la fin des années 1960 au début de la crise systémique actuelle. Cette vague a reflué devant la contre-offensive du système établi. D’ailleurs, nos idées nouvelles pour d’autres repères révolutionnaires ont été en bonne partie refoulées et déformées, comme sur les nationalisations coupées d’une autre régulation et d’une autre gestion. Aujourd’hui, avec la maturation de la crise systémique, une seconde vague d’exigences de transformations, qui peut être beaucoup plus ample et radicale aurait commencé à se lever. Jusqu’où contribuerons-nous à la pousser avec d’autres ? Et parviendrons-nous à tirer les leçons des échecs antérieurs, notamment des résistances conservatrices aux idées novatrices dans ce qu’elles ont de plus nouveau et efficace ?

Pour avancer vers une Sécurité d’emploi ou de formation Objectifs, moyens, pouvoirs

Par Paul Boccara, le 01 février 2004

Pour avancer vers une Sécurité d’emploi ou de formation  Objectifs, moyens, pouvoirs

Les ateliers sur les difficultés du chômage, de l’emploi, de la formation, ont discuté de propositions dans les différents domaines et les divers chantiers de construction d’une sécurisation de l’emploi et de la formation. Cependant, des problèmes communs traversent tous les chantiers.  D’où la possibilité de revendications communes.

Cela contribuerait à élever le rapport de forces en leur faveur.

D'ailleurs, le patronat  et le pouvoir d'Etat s'appuient sur les divisions : entre chômeurs,  précaires,  travailleurs employés plus ou moins menacés. Ils s’appuient sur les divisions entre les luttes dispersées, voire entre organisations de lutte.

Au contraire,  les revendications communes et les convergences des changements réclamés accroîtraient la force des objectifs et de la conquête graduelle de leurs moyens de réalisation largement communs.

Cela favoriserait des batailles d’idées transformatrices et la circulation des expériences. Cela accroîtrait  la force mobilisatrice d'avancées vers une construction d’ensemble, un système de sécurité d'emploi ou de formation, comme jadis on a fini par construire la sécurité sociale.

Je vais intervenir sur ces revendications  communes, afin d'ouvrir la discussion en vue de décisions sur des campagnes d'action. Mais auparavant  quelques mots sur :

I- LES DEFIS COMMUNS  :

Je me limite à deux ensembles  :

– le besoin de répondre à la précarisation et à sa force très nouvelle  ;

– la possibilité d'y répondre.

Première question : le besoin de répondre, avec audace et radicalité, à l'exaspération de la précarité du marché du travail.

Le marché du travail, c'est la précarité des contrats de travail.

D'où, la souffrance possible  du chômage et sa pression sur tous les travailleurs, au moins pour les salaires et conditions de travail.

Des droits sociaux ont été arrachés  par les luttes, pendant des siècles, contre les dégâts de ces pressions. Mais aujourd'hui ces pressions sont exaspérées et on veut bouleverser le Code du travail pour « normaliser » la précarité.

Cela renvoie à l'accélération des nouvelles technologies de la  révolution informationnelle, mais telles qu’elles ont été développées sous domination des marchés financiers mondialisés et du capital financier.

D'où la montée des enjeux, non seulement de lutte contre les agressions et pour arracher des améliorations immédiates, mais, indissociablement, sur des transformations proprement structurelles.

C'est :

– Ou bien une modification des droits sociaux, du Code du  travail, des institutions sur l'emploi et le chômage, sur la formation, qui favorise au maximum une flexibilité de précarisation, la pression contre les salaires et les conditions de travail, les réponses au rabais aux exigences de formation, de travail qualifié et maîtrisé  ;

– ou bien avancer vers une transformation de ces droits, Codes et institutions qui permettent une sécurité d'activité et de revenus, avec une mobilité mais de promotion dans la sécurité de chacune et de chacun, en répondant de façon maîtrisée par les intéressés aux besoins de formation et d'implication créatrice dans le travail.

En effet, la conjonction des vagues de progrès de la productivité du travail (vivant ou incorporé dans les matériels) et de pressions sur les dépenses salariales et sociales rend très insuffisants et très instables la demande et les emplois. Cela relance sans cesse le chômage massif et la précarité.

Face à ces déferlantes, les simples soutiens étatiques traditionnels sont débordés.  D'où le besoin de radicalité alternative  :

– Enorme productivité du travail, oui, mais avec de d'immenses dépenses pour des activités de formation de tous, relevant les débouchés et les activités pour la production  ;

– Mobilité du travail, oui, mais dans la sécurité d'emploi et de revenus, pour la promotion, avec des formations de qualité  ;

– Partage des coûts de recherche, oui, mais non pour détruire les rivaux, faire pression  sur les salariés mis en concurrence  mondialisée  ; grâce,  au contraire, au développement des capacités des travailleurs, de chacun, et des coopérations de codéveloppement de toutes les populations.

Deuxième question : la possibilité de répondre à ces défis en éradiquant graduellement le chômage et la précarité.

Pleinement réalisé, un Système de sécurité d'emploi ou de formation vise à assurer à chacune et à chacun, un bon emploi ou une bonne formation, pour revenir à un meilleur emploi, avec une continuité de revenus et de droits et des passages d'une activité à une autre, maîtrisés par les intéressés.  On cherche à supprimer le  chômage dans une sécurité d'activité et une mobilité choisie et de promotion, avec des rotations entre emploi et formation.

Il s'agit, bien sûr, d’y aller graduellement par des réponses  aux défis et aux besoins immédiats, mais animées par cette exigence de sécurisation et de promotion de chacun.

Cette conception, avancée dans le cadre du Parti communiste  dès 1996, a influencé  la CGT qui a proposé « une sécurité sociale professionnelle ».

Cela peut favoriser des convergences de lutte et de recherche de propositions opérationnelles. D'ailleurs, l’idée de sécurité d'emploi monte dans d’autres syndicats et associations.  Cependant, il ne suffirait pas d’une certaine continuité de droits et de « droits de tirage » pour la formation, tout en maintenant le chômage et la  précarité. Ces droits, mais sans éradication du chômage, ni changement des gestions des entreprises, proposées par certains experts, influencent aussi la « sécurité sociale professionnelle » de la CGT. D’où ses ambivalences  possibles.  D'où aussi le fait que les dirigeants du Parti socialiste prétendent s’en réclamer désormais.

Mais avec cet hommage encore démagogique aux besoins de radicalité, le PS ne remet pas en cause le financement, le crédit, la Banque Centrale Européenne et les gestions des entreprises. Ses mesures récentes, concernant surtout certains soutiens étatiques ne font pas le poids par rapport aux pressions des chefs d'entreprise, à l’accent mis par les mesures de la droite sur les entreprises sous prétexte  d’emploi, aux démagogies populistes de toutes sortes et à la désaffection populaire.

Une transformation  sociale très profonde est possible, mais si  l'on met en place les deux leviers, d'une toute autre action de l’Etat et d’un tout autre financement avec des changements des gestions des entreprises et avec, pour les deux, des pouvoirs d'intervention des travailleurs, des citoyens et de leurs organisations.

Des avancées d'appropriation  sociale par des maîtrises partagées du crédit et des gestions, ainsi que des nouveaux pouvoirs des  travailleurs, sont au cœur des avancées possibles d'appropriation sociale mettant en cause le capital.  Celui-ci n'est pas une simple propriété privée des moyens de production comme dans  l'esclavagisme, mais la propriété d'argent pour faire de l’argent, dominant ces moyens, pour la rentabilité financière, avec l'appui décisif du crédit et du marché financier et avec la salarisation des forces de travail.

Précisément, cette salarisation est mise en cause avec la sécurité de l'emploi et avec de bons revenus pour être en formation et non contre un travail, la mutualisation de prélèvements sociaux nouveaux et la promotion de chacun à l'opposé de la concurrence entre travailleurs.

C’est par les fins sociales : de la réponse aux besoins nouveaux,  de sécurité d'emploi et de formation, de travail épanouissant pour chacun, y compris contre les discriminations et dominations des femmes dans l’emploi, comme de santé, écologiques, culturels, etc., que l’on peut le mieux s'attaquer  aux moyens sociaux. Il s’agit de  changer les moyens des gestions, des financements, contre la domination des critères de rentabilité, des capitaux et des multinationales privées sur les travailleurs et sur la vie.

Cela permettrait d’avancer vers la promotion de très nouvelles  entreprises publiques, coopératrices nationalement et internationalement, ainsi que vers des possessions partagées de “biens communs  ” à l’humanité.

II - LES  REVENDICATIONS COMMUNES

Elles peuvent  traverser tous les chantiers.  Cela renvoie au  triangle institutionnel  articulant  : 1) les objectifs sociaux, 2) les moyens financiers, 3) les pouvoirs.

1) les objectifs  sociaux  :

Changer les buts réels, les procédures et donc les résultats  des institutions existantes sur l'emploi ou la formation, alors que souvent elles trahissent  leurs objectifs affichés. Que cela concerne l'UNEDIC et l'ANPE, les soit-disant insertions du RMI et du RMA, l'organisation de la formation continue, les réglementations de la  précarité ou des licenciements, le Fonds national pour l’emploi (FNE), ou même les gestions des entreprises, il s'agit dans chaque cas, d'arracher non seulement des améliorations mais des transformations pour avancer dans la sécurisation et la promotion de chacun.

Sécuriser les revenus et les activités :

bien meilleures indemnisations de tous les chômeurs et aides  spécifiques (transport, logement, santé, enfants,…) ;

un retour à l'emploi stable et à temps plein ;

transformer les emplois précaires en emplois stables, à durée indéterminée  ;

le maintien dans l’emploi ;

des formations avec de bons revenus,

des mesures spécifiques pour les femmes, les jeunes, notamment ceux issus de l'immigration, les immigrés, les travailleurs âgés.

Les convergences  de ces transformations viseraient à éradiquer graduellement le chômage et la précarité.

Promouvoir, en renforçant  la sécurisation  :

expansion formidable de la formation continue, contre ses inégalités et ses insuffisances  ;

organisation des passages sans chômage, d'un emploi à un autre, ou à une formation bien rémunérée pour revenir à un meilleur emploi.

Tout de suite, on peut dans chaque région et bassins d'emploi proposer de débattre publiquement pour élaborer des objectifs annuels de créations d'emplois et de formation en quantité et en qualité ainsi que de transformation des situations précaires, pour résorber graduellement les privations d'emploi. Ces élaborations  se feraient avec les élus, les organisations syndicales et associatives, avec les institutions sociales sur l'emploi et sur la formation, en relation avec les programmes des services publics et ceux des entreprises elles-mêmes. Elles pourraient  donner lieu à des coordinations nationales et à des contrôles des réalisations. Ces objectifs se relieraient à l’exécution effective et non fallacieuse des promesses faites au niveau de l’Union européennes d’offrir, avec des plans nationaux pour l’emploi, à chaque chômeur soit un emploi soit une formation, mais désormais avec des objectifs annuels chiffrés et contraignants.

On pourrait comprendre dans les luttes que l'acceptation de cesobjectifs l'ampleur des résultats dépendent de nouveaux financements et gestions ainsi que de nouveaux pouvoirs et droits.

2 )  Moyens financiers et critères d'utilisation des fonds

Il s'agit  des trois types de fond : fonds publics, du crédit, des entreprises.

Les fonds publics

dépensés  au nom de l'emploi devraient être contrôlés de façon démocratique et décentralisée, pour les créations d'emplois publics et sociaux ou de formation continue, comme pour les aides aux entreprises.  Des aides actuelles aux baisses de charges salariales et sociales, surtout pour les bas  salaires, favorisant les emplois peu qualifiés et la concurrence à la baisse de tous les salaires, on chercherait à passer à la baisse des charges financières sous condition.

Des Fonds régionaux  de promotion de l'emploi et de la formation

Il s'agit d'une conquête décisive concernant les moyens de tous les chantiers. Ces Fonds viseraient des bonifications de taux d'intérêt, c'est-à-dire des prises en charge par des fonds publics de toute ou partie des intérêts, et aussi des garanties des crédits, pour d’autres relations avec les banques. Les taux d'intérêt des crédits à moyen et long terme seraient  d'autant plus abaissés (jusqu'à des taux négatifs, c'est-à-dire des subventions pour les remboursements) pour les investissements matériels et de recherche  que ceux-si programmeraient  des emplois et des formations, avec des engagements contrôlés.

Ces institutions  de Fonds régionaux à créer dès à présent, partout où c’est possible, seraient généralisées, et elles seraient coordonnées et appuyées par un Fonds national. Ces Fonds pousseraient, par les remboursements de crédits, à utiliser les profits davantage pour les investissements réels faisant emplois et formations que pour des placements financiers.

Des infléchissements  progressifs des gestions des entreprises

seraient favorisés par ces crédits nouveaux, joints à de nouveaux pouvoirs des travailleurs et à de nouvelles procédures des institutions sociales, contre l'irresponsabilité sociale de la rentabilité  financière. Avec les nouvelles technologies, on viserait des diminutions des coûts, non pas par la baisse des salaires, qui seraient, au contraire, relevés avec les capacités humaines et les dépenses pour elles, mais par la productivité et l’efficacité de tous les facteurs et moyens.

Cela pousserait des coopérations et de nouveaux projets dans les filières de production industrielle et les services, sur la recherche et la formation. On est d'ailleurs en train d'élaborer un plan de sécurité d'emploi ou de formation dans l'aéronautique.

D’Alstom à Aventis, des grandes entreprises nationales aux PME, les filières  du transport, de l'énergie, de la pharmacie, mais aussi du textile etc., toutes sont concernées.

Un autre rôle de la Banque Centrale Européenne

Le développement d’un tout autre crédit est la base d'une émancipation des marchés financiers et de la domination du dollar.  Il peut-être considérablement amplifié, dans l'Union européenne  et pour d'autres relations mondiales, par un tout autre rôle de la BCE, pour « refinancer » massivement par la création monétaire, les crédits sélectifs à taux abaissés et en relevant au contraire les taux d’intérêt pour les placements  financiers. Des aides conditionnelles en euros pour de nouveaux crédits, aux pays de l'Est entrant dans l'Union européenne,  comme à nos voisins méditerranéens et aux pays émergents, favoriseraient de tout autres coopérations. Ces  coopérations permettraient de maîtriser notamment les délocalisations, pour des achats réciproques et des co-productions favorables à l'emploi et à la formation des deux côtés et pour chacun, à une autre utilisation des recherches-développements, pour un co-développement respectueux de toutes les exigences sociales, environnementales et culturelles.

Des batailles des élections régionales à celles des élections  européennes, toutes ces propositions et les luttes pour elles peuvent favoriser une nouvelle audience des candidat que nous soutenons.

3- De nouveaux pouvoirs et droits

Du plan local au plan national et même européen, cela concernerait trois ensembles de progressions, appuyés sur des financements.

Au niveau  des institutions sur le chômage, l'emploi et la formation   :

des pouvoirs bien plus importants des syndicats,  associations de chômeurs, de précaires, etc, des intéressés euxmêmes à organiser, avec des appuis des élus de terrain.  Ils se relieraient à d’autres définitions des rôles des patrons et des pouvoirs publics, pour de nouvelles procédures.

Au niveau des entreprises et des établissements,  

des pouvoirs  des travailleurs, de leur élus et notamment des comités d'entreprise, de contrôle et aussi de propositions alternatives dans les gestions, avec de nouvelles instances publiques et sociales d’arbitrage. Dans l’immédiat, il ne s’agirait pas  eulement de moratoires

suspensifs pour des propositions alternatives aux licenciements obligatoirement prises en compte dans les négociations jusqu’aux arbitrages, ou de pouvoirs sur les reclassements de tous, mais d’intervention en amont face aux problèmes rencontrés. Un nouveau statut des entreprises les ouvriraient à ces pouvoirs des travailleurs comme à de nouveaux groupements et coopération entre elles.

Au niveau des pouvoirs et des droits collectifs et personnels de chacun :

– des droits de tirage très étendus et croissants pour la formation continue ;

– de nouveaux types de contrats à durée indéterminée pour tous et reconductibles, sans interruption des droits et sans chômage, pour le passage d'une entreprise à une autre ou à une formation pour revenir à l'emploi, avec un statut légal pour sécuriser les parcours professionnels, en liaison avec le nouveau statut des entreprises.

En définitive, il s'agirait  de construire un grand mouvement national d'actions pour une sécurisation et une promotion de l'emploi et de la formation, très ouvert, décentralisé, avec des comités locaux d'intervention. Ce mouvement viserait l'organisation des différentes catégories de précarisés, l'impulsion d'actions, de circulation d’expériences, de formations et de recherches,  de rencontres, tout particulièrement avec les organisations syndicales ou associatives existantes, pour des confrontations de propositions, des convergences des actions, etc.

En recherchant des améliorations immédiates comme des avancées institutionnelles,  il contribuerait  à une autre construction sociale, culturelle et politique en France, jusqu'à l'échelle européenne et même au delà. ■

« Comment penser, comment concevoir le travail au XXIe siècle ? ».

Par Boccara Paul, le 30 novembre 2003

« Comment penser, comment concevoir le travail au XXIe siècle ? ».

 

La sécurisation de tous les moments de la vie

Paul Boccara

 

Nous publions la contribution intégrale de Paul Boccara, pronon cée le 29 octobre dernier, à l'occasi on de la première des treize agoras organisées par le journal l'Hum anité, dans le cadre de son centenaire, sur le thème : « Comment penser, comment concevoir le
travail au XXIe siècle ? ».

Dans un ar ticle du 15 octo bre, Luc Ferr y dénonce de façon caricatura le « l’ idéologie qui anime la loi des trente-cinq heures » selon laquelle « le travail est l’ennemi et le sens de la vie serait à rechercher dans l’accroissement des loisirs ». Le ministre dans le cadre d’une cam pagne pour culpabiliser et inciter aux emplois pauvres deman de de réhab iliter « la valeur du travail ».

Mais dès 1830, le commun iste uto pique Fourr ier s’exclamait « Aimez le travail nous dit la morale : c’est un conseil ironique et ridicule. Qu’elle donne du travail à ceux qui en demandent et qu’elle sache le rendre aimable ; car il est odieux en civilisation que l’insuffisance des salaires, l’inquiétude d’en manquer, l’injustice des maîtres, la tristesse des ateliers, la longue durée et l’uniformité des fonctions ».

 

Les contradictions du travail entre :

Privation du tra vail et formidable productivité utilisée pour le chômage et la précar ité affirmat ion des capacités, intégration sociale et fier du résu ltat pénibilité, str ess et dégoût ou plus fondamenta lement entr e tra vail aliéné et aliénateur et tra vail libérateur et libéré , atte ignent de nos jours un degré extrême .

Et la problémat ique de ces contra dictions monte , elle auss i, aux extrêmes .

Ainsi Jeremy Rifkin just ifie « La fin du travail » en 1995 et la même année , Dominique Méda « Le travail une valeur en voie de disparition ». Ils provoquent de vives réponses comme l’ar ticle de Rober t Caste l de 1998 « la fin du travail, un mythe démobilisateur » repris sous le titre « centralité du travail... ».

Cependant au-delà des deux thèses opposées de « la fin du travail » aujourd’hui et de sa « centra lité » éterne lle, ne peuton poser deux quest ions fondamenta les. Il s’agit d’une par t et comme objectif prioritaire (de portée révolutionna ire) de la trans format ion radicale du tra vail, pour un tra vail autr ement autonome , maîtrisé et créateur , en allant jus qu’au dépassement du tra vail salarié, de sa précar ité fondamentale, avec un système de Sécur ité d’emploi ou de format ion, à constru ire gradue llement dès aujour d’hui, à tra vers des avancées concrètes , des droits sociaux, dans les divers domaines de retour à l’emploi des chômeurs , des licenc iements et des reclassements , de la format ion, de la précar ité etc... Il s’agit d’autr e part, mais comme pers pective lointaine, quoique posée dès aujour d’hui, en relation avec ces trans format ions, du début d’un très long processus histor ique du dépassement du tra vail lui-même comme forme contra inte des act ivités de productions et des act ivités humaines trans formatr ices et créatr ices. J’ai posé ces deux quest ions en traitant seulement la première prioritaire dans une étu de de 1996, précé dant un livre de 2002 sur la proposition de Sécur ité d’emploi ou de format ion.

Dépassement veut dire, à la fois, abolir, répondr e et développer autr ement les aspects positifs. C’est dans ce sens que Marx a posé les pers pectives de l’abolition du tra vail. Ainsi dans l’idéologie alleman de de 1845-46, il proclamait : « les prolétaires s’ils veulent s’affirmer en tant que personne , doivent abolir leurs conditions d’existence, laquelle est en même temps, celle de toute société jusqu’à nos jours, je veux dire abolir le travail ». Et, dans le Capital, il évoquera l’act ivité libre de manifestat ion de soi, de la vie humaine, et audelà de l’act ivité de production nécessa ire, la plus efficace et donc la plus rédu ite possible, l’activité ayant pour but de développer les êtr es humains eux-mêmes et leur manifestat ion créatr ice.

 

Sur l’évolution de la dialectique du travail dans le capitalism e

Avec la révolution industr ielle des mach ines-out ils, et le capitalisme, progressent une cer taine liber et une cer taine indépendance du tra vail individuel à l’opposé du ser vage. Mais monte auss i son exploitation marchande, la précar ité du contrat de tra vail et le rejet du chômage. Cependant le tra vail salarié va se généra liser à toutes les activités . Et Hegel va magnifier l’activité trans formatr ice ou créatr ice du tra vail avec « le travail de l’esprit ». Mais ce sont auss i les luttes des ouvriers et des salariés pour la réduct ion du temps de tra vail, la protect ion des droits sociaux, l’éducation des enfants , jusqu’aux congés payés et aux congésformat ion. Déjà Marx exaltait ces luttes . Dans le Capital, il parle du « royaume de la liberté » fon sur le recul du « royaume de la nécessité » à partir de la réduct ion du temps de tra vail. Ailleurs , il évoque sa trans format ion en manifestat ion libre des ses facultés et de sa sociabilité et de son appor t aux autr es.

De nos jours avec la révolution informat ionne lle surgissent des défis radicaux :

Maximum ou apogée de la généra lisation du travail salarié, avec la salarisation des activités intellectue lles et de ser vice, la salarisation mass ive des femmes et celle du monde entier. C’est l’exigence d’implicat ion personne lle la plus grande possible. Mais c’est auss i la montée du chômage et de la précar ité, des discriminations et dominations, entr e hommes et femmes , et entr e salariés mis en concurr ence à l’échelle de la planète .

C’est l’exigence sans précé dent de format ion jus qu’au principe de format ion cont inue tout au long de la vie.éb a t

C’est auss i l’inégalité extrême de cette format ion, la faiblesse de ses moyens et de sa maîtrise.

C’est aujour d’hui, avec la révolution informat ionne lle, la prédominance des informat ions comme la recherche, même pour la production. Et donc le besoin de partager ses résu ltats , ses coûts , ses opérat ions . En effet, une même informat ion comme une recherche, contra irement à une mach ine qui est ici ou là, peut êtr e partagée dans le monde ent ier. Mais dans le système actue l, cela développ e les monopo les multinationau x mond ialisés pour par tager à l’échelle mond iale les coûts de recherche mais de façon monopo lisatr ice, en rivalisant avec d’autr es pour les détru ire, de brevets d’exploitation, de suppr ess ions d’emplois. Alors que le partage maximum des coûts de recherche et des opérat ions vou dr ait que l’on développ e le plus poss ible les capacités, la format ion et l’emploi de tous les êtr es humains et de tous les peuples, précisément pour utiliser et amé liorer ces recherches et ces format ions pour leur vie.

 

Propositions et visée de transformations radicales et de dépass ements

La priorité, ce sont de nouveaux droits, luttes et con quêtes pour trans former radicalement le travail. Toutefois, il ne faut pas bouc her mais ouvrir la pers pective révolutionna ire d’un dépassement du tra vail lui-même .

A par tir des luttes et propositions contr e le chômage , pour un retour dura ble à l’emploi, contr e les licenciements , etc, on pourra it aller jusqu’à un système de Sécur ité d’emploi ou de format ion.

Pleinement réalisé, ce système visera it à assur er à chacun et chacune , un bon emploi ou une bonne format ion pour revenir à un bon emploi avec une cont inuité de bons revenus et de droits et des passa ges du tra vail à l’act ivité de formation maîtrisés par les intér essés .

Avec la rotat ion emploi/format ion des activités à finalités profess ionne lles, il s’agirait d’un véritab le dépasse ment du chômage. Encor e une fois dans la théor ie de Marx, « dépassement » cela veut dire arr iver à suppr imer vraiment un phénomène social, ici le chômage. Car on conser ve le problème auquel il préten d répondr e mais en lui donnant une autr e solution par ce progrès fondamenta l.

Ainsi le chômage est un mal terr ible économ ique, social, mora l (huit fois plus de suicides chez les chômeurs) mais c’est auss i une force formidable du capitalisme, car les suppr ess ions d’emplois poussent fortement au changement et au progrès techn ique. On pourra it conser ver cette force sans le mal et la souffrance , avec le passa ge de l’emploi à la format ion, avec le maintien ou la cont inuité de hauts revenus et de droits pour revenir à un meilleur travail. Il ne s’agit pas pour autant d’un simple revenu d’existence , déconnecté de l’act ivité sociale et tendant vers un minimum. Bien sûr, il ne s’agit pas d’insta ller ce système d’un cou p. C’est une visée pour un projet de société qui peut amener des avancées imméd iates et concrètes . Il s’agit de progresser pour arr iver, à tra vers les luttes et les propositions législatives, à arrac her de nouveaux droits sociaux et un nouveau droit social d’ensem ble, comme on a jadis avancé vers la Sécur ité sociale.

On par tirait des mesur es et des dispos itifs inst itut ionne ls existants et des débats et propositions pour les modifier afin d’avancer par des sécur isat ions et des promot ions des emplois et des format ions. Cela pourra it concerner ces chantiers concr ets et les discuss ions et luttes en cours sur :

L’indemn isation des chômeurs et le retour à l’emploi, les licenc iements , les terr itoires, la responsa bilité sociale des entr eprises contr e le déclin industr iel et pour les reclasse ments si mauvais aujour d’hui, les emplois précaires et leur stab ilisat ion, la format ion cont inue avec toutes les luttes et propositions sur le nouveau droit individuel , les mesur es en faveur de l’emploi des femmes , des jeunes , des tra vailleurs âgés. Cela visera it de nouveaux droits sociaux .

Et ces nouveaux droits sociaux, dans une mob ilité avec sécur ité et non rejet, deman de de nouveaux pouvoirs des CE, des élus,... et de nouveaux moyens financ iers . Il s’agit d’une autr e utilisat ion des fonds publics, de l’avancée d’autr es critèr es d’efficacité sociale des entr eprises et sur tout d’un autr e cré dit. Ce cré dit sera it attr ibué avec des taux d’intérêt très abaissés . D’autant plus que les investissements programmera ient de l’emploi et de la format ion. Avec des fonds régionau x de Bonification des intérêts (leur prise en charge publique en tout ou par tie). Et une autr e action de la BCE pour « refinancer » des cré dits à des taux très abaissés pour l’emploi. Cela fourn irait des con ditions décisives pour la trans formation radicale du travail et de la format ion. Éradication des discriminations et dominations concernant les femmes , les jeunes , les tra vailleurs âgés, ceux d’origine étran gère.

Par ticipation effective grand issante à la direction de son propre tra vail à l’organisation, à la gest ion.

Maîtrise des dispos itifs ergonom iques pour éra diquer la pénibilité, le str ess , etc.

Par ticipation à la recherche et à l’inno vation de tous les tra vailleurs , bouleversement du rôle et du contenu de la format ion cont inue contr e toutes ces inégalités et insuffisances pour sa maîtrise par les intér essés .

Au-delà de l’économ ie cela contr ibuera it à la maîtrise et à l’épanou issement de la vie hors tra vail et à la réduct ion gradue lle des oppositions entr e tra vail et hors tra vail ; à la promot ion et à la sécur isat ion de tous les moments du cycle de vie de la format ion initiale à la retra ite active, à la culture, à toute la régénérat ion humaine et ce que j’appelle l’ant hroponom ie.

Le propre des êtr es humains ce sont les activités trans formatr ices et créatr ices dont le tra vail est une forme historique. On peut poser la pers pective d’une société elles seront progressivement désa liénées par le passa ge gradue l à des activités de libres manifestat ions de soi, créatr ices de soi, créatr ices pour autru i et la société. Cela concernera it un long processus de suppr ess ion de la contra inte extérieur e des monopo lisations et des dominations sociales sur les activités , et de l’instrumenta lisat ion des êtr es humains.

Dans le dépassement du travail avec ces suppr ess ions, on pourra it conser ver, avec la progression de l’attract ivité et de la variété des activités, la contra inte de l’effor t et l’écoute d’autru i pour vaincre ces difficultés afin d’obtenir les résu ltats recherchés. On conser verait l’effor t pour dépasser ses propres limites personne lles.

L’attract ivité et même la pass ion des activités créatr ices pourra ient redonner libre cours comme on peut le voir déjà dans le loisir cultur el ou dans le jardinage de masse sans négliger la nécess ité des activités de production. Cela dépassera it auss i la vision élitiste de la liber et du temps non com pté de l’ar tiste et du chercheur qui faisait dire avec orgueil à Baudelaire : « j’ai grandi dans le luxe et l’oisiveté, les autres sont de vils piocheurs ». En définitive, chaque femme chaque homme devraient pouvoir développer pleinement et librement ses capacités et ses activités avec des valeurs de par tage et d’interéact ivité dans « ce futur d’human ité ».

 

Idées montantes et rassemblements pour des actions transformatrices

Par Paul Boccara, le 31 juillet 2003

Idées montantes et rassemblements pour des actions transformatrices
La campagne nationale d’actions pour l’emploi et pour avancer vers une sécurité d’emploi ou de formation peut s'appuyer sur des idées nouvelles.

Face à l’insécurité sociale grandissante, des thèmes idéologiques nouveaux ont progressé. Ils pourraient devenir des forces décisives en s’emparant des consciences, du moins s’ils étaient développés dans l’action, en relation avec l’exigence de nouveaux droits sociaux effectifs. En effet, ces idées nouvelles demeurent encore très ambivalentes. Elles sont surtout récupérées, pour le moment, afin de renforcer le système  existant et les pratiques  dominées par les exigences du marché financier, à l’opposé de la mise en cause effective des gestions et des politiques développant le chômage et de la précarité par des transformations radicales.

Le thème montant le plus fondamental, du point de vue  de l'insécurité sociale, concerne les exigences de sécurité associée à la mobilité. Cela renvoie à des pratiques  développées, depuis une vingtaine d'années, de précarisation et de mobilité forcée avec perte d’acquis et dégradation des situations pour beaucoup, à l'opposé des mobilités volontaires et de progression pour les individus. Face aux besoins de souplesse et d’adaptation des nouvelles technologies, transformées  en exigences de flexibilité du marché  du travail, d’insécurité des emplois et de démantèlement des protections  sociales, et face aux protestations contre les maux sociaux de la précarité  s'est  graduellement  développée la thématique  d'une flexibilité accompagnée  de sécurité. Et cela, grâce à des négociations sociales entre syndicats, patronat et Etat ainsi que leur sanction législative.

C'est le thème de la « flexcurity » ou « flexi-sécurité » ou encore de la souplesse avec sécurité qui a progressé dans les pays de l'Union européenne,  en entraînant  diverses tentatives et pratiques institutionnelles. Mais, en fait, prédominent des mesures d'accompagnement de la progression d'une flexibilité d’insécurisation, échangeant le démantèlement des protections  sociales antérieures  contre  de petites limitations nouvelles (Voir l’encadré sur l’étude de la DARES  « Souplesse et sécurité de l’emploi » de juin 2003).

Aussi, peuvent monter, au contraire, au-delà des promesses affichées non tenues, les aspirations à une sécurité effective avec une mobilité de promotion de tous, pour des parcours professionnels avec des revenus et des droits préservés et améliorés pour tous, y compris les passages par la formation ou d’un poste à un autre ou d’un emploi à un autre. Le développement  suivi des capacités  de chacun  et des équipes  de travail est désormais,  en effet, la meilleure garantie d’une expansion massive et d’une utilisation efficace des nouvelles technologies, en même temps qu’il répond aux nouvelles aspirations.

Cela se relie à l’émergence d'un second thème devenu crucial : celui de la formation tout au long de la vie pour chacune et chacun. Mais ici aussi, à cet objectif général affiché de façon idéale, correspondent les dispositifs effectifs nouveaux extrêmement inégalitaires et largement insuffisants de la formation continue. Sans compter le problème du débouché  en emploi de la formation qui loin d'être assuré fait trop souvent défaut (Voir le débat sur la formation continue et les enjeux des dispositions récentes). D’où encore  l'aspiration  à de nouveaux droits,  pouvoirs  et contenus concernant  les formations professionnelles des adultes. Cependant, les faiblesses et perversions  persistantes,  relevées à propos  de ces deux premiers  thèmes mobilisateurs et des pratiques correspondantes, renvoient avant tout au comportement des entreprises.

Or, c'est à leur sujet que monte précisément  un troisième thème porteur  : celui de la responsabilité  sociale des entreprises.  Toutefois, lui aussi se présente  pour le moment de façon largement trompeuse, en définitive. Non seulement sa portée pratique reste extrêmement limitée du point de vue de la question décisive de la prévention des licenciements ou des bons reclassements pour tous. Mais il tend à accompagner en fait, par des mesures très insuffisantes, les effets dommageables grandissants  de l'irresponsabilité sociale des entreprises  face au chômage. Ou encore, ce thème de la responsabilité  peut dévier vers la rédaction de « codes d’éthique sociale » des entreprises, tout particulièrement à propos des conditions de travail et d’environnement des productions  des entreprises  multinationales dans les pays émergents, en dérivant vers des opérations de marketing. Les pouvoirs de gestion accaparés par les entrepreneurs capitalistes et la recherche  de la rentabilité financière maximum, dans les conditions de la mise en concurrence  exaspérée  et des nouvelles technologies utilisées sous la domination des marchés financiers mondialisés, l'emportent  sur toutes  les déclarations  et mesures nouvelles. Ces dernières restent largement velléitaires face aux licenciements en rafales et à l'insécurité proliférante de l'emploi.

Et pourtant,  le quatrième  thème  d'idées  montantes renvoie à la revendication de démocratie participative, qui pourrait  aller jusqu'à de nouveaux pouvoirs d’intervention de tous. Mais ici aussi cela ne débouche pas encore sur des pouvoirs nouveaux effectifs, partagés jusqu'à chacun, depuis les bassins d’emploi, sur les moyens  nécessaires pour la maîtrise de son sort et le dépassement de l’insécurité sociale grandissante.

Cependant, l'appui sur ces idées nouvelles peut favoriser les rassemblements dans l'action sur des propositions concrètes de sécurisation effective de l'emploi et de la formation. De même, ces actions peuvent contribuer  à dépasser  les ambivalences et les limites actuelles de ces idées à partir des exigences de transformation des pratiques et des institutions existantes.

Le gouvernement de droite se livre à un mélange de démagogie sur la valeur travail et le retour à l’emploi en acceptant des bas salaires, de mini mesures prétendues novatrices, et surtout d'agression contre les droits et les soutiens sociaux pour leur diminution, ainsi que de dispositions hyper libérales d'incitations aux emplois pauvres du « workfare » à la française. La riposte ne peut se contenter de dénonciations et de protestations. Elle doit pouvoir pousser  les idée montantes, dans l’action, jusqu’à la réclamation de nouveaux objectifs sociaux, de sécurisation et de promotion des emplois et des formations, de nouveaux pouvoirs, des syndicats, des élus, des associations, des intéressés eux-mêmes et de leur organisation, de nouvelles utilisations des fonds publics et du crédit bancaire, avec leur contrôle social du point de vue de l’emploi.  Il est possible de s'appuyer sur les idées nouvelles, toutes récupérées qu’elles soient encore par la démagogie du gouvernement UMP, pour les développer autrement et rassembler sur des exigences concrètes d'avancées favorables à tous ceux qui souffrent de l’insécurité sociale dans la diversité de leur situation. Cela renvoie aux différents chantiers  concrets  d'actions  de la campagne nationale pour sécuriser l'emploi et pour avancer, par leurs convergences, vers la construction d'un système de sécurité d'emploi ou de formation. ■

UN DOCUMENT DE LA DARES

Souplesse et sécurité de l'emploi : Orientations d’études et recherches à moyen terme

Le document d’études de la DARES ( « Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques » du Ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité) coordonné par Carole Yeroschewski, de juin 2003, est très intéressant.

Après un état des lieux sur la mobilité et la précarité en France et en Europe, il comprend surtout plusieurs analyses sur les pratiques dites de « flexsécurité » dans différents pays européens. Il se distribue en « pratiques nationales », « pratiques d'entreprise », « pratiques et agencements locaux ».

Même s'il y a des tentatives suggestives, les pratiques et institutions se réclamant de la « flexsécurité » ou « flexcurity » ont trop souvent été idéalisées. Le plus souvent, elles renvoient à un échange de quelques sanctions et limitations contre l'appui et le développement de politique de précarisation des emplois et d'insécurité sociale des entreprises, au nom de la flexibilité et de la lutte contre les " rigidités " du marché du travail. Les analyses du document de la Dares, tout en pouvant aussi verser l’idéalisation à partir des dispositifs affichés, pointent néanmoins à plusieurs reprises ce renforcement d'une flexibilité d'insécurité.

Ainsi, à propos de la loi « flexibilité et sécurité » de 1998 aux Pays Bas, on y remarque qu'avec la suppression des protections antérieures des travailleurs contre la flexibilité, il y a eu un échange où « le recours aux emplois flexibles par les employeurs a été juridiquement stabilisé, mais la protection des travailleurs flexibles renforcée ». En Espagne, avec l'accord confédéral syndicats/patronats de 1997, il y aurait eu « un échange comme aux Pays-Bas entre l'assouplissement des conditions de licenciements économiques contre un encadrement des emplois temporaires ». À propos des Pays Bas, il est précisé : « les intéressés disent qu'il s'agissait dès l’origine de mieux réguler l'emploi flexible non de mettre en cause la possibilité d'y recourir ». Mais bien plus : « l'évaluation montre qu'il existe deux conceptions de la régulation, chez les syndicats et le patronat ».

Cela pointe, en fait, les enjeux des polarisations et des luttes de classes nouvelles sur ces compromis sociaux, pour le moment dominés par le patronat et le néo-libéralisme.

Cela renforce le besoin d'une autre conception de la mobilité, volontaire et de progression de chacun, dans une sécurité effective d'activité et de revenus. Ce qui renvoie à d'autres pouvoirs et à d'autres financements pour infléchir les gestions des entreprises. Cela concerne tout particulièrement un tout autre crédit, qui pourrait être impulsé par la Banque Centrale Européenne, à l'opposé de la domination des marchés financiers, pour un autre modèle social européen.

Un des articles évoque d'ailleurs la « sécurité sociale professionnelle » de la CGT. Et il cite une série de droits pour un nouveau statut du travail salarié. Mais il ne parle pas de nouveaux financements, ni de nouveaux pouvoirs sur l’utilisation des fonds des entreprises, pour un nouveau statut d’entreprise. Ces questions avancent pourtant dans la CGT et elles sont cruciales pour une « Sécurité d'emploi ou de formation », projet sur lequel tout le document ne souffle mot.

L'article sur « le droit du travail à l'épreuve de la flexsécurité », tout en soulignant l'importance de principe de l’obligation de reclassement de la loi de modernisation sociale, insiste lui aussi sur les « droits de tirage sociaux » du juriste Alain Supiot, tout en ne considérant pas du tout les pouvoirs sur les financements des entreprises ni sur le contrôle des institutions monétaires et de crédit.  ■.

Comment penser, comment concevoir le travail au XXIe siècle*

Par Paul Boccara, le 31 juillet 2003

Comment penser, comment concevoir le travail au XXIe siècle*

Nous publions la contribution intégrale de Paul Boccara, prononcée le 29 octobre dernier, à l'occasion de la première des treize agoras organisées par le journal l'Humanité, dans le cadre de son centenaire, sur le thème :  « Comment penser, comment concevoir le travail au XXIe  siècle ? ».

Dans un article du 15 octobre, Luc Ferry dénonce de façon caricaturale  « l’ idéologie qui anime la loi des trente-cinq heures » selon laquelle « le travail est l’ennemi et le sens de la vie serait à rechercher dans l’accroissement des loisirs ». Le ministre dans le cadre d’une campagne pour culpabiliser et inciter aux emplois pauvres demande de réhabiliter « la valeur du travail ».

Mais dès 1830, le communiste utopique Fourrier s’exclamait « Aimez le travail nous dit la morale : c’est  un conseil ironique et ridicule. Qu’elle donne du travail à ceux qui en demandent et qu’elle sache le rendre aimable ;  car il est odieux en civilisation que l’insuffisance des salaires, l’inquiétude d’en manquer, l’injustice des maîtres, la tristesse des ateliers, la longue durée et l’uniformité des fonctions ».

Les contradictions du travail entre :

Privation du travail et formidable productivité utilisée pour le chômage et la précarité affirmation des capacités, intégration sociale et fierté du résultat pénibilité, stress et dégoût ou plus fondamentalement  entre travail aliéné et aliénateur et travail libérateur et libéré, atteignent de nos jours un degré extrême.

Et la problématique  de ces contradictions  monte, elle aussi, aux extrêmes.

Ainsi Jeremy Rifkin justifie « La fin du travail  » en 1995 et la même année, Dominique Méda « Le travail une valeur en voie de disparition  ». Ils provoquent  de vives réponses comme l’article de Robert Castel de 1998  « la fin du travail, un mythe démobilisateur » repris sous le titre « centralité du travail... ».

Cependant au-delà des deux thèses opposées de « la fin du travail » aujourd’hui et de sa « centralité » éternelle, ne peut-on poser deux questions fondamentales. Il s’agit d’une part et comme objectif prioritaire (de portée révolutionnaire) de la transformation radicale du travail, pour un travail autrement autonome, maîtrisé et créateur,  en allant jusqu’au dépassement du travail salarié, de sa précarité fondamentale, avec un système de Sécurité d’emploi ou de formation, à construire  graduellement dès aujourd’hui, à travers des avancées concrètes,  des droits  sociaux, dans les divers domaines de retour à l’emploi des chômeurs, des licenciements et des reclassements, de la formation, de la précarité etc... Il s’agit d’autre part, mais comme perspective lointaine,  quoique posée dès aujourd’hui, en relation avec ces transformations, du début d’un très long processus historique du dépassement du travail lui-même comme forme contrainte des activités de productions  et des activités humaines transformatrices et créatrices. J’ai posé ces deux questions  en traitant seulement la première prioritaire dans une étude de 1996, précédant  un livre de 2002 sur la proposition  de Sécurité d’emploi ou de formation.

Dépassement veut dire, à la fois, abolir, répondre et développer autrement les aspects positifs. C’est dans ce sens que Marx a posé les perspectives de l’abolition du travail. Ainsi dans l’idéologie allemande de 1845-46, il proclamait : « les prolétaires s’ils veulent s’affirmer en tant que personne, doivent abolir leurs conditions d’existence, laquelle est en même temps, celle de toute société jusqu’à nos jours, je veux dire abolir le travail ». Et, dans le Capital, il évoquera l’activité libre de manifestation de soi, de la vie humaine, et au-delà de l’activité de production nécessaire, la plus efficace et donc la plus réduite possible, l’activité ayant pour but de développer les êtres humains eux-mêmes et leur manifestation créatrice.

Sur l’évolution de la dialectique du travail dans le capitalisme

Avec la révolution industrielle des machines-outils, et le capitalisme, progressent une certaine liberté et une certaine indépendance  du travail individuel à l’opposé du servage.

Mais monte aussi son exploitation marchande, la précarité du contrat de travail et le rejet du chômage. Cependant le travail salarié va se généraliser à toutes  les activités. Et Hegel va magnifier l’activité transformatrice ou créatrice du travail avec « le travail de l’esprit ». Mais ce sont aussi les luttes  des ouvriers et des salariés pour la réduction  du temps de travail, la protection des droits sociaux, l’éducation des enfants, jusqu’aux congés payés et aux congés formation. Déjà Marx exaltait ces luttes. Dans le Capital, il parle du « royaume de la liberté  » fondé sur le recul du « royaume de la nécessité » à partir de la réduction du temps de travail. Ailleurs, il évoque sa transformation  en manifestation libre des ses facultés et de sa sociabilité et de son apport aux autres.

De nos jours avec la révolution informationnelle surgissent des défis radicaux :

Maximum ou apogée de la généralisation du travail salarié, avec la salarisation des activités intellectuelles et de service, la salarisation massive des femmes et celle du monde entier.

C’est l’exigence d’implication personnelle  la plus grande possible. Mais c’est aussi la montée du chômage et de la précarité, des discriminations et dominations, entre hommes et femmes, et entre salariés mis en concurrence à l’échelle de la planète.

C’est l’exigence sans précédent  de formation jusqu’au principe de formation continue tout au long de la vie.

C’est aussi l’inégalité extrême de cette  formation, la faiblesse de ses moyens et de sa maîtrise

.C’est aujourd’hui, avec la révolution informationnelle, la prédominance  des informations comme la recherche, même pour la production. Et donc le besoin de partager ses résultats,  ses coûts, ses opérations.  En effet, une même information comme une recherche,  contrairement  à une machine qui est ici ou là, peut être partagée dans le monde entier. Mais dans le système  actuel, cela développe  les monopoles multinationaux mondialisés pour partager à l’échelle mondiale les coûts de recherche  mais de façon monopolisatrice, en rivalisant avec d’autres pour les détruire, de brevets d’exploitation, de suppressions d’emplois. Alors que le partage maximum des coûts de recherche et des opérations  voudrait  que l’on développe  le plus possible les capacités, la formation et l’emploi de tous les êtres  humains et de tous les peuples, précisément  pour utiliser et améliorer ces recherches et ces formations pour leur vie.

Propositions et visée de transformations radicales et de dépassements

La priorité, ce sont de nouveaux droits, luttes et conquêtes pour transformer radicalement le travail. Toutefois, il ne faut pas boucher  mais ouvrir la perspective  révolutionnaire d’un dépassement du travail lui-même.

A partir des luttes et propositions  contre le chômage , pour un retour durable à l’emploi, contre les licenciements, etc, on pourrait aller jusqu’à un système de Sécurité d’emploi ou de formation.

Pleinement réalisé, ce système viserait à assurer à chacun et chacune, un bon emploi ou une bonne formation pour revenir à un bon emploi avec une continuité de bons revenus et de droits et des passages du travail à l’activité de formation maîtrisés par les intéressés.

Avec la rotation  emploi/formation des activités à finalités professionnelles,  il s’agirait d’un véritable dépassement du chômage. Encore une fois dans la théorie de Marx, « dépassement » cela veut dire arriver à supprimer  vraiment un phénomène social, ici le chômage. Car on conserve le problème auquel il prétend répondre mais en lui donnant une autre solution par ce progrès fondamental.

Ainsi le chômage est un mal terrible économique, social, moral (huit fois plus de suicides chez les chômeurs) mais c’est aussi une force formidable du capitalisme, car les suppressions d’emplois poussent fortement au changement et au progrès technique. On pourrait conserver cette force sans le mal et la souffrance, avec le passage de l’emploi à la formation, avec le maintien ou la continuité de hauts revenus et de droits pour revenir à un meilleur travail. Il ne s’agit pas pour autant  d’un simple revenu d’existence, déconnecté  de l’activité sociale et tendant vers un minimum. Bien sûr, il ne s’agit pas d’installer ce système d’un coup. C’est une visée pour un projet de société qui peut amener des avancées immédiates et concrètes. Il s’agit de progresser  pour arriver, à travers les luttes et les propositions  législatives, à arracher de nouveaux droits sociaux et un nouveau droit social d’ensemble, comme on a jadis avancé vers la Sécurité sociale.

On partirait des mesures et des dispositifs institutionnels existants et des débats et propositions pour les modifier afin d’avancer par des sécurisations  et des promotions  des emplois et des formations. Cela pourrait concerner ces chantiers concrets et les discussions et luttes en cours sur :

L’indemnisation des chômeurs et le retour à l’emploi, les licenciements, les territoires,  la responsabilité sociale des entreprises  contre le déclin industriel et pour les reclassements si mauvais aujourd’hui, les emplois précaires et leur stabilisation, la formation continue avec toutes les luttes et propositions sur le nouveau droit individuel , les mesures en faveur de l’emploi des femmes, des jeunes, des travailleurs âgés. Cela viserait de nouveaux droits sociaux .

Et ces nouveaux droits sociaux, dans une mobilité avec sécurité et non rejet, demande de nouveaux pouvoirs des CE, des élus,... et de nouveaux moyens financiers. Il s’agit d’une autre utilisation des fonds publics, de l’avancée d’autres critères d’efficacité sociale des entreprises  et surtout d’un autre crédit. Ce crédit serait attribué avec des taux d’intérêt très abaissés. D’autant plus que les investissements programmeraient de l’emploi et de la formation. Avec des fonds régionaux de Bonification des intérêts (leur prise en charge publique en tout ou partie). Et une autre action de la BCE pour « refinancer » des crédits à des taux très abaissés pour l’emploi.

Cela fournirait des conditions décisives pour la transformation radicale du travail et de la formation. Éradication des discriminations et dominations concernant les femmes, les jeunes, les travailleurs âgés, ceux d’origine étrangère.

Participation effective grandissante à la direction de son propre travail à l’organisation, à la gestion. Maîtrise des dispositifs ergonomiques pour éradiquer la pénibilité, le stress, etc.

Participation à la recherche  et à l’innovation de tous les travailleurs, bouleversement  du rôle et du contenu de la formation continue contre toutes ces inégalités et insuffisances pour sa maîtrise par les intéressés.

Au-delà de l’économie cela contribuerait à la maîtrise et à l’épanouissement de la vie hors travail et à la réduction graduelle des oppositions entre travail et hors travail ; à la promotion  et à la sécurisation  de tous les moments du cycle de vie de la formation initiale à la retraite active, à la culture, à toute la régénération humaine et ce que j’appelle l’anthroponomie.

Le propre des êtres humains ce sont les activités transformatrices et créatrices dont le travail est une forme historique. On peut poser la perspective d’une société où elles seront progressivement désaliénées par le passage graduel à des  activités de libres manifestations de soi, créatrices de soi, créatrices pour autrui et la société. Cela concernerait un long processus  de suppression de la contrainte extérieure des monopolisations et des dominations sociales sur les activités, et de l’instrumentalisation des êtres humains.

Dans le dépassement du travail avec ces suppressions, on pourrait conserver, avec la progression de l’attractivité et de la variété des activités, la contrainte de l’effort et l’écoute d’autrui pour vaincre ces difficultés afin d’obtenir les résultats recherchés. On conserverait l’effort pour dépasser ses propres limites personnelles.

L’attractivité et même la passion des activités créatrices pourraient  redonner  libre cours  comme on peut le voir déjà dans le loisir culturel ou dans le jardinage de masse sans négliger la nécessité des activités de production. Cela dépasserait aussi la vision élitiste de la liberté et du temps non compté  de l’artiste et du chercheur  qui faisait dire  avec orgueil à Baudelaire : « j’ai grandi  dans le luxe et l’oisiveté, les autres sont de vils piocheurs  ». En définitive, chaque  femme chaque  homme devraient  pouvoir développer pleinement et librement ses capacités et ses activités avec des valeurs de partage et d’inter-réactivité dans « ce futur d’humanité ». ■

* Le titre du PDF en téléchargement  (qui a été publié par erreur dans la revue papier) ne correspond pas au titre choisi par l'auteur, il a été corrigé dans sa version électronique publiée sur le site.

Défis identitaires de classe des salariés . Des divisions et rapprochements affectant les travailleurs et la classe ouvrière à la montée de l’identité de l’ensemble salarial

Par Paul Boccara, le 31 juillet 2003

Défis identitaires de classe des salariés      .    Des divisions et rapprochements affectant les travailleurs  et la classe ouvrière à la montée de l’identité de l’ensemble salarial

Le recul de la classe ouvrière, la perte de repères et le brouillage des identités de classe ont souvent été mis en avant à propos des transformations des couches sociales depuis une vingtaine d'années dans la crise systémique du capitalisme, en relation avec les nouvelles technologies, les déréglementations, la mise en concurrence accrue des salariés. À l'inverse récemment on commence à insister en France sur le maintien majoritaire des classes dites « populaires », des employés et ouvriers, ainsi que de leur identité propre.

Au-delà de cette opposition, la réalité serait encore plus dialectique en se rapportant à l'ensemble des salariés. Elle concernerait d'abord la montée des divisions et un certain recul de la place des ouvriers, mais aussi plus récemment la progression de rapprochements nouveaux, et qui pourraient se développer par des projets communs, mettant en cause le système capitaliste comme jamais, touchant les différentes couches de salariés sans gommer leur diversité. Cela se rapporterait tout particulièrement, à propos de l'emploi et de la formation, à des rapprochements par le bas, avec le chômage et la précarisation, et par le haut avec l'exigence de formation et aussi d'intervention dans la gestion des entreprises. Cela viserait aussi les autres dominations sociales. Cette conception a été présentée par Paul Boccara dans un colloque de Transform (1) en juin 2003, (intitulé « Nouveau capitalisme et nouveaux rapports de classe. Classes et questions sociales aujourd'hui » dont les travaux vont paraître dans un ouvrage) dont nous publions ici en « bonnes feuilles » la contribution.

On a pu relier une certaine régression du sens collectif de classe des travailleurs et des ouvriers à la montée de l’individualisme dans les années 1980 et 1990 en France. Il y a sans doute quelque exagération idéologique de cette  thématique  de la perte  de la situation  et de la conscience de classe des travailleurs, tendant à  renforcer son recul. Mais surtout  la réalité d’ensemble est plus complexe, avec des mouvements certes très profonds maiscontradictoires et eux-mêmes évolutifs, comme le révèle la remontée récente des mobilisations sociales et semble-t-il de l’identité commune de l’ensemble des salariés.

I. Des tendances à la dissociation et à la régression de l’identité de classe des travailleurs à des rapprochements nouveaux plus vastes et au début de leur remontée

La première thèse que je veux soutenir concerne la progression, dans une crise systémique radicale, de dissociations et de divisions nouvelles d’abord prédominantes entre salariés, avec tout particulièrement la mise en cause de la cohésion relative du sentiment  d’identité et du rôle de ce qu’on a appelé la classe ouvrière, mais aussi de rapprochements ou de potentiels de rapprochement et de solidarité de type nouveau. Les dissociations l’emportent d’abord. Mais des rapprochements objectifs et même l’élaboration d’identités sociales nouvelles tendraient en définitive à remonter, comme  dans les luttes sociales actuelles, avec des aspirations communes, certes face à la persistance des divisions et sans être assurés du tout de l’emporter à leur tour.

Ces mouvements dialectiques iraient bien au-delà de la simple opposition qui a pu être faite entre d’abord un recul ou un effacement de la réalité des classes (avec l’individualisation) et ensuite le « retour » des classes sociales, avec le maintien majoritaire des classes « populaires ».

Ces processus historiques contradictoires et les éléments de nouveauté  considérable  et même radicale se situent dans le cadre d’une crise systémique  d’ensemble économique et aussi anthroponomique (2) à l’échelle mondiale. Cette crise commencée à la fin des années 1960 n’est pas encore terminée. Aussi, il me semble tout à fait unilatéral et idéologiquement biaisé de parler de « nouveau capitalisme ». Avec des phénomènes de destructuration et de restructuration,  cette  crise systémique  économique  et sociale contribue à rendre compte du brouillage relatif des réalités comme des représentations sur les classes  et couches sociales. Cette crise systémique renvoie tout particulièrement aux débuts  de la révolution informationnelle, révolution technologique d’ensemble. Tout en achevant la révolution industrielle  de remplacement  des  mains des travailleurs  par des machines outils, elle développe  la substitution d’appareils matériels à certaines opérations du cerveau (comme avec les ordinateurs) et fait prédominer les informations (comme les recherches et leur utilisation) y compris pour la production. Mais, alors qu’une machineoutil est ici ou là, d’où sa propriété privée, une même information peut être partagée partout dans le monde. Cependant, dans le système  existant, l’exigence de partages, comme ceux des coûts de recherche, prend la forme d’immenses groupes monopolistiques mondialisés et rivaux, exploitant le travail salarié à l’échelle multinationale, même si les exigences de formation des travailleurs explosent et représentent des potentiels de rapprochement nouveaux entre eux.

Dans ces conditions, les couches  de travailleurs  salariés connaissent une extension formidable, avec l’expansion des services, le travail généralisé des femmes et la salarisation massive du monde entier. Et sur cette  base, l’ensemble salarial serait affecté de deux processus  apparemment contradictoires :

– l’aggravation extrême de la concurrence entre salariés et entre créations d’emplois salariés, avec la pression du chômage et de la précarisation,  non seulement au plan national, mais jusqu’à l’échelle mondiale, en liaison avec l’industrialisation du monde entier, ainsi que le recul de certaines industries traditionnelles  et l’accélération du développement des services dans les pays les plus développés.

– des exigences considérables et généralisées de formation des salariés,  au-delà de la formation initiale allongée, ainsi que d’implication personnelle  et de responsabilité dans le travail.

Cependant, chacun des deux processus  développerait d’abord surtout des divisions et dissociations nouvelles, à l’opposé de l’unification relative antérieure des conditions de classe des prolétaires industriels avec leur noyau qualifié classique. Mais aussi tendraient à progresser sans doute de plus en plus des potentiels de rapprochements plus intimes et très nouveaux dans l’ensemble des salariés.

En ce qui concerne le premier processus, on retrouve bien sûr le chômage durable massif qui caractérise,  de façon classique, les longues phases de tendances aux difficultés du cycle long de Kondratieff. Cela renvoie aux économies de travail passé,  accumulé en moyens matériels, des nouvelles technologies, allant de pair avec les économies accrues de travail présent ou vivant et les pressions redoublées sur les dépenses salariales pour la rentabilité. Mais au-delà, il s’agirait désormais d’économies durables et sans cesse relancées. Aussi, on assiste à une durabilité prolongée de ce chômage massif ainsi qu’à l’explosion de la précarité et des emplois atypiques  instables.  Cela s’accompagne d’ailleurs de la destruction  de pans entiers de l’industrie, voire des régions sinistrées, dans les pays développés et des délocalisations d’industries vers les pays émergents et en  voie de développement.

D’où l’exaspération des pressions concurrentielles parmi les salariés, des rejets sociaux et des divisions, ainsi que la mise en cause du sentiment d’utilité et de valeur collective durable. Ce sont aussi les difficultés politiques, des scissions  idéologiques exacerbées,  avec la montée du populisme d’extrême droite, de droite ou encore d’extrême gauche.

Mais aussi au contraire, la tendance à la généralisation de la précarité  des emplois jusqu’à des couches de salariés traditionnellement  plus stables, notamment  diplômés et qualifiés, peut entraîner  la remontée de rapprochements nouveaux (3). Ainsi peuvent finalement être suscitées les prises  de conscience  de la communauté  de sortir  de la précarité des contrats de travail et de l’insécurité sociale, face à la domination  de la rentabilité  financière et des marchés financiers.

En ce qui concerne  le second  processus,  on retrouve également des exigences classiques des longues phases de crise systémique, avec les nouvelles technologies, concernant la qualification accrue des travailleurs. Celles-ci à la fois progressent et sont refoulées par le système existant jusqu’à l’issue de la crise. Mais au-delà, de façon radicalement nouvelle, il s’agit désormais  du besoin de formation continue, tout le long de la vie, et pour tous. D’un côté, cela entraîne des inégalités fondamentales et de nouvelles divisions face à ces exigences de qualification et de formation continue, entre les mieux formés et qualifiés y accédant bien davantage et les non qualifiés à l’accès bien plus limité et encore largement rejetés.

Cependant, d’un autre côté, progresse le besoin de trans former cette nouvelle formation continue afin de faciliter les conditions d’accès et d’utilisation des non qualifiés et aussi plus largement des chômeurs.  Cela concernerait  également le besoin de compenser les inégalités des conditions parentales  pesant  sur la formation initiale, elle-même allongée de façon massive, mais avec la multiplication des échecs.  Tout cela renvoie donc à des rapprochements nouveaux possibles  de tous les salariés, non seulement par le bas contre  la précarité  mais par le haut pour la  formation.

D’où aussi la possibilité de renforcer idéologiquement ces rapprochements en vue de transformations  institutionnelles radicales, comme avec la proposition  que j’ai faite d’aller vers « un système de sécurité d’emploi ou de formation » (4). Il s’agit de parvenir à assurer  à chacune  et à chacun soit un emploi, soit une formation, pour revenir à un meilleur emploi, avec des rotations entre eux, une continuité de bons revenus et des passages maîtrisés par les intéressés. Au contraire, dans L’égalité des possibles (5), Eric Maurin propose  des mesures  pour favoriser l’accès à la formation à tous mais non une sécurité d’emploi et d’activité à finalité professionnelle.

Dans le même sens ambivalent iraient encore les mutations du travail. Cela se relierait à la montée des services, et pour ainsi dire de l’aspect de service des travaux de production eux-mêmes, avec l’implication personnelle , la dimension relationnelle, adaptative,  voire certaines tendances à la polyvalence et à l’autocontrôle. D’un côté, c’est la poussée de l’individualisation, des séparations, de l’internalisation des injonctions et de l’intégration au projet de l’employeur, outre l’intensification nouvelle du travail et le stress, qui l’emporterait d’abord. Mais d’un autre côté, c’est la montée des aspirations à des solidarités nouvelles plus volontaires, à la maîtrise personnelle, à un partage des responsabilités et même à des interventions  dans  les gestions au-delà des couches de cadres, et donc des rapprochements nouveaux entre salariés en direction de projets communs possibles.

II. Evolution des différentes couches ou grandes catégories de salariés et portée ambivalente des mutations en cours

On peut distinguer deux types de changements :

– l’évolution des parts relatives des différentes catégories dans l’ensembles salarial ;

– l’évolution du contenu même de chaque sous-ensemble ou grande catégorie.

Dans les deux cas, on retrouverait encore l’ambivalence contradictoire des transformations  en cours ainsi que sa tendance à se modifier avec la remontée des potentiels de rapprochement.

En ce qui concerne tout d’abord l’évolution des proportions des grandes catégories socio-professionnelles dans l’ensemble salarial, on peut distinguer, d’après les statistiques des « Enquêtes emploi », quatre  sous-ensembles  :

– ouvriers ;

– employés ;

– professions intermédiaires (des techniciens aux insti tuteurs)  ;                                                            

- cadres et professions intellectuellesupérieuress .                                                                                                                                                                                                                                               

 

Parts dans la population active (en %)

1983-84          1999-2000

Agriculteurs                                             6,4                2,3

Artisans, Commerçants,

chefs d’entreprises                                  7,6               6,00

Cadres et professions intellectuelles

supérieurs                                                 8,4             12,6


Professions intermédiaires

18,5

19,9

Employés

26,0

29,9

Ouvriers

31,5

27,9

Chômeurs n’ayant jamais travaillé

1,5

1,3

Total                                                   100              100

Source : Enquêtes Emploi.                                               

Les commentaires récent des évolutions en France relativisent le constat de recul graduel des ouvriers, contrastant  avec leur importance et leur "centralité" précédente tout en soulignant le brouillage des frontières de leur identité. Ils tendent surtout à insister actuellement sur le maintien de la majorité des classes « modestes » ou « populaires », comprenant ouvriers et employés, même si ce sont les employés qui seraient devenus les plus nombreux vers 2000.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Ainsi, Michel Gollac peut constater  que « le déclin de l’emploi ouvrier a inégalement touché les différentes professions », tandis que « les métiers de la production industrielle sont particulièrement atteints ». Pour lui, « le noyau du groupe ouvrier (les ouvriers de production de la grande industrie) se réduit, ses marges s’épaississant  ». Et il précise : « passer des métiers au groupe ouvrier nécessite une construction sociale et politique, autour d’un noyau fédérateur (…). Ce noyau est aujourd’hui particulièrement atteint :  baisse de ses effectifs, remise en cause de son statut social par le risque de chômage, séparation d’une élite technicienne…les frontières du groupe avec les catégories voisinent se brouillent. Avec les techniciens…Avec les employés » (6).

De son côté, Eric Maurin déclare : « en se focalisant sur la condition ouvrière et en n’accordant pas toute son importance au déplacement des emplois les plus modestes du monde des ouvriers vers celui des employés, on fait l’impasse sur une évolution sociologique cruciale. Même si les ouvriers et les employés sont à certains égards très proches. Considérés ensemble, les emplois d’employé et d’ouvrier n’ont guère diminué en volume au cours des deux dernières décennies et représente toujours un total de 12 à 13 millions en France » (7). Et Louis Chauvel, quant à lui, précise que « les ouvriers déclinent numériquement, ils ne sont " plus que " 30% de la population active en l’an 2000, contre 40% en 1969 », mais que « les employés sont d’un point de vue structurel des ouvriers des services,  c’est-à-dire des travailleurs routiniers du tertiaire  ». Il ajoute surtout que : « si nous considérons la somme des ouvriers et des employés nous détenons une part stable depuis 30 ans de la population active… Autrement dit, les classes populaires forment une part majoritaire, étonnamment stable, de la population française  » (8).

En réalité, si l’on considère de plus près l’ensemble des évolutions à l’intérieur de toute  la population  active, on constate, outre l’évolution des années 1970, pour les années 1983-84 à 2000, selon les chiffres des Enquêtes emploi repris par Chauvel, une progression des couches salariées « supérieures » et « intermédiaires » de 5,5%, tandis que par ailleurs les agriculteurs ainsi que les artisans et commerçants ont diminué d’autant, après leurs déclins des années 1970. Et, pour leur part, les ouvriers et employés passeraient  plus précisément de 65% environ en 1970 à 57,8% en 2000 au lieu d’une stabilité.

Que peut-on dire de la portée  éventuelle de toutes  ces évolutions ? Elle semble bien confirmer et préciser encore les ambivalences profondes, elles-mêmes évolutives, des  processus en cours. D’un côté, c’est la prédominance de la montée des divisions nouvelles des salariés et des brouillages d’identité. Ces divisions et confusions provoqueraient des tendances très différentes. D’un autre côté, des rapprochements et des potentiels  de rapprochement de tous les salariés, exprimant une communauté d’intérêt beaucoup plus complète que par le passé, s’amorceraient, en pouvant présenter les conditions d’une dynamique profondément  novatrice. On assisterait  d’abord surtout  à la progression des dissociations et des brouillages d’identité collective. Cela renvoie aux éléments de régression  de la cohérence, de la centralité  et de l’attractivité comme protagoniste des transformations sociales radicales, des ouvriers industriels.  Et cela se rapporte  aussi au caractère  beaucoup moins antagoniste voire éventuellement conciliateur des employés, devenus les plus nombreux, par rapport aux employeurs et aux capitalistes (9). Cela concerne encore la progression  nouvelle d’un certain  refus de la condition ouvrière et aussi quoique de façon moindre de celle d’employé, avec l’attraction des couches de salariés dites intermédiaires et supérieures  en expansion (10). Tout cela a pu contribuer au recul de l’influence du projet d’alternative radicale de société et des idées révolutionnaires  antérieures, ainsi qu’à la montée de consensus nouveaux en faveur du libéralisme et du social-libéralisme.

Cependant, avec le maintien de l’importance majoritaire de couches ou classes dites populaires ainsi qu’avec des destructions des situations stables antérieures  et l’ampleur des précarisations ou rejets sociaux, on peut comprendre également la montée des divisions et des exaspérations  populistes,  récupérées  de façon démagogique surtout à l’extrême droite, mais ensuite à l’extrême gauche et encore à droite.

Mais aussi, on assiste au maintien en France d’une importance considérable des travailleurs classés comme ouvriers, de moins de 6,5 millions en 1962 à plus de 8 en 1975 puis environ 7 en 2000. Par ailleurs, la progression plus rapide des techniciens et encore plus des ingénieurs dans la production,  tandis  que se développe  une « technicisation » (11) de bien des couches d’ouvriers, tendrait à développer des communautés d’intérêt nouvelles. Ces communautés  d’intérêt pourraient  progresser  face aux gestions patronales  plus dominées que jamais par la rentabilité financière et son antagonisme avec le développement des capacités et des pouvoirs des travailleurs ou encore avec leur sécurité d’emploi.

Ainsi, d’un côté, la croissance  des ingénieurs et cadres techniques serait plus rapide que celle de toutes les autres catégories  à l’exception des professeurs  et professions scientifiques (12). Mais, d’un autre côté, en 2002, 30% des ingénieurs âgés de 50 à 54 ans et 22% de ceux âgés de 35 à 39 ans ont connu une période de chômage (13).

Ces communautés  et conjonctions  d’intérêts  seraient même plus antagonistes par rapport à la classe des entrepreneurs  capitalistes  que les oppositions  de classe du passé, dans la mesure où les capacités de l’ensemble salarial de revendiquer  la gestion et la direction  des entreprises auraient considérablement  progressé. Certes, il ne s’agit pas d’un simple enrichissement  de la classe ouvrière par de nouvelles couches plus qualifiées. Mais à l’opposé des classements  tranchés  « en intermédiaires » et « supérieurs », cette communauté salariale tendrait  à s’affirmer avec la maturation de la crise systémique de domination de la rentabilité financière et de sa pression sur une utilisation de la révolution informationnelle contrariant  le développement de tous les travailleurs. Cependant, au lieu de la réclamation du rôle dirigeant d’une fraction des salariés sur une autre, c’est la jonction des plus durement exploités et des plus qualifiés qui devrait pouvoir progresser : par le bas, avec la revendication non seulement de bons salaires mais de la sécurité d’emploi et par le haut, avec la revendication d’une bonne formation continue et de pouvoirs de gestion.

Et ces deux ensembles de besoins et d’aspirations pourraient faire reculer la recherche  d’intégration par l’acquisition d’actions sujettes aux effondrements boursiers, ou par l’implication dans le projet patronal productif affecté par les

parasitages ravageurs de la dépendance des marchés financiers spéculatifs. Ces deux ensembles  de besoins  pourraient concerner   aussi désormais  les employés et tous les salariés des activités de service. En liaison avec les conditions nouvelles et certaines aspirations des classes dites populaires comme des couches dites intermédiaires et supérieures, commenceraient donc à remonter des rapprochements et des potentiels de rapprochements, bien plus vastes et plus intimes que par le passé de toutes  les couches  de salariés  avec de nouveaux contenus. Face à la tendance à la généralisation de la revendication de bonnes formations après la formation initiale durant la vie de travail, pour déboucher  sur de meilleurs emplois et des responsabilités accrues et face à l’exigence d’une sécurisation des emplois, le caractère fallacieux des promesses démagogiques patronales et gouvernementales sur ces questions  peut se révéler. Cela peut entraîner  la réclamation de nouveaux pouvoirs partagés pour maîtriser non seulement le travail mais aussi la gestion des entreprises, avec de nouvelles conditions de financement que celles dominées par les marchés financiers. Cela renvoie, bien sûr, sur la base des transformations des fondements des activités et de leurs antagonismes, à des luttes et des projets possibles rassembleurs,  sans aucune tendance automatique des  évolutions.

D’une part, persistent le travail d’exécution conçu comme routinier dans l’industrie et dans les services (14), ainsi que les efforts patronaux pour intensifier le travail, pour réduire la formation, ou encore pour diviser et opposer  les différentes catégories. Mais, d’autre part, progressent non seulement la qualification – ainsi le pourcentage  d’ouvriers industriels  non qualifiés passe  de 7,6% de la population active en 1983-84 à 5,6 en 1991-92 et 4,5 en 1999-2000 (15)

– mais encore plus les exigences de qualification et d’im plication. Et les aspirations à l’autonomie se développent, avec la fierté des capacités  de maîtrise personnelle  et collective des ouvriers comme de tous les salariés.

D’ailleurs, dans les changements profonds des contenus et de l’organisation du travail, on retrouverait  encore les mêmes tendances opposées et ambivalentes. Ainsi, c’est la progression  des  groupes  de travail autonomes,  des démarches  participatives,  de la polyvalence des opérateurs,  mais c’est aussi, les contrecarrant, l’appauvrissement des tâches  transférées,  la montée d’une nouvelle intensification du travail, des cadences,  du stress (16). C’est la réduction des échelons de la ligne hiérarchique, mais le maintien des coupures hiérarchiques  (17), la délégation de pouvoirs mais le renforcement du contrôle, l’appel aux capacités créatrices  mais la pression de la crainte du chômage, une certaine  liberté d’organisation mais sous contrainte  d’objectifs et limites de coûts  imposés (18). Cependant, à la différence de la thèse d’une simple reproduction des anciennes oppositions adaptées aux nouvelles conditions, avec leurs exigences de capacité et de communication, on assiste au développement des contradictions, des injonctions paradoxales,  des problèmes  identitaires graves qu’on a pu assimiler à une schizophrénie. D’où l’expression d’une profonde crise systémique et des défis de dépassement avec des constructions subjectives d’identités nouvelles partant des défis objectifs.

III. Défis d’une construction d’émancipation de classe et universelle : émancipation du salariat et des autres dominations sociales

Sur la base des tendances  objectives à des rapprochements nouveaux de toutes les couches de salariés, de leurs conditions et de leurs aspirations,  au-delà de leurs différences, comme aussi des contradictions entre ces tendances et les efforts de renouveau des dominations et des divisions du système existant, c’est une construction  subjective qui peut contribuer de façon décisive à développer une nouvelle identité  active. Cela renforcerait  encore  les rapprochements à travers les projets et l’action.

Les rapprochements objectifs de notre époque permettraient d’aller bien plus loin que les simples « alliances » du passé  recherchées entre  classes,  à partir  de la classe ouvrière.

Il convient d’ailleurs de ne pas idéaliser l’unité et les rapprochements objectifs et subjectifs du passé.  D’une part, avec l’importance des couches non salariées, petits bourgeois et paysans, était posé un problème d’alliance éventuelle face aux divisions profondes. D’autre part, l’écart entre salariés qualifiés de façon supérieure et cadres, avec les ouvriers, était beaucoup plus tranché et profond, outre le caractère  minoritaire des couches  les plus qualifiées. D’où l’importance des divisions et tout particulièrement les divisions idéologiques comme entre conceptions socialdémocrates et réformistes et conceptions se voulant révolutionnaires et communistes.

Au contraire, face à la mise en concurrence  accrue des salariés, on assiste aussi actuellement à des tendances au rapprochement profond des salariés entre eux, avec leur majorité devenue écrasante, le caractère massif des couches

les plus qualifiées et la montée de la qualification des autres, comme avec la précarité  tendant à se généraliser, ainsi que la salarisation de toutes les activités de services, la salarisation mondiale, etc. Si l’on considère l’évolutionc historique, en France, on serait passé de 57,8 % de salariés dans la population active en 1911 et seulement 65,2% en 1954, à 82,7% en 1975, 86% en 1983-84, 91,7% en 1999-2000 (source INSEE).

En outre, dans le passé, l’idéalisation gommant l’importance des différences entre  salariés  a pu entraîner  soit pour certains la référence explicite à une couche dirigeante ouvrière qui serait la seule complètement révolutionnaire, soit au contraire la direction de fait du réformisme appuyé sur les couches les plus qualifiées et même cela récemment, au nom de la majorité salariale. Aussi, il importerait que les projets de transformation sociétale communs aux salariés, tout en se fondant sur les rapprochements intimes nouveaux, tiennent compte aussi explicitement des différentes  situations,  en renforçant  ainsi l’unité effective et l’efficacité transformatrice. Il s’agit de la force de la radicalité des exigences des plus exploités comme de celles des plus qualifiés, par rapport à la domination de la classe des capitalistes et du capital financier.

Cela concernerait des mesures s’attaquant efficacement à la résistance massive des situations les plus écartées de l’épanouissement personnel et des plus écrasées par l’aliénation capitaliste, en conjonction avec des mesures répondant à la hauteur des exigences de prise en main de l’autodéveloppement et de la direction des entreprises  des plus qualifiés. Ce qui suppose l’avancée de pouvoirs nouveaux partagés,  décentralisés  et concertés  jusqu’à chacune  et chacun.

Cela renvoie à la situation  générale d’exploitation et d’instrumentalisation  des capacités de travail salariées, à l’opposé de leur propre développement comme but déterminant avec la formation, et aux pressions sur elles de l’insécurité d’emploi, du chômage et de la précarité, quoique à des degrés divers. C’est précisément à cela que cherche à répondre le projet nouveau de « Sécurité d’emploi ou de formation » que j’ai proposé  et qui a été repris  dans le mouvement social et politique en France (19). Il vise, en effet, à assurer à chacune et à chacun soit un emploi soit  une formation bien rémunérée, avec donc une sécurisation de l’emploi, du revenu et des droits  contrairement  aux pressions  de la précarité  et du chômage, avec aussi une mobilité dans la sécurité, de promotion des compétences et du développement tout le long de la vie pour un meilleur emploi. Il concerne aussi, avec cette rotation emploi/formation maîtrisée par les intéressés, de nouveaux pouvoirs, un contrôle du financement et la réclamation d’autres financements des entreprises, un nouveau contenu du travail et de son organisation.

Cela se rapporte  à l’avancée possible d’une culture de gestion alternative. Cela renvoie à une radicalité d’émancipation des aliénations du salariat en allant vers son dépassement. En effet, ce projet de société tend à supprimer avec le chômage la précarité  fondamentale du contrat de travail, tout en maintenant la mobilité de la suppression d’emploi et du non emploi, mais dans la sécurité des activités  professionnelles  avec le passage à la formation en conservant un bon revenu. Avec la rotation fondamentale emploi/formation et la progression extrêmement massive et indéfinie du rôle de la formation, cela va au-delà des seules activités de travail et vise la montée de l’activité de développement de soi-même, de chacune et chacun, pour s’émanciper des monopoles de fonctions sociales et notamment de la créativité.

Mais aussi, cette sécurisation de l’emploi et de la formation continue devient un pivot de la transformation  de tous les autres  moments de la vie sociale, en raison des prélèvements sociaux assis sur les salaires et portant sur la production réelle des entreprises. Cela renvoie aux luttes en cours  en France et dans l’Union européenne  sur les retraites et l’ensemble des questions de la sécurité sociale  comme la maladie, mais aussi sur l’école et la formation initiale, les prestations  familiales, etc. (20).

Au-delà des seuls salaires et de l’écrasante majorité salariale de la population, tous les moments  de la vie pour toute la société, de la naissance à la mort, sont concernés. Au-delà des seuls salaires, les salariés sont devenus comme jamais les protagonistes de toute la protection  sociale et même de toutes les institutions sociales de développement des personnes. Et leur antagonisme de classe, avec la domination de la rentabilité et notamment des profits financiers qui explosent, s’élargit aux conditions fondamentales de toute la vie de la population.

Ainsi, sur les entreprises capitalistes actuelles et la valeur ajoutée produite, pèse une série de prélèvements et d’oppositions de prélèvements, en fait antagonistes au-delà du discours recherchant le consensus avec le patronat et les employeurs. Cela concerne :

– l’opposition salaire/profit, y compris les profits financiers,

– l’opposition entre prélèvements sociaux et profits ou prélèvements financiers,

– les oppositions  entre prélèvements de valeur ajoutée par les transferts  des échanges et des produits  financiers au plan international, avec la cascade de dominations au plan mondial jusqu’à l’hégémonie des Etats-Unis.

En même temps, les rapprochements nouveaux qui ont commencé à se dessiner entre tous les salariés et qui pourraient beaucoup se développer, se rapportent précisément à leurs interventions possibles dans les gestions des entreprises et des établissements. Au-delà de la conflictualité de classe traditionnelle dans les entreprises  entre salaire et profit ou sur les conditions de travail, qui est généralisée, monte désormais la conflictualité sur l’utilisation des bénéfices eux-mêmes au-delà des salaires. Cela se rapporte  au type d’investissements et à leur efficacité sociale, fondée sur le développement prioritaire des travailleurs et les capacités humaines, avec de nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale pouvant  faire reculer  les critères  de rentabilité financière, dans une conflictualité viable et évolutive (21).

Cela touche également l’utilisation du crédit, les institutions financières et la création  monétaire  au plan zonal (avec notamment une autre utilisation de l’euro et de la BCE) et au plan mondial, avec la création d'une monnaie   commune mondiale et une refonte du FMI. Cela vise d’autres rapports de coopérations entre entreprises  et aussi entre pays et zones internationales.

Dans ces conditions, les luttes pour l’émancipation de l’exploitation et l’aliénation du salariat peuvent comme jamais se relier intimement à celles concernant tous les moments de la vie sociale des populations et aussi les dominations de genre (homme/femme) et de générations (des enfants aux personnes  âgées). Les propositions  et les luttes contre les dominations des femmes sont devenues décisives. Elles renvoient, d’une part, avec la salarisation  accélérée  des femmes à toutes les discriminations qui les frappent dans le travail professionnel avec la précarité, le chômage, l’insuffisance de formation plus élevés, les salaires, les responsabilités et les pouvoirs moindres. Mais elles se   rapportent, d’autre part et encore plus, à toutes les autres dominations et dévalorisations, en liaison avec le non partage des rôles et des fonctions, concernant la direction parentale, les activités domestiques et les enfants, ainsi qu’avec l’insuffisance des institutions sociales d’aide et de complément qui se sont développées, de la santé à l’éducation.

En réalité, c’est toujours la monopolisation des rôles qui est en cause dans toutes ces dominations sociales. Il s’agit de la monopolisation  non seulement  des activités informationnelles supérieures  mais surtout  du rôle de direction et de gestion par le patronat, avec les efforts de réduction des salariés, au travail instrumentalisé, pour la rentabilité des capitaux.

Mais il s’agit également de la tendance à la monopolisation des activités dirigeantes dans toute la vie sociale par les hommes, avec l’accaparement des femmes par les activités ménagères et encore plus de soins aux enfants, malgré

les progrès  de leur socialisation. Il s’agit encore  de la tendance  à la monopolisation  des productions  les plus qualifiées et à haute  valeur ajoutée, industrielles  et de service, et des créations culturelles modernes, par les pays dits les plus développés. Et cela renvoie aux luttes pour une autre mondialisation.

Dans ce domaine aussi, la salarisation accélérée du monde entier, avec l’industrialisation, étend comme jamais l’ensemble salarial et sa communauté d’intérêt, à la différence des relations de jadis avec les peuples dominés à majorité paysanne écrasante. Mais aussi la révolution informationnelle avec les possibilités et besoins de partage des informations, comme les recherches, devenues prédominantes, connaît l’expansion des partages monopolisés par les grands groupes mondialisés, rivalisant entre eux et faisant pression sur les salariés mis en concurrence  à l’échelle mondiale.

Alors que ce partage pourrait être d’autant plus important, en principe, qu’il y aurait d’êtres humains formés, employés et équipés pour utiliser ces recherches.

En définitive, l’émancipation possible des salariés, comme projet commun, doit pouvoir s’articuler à l’émancipation des différentes dominations et monopoles sociaux concernant tous les êtres humains.

Marx avait éjà évoqué la dissolution de la société dans le prolétariat. Ce qui de nos jours intervient effectivement avec la salarisation et sa majorité écrasante dans les pays développés, tandis qu’elle devient majoritaire à l’échelle du monde entier. Au-delà du seul prolétariat industriel, le référent de l’émancipation sociale devient tout le salariat. Mais aussi au-delà du salariat lui-même, avec les questions des émancipations  de genre et de générations,  ainsi que des nations et des zones sociales et culturelles à l’échelle de l’humanité, le référent devient toute l’humanité, pour l’émancipation universelle. Cependant, il ne s’agirait pas d’un humanisme abstrait, où se dissoudrait  le prolétariat  et le problème des classes. Il s’agit, au contraire, de parvenir à la conjonction des différentes émancipations  précises  et concrètes les plus fondamentales, avec toutes les caractéristiques  rigoureuses  des dominations  des salariés, des femmes et des générations, des nations et des ensembles sociétaux et aires de civilisation à l’échelle du globe. Cela concerne  d’importantes  avancées culturelles, tout particulièrement afin de maîtriser les problèmes de gestion des entreprises,  à l’opposé de discours  généreux avec des propositions  vagues.

En même temps,  avec la référence  à tous  les êtres humains, il s’agit de dépasser l’aspect positif de la montée de l’individualisation ou plutôt de la personnalité de chacun, que nous avons évoquée au début, et à laquelle  s s’accroche la mise en concurrence  et la résistance  de la société dite libérale, justifiant les accaparements des rôles par des individus particuliers,  prétendument dans l’intérêt du progrès pour tous. Ce qui est en cause, c’est précisément  le par tage possible  jusqu’à chacune  et chacun  des  ressources, des informations, des pouvoirs, des activités et rôles sociaux. Et d’ailleurs, les bataillons à la marche cadencée disciplinée des ouvriers, disciplinés par l’industrie capitaliste, pour reprendre l’imagerie léniniste, avaient contribué à la délégation de pouvoir des ouvriers à l’étatisme et à l’appareil du parti. Cela s’opposait  à des démarches  d’émancipation de dépassement effectif des aliénations de classe et autres aliénations sociales des sociétés capitalistes  et libérales, réclamant des pouvoirs partagés de chacune et de chacun et leurs capacités culturelles de participer à la direction des institutions sociales. ■

1. Réseau créé par Espaces Marx (France), Fondation Rosa Luxemburg (Allemagne) Sozialismus (Allemagne), Fondation Nicos Poulantzas (Grèce), Fundacion des Investigaciones Marxistas (Espagne), Transform Italia, Centre des Etudes Marxistes (Suède), Transform Autriche.

2. Ndrl : l’«anthroponomie » se rapporte à tous les aspects non économiques de la vie humaine, du parental au culturel en passant par la politique et les aspects non économiques des activités de production. Cf Paul Boccara : « Mon rapport à Marx, le continuer et le dépasser » in Marx contemporain. Édition Syllepse, 2003.

3. Voir les références à la progression de l’instabilité plus rapide, pour les salariés diplômés en France, de 1982-91 à 1992-2000 (Eric Maurin, L’égalité des possibles, la nouvelle société française, Seuil, Paris, 2002, p.23).

4. Cf. Paul Boccara, Une sécurité d’emploi ou de formation. Pour une construction révolutionnaire de dépassement contre le chômage, Le Temps des Cerises, Paris, 2002.

5. Eric Maurin, L’égalité des possibles, ouvrage cité, p. 8, 11, 34, 36, 39.

6. Michel Gollac, « Différences ou divisions ? La diversité des métiers ouvriers » in Le Monde du travail, sous la direction de Jacques Kergoat, Josiane Boutet, Henri Jacot, Danièle Linhart, La Découverte, Paris, 1998, p.95-96, 98.

7. L’égalité des possibles, ouvrage cité, p.38.

8. Louis Chauvel, Le retour des classes sociales ? Revue de l’OFCE, octobre 2001, p.323.

9. Cf. sur la conflictualité des ouvriers par rapport au capital opposée à la relation d’employé avec les liens de services plus personnels, Eric Maurin, L’égalité des possibles, ouvrage cité, p.38-39.

10. Dans les enquêtes recensées dans l’ouvrage de Christian Baudelot et Michel Gollac, Travailler pour être heureux ?, est souligné le refus de la condition ouvrière pour les enfants d’ouvriers et aussi quoique de façon moindre pour la condition employée et les enfants d’employés (Travailler pour être heureux) ?, Le bonheur et le travail en France, Fayard, Paris, 2003, p.152-153.).

11. Le monde du travail, ouvrage cité, p.97.

12. CF Rémy Jean, « Les nouveaux métiers d’ingénieurs », in Le Monde du travail, ouvrage cité, p.119. Le rapport des ingénieurs et cadres techniques d’entreprise aux ouvriers passe déjà de 1 pour 47 en 1962 à 1 pour 13 en 1990.

13. Enquête sur la situation professionnelle des ingénieurs du CSNIF (Le Monde Économie, 16 sept. 2003, p.VI).

14. Cf. notamment Louis Chauvel, étude citée, p.323.

15. Ibidem, p.325.

16. Cf. Danièle Lienhart, La modernisation des entreprises, La Découverte,

1994, p.50-55. Sous la direction de Jacques Kergoat, Josiane Boutet, Henri Jacot, Danièle Lienhart, Le Monde du travail, p.5-6.

17. Danièle Lienhart, ouvrage cité, p.27 et 34.

18. Thomas Coutrot, Critique de l’organisation du travail, La Découverte, 1999, p.55-56.

19. Le projet avancé en 1996 est encore développé dans mon livre, Une Sécurité d’emploi ou de formation. Pour une construction révolutionnaire de dépassement contre le chômage, Le Temps des Cerises, Paris, 2002. Il est repris dans le Parti Communiste Français et aussi, d’une autre façon, dans la CGT qui avance le projet de « sécurité sociale professionnelle », influencé par notre proposition et aussi par d’autres (Cf. Une sécurité d’emploi ou de formation, ouvrage cité, p.285-288).

20. Voir Collectif coordonné par Catherine Mills et Paul Boccara avec Frédéric Boccara, José Caudron, Yves Dimicoli, Denis Durand, Fabien Maury, Benoît Monier, Alain Morin, Bruno Odent, « Les Retraites. Des luttes immédiates à une réforme alternative », Le Temps des Cerises, Paris, 2003.

21. Cf. Paul Boccara, Intervenir dans la gestion avec de nouveaux critères, Editions sociales/Messidor, Paris, 1985. Coordonné par Jean-Claude Louchard, Nouvelles approches des gestions des entreprises, l’Harmattan , Paris, 1995.

Quel avenir pour la ville ?

Par Marziani Charles, Eliane Robin, Birsinger Bernard, le 31 mars 2000

Quel avenir pour la ville ?

Le samedi 19 février 2000 le PCF organisait une rencontre sur le thème « dans la mutation de la société, quelle vie urbaine pour les êtres humains, quel avenir pour la ville ? Les participants ont pu échanger leurs réflexions autour de trois axes :

  • avec les mutations du travail, l’évolution des activités humaines, comment se structure la vie urbaine ?
  • qualité de l’habitat, des services, de l’environnement des demandes montantes en ville : quels modes de vie urbains développer, quels choix opérer pour l’aménagement urbain ?
  • comment construire de nouveaux liens sociaux, une nouvelle vie collective dans un tissu urbain en crise ? quelles formes de démocratie, de citoyenneté pratiquer dans la ville ?

Nous publions ici les trois interventions liminaires à cette rencontre.

Voir les articles PDF ci-joints de

Charles Marziani,  Eliane Robin, Bernard Birsinger.

Mutations du prolétariat, salarisation et révolution informationnelle. Rapprochements et conditions nouvelles des luttes.

Par Paul Boccara, le 01 décembre 1990

Mutations du prolétariat, salarisation et révolution informationnelle. Rapprochements et conditions nouvelles des luttes.

Entreprises et régions :

Mutations du prolétariat, salarisation et révolution informationnelle.

Rapprochements et conditions nouvelles des luttes.

 

Economie & Politique

Décembre 1990