La revue du projet

La revue du projet
Accueil

Le Capitalisme est en Faillite dans la Vienne aussi : les solutions existent !

le 18 octobre 2008

Le Capitalisme est en Faillite dans la Vienne aussi : les solutions existent !

Répondre à l’urgence de la crise

1. En garantissant l’épargne populaire et les dépôts bancaires.

- Alors que l’on trouve des milliards pour protéger les intérêts des banquiers et des spéculateurs, seuls les mots protègent les salariés et les petits épargnants. Il faut des engagements fermes. Cela ne peut se faire seulement par les moyens de l’État, c’est-à-dire nos impôts. Les dividendes des banques doivent être gelés à cette fin.

- Couper le robinet de la spéculation. En cessant de favoriser les profits qui alimentent l’incendie. Par exemple : refuser que l’argent des livrets A pour le logement social éponge l’ardoise des banques ou encore que nos retraites soient livrées au fonds de pension. La Poste, aujourd’hui service public, ne doit pas être privatisée, c’est une question de principe, l’échange postal est un bien commun, c’est aussi une question d’efficacité, l’argent de la Poste ne doit pas rejoindre la Bourse et les circuits financiers.

 

2. Changer de logique économique

- Démocratie. Comment croire encore que la poignée d’hommes politiques et de financiers qui ont emmené le monde à cette crise soit capable d’inverser leurs choix ? Ils sont prêts – disent-ils – à tous changer, mais pour que tout, et notamment les profits, continue comme avant.

- Pouvoir d’achat/service public. Les mesures antisociales prônées par le gouvernement actuel n’ont fait qu’accentuer la mainmise des marchés financiers sur l’économie au détriment de l’emploi et du pouvoir d’achat. La crise financière commence par des crises sociales, crise du logement aux USA, affaiblissement du pouvoir d’achat, révoltes de la faim…
- Réorienter l’argent vers les besoins réels, salaires, retraites, allocations, c’est juste et utile pour relancer l’économie sans alimenter la spirale spéculative. Si les 700 milliards du plan Paulson avaient été versés aux Américains, cela aurait représenté 2 200 dollars par personne. Autant de moyens de satisfaire des besoins réels.
- Avec le service public, nous avons la garantie de pans entiers de l’économie échappant à la Bourse et à la loi du profit. Il faut arrêter de privatiser et reconstituer des pôles publics, comme l’eau, l’information, l’énergie… gérés dans l’intérêt de tous avec la participation des intéressés, représentants des usagers, des salariés, élus… En leur donnant une dimension européenne

 

 

3. Transformer le système bancaire et financier.

- Comment attendre des circuits financiers autre chose que la spéculation ? C’est leur finalité. Mettre le système bancaire au service de l’économie réelle, l’industrie, l’agriculture, les services, les PME… cela passe par la création d’un pôle public du crédit. Et par une transformation profonde de la Banque centrale européenne. Et il faut un contrôle public des pratiques bancaires. Par exemple, on dit la Banque centrale européenne indépendante, elle répond en fait à toutes les attentes des marchés. Elle doit être sous contrôle démocratique des institutions élues. Cela pourrait permettre, au niveau européen, une politique industrielle et un plan de relance comprenant des infrastructures écologiques, la recherche le développement, l’éducation…

- Plus personne ne parle de la taxe Tobin. Inverser la fuite des capitaux de l’investissement vers la spéculation, cela appelle une taxation internationale sur les transactions financières

 

Familles, quand on vous hait...

Par Caudron José , le 31 mars 2008

Familles,  quand on vous hait...

Certaines orientations récentes ont lancé des signaux extrêmement préoccupants sur le devenir de la politique familiale, même si les volte-face orchestrées par Nicolas Sarkozy en personne tentent de tempérer l’impact sur l’opinion des mesures annoncées 1).

Mais le ver est bien dans le fruit, car la volonté de ce gouvernement de soutenir le pouvoir d’achat des familles apparaît particulièrement écornée.

La défausse sur les familles nombreuses

En premier lieu, les réductions de tarif SNCF pour «familles nombreuses» partir de trois enfants) ont été remises en cause, au prétexte que le dispositif, s’il subsistait, devait être financé par l’entreprise elle-même et non plus par l’État. La reculade du gouvernement s’est en définitive soldée par un montage particulièrement complexe : la SNCF accorderait un «super-dividende» à l’État actionnaire pour compenser le coût des réductions (70 millions d’euros), mais c’est bien d’un désengagement dont il s’agit, comme s’il était urgent de donner à cet aspect des politiques familiales un aspect de privatisation en le faisant reposer sur les résultats de la SNCF. Pourtant, ne pas encourager les familles nombreuses à prendre le train apparaît en fait totalement contradictoire avec les intentions environnementales affichées depuis le fameux Grenelle, puisqu’un déplacement en voiture reste encore notablement moins coûteux quand il s’agit de plus de deux personnes...

Une autre mesure plus spécifique, dont on a peu parlé, tend aussi à pénaliser les familles nombreuses. Dans le cadre des bonus-malus appliqués aux véhicules en raison de leurs émissions de CO2, les voitures familiales de type monospace sont désormais fortement surtaxées à l’achat (environ de 2 000 euros), alors qu’elles sont quasiment une obligation à partir de quatre enfants. Le plus consternant est que nombre de familles ont trouvé la parade (propice en milieu urbain) de disposer de deux véhicules plus petits bénéficiant de bonus, mais dans ce cas se situe le gain écologique ?

 

Petits bras sur les allocations

Quinze jours après cette péripétie, nouvelle attaque en règle. Cette fois ce sont les majorations d’allocations familiales selon l’âge des enfants qui en pâtiront : au lieu de deux majorations, l’une aux 11 ans de l’enfant (33 euros par mois), puis à 16 ans (60 euros par mois), une seule sera désormais appliquée à partir de 14 ans (60 euros par mois), ceci sans considération des ressources totales de la famille. Cela se traduira pour les familles concernées par une baisse de ressources de l’ordre de 600 euros par an et par enfant entre 11 et 20 ans ! La «contrepartie» imaginée par la ministre Nadine Morano réside dans la possibilité d’une aide supplémentaire de 50 euros par mois sur le coût d’une assistante maternelle, mais elle ne vaudra que si la famille comporte des enfants en bas âge. On sait pertinemment, en outre, que les familles les plus modestes ont déjà recours avec difficultés aux assistantes maternelles alors qu’en règle générale, le risque de pauvreté augmente avec le nombre d’enfants au ménage. Peu importe à ce gouvernement et au final, l’économie réalisée sur les politiques familiales grâce à la modification des majorations pour l’âge des enfants devrait atteindre 138 millions d’euros par an.

Nadine Morano rappelle à cor et à cri la polémique sur les allocations familiales en 1997 lorsque Martine Aubry avait tenté de les mettre sous conditions de ressources. Cette décision fut annulée sous la pression des associations de familles, se soldant tout de même par une restriction des avantages fiscaux liés au quotient familial. Aujourd’hui, contradictoirement aux effets d’annonce c’est l’ensemble de la politique familiale qui est visé. Le rapport Attali, largement inspiré par Sarkozy, projette de placer les allocations familiales sous conditions de ressources au détriment de leur caractère universel historique, ce qui constitue une menace de régression du rôle démographique, économique et social de la politique familiale.

 

Jamais deux (mauvais coups) sans trois

La prochaine menace, elle aussi évoquée dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008, plane sur l’allocation de rentrée scolaire (ARS). Son montant actuel est de 272 euros par enfant scolarisé entre 6 ans et 18 ans, sous conditions de ressources somme toute basses (pas plus de 2 700 euros par mois pour une famille avec trois enfants, 3 200 euros avec quatre enfants). La réforme jouerait sur une modulation selon le cycle scolaire (primaire, collège, lycée), en elle-même assez discutable d’ailleurs puisque l’ARS pour les enfants en primaire pourrait baisser considérablement. Mais on peut craindre aussi un durcissement des conditions de ressources, alors que l’excédent dégagé sur les politiques familiales permettrait au contraire à la fois de majorer l’ARS selon l’âge et d’élever le plafond de ressources.

Comme un hommage au rend Malthus

Cette obsession de réaliser des économies sur la politique familiale s’inscrit dans la «révision générale des politiques publiques». Certes ces dispositions figuraient succinctement dans le programme du candidat Sarkozy, comme dans le rapport Attali, mais comme les «réformes» fusent dans le désordre et la précipitation, leur cohérence interne n’apparaît pas toujours, l’essentiel étant la mise à bas de la protection sociale et du code du travail.

Ces mesures explosent en autant de couacs tonitruants. On nage ici dans le paradoxe, puisque la branche famille de la Sécurité sociale a été positive en 2007 de 200 millions d’euros, mais ce léger excédent est appelé à combler les déficits majeurs des autres branches, le déficit global de la Sécurité sociale atteignant 9,5 milliards d’euros en 2007.

Dans le même temps, le Medef et le gouvernement continuent d’envisager le désengagement définitif des entreprises du financement de la politique familiale, au prétexte qu’il s’agirait d’un «risque universel». Face à une opinion méfiante sur le pouvoir d’achat et la rigueur budgétaire, on n’en poursuit pas moins les intentions d’une hausse de la CSG et/ou d’une «TVA sociale» pour compenser la suppression programmée de la cotisation patronale aux allocations familiales.

Une rupture profonde semble se dessiner de manière inquiétante avec le large consensus en France sur les politiques familiales. D’une perception des familles nombreuses assurant le dynamisme démographique et le renouvellement des générations (donc le financement des retraites...), on glisse sensiblement vers un jugement sévère pour les familles nombreuses, considérées du coup «hors norme».

 

Certes, elles le sont devenues dans la statistique, puisque les ménages avec au moins quatre enfants représentent désormais moins de 6 % de l’ensemble, mais ils échappaient jusqu’ici à la stigmatisation. Désormais, les résurgences malthusiennes se font jour dans ce bon monde qui constitue le rêve de nos gouvernants, mettant en travaux pratiques leur idéologie d’inspiration néo-conservatrice.

Tout est charge insupportable de ce qui doit être financé collectivement et, à l’instar des «vieux» à qui l’on ne veut plus assurer une retraite décente, les enfants des familles peu favorisées et des classes moyennes sont de plus en plus volontiers érigés en coût insupportable pour la solidarité. Plane aussi le relent très désagréable des fantasmes sur les populations issues de l’immigration abusant des largesses de notre bon pays ; en réalité, si la génération d’entrée tend à avoir plus d’enfants que la moyenne, les suivantes s’alignent sur la tendance générale.

Depuis l’avènement du 8 mai 2007, on savait qu’il ne faisait pas bon être pauvre, chômeur, précaire, retraité, voire simplement travailleur et menacé de plus en plus souvent par la pauvreté. Apprenons donc qu’il faudra aussi se garder d’avoir «trop» d’enfants.

Apprenons aussi, par parenthèse, que les pauvres et les classes moyennes devront s’entraîner à une dure concurrence, comme dans cette sombre histoire du financement du revenu de solidarité active, dit RSA, qui serait assuré à travers le «redéploiement» de la prime pour l’emploi.

La solution au problème de la pauvreté, cela va de soi, consiste à ce que les moyennement pauvres aident les plus pauvres sans que l’on touche aux revenus des riches, ni aux profits financiers spéculatifs des entreprises !

 

Politique familiale : relancer et innover

Le revirement sur la politique familiale est d’autant plus surprenant qu’on se félicite d’une démographie dynamique en France, qui risque d’être touchée par rebond. Les restrictions annoncées sont les plus malvenues dans un contexte le pouvoir d’achat des familles est le plus entamé par les hausses de prix sur l’immobilier, l’alimentation, l’énergie et les transports, postes de dépenses dont le poids relatif augmente mécaniquement selon la composition des familles.

Pour rendre la politique familiale plus efficace, il faut développer les formules collectives de garde d’enfants pour lesquelles la France reste notoirement sous-équipée, encourager le travail des femmes, résorber les inégalités de salaires hommes/femmes, créer enfin une allocation familiale dès le premier enfant, augmenter les prestations pour faire face à la pauvreté des familles et éviter la pauvreté des enfants...

À l’inverse du désengagement prôné par les dogmes libéraux, une réforme alternative du financement de la politique familiale doit être mise en chantier en renforçant le principe de cotisations au plus près de l’entreprise, car la politique familiale contribue au renouvellement de la force de travail, quantitativement et qualitativement, en liaison avec l’ensemble des politiques de formation des jeunes.

 

(1) Nicolas Sarkozy en a profité pour surenchérir en évoquant l’extension des tarifs familles nombreuses dans le cas d’un ou deux enfants, se souvenant péniblement qu’il avait inclus dans ses promesses électorales une allocation familiale dès le premier enfant.

Télévision : cartes sur table

Par Marchand Jean-Pierre , le 01 février 2008

Télévision : cartes sur table

Supprimer le financement par la publicité des chaînes de service public ! Personne n’ira croire qu’il s’agit d’une improvisation. Quant à en faire un thème de campagne électorale, c’eût été trop risqué. L’habileté manœuvrière, le goût du jeu qui caractérisent l’actuel Président de la République l’ont incité à s’approprier en le vidant de son sens un projet écarté par ses prédécesseurs.

À l’époque où chaque citoyen passe, en moyenne, plus de trois heures par jour devant son écran, un regard sur l’économie de la télévision ne peut faire abstraction de cette donnée fondamentale : la télévision est un élément essentiel de la vie de la Nation, instrument de pouvoir ou acteur de lien social (je m’oblige à bannir le mot communication qui a perdu son sens originel, et, relayé par son abréviation com' signifie : information, propagande, publicité).

Soumis, dans ses premières années, au contrôle de l’Etat, le Service Public de Radio Télévision Française se défendait plutôt bien. L’information était contrôlée, mais, grâce à l’action de syndicats puissants et représentatifs, et avec le soutien du public, les programmes allaient leur chemin. L’arrivée de la publicité en 1968, la création, éphémère, d’ailleurs, de La Cinq, attribuée en 1986 à Hersant et Berlusconi, la privatisation de TF1 en 1987 ont changé la donne : privée ou publique, la télévision est désormais soumise au contrôle de l’argent.

La pub a pris le pouvoir. D’abord par la nature de son activité. À la télé ou sur les murs du métro, le message publicitaire, au lieu de jouer honnêtement son rôle d’instrument d’information, développe, non sans talent d’ailleurs, le harcèlement, la séduction, le racolage, incitant le destinataire involontaire à cultiver ce qui, dans son psychisme, est un ferment de dépendance.

Ensuite, parce que, contribuant au financement d’une chaîne, l’annonceur, selon sa logique, ne peut le faire sans poser des conditions commerciales : recherche de l’audience maxima. On connaît la citation de Patrick Le Lay, PDG de TF1. (1) Rechercher l’audience maxima, c’est fuir la diversité. Diversité des genres, des sujets, des styles, des idées. Diversité au sein de laquelle le spectateur doit faire son choix, découvrir, aimer, critiquer, rejeter. Diversité des intervenants, les journalistes, les auteurs, chacun motivé par une nécessité personnelle et non par l’obligation, pour pouvoir travailler, de se soumettre, en façonnier, à des modèles calqués sur les succès d’audience.

Vu l’essor de la mondialisation, sous la tutelle de l’Europe libérale, on n’échappera pas, sans bouleversements politiques majeurs, à ce type de contraintes économiques. Lutter contre l’essence de la publicité, ses méthodes, son omniprésence, sa stratégie d’effraction des consciences, ce n’est donc pas ce qui peut être en question ici. C’est le pouvoir qu’on lui octroie, et, quels que soient les efforts des responsables de programmes, la maîtrise de la programmation. Donc de l’information. Donc des œuvres. Donc des auteurs. Il faut supprimer le lien de dépendance qu’on leur impose au profit de l’acheteur de l’espace publicitaire qui va précéder, suivre ou interrompre leur œuvre. Asservir les auteurs, c’est asservir leur public. L’omniprésence de la publicité, par ses aspects visibles et son action latente est une agression contre les qualités du citoyen. Il faut apprendre au public à se faire respecter.

Égaré dans un univers où, s’il n’est pas doté de l’esprit critique qui suppose l’existence d’un niveau de culture relativement élevé, le spectateur devient vite l’objet manipulé d’un univers qui le dépasse. On voit bien comment dans un contexte politique dont les données lui sont imposées, le citoyen, à moins de vivre personnellement une expérience qui le colle à la réalité, est amené à s’adapter aux exigences du ronronnement médiatique dans lequel il baigne. On a bien vu comment s’est déroulée la campagne présidentielle, à la mode people. C’est dans ce contexte que les organisations représentatives d’auteurs et de producteurs, associées au sein des Etats généraux de la Création Audiovisuelle ont réclamé, en 2002, à l’occasion des élections présidentielles, un nouveau statut du service public de l’audiovisuel qui prévoyait la suppression du financement des chaînes publiques par la publicité et son remplacement par la création d’un Fonds pour le financement et le développement de la télévision publique alimenté, entre autres, par un prélèvement à la source sur l’ensemble des investissements publicitaires media et hors media. (2)

Ce prélèvement se justifiait par l’augmentation considérable, en vingt ans, du chiffre d’affaires de la publicité, passé de 3,8 à 30 milliards d’euros, en grande partie grâce à la télévision. Il était prévu de le compléter par une taxe prélevée sur l’usage de l’espace hertzien et par une mise à jour progressive de la redevance.

En 2002, notre projet n’avait pas séduit les candidats…

L’actuel Président de la République s’en empare.

Pourquoi diable ce coup de théâtre ? Il en a simplement écarté le financement. Ira-t-il chercher l’argent là où il se trouve ? Difficile à croire. Le monde des affaires avec lequel il ne cache pas ses affinités (Bouygues, Lagardère, Bolloré) est à l’affût.

Il faut sonner l’alerte. La soudaine intervention de Sarkozy doit être un signal d’éveil pour tous ceux qui sont attachés aux valeurs de la République. La Télévision est en danger. La suppression de la publicité va coûter 1 milliard, 200 millions d’euros à la Télévision publique qui, débarrassée de la pression publicitaire pourra jouer un rôle essentiel dans la vie de la Nation. Dans un environnement technologique en pleine mutation (TNT, Internet haut débit, téléphonie mobile), il est indispensable de dégager le financement nécessaire à son indépendance. Un financement qui n’hésitera pas à s’intéresser au marché de la publicité dans tous ses aspects, y compris dans le secteur des télécoms. L'idée d'une taxation de 5% sur son chiffre d'affaire a même été avancée. Un financement qui osera, également en appeler à la conscience des citoyens pour redresser progressivement le niveau actuel de la redevance (moins de 32 centimes par jour) tout en prenant en compte les revenus des familles. Mais, vu l’état actuel du projet confié à une Commission peu représentative, des risques majeurs sont à envisager.

Il faut les déjouer. TF1 qui connaît des difficultés financières, et dont les dirigeants ne sont évidemment pas pour rien dans le coup d’éclat de Sarkozy, pourrait proposer des solutions à sa convenance. Il faut craindre que, dans la mise en place des modalités de financement de l’entreprise publique, surgisse l’idée de la privatisation, plus ou moins masquée, de l’une des chaînes qui la composent. N’oublions pas que, avant sa vente «au plus offrant», sous la présidence de Mitterrand, TF1 était la chaîne emblématique du Service Public de Télévision.

Il faut affirmer aussi que, si dans la mise en place de ce processus, l’Etat doit jouer son rôle, il faut préserver l’indépendance d’un Service Public tel que peut le concevoir une société démocratique. Une exigence citoyenne devra, sans concessions, protéger la télévision des incursions du gouvernement.

Dans un paysage audiovisuel restructuré, où se poursuivra la coexistence de chaînes commerciales et de chaînes publiques, où la pub et la pression politique vont se partager le pouvoir, il est urgent de tirer les choses au clair. Urgent, entre autres de faire respecter les quotas imposant aux chaînes, publiques et privées de consacrer un pourcentage de leur chiffre d’affaires à la création.

Intégrité du Service Public. Maintien du financement. Indépendance de l’information. Liberté d’expression des auteurs. Prise de conscience des citoyens. Voilà pourquoi il faut se battre.

Pour que la Télévision publique serve de modèle et de référence.

 

(1) «Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible» (Les dirigeants face au changement) 2004.

(2) Conférence de presse 12 Avril 2002.

Place du savoir ou révolution informationnelle et partage de créativité ?

Par Paul Boccara, le 30 novembre 2007

Place du savoir ou révolution informationnelle  et partage de créativité ?

Je voudrais dire quelques mots sur trois points :

1er  Point : L’intitulé du débat «quelle place du savoir dans la société» semble réducteur.

La référence au «savoir» me semble réductrice par rapport à la  «révolution informationnelle», pourtant évoquée dans le texte de présentation ou encore dans certaines interventions.

Déjà, quand j’ai avancé le concept de révolution informationnelle en 1983, puis en 1984, c’était, notamment,  en m’écartant  de la conception soviétique de révolution scientifique et technique considérée comme scientiste et technocratique.  De même, on peut souligner que le Sommet de Lisbonne a parlé de l’Union Européenne comme société de la connaissance la plus compétitive possible.

Au contraire, avec la révolution informationnelle, bien plus largement que «le savoir» élitiste ou même que la connaissance, c’est l’accès possible de chacun à l’information, à toutes les données et créations informationnelles (y compris artistiques). Cela est permis avec, tout particulièrement, les ordinateurs, le numérique et le télénumérique. Et surtout, à l’opposé de la scission «auteurs/public des lecteurs» de l’imprimerie, c’est la possibilité d’intervention et de transformation sur les informations par chacun, du moins comme potentiel. Enfin, c’est la prédominance désormais de l’information sous toutes ses formes et dans tous les domaines, économiques et anthroponomiques.

2ème Point : L’importance du concept de «partage», lié à celui de révolution informationnelle, avec les antagonismes mais aussi les potentialités des partages nouveaux.

Au plan économique et pour la production, c’est la montée de la prédominance des informations,  comme les résultats d’une recherche.

Or, à l’opposée d’une machine qui est ici ou là, base de la propriété capitaliste et de la concurrence marchande, une même information,  comme le résultat d’une recherche, peut être partagée jusqu’à l’échelle de l’humanité. Cela peut, en principe, s’opposer à l’échange marchand et permettre de commencer à dépasser les marchés.

Cependant dans le système capitaliste, ce partage est utilisé pour le développement formidable des entreprises multinationales privées. En effet, ces dernières peuvent davantage partager les coûts de recherches et toutes les informations qu’une entreprise publique seulement nationale. Mais aussi, elles entrent en concurrence,  avec gâchis et destructions, et elles tendent à mettre en concurrence les salariés du monde entier, pour faire pression notamment sur les salaires et sur les emplois.

D’où, le besoin, au contraire, de partages beaucoup plus complets et nouveaux, en allant jusqu’à des Services et Biens communs, publics, de toute l’humanité, avec des coopérations très intimes, émancipées des multinationales monopolistes. D’où également, le besoin de partage avec l’ensemble des travailleurs, pour leur sécurisation et leur promotion.  En effet, plus il y aura de travailleurs bien formés et en emploi, à l’opposé du chômage et de l’insuffisance de qualification, et plus on pourra partager les recherches et les informations, et réduire les coûts avec des critères d’efficacité sociale.

Au plan anthroponomique et culturel, dans le cadre du libéralisme, c’est aussi les dominations bureaucratiques et étatiques ainsi que des groupes monopolistes et de la marchandisation, y compris par la gratuité au service de la publicité commerciale, sur les logiciels, les moteurs de recherche et les services informationnels.

On peut leur opposer les avancées possibles de logiciels libres, non récupérés par les groupes monopolistes privés, de services publics et sociaux de partage, des pouvoirs nouveaux des usagers et des associations d’usagers, pour une maîtrise sociale et pour aller vers une culture d’intercréativité,  jusqu’à chacun.

3ème Point : La relation des analyses de la révolution informationnelle avec des propositions originales et ambitieuses pour un projet de société d’intercréativité, de portée révolutionnaire, sans banalisations

réductrices. Je n’indique ici que quelques éléments. Au lieu des simples «modifications du travail», évoquées dans le document introductif, il s’agirait, bien plus précisément, de l’avancée possible d’un «travail créateur» et maîtrisé par les travailleurs eux-mêmes. Cela se relierait à une véritable révolution de la formation en quantité et en qualité, ainsi qu’à de nouveaux pouvoirs et financements comme dans le projet du PCF de «sécurité d’emploi ou de formation» avec une rotation emploi/formation, et avec une sécurisation des activités professionnelles dans une mobilité de promotion. La progression extrêmement amplifiée de la formation continue ne concernerait pas seulement le travail professionnel mais la maîtrise de toute sa vie et la culture dans toutes ses dimensions.

Il s’agit aussi de novation concernant les services publics pour les personnes, avec des pouvoirs d’interventions créatrices des usagers en liaison avec leurs associations et leurs formations pour coopérer avec tous les personnels, dans toutes les opérations, depuis la santé jusqu’à même la recherche scientifique. Enfin, au lieu de parler vaguement de démocratie informationnelle et de co-constructions du savoir dans la citoyenneté, il s’agit plus précisément de faire reculer les délégations représentatives avec des partages de pouvoirs et de créativités pour l’élaboration informationnelle et les idées directrices. Cela concernerait des pouvoirs décentralisés et concertés jusqu’à chacun, du local au national, au zonal (comme l’Union Européenne) et au mondial, avec une démocratie participative  et d’intervention. Contre tous les monopoles, exclusions, discriminations (sociaux, de genre, de génération, d’origine, d’aires culturelles de l’humanité), il s’agirait d’avancer vers des institutions de partages des ressources, des pouvoirs, des informations et des rôles, pour une civilisation d’intercréativité (1).

(1) Intervention dans le débat sur le thème : «quelle place du savoir dans la société». 16 décembre 2007.

(2) Voir article de P. Boccara à paraître en 2008 dans La Pensée : « Les ambivalences de la révolution informationnelle. Antagonismes et potentialités. »


Les cadres face au néo-libéralisme : entre acceptation et critique

Par Flocco Gaëtan , le 01 août 2007

Les cadres face au néo-libéralisme : entre acceptation et critique

L'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République à une large majorité invite à interroger les raisons d’un tel succès. Elle pose notamment la question de l’acceptation par une grande partie de la population de sa vision du travail et de l’économie. Cette vision est somme toute relativement simple et s’inscrit dans la continuité de l’existant : faire travailler davantage les salariés ; « désengager » l’État de certaines activités économiques, promouvoir les intérêts privés et financiers au détriment de l’intérêt public ; encourager la concurrence, aussi bien entre les individus qu’entre les institutions, quelles qu’elles soient ; considérer les chômeurs comme les premiers responsables de leur situation ; etc. Bref, on trouve là toutes les facettes idéologiques d’un néolibéralisme déjà à l’œuvre  depuis le milieu  des années 1980 et qui ne cesse finalement  de s’affirmer.  Les causes de la légitimation par la population d’une telle idéologie ne sauraient se réduire à un facteur unique. Elles sont bien évidemment multiples et varient en fonction des groupes sociaux considérés. Sans compter que cette acceptation n’est pas univoque et s’accompagne également de formes diverses de contestation. Qu’en est-il par exemple des cadres d’entreprise confrontés aux exigences des actionnaires, aux fusions acquisitions, aux réductions d’effectifs et autres restructurations ? Comment perçoivent-ils l’orientation actuelle de l’économie ? Y souscrivent-ils pleinement ou bien à l’inverse, la contestentils dans son ensemble ?

Accroissement des contraintes et satisfaction au travail

Depuis au moins trois décennies, les politiques économiques d’inspiration monétariste ont pour conséquence d’accroître les contraintes du travail salarié, y compris celui hautement qualifié(2). Les cadres experts et les encadrants intermédiaires employés par les grandes firmes françaises sont ainsi de plus en plus soumis à une obligation de résultats. Les objectifs en termes de coûts, de délais et de qualité qu’ils doivent satisfaire ne cessent de s’accentuer. Les bouleversements organisationnels et technologiques favorisent la fluidité et la réactivité du travail, tandis que la figure du client devient plus que jamais prépondérante  dans un contexte hautement concurrentiel (3).

Certes, l’augmentation de ces contraintes du travail demeure relative, eu égard notamment à d’autres catégories salariales. Il est en effet indéniable que les cadres conservent un rapport au travail positif et satisfaisant qui s’ancre dans des réalités concrètes de leur activité quotidienne : le caractère passionnant du travail  lié à un haut niveau de qualification ; l’intérêt porté à l’exercice  de responsabilités multiples et d’un certain pouvoir  ; la valorisation  des relations entretenues au sein du collectif de travail ; les marques de reconnaissances témoignées par les pairs et la hiérarchie ou encore le volume des rémunérations (4). Toutes ces dimensions constitutives  du travail quotidien et de la relation salariale des cadres ne peuvent être éludées.

Elles contribuent grandement à garantir l’acceptation des contraintes, en fonctionnant comme une sorte de contrepartie au regard de celles-ci. Mais ce raisonnement quelque peu utilitariste ne saurait suffire à rendre intelligible la légitimation par les cadres des contraintes  générées par les politiques économiques néo-libérales. Lorsqu’on examine de plus près leur intériorisation par les cadres, on s’aperçoit que la dimension imaginaire du rapport au travail intervient également.

La dimension imaginaire du rapport des cadres au travail

Ainsi, le rapport complexe et ambivalent qu’entretiennent les cadres avec leur activité participe également de différents imaginaires sociaux (5). Ces imaginaires  « travestissent» en éléments positifs ou naturels les diverses contraintes du travail, et favorisent dès lors leur acceptation. Ces contraintes sont de cette façon quasiment masquées, apparaissant comme naturelles ou comportant des significations qui suscitent une large adhésion.

C’est le cas par exemple lorsque les cadres évoquent l’autonomie qu’ils estiment bénéficier dans leur activité et qui se révèle pourtant être en décalage avec certaines pratiques et formes de pression. Même chose en ce qui concerne les discours visant à appréhender les contraintes temporelles ou financières comme des défis à relever en faisant intervenir du même coup la notion de performance dans le travail.

On peut relever un phénomène similaire à propos des représentations liées aux inégalités de genre. Elles sont parfois niées par les cadres alors que leurs pratiques quotidiennes et des faits précis indiquent qu’elles ont bien cours dans les entreprises. Toutefois, si ces imaginaires traduisent un décalage sensible entre les représentations des acteurs et la réalité de leurs situations de travail, ils n’autorisent pas à considérer les cadres comme des « idiots manipulés » ou des « pantins aveugles ». Tout d’abord parce que, comme nous l’avons indiqué précédemment, une partie importante de leur rapport au travail se fonde sur des réalités concrètes auxquelles correspondent bien leurs représentations identitaires. Ensuite, il importe de préciser que ces imaginaires  sont souvent déconstruits, voire démentis par les cadres euxmêmes à travers des propos qui deviennent dès lors ambivalents et contradictoires.  Par exemple, les cadres se définissent comme pleinement autonomes, mais tempèrent presque simultanément cette autonomie qu’ils estiment souvent «limitée», «contrôlée», «relative» ou «bien encadrée». Ils affirment adhérer à la logique de la performance et du défi à relever dans le travail, mais en viennent rapidement à déplorer la spirale, parfois difficilement supportable, dans laquelle cette logique les entraîne (6). Ils naturalisent et justifient les phénomènes économiques, mais désapprouvent également certaines de leurs orientations et conséquences qu’ils jugent néfastes. C’est précisément sur ce dernier type d’imaginaire qu’il semble intéressant de s’arrêter : celui qui masque ou qui travestit l’explication des phénomènes économiques, permettant ainsi aux cadres d’accepter à la fois les diverses contraintes du travail et plus globalement, un grand nombre de décisions et d’orientations actuelles inhérentes au « nouveau capitalisme »(7).

Légitimation et naturalisation de la logique économique dominante

Le rapport des cadres à l’évolution de l’économie apparaît marqué en premier lieu par une franche adhésion à la mondialisation. De fait, les cadres, dans leur écrasante majorité, se définissent comme de fervents partisans et défenseurs de la mondialisation de l’économie. Celle-ci est entendue ici au sens très général de l’internationalisation  croissante des échanges de biens et de services. Les cadres voient par exemple de nombreux  avantages dans les procédures de fusion acquisition réalisées entre des entreprises de diverses nationalités. Ils sont également en faveur de l’extension internationale des marchés sur lesquels cherchera à se positionner leur propre entreprise. Mais cette adhésion est surtout renforcée par une naturalisation  des phénomènes économiques perçus comme inéluctables par l’ensemble des cadres. La notion de naturalisation de l’économique renvoie à la légitimation de l’évolution  actuelle de l’économie par des motifs qui ne seraient ni sociaux, ni politiques, mais plutôt situés hors de portée des hommes, à l’instar des phénomènes naturels ou climatiques (8).

Cette inclination des cadres à naturaliser l’évolution actuelle du capitalisme est vraisemblablement nourrie par le sentiment que les orientations  économiques – au niveau gouvernemental ou à l’échelle de leur propre entreprise – ne dépendent pas directement de leur décision, ni de leur action. En ce sens, ils se considèrent largement impuissants en étant dans l’impossibilité d’envisager une quelconque alternative. Mais plus encore que cette impression d’impuissance, c’est l’explication avancée des phénomènes économiques  qui est frappante ici. Fréquemment, derrière le caractère inévitable des orientations économiques, les cadres évoquent un marché et des échanges économiques exclusivement animés par des forces naturelles ; des forces sur lesquelles les individus n’auraient absolument aucune prise.

On retrouve ici la conception libérale de l’économie qui ôte à cette dernière toute sa dimension politique et sociale. Par ailleurs, les positions et considérations des cadres à l’égard de l’évolution du capitalisme contemporain traduisent également des formes de méconnaissance relativement prononcées. Si la plupart d’entre eux livrent un avis général sur la mondialisation, certains ne cachent pas non plus leur ignorance des orientations de l’économie contemporaine et qui plus est, des mécanismes et des principes qui les animent. Et en cela, ils ne parviennent parfois quasiment pas à se prononcer dessus, s’en remettant tout simplement aux idées dominantes.

Malgré ces attitudes convergentes d’adhésion, de naturalisation et de méconnaissance  à l’égard de certains aspects du capitalisme contemporain, les cadres émettent aussi, ça et là, quelques critiques. Preuve en est, une fois de plus, qu’ils ne sont pas sous l’emprise absolue d’une idéologie aveuglante et manipulatrice.

La condamnation de la logique financière et des stratégies d’entreprise

Les critiques les plus courantes sont celles formulées à l’encontre de la financiarisation de l’économie et de la façon dont sont conduites les stratégies d’entreprise. Ainsi, l’importance prise aujourd’hui par les marchés financiers  – caractéristique première du « nouveau capitalisme »(9) – est globalement condamnée par les cadres rencontrés.

Cette condamnation s’exprime de différentes façons. Ils réprouvent par exemple l’idée de générer de l’argent à partir de valeurs virtuelles ou encore critiquent les mécanismes bien connus de mimétisme des marchés financiers. Ils estiment aussi de façon unanime que la finance constitue une menace réelle pour le monde industriel duquel relève leur activité quotidienne.  Plus globalement, ils jugent la logique financière immorale », « assez choquante » ou « complètement lamentable » pour reprendre leurs expressions.

Cette critique de la financiarisation de l’économie se manifeste également de façon indirecte lorsque les cadres prennent position par rapport aux modes de rémunération des dirigeants des grandes entreprises. Ils déplorent notamment les pratiques de ces dirigeants  qui les conduisent à se verser des rétributions considérables consécutivement à une faillite d’entreprise ou un plan de réduction de coûts.

Il s’agit là d’une tendance fort répandue ces dernières années et symptomatique de la financiarisation de l’économie puisque les montants faramineux alloués à certains « capitaines d’industrie » proviennent, outre des primes d’indemnité,  des stock-options. Enfin, à côté de cette critique générale de la prépondérance de la sphère financière, on trouve également des critiques formulées à l’endroit des stratégies menées par leur entreprise (10).

Souvent, les décisions et logiques qui fondent ces stratégies ne paraissent pas claires, ni compréhensibles aux yeux des cadres. Surtout, c’est leur caractère à la fois fluctuant et catégorique  – « des décisions qui leur tombent dessus en pluie fine » –, qu’ils contestent. Ils déplorent en définitive l’alternance, sur un très court terme, entre un discours complètement euphorique qui prône le développement et la croissance de la firme, et un discours « dépressif », appelant  à l’austérité et à la rigueur (11).

L’orientation néo-libérale prise par l’économie est dans une large mesure acceptée. Non pas qu’elle suscite une adhésion sans faille, mais plutôt une légitimation travaillée par certains imaginaires sociaux. Le processus de naturalisation amenant à considérer comme inéluctables les tendances actuelles du capitalisme constitue en ce sens un exemple éloquent.  Cela n’exclut par l’apparition, ça et là, de critiques, à l’image de celles fermement  émises à l’encontre de la financiarisation de l’économie.

Cependant, elles apparaissent au final désamorcées par ces mêmes imaginaires sociaux qui suscitent des attitudes de résignation et d’accommodement chez les cadres. Ces attitudes comptent sans doute parmi les ressorts majeurs du discours de Nicolas Sarkozy lorsque celui-ci milite pour sa vision du monde du travail et de l’économie.

Une autre piste mériterait encore d’être explorée : celle de la sphère hors travail des cadres qui recouvre leurs pratiques consommatoires et leurs modes de vie. En effet, l’importance accordée par le nouveau Président à un supposé lien mécanique entre accroissement du temps de travail et progression du pouvoir d’achat contribue fortement à rendre populaires les mesures économiques qu’il défend. Ainsi, établir une connexion entre sphère de la production et espace de consommation permettrait d’en dire un peu plus sur la

posture des cadres face à un néo-libéralisme débridé ■

--------------------

Références  citées :

Aubert Nicole, Gaulejac Vincent (de), Le coût de l’excellence, Paris, Seuil, 1991.
Bouffartigue Paul, Les cadres. Fin d’une figure sociale, Paris, La Dispute, 2001.
Castoriadis Cornélius, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975.
Cousin Olivier, Les cadres :  grandeur et incertitude, Paris, L’Harmattan, 2004.
Durand Jean-Pierre, La chaîne invisible. Travailler aujourd’hui  : flux tendu et servitude volontaire, Paris, Seuil, 2004.
Plihon Dominique, Le nouveau capitalisme, Paris, La Découverte, 2004.
Rozès Stéphane, « La fin de l’exception idéologique », in Bouffartigue Paul (dir.), Grelon André, Groux Guy, Laufer Jacqueline, Livian Yves-Frédéric (Coll.), Cadres la grande rupture, Paris, La Découverte,  2001, pp. 333-338.
Terray Emmanuel, « Réflexions sur la violence symbolique », in Lojkine  Jean (dir.), Les sociologies critiques du capitalisme. En hommage à Pierre Bourdieu, Paris, PUF, 2002, pp. 11-23.Zarifian Philippe, « Le travail sous l’emprise de la gestion », Travailler, 1998, no 1, pp. 41-54.

-------------

(1) Docteur en sociologie, Centre Pierre Naville, Université d’Évry Val d’Essonne.
(2) Jean-Pierre Durand, La chaîne invisible. Travailler aujourd’hui : flux tendu et servitude volontaire, Paris, Seuil, 2004.
(3) Paul Bouffartigue, Les cadres. Fin d’une figure sociale, Paris, La Dispute, 2001.
(4) Olivier Cousin, Les cadres : grandeur et incertitude, Paris, L’Harmattan, 2004.
(5) Cornélius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975.
(6) Nicole Aubert, Vincent de Gaulejac, Le coût de l’excellence, Paris, Seuil, 1991.
(7) Dominique Plihon, Le nouveau capitalisme, Paris, La Découverte, 2004.
(8) Emmanuel Terray, « Réflexions sur la violence symbolique », in Jean Lojkine (dir.), Les sociologies critiques du capitalisme. En hommage à Pierre Bourdieu, Paris, PUF, 2002, pp. 11-23.
(9) Dominique Plihon, op. cit.
(10) Stéphane Rozès, « La fin de l’exception idéologique », in Paul Bouffartigue (dir.), André Grelon, Guy Groux, Jacqueline Laufer, Yves-Frédéric Livian (Coll.), Cadres : la grande rupture, Paris, La Découverte, 2001, pp. 333-338.

(11) Philippe Zarifian, « Le travail sous l’emprise de la gestion », Travailler, 1998, no 1, pp. 41-54.

Éléments sur les enjeux des refondations ou novations à gauche

Par Paul Boccara, le 31 mai 2007

Éléments sur les enjeux des refondations ou novations à gauche

Nous pouvons considérer les enjeux de refondations ou novations très profondes et efficaces dans la gauche et dans  ses composantes  à partir des trois ensembles déjà balisés, des formes politiques, du fond des propositions, des bases sociales, pour une autre construction effectivement  transformatrice.  Mais on doit sans doute aussi les croiser avec trois autres ensembles de défis :

les mutations techniques et sociales fondamentales  ;

l'achèvement éventuel du cycle ouvert par le succès de Mitterrand à l'élection présidentielle de 1981 ;

les luttes immédiates  pour les résistances et les propositions alternatives  face aux transformations réactionnairesLes formes politiques et le rassemblement possible

Les mutations  techniques et sociales se rapportent, à partir des tendances longues de montée de la télévision puis d'Internet par rapport aux journaux et aux livres et aussi du présidentialisme par rapport aux partis, à leur aiguisement récent avec l'arrivée aux commandes d'une génération entièrement développée dans ce cadre.

Ainsi, la personnalisation, l'image et la séduction l'emportent sur le discours argumenté des présidentiables antérieurs. C'est l'identification aux personnalités charismatiques, l'appel aux témoignages de type téléréalité, le martèlement de slogans simplistes, voire l'anti-intellectualisme vulgaire, le sensationnel privé et le populisme, le «people» irrationnel, diffusé par les médias et désormais démultiplié par les sites, les blogs et le recours à l'Internet. Toutefois, il y a aussi la volonté et les possibilités techniques nouvelles de participer par des interrogations, des expressions et des réflexions personnelles des  simples citoyens au débat politique et sociétal.

Les implications  politiques renverraient tout d'abord au refuge d'un grand nombre de ceux qui se sentent menacés et affaiblis (réalité ou risque de chômage, de salaires insuffisants, de déclassement) dans l'identification au projet de ceux qui semblent les plus forts. Cela a poussé au soutien des dominants politiques ou économiques y compris par des masses de dominés, à l'opposé des intérêts objectifs contraires et  de la crédibilité de propositions mettant en cause les forces dominantes. Certes, c'est un phénomène classique déjà expérimenté par le passé. Mais, la nouveauté proviendrait peut-être, avec la bipolarisation et la personnalisation à outrance  des élections présidentielles, de la récupération sans vergogne de certaines idées des concurrents pour encore capter des voix. Mais ce captage, n'ayant pas le même sens entre conservatisme et progrès social, a favorisé le rassemblement majoritaire à droite derrière les promesses de changement des forces déjà installées et au contraire la division et le brouillage des messages à gauche.

Cependant, la nouveauté serait aussi la possibilité  technique et l'exigence sociétale de débats vraiment participatifs ou plutôt interactifs de la part des simples électeurs eux-mêmes. D'où l'ambivalence entre la démagogie du volontarisme et de la compassion manipulatrices qui ont dominé dans la campagne, ou, au contraire, la possibilité d'une transformation radicale des débats dans tous les types de médias, grands et petits, en relation avec des expérimentations d'action sur le terrain pour une tout autre construction de la politique.

En effet, au-delà de l'hyper-délégation du présidentialisme télévisé exacerbé, il ne s'agirait pas simplement de retourner à la délégation des discours classiques programmatiques des représentants. Ne pourrait-on  au contraire dépasser les prétendus débats participatifs  actuels, toujours délégataires en fait, pour expérimenter la novation d'autres débats, articulés à des tentatives d'interventions sur le terrain, décentralisées et concertées, avec des prises de pouvoirs partagées depuis les entreprises, les services publics et les localités, en relation avec tous les acteurs sociaux concernés et une tout autre utilisation des moyens techniques de l'audiovisuel, de la télévision et du câble aux ordinateurs et aux sites multimédia ? Pourquoi pas, notamment, une chaîne intersyndicale et interassociations ?

Fin de cycle ?

Tout cela rejoindrait les nécessités d'une transformation historique très profonde de la construction politique à gauche et dans ses composantes, rompant avec la domination des accords de sommet et des partis essentiellement délégataires du cycle ouvert par la victoire de Mitterrand à l'élection présidentielle de 1981. Et cela du point de vue du PS, du PCF et de la gauche de la gauche, ou encore de la forme parti traditionnelle.

En ce qui concerne le PS, la stratégie qui a consisté à réduire l'influence du PCF en récupérant certaines de ses thématiques «marxisantes» et une partie de ses électeurs avec le programme commun et ensuite à abandonner graduellement cette thématique pour aboutir à se rallier, avec quelques aménagements, au nouveau courant du libéralisme mondial, aboutirait désormais à se retourner contre le PS lui-même. Cela tend désormais à favoriser la droite refondée hyper libérale et récupérant à la fois des idées d'extrême droite comme sur les immigrés et des thématiques sociales de gauche comme sur la sécurisation de l'emploi.

En outre, le laminage du PCF et le rejet du social libéralisme par toutes les composantes de «la gauche de la gauche» se retourneraient aussi contre l'accession du PS au pouvoir d'État. D'où le risque grave d'un nouvel échec pour lui, en cas de fuite en avant vers un accord avec le centrisme de droite, mais aussi d'une orientation plus marquée à gauche quoique sans transformation radicale de son positionnement en liaison avec des innovations profondes de toute la gauche et des rapports des partis de gauche aux luttes.

En ce qui concerne le PCF, le problème principal posé dans ce cycle de l'union de la gauche qui se termine pour lui par un échec majeur sur l'effondrement et le déchirement, est sans doute celui de la conciliation  efficace de la participation à un gouvernement et une majorité de gauche avec l'impulsion des propositions novatrices de maîtrise et de dépassement du capitalisme, avec des luttes critiques indépendantes, en relation avec les syndicats et associations, pour des réponses hardies aux besoins populaires et les transformations effectives de progrès radical.

D'où l'inadéquation  fondamentale des projets opposés de  dissolution du PCF et de sa dilution, soit dans une formation avec des éléments du PS, majorant la jonction  avec le PS, soit dans un amalgame avec des éléments d'extrême  gauche prétendant tirer une formation  de gauche rivale du PS. On aurait dans chaque cas, une régression désastreuse par rapport à une novation profonde pour un PCF autre, de démocratie sociale participative, avec les créations fines des recherches néo-marxistes pour de nouvelles propositions et pratiques de lutte de portée révolutionnaire pouvant traverser plus ou moins toute la gauche.

En effet, on peut faire l'hypothèse d'un dépassement possible, graduel, des contradictions  paralysantes entre union majoritaire à gauche et opposition des tendances révolutionnaires et réformistes, par la majoration  des luttes et exigences sociales, politiques et idéologiques depuis le terrain local pour des transformations efficaces, par rapport aux accords de sommet et aux pouvoirs politiques d'État centralisés. Cela renvoie, entre autres, à la construction d'un dépassement graduel des formes politiques délégataires. Il s'agirait, d'une part, d'une véritable démocratie participative,  avec la conquête de pouvoirs (de fait, puis institutionnalisés) d'intervention directe des travailleurs et des citoyens, depuis les entreprises, les services publics et les localités, décentralisés puis concertés, jusqu'au plan national et européen. Et il s'agirait, d'autre part, de transformations  radicales des formes «parti» actuelles, ainsi que du rôle des associations et des syndicats. Cela s'opposerait aux hyperdélégations représentatives, dominant à la fois les institutions politiques et les formes «parti» traditionnelles,  avec la montée dans les deux cas du présidentialisme, et des rivalités au sommet pour le maintien ou l'alternance au pouvoir recherchés.

On chercherait  à ressourcer la délégation aux assemblées représentatives, en développant en relation avec leurs élaborations, des pouvoirs d'intervention en permanence des citoyens et des travailleurs,  indépendants des alternances de majorités représentatives. Et cela avec de nouvelles assemblées de concertation des interventions locales, comme des Conférences régionales sur l'emploi et la formation, ou une refonte du Sénat pour en faire une assemblée de concertation des interventions locales, en transformant profondément les institutions politiques et sociales. Mais cela bouleverserait aussi l'activité des partis et déjà d'un parti communiste en novation démocratique pour aider à animer les interventions directes des travailleurs  et des citoyens depuis les entreprises et le terrain local, à l'opposé de la majoration du rôle de machine électorale et de soutien des élus.

Cela peut sembler trop utopique. Mais, dans l'immédiat, tandis que la Ve république  de Sarkozy veut exacerber le présidentialisme, la concentration des pouvoirs et la délégation, y compris par des transformations des institutions en relation d'ailleurs avec les délégations à la Commission européenne et du traité dit simplifié européen, une VIe république constitue la riposte. Et elle instaurerait  une démocratie participative et d'interventions  directes, avec une mixité évolutive entre délégations aux assemblées et pouvoirs d'intervention décentralisés et concertés. Ces transformations profondes des formes politiques pourraient être mises en expérimentation dans les luttes.

Le fond des propositions d'un projet de société et de civilisation.

Ce projet pourrait mettre en débat et aussi en tentatives de premières réalisations sur le terrain, la liaison entre la nouveauté radicale des pouvoirs (d'une mixité «délégaions/interventions directes») et celle des objectifs sociaux ou sociétaux, ainsi que des moyens économiques et financiers. Ainsi, à l'opposé de l'étatisme, les transformations économiques et sociales proposées se réaliseraient dans le cadre de la promotion de valeurs et de mesures de dépassement des libertés, de la mobilité, des initiatives et de la créativité individuelle, prônées par le libéralisme, mais sans ses inégalités et ses concurrences de destruction  et de rejets sociaux, ni la privatisation  opposée aux institutions publiques. On viserait des institutions favorisant des partages des moyens et des rôles, avec la décentralisation et la concertation des décisions, jusqu'à chacune et chacun, depuis les entreprises, les services publics et les localités jusqu'au niveau régional, national, européen et mondial.

Ces propositions renvoient aux défis des mutations technologiques et sociales, tout particulièrement ceux des débuts de la révolution informationnelle dans la société du capitalisme et du libéralisme, avec ses ambivalences, ses conquêtes  et ses antagonismes.

Les nouveaux moyens, comme les ordinateurs, entraînent la prédominance des informations,  dans les opérations matérielles et humaines, économiques et anthroponomiques, tandis qu'une même information,  comme une recherche, peut être partagée jusqu'à l'échelle mondiale à l'opposé d'une machine qui est ici ou là.

D'où le partage possible et avantageux des coûts de cette information, ou encore de sa création.  Cependant, l'exigence de ces partages entraîne dans la société actuelle l'exacerbation des monopoles.

Comme nous l'avons déjà indiqué ailleurs, c'est une des bases de la privatisation des entreprises publiques et de l'expansion formidable des firmes multinationales. Elles peuvent, en effet, partager les coûts de recherche et les autres dépenses de contrôle des marchés à l'échelle du monde entier, à l'opposé de firmes même publiques, essentiellement nationales. Mais elles opèrent ainsi tout en se faisant concurrence entre elles et en tendant à mettre en concurrence les salariés du monde entier, avec tous les conflits et dégâts sociaux.

D'une façon générale, on a, à la fois, l'exacerbation des réseaux monopolistes (de donneurs d'ordre et sous-traitants, etc.), la mise en concurrence des salariés jusqu'à l'échelle mondiale, les rejets sociaux et aussi, au contraire, le besoin de développement de capacités créatrices de toutes les populations, par la formation, la qualification de l'emploi, les responsabilités. Cela entraîne  pour le moment la prédominance des monopolisations et de l'individualisme, refoulant les besoins du développement des capacités de chacun et des solidarités de créativité.

Mais on pourrait proposer un renversement de la prédominance, avec des processus de «dépassement», c'est-à-dire conservant les forces du mouvement et de la liberté individuelle sans les destructions sociales.

Quatre ensembles de transformations fondamentales

C'est précisément dans ce sens que va notamment  le principe de la sécurité d'emploi ou de formation, où la sécurité pour chacun n'empêche pas le mouvement de suppression d'emplois, mais avec son remplacement par une formation bien rémunérée pour retourner à un meilleur emploi.

D'où l'importance cruciale de la sous-estimation de ce type de transformation dans les divers domaines de la vie sociale. Ce type de problématique monte pourtant de partout, comme avec les discussions sur les formules dites de «la flexisécurité» dans l'Union européenne ou dans la Confédération Européenne des Syndicats. Elles prétendent combiner mouvement, sécurité et promotion, avec la formation tout au long de la vie, même si pour le moment la flexibilité de rejet d'une partie de la population est prédominante, en raison notamment de l'absence de pouvoirs et de moyens financiers émancipés de la domination du capital financier.

Avec la formation devenant de plus en plus importante pour tous, ce sont les interventions créatrices des salariés dans les entreprises qui pourront se développer avec une expansion beaucoup plus ample des recherches et de leur utilisation.

Un second pilier d'une promotion radicale du modèle social serait constitué par un développement sans précédent des services publics, avec des émulations et des coopérations, et non une concurrence entre eux et avec des services privatisés.  Cela concernerait surtout le partage des rôles, avec la formation et la participation  créatrice des usagers et de leur association avec tous les personnels, au lieu du traitement  des usagers comme des «sujets-objets» administrés ou encore comme clients des différentes offres rivales de services. Cela entraînerait notamment une liaison nouvelle entre service public et vie hors des services.

Une troisième transformation,  liée aux deux premières, concernerait une autre gestion des entreprises (faisant avancer des critères d'efficacité sociale) et la promotion de nouvelles entreprises publiques coopérant intimement entre elles ainsi qu'au plan européen et mondial. Ce serait le cas notamment dans l'énergie, les transports et l'écologie (dont le gouvernement reconnaît qu'ils forment un ensemble, tout en favorisant la concurrence contre EDF) ou encore dans la santé, la formation et la culture.

Enfin la quatrième transformation  sociale fondamentale articulée à de nouvelles formes de pouvoir, pourrait concerner les institutions de l'Union européenne et celles des relations à l'échelle mondiale. Ici aussi, il faudrait partir des partages des pouvoirs, des moyens financiers, des objectifs sociaux de sécurisation et de promotion. Cela pourrait concerner tout particulièrement la création et l'utilisation partagée de «biens et services communs» au plan international, pour la promotion de chacun, dans chaque peuple. Cela irait depuis la monnaie et le crédit (de la Banque centrale européenne à un autre FMI et une monnaie commune mondiale) à l'éducation et la recherche, l'alimentation,  l'eau, la santé, l'écologie, l'énergie et les transports, etc., jusqu'à l'échelle de la planète, en recherchant leur émancipation graduelle de la domination des firmes multinationales. Cela renverrait  à un nouvel humanisme, avec les valeurs de respect des capacités créatrices de chaque personne, pour une civilisation  d'inter-créativité de tous les peuples et de toutes les aires culturelles, y compris en favorisant un rapprochement oecuménique des religions contre les intégrismes.

Ici aussi cela se réfère aux défis en France de la fin du cycle politique ouvert en 1981, avec la subversion de l'union de la gauche au gouvernement par le social libéralisme, la soumission aux marchés, le ralliement aux forces européennes et mondiales de l'hyper libéralisme. Cette subversion tendrait à se retourner au détriment  de la gauche sociale-démocrate elle-même, en faveur de la droite refondue.

D'ailleurs, une fin de cycle peut aussi s'ébaucher et se construire à l'échelle mondiale. Face à l'exacerbation de l'hégémonisme planétaire des États-Unis, du libéralisme, et  des antagonismes mondiaux, d'autres développements convergents sont devenus possibles.  Cela dans l'Union européenne, comme déjà en Amérique latine, en Chine et partout dans le monde, pour d'autres coopérations et pour une autre civilisation de toute l'humanité  dans sa diversité et son unité culturelles.

Les bases sociales d'une refondation de la gauche et de ses diverses composantes,

Pour une construction alternative qui réussisse, les bases sociales renvoient évidemment, en premier lieu, à une union des salariés et aussi des salariés retraités : une union suffisamment large pour devenir majoritaire et à partir de leurs intérêts communs opposés à ceux du capital financier. Nous avons déjà, à ce propos, avancé l'idée de rapprochements nouveaux de toutes les catégories de salariés, plus ou moins qualifiés, plus ou moins précarisés, avec les défis de la révolution informationnelle  (avec ses formidables économies de travail et besoins de formation). Il s'agit de rapprochements par le bas, pour ainsi dire, avec la précarisation grandissante, y compris pour les salariés qualifiés ou dans la fonction publique, et de rapprochements par le haut, avec le besoin de formation continue très importante et de responsabilités créatrices dans le travail. Toutefois, ce rapprochement potentiel est resté encore insuffisant. Cela renverrait d'abord à l'insuffisance du travail sur les propositions nouvelles de sécurisation de l'emploi et de la formation pour chacun, comme sur les intérêts communs de toutes les catégories de travailleurs, chômeurs ou en emploi, des cadres aux peu qualifiés. Cela concerne, à partir de leur force majoritaire, des pouvoirs institutionnels nouveaux (comme des Conférences régionales sur l'emploi et la formation) ainsi que des moyens financiers autres (comme un crédit pour les investissements à moyen et long terme, avec un taux d'intérêt d'autant plus abaissé que seraient programmés emploi et formation).

Mais cette insuffisance se rapporterait aussi aux ambivalences persistantes soit d'intégration aux chefs d'entreprise, soit de rapprochement  alternatif, à partir des conditions technologiques et sociales en mutation. Il s'agit notamment de la progression très majoritaire des services et de leurs nouveaux enjeux. Sur cette base, seraient aussi concernées les divisions de genre et de génération ou encore d'origine des salariés et les aspirations nouvelles pouvant les affecter.

La tendance très longue de montée depuis longtemps des services (jusqu'à leur caractère très majoritaire) entraîne les ambivalences opposées de l'intégration  plus aisée aux forces capitalistes et de division avec les salariés de l'industrie ou, au contraire, de contribution au rapprochement entre tous les salariés, plus ou moins qualifiés, plus ou moins travailleurs informationnels.

L'aiguisement récent de ces ambivalences renverrait, notamment, à la montée des suppressions d'emplois dans les services avec le développement des nouvelles techniques et aussi de mise en concurrence avec les délocalisations. D'où la crainte de déclassement et son utilisation réussie par la droite, ou au contraire les rapprochements nouveaux renforcés de tous les salariés, y compris grâce à une vision nouvelle à gauche des relations entre services et industrie. Cependant, à propos de la fin du cycle ouvert par la présidence de Mitterrand  en France, l'appui privilégié du PS sur les couches salariées non ouvrières, comme la difficulté du PCF à agir en direction et pour le rapprochement de  toutes les couches de salariés atteindraient  peut-être leurs limites avec les échecs répétés du PS à l'élection présidentielle et l'effondrement du PCF. De même,  l'opposition de la montée des revendications dites sociétales aux revendications  sociales, considérées comme traditionnelles, toujours pour diviser et minorer les forces de transformation de portée révolutionnaire, irait aussi vers ses limites, avec sa récupération  par la droite, la dérive socialiste vers les thèmes de la droite, les oppositions du sociétal et du social désormais aussi au PCF en flattant les «bobos», au détriment d'un rassemblement radicalement transformateur  à gauche.

Trois ensembles de bases sociales

D'où, aussi le besoin de l'appel beaucoup plus hardi à gauche, avec les concertations sur les mesures correspondantes, au rapprochement entre les trois bases sociales dominées par les monopolisations du capitalisme et du libéralisme, des moyens matériels et ainsi informationnels ainsi que des rôles sociaux et des pouvoirs. Ces bases sont : l'ensemble des diverses catégories de salariés, les femmes contre les discriminations et les dominations de genre, les jeunes et les personnes  âgées contre des dominations âgistes, les personnes issues de l'immigration ainsi que tous les peuples et aires culturelles de la planète. La convergence de toutes les revendications de non monopolisations mais de partage des pouvoirs, des moyens et des rôles, favoriserait aussi le rapprochement entre les salariés eux-mêmes et ce rapprochement contribuerait  à son tour aux autres convergences.

Il convient de souligner que ce ne sont pas seulement les forces conservatrices de la droite, mais aussi les forces conservatrices  à l'intérieur de toutes les composantes de la gauche qui pourraient s'opposer à de telles refondations ou novations créatrices des formes politiques, des propositions d'un projet de société, des bases sociales, d'une transformation de portée révolutionnaire en France et de sa contribution à la transformation de l'Union européenne et dans le monde.

Il ne suffira pas, pour refonder de façon efficace à gauche et dans ses composantes,  de la montée prévisible des désillusions et des contradictions  des transformations  à droite de la révolution conservatrice. On ne pourra pas non plus seulement compter sur les obstacles du capital financier aux besoins populaires, ni sur les nouvelles difficultés économiques et sociétales mondiales pourtant prévisibles pour un avenir proche.

Ce sont sans doute les exigences des luttes, non seulement de résistance mais aussi pour des propositions alternatives donnant le plus de force à ces résistances, face aux mesures de transformation profonde et réactionnaire du nouveau pouvoir qui fourniront le meilleur terrain des refondations à gauche. Cela concerne,  par exemple, la riposte aux défis radicaux sur le contrat de travail unique ou sur la prétendue sécurisation des parcours professionnels. Ces refondations  ou novations ne sauraient être coupées, dans de simples débats et forums, de ces luttes. Et celles-ci devraient pouvoir être articulées aux élaborations d'alternatives hardies et même à des tentatives d'expérimentation sur le terrain des entreprises, des services publics, des régions et des localités, en mettant en relation nouvelle les militants politiques des formations de gauche, les syndicalistes et les associatifs de diverses obédiences, le plus possible de citoyens et de travailleurs.

 

« Révolution informationnelle, dépassement du capitalisme et enjeux de civilisation »

Par Paul Boccara, le 30 septembre 2006

« Révolution informationnelle, dépassement du capitalisme  et enjeux de civilisation »

Dans le cadre des journées d'étude des 19 et 20 mai 2006 sur "Alternatives, émancipation, communisme", un atelier a traité le thème, introduit  par Paul Boccara : « révolution  informationnelle,  dépassement du capitalisme et enjeux de civilisation ».

Introduction

L'atelier sur la révolution  informationnelle  se situe dans le cadre du colloque « alternatives, émancipation et communisme  ». Cependant, selon moi il n'y a pas  un  « a priori » de société communiste, de façon sectaire, mais des enjeux de civilisation nouvelle de nos jours pour toute la société. Et peut-être, alors, y a-t-il un « a posteriori » de l'analyse des potentiels de partage, de mise en commun jusqu'à chacun, et donc des caractéristiques d'un communisme de liberté pour chacun de cette civilisation qui deviendrait  possible, face aux conditions nouvelles de l'humanité, vers laquelle on pourrait avancer avec des transformations démocratiques radicales.

Par civilisation il faut entendre, non seulement l'économie, mais aussi l'anthroponomie, c'est-à-dire toutes les sphères de la vie sociale hors de l'économique. Et aussi la localisation historique et géographique de cet ensemble économique et anthroponomique.

La question serait : comment la révolution informationnelle implique-t-elle  des tendances, des exigences et donc des possibilités nouvelles pour la civilisation ?

I - la révolution informationnelle et ses implications de partage.

1 - définition de la révolution informationnelle

On peut partir de l'analyse de Marx de la révolution industrielle, selon laquelle elle a consisté en un remplacement de la main qui manie l'outil par la machine-outil, s'accompagnant d'un développement du machinisme et de l'industrie qui prédominent.

Avec la révolution informationnelle, nous avons le remplacement par des moyens matériels, non pas de la main par la machine-outil, mais de certaines opérations du cerveau, d'opérations  informationnelles.  Comme tout particulièrement avec les ordinateurs.

A la prédominance des activités industrielles succèderait celle des activités informationnelles, comme la recherche, la formation, l'accès aux données, etc.

Cela se distingue de l'ancienne expression « révolution scientifique et technique », scientiste et technocratique, tandis que la science appliquée à l'industrie  caractérisait déjà la révolution industrielle.

Avec la machine-outil, il y a une objectivation des processus qui s'émancipent des mains de l'homme et donc déjà un développement des sciences appliquées pour l'industrie. Avec la révolution informationnelle cela dépasse la science, même si la science et la recherche deviennent plus importantes. Le nouveau, c'est le type d'accès aux données et la possibilité pour chacun d'y accéder. La révolution consiste dans cette possibilité  d'accès de tous, avec la télé information à des masses de données. C'est aussi la possibilité de traitement nouveau de tout ce qui est information, pas seulement des écrits, et notamment le fait que chacun peut, en principe, intervenir sur ces informations.  Cela pourrait s'opposer à la scission entre lecteurs et auteurs, avec l'imprimerie qui a accompagné la révolution industrielle. La révolution informationnelle,  ce n'est pas seulement la connaissance, le cognitif, c'est aussi accéder à tout les types d'informations par un canal universel, avec la numérisation, le multimédia, etc...

Ce n'est pas non plus seulement  ce que l'on appelle la révolution de la communication où l'on met l'accent sur un aspect très important, le vecteur des relations, mais pas sur le contenu : l'information elle-même. Certes il y a une dialectique entre les deux, mais le principal c'est le contenu. L'essentiel c'est la prédominance des informations dans tous les domaines de la vie qui pourrait révolutionner la société. Cela dépasse les seules nouvelles techniques dites de l'information et de la communication (NTIC).

Pour la production, les informations deviennent plus importantes que les machines. Pas seulement la recherche, mais aussi la formation, les études de marché, la connaissance des besoins et autres informations.

C'est la même chose dans la vie sociale et l'anthroponomie. Ainsi, la montée de l'éducation et de la formation, ce n'est pas la science. Et la prédominance de l'éducation et de la formation fait partie de la révolution informationnelle.

Cela veut dire que les activités d'information deviendraient plus importantes que l'activité physique et biologique dans la vie des êtres humains, tandis que les deux dimensions sont bien sûr articulées dès le début de l'hominisation.

2 : Implications  fondamentales  de partage et leurs ambivalences.

C'est le plus important du point de vue social, économique et anthroponomique.  Cela donne à la révolution technologique toute sa portée civilisationnelle.

Au plan économique, ce qui est bouleversé avec le passage de la révolution industrielle fondée sur la machine-outil à la révolution informationnelle, c'est que la première est liée à l'échange, au marché, alors que l'autre implique des partages jusqu'à l'échelle de toute l'humanité.

Une machine-outil est ici ou elle est ailleurs, dans un unique endroit. Ce qui est l'une des bases de la propriété privée capitaliste. Mais une information, vous la donnez et vous la gardez encore. Elle peut être partagée indéfiniment, jusqu'à l'échelle de toute l'humanité. Ce serait une des bases d'une société future possible de partage, que l'on pourrait aussi appeler société communiste de liberté de chacun.

Cette vision de partage est révolutionnaire. À l'opposé, certaines théories académiques considèrent,  à propos de la recherche, ses « effets externes» qui dépassent une seule entreprise, D'où la seule justification de financements étatiques.  Ce qui constitue une conception conservatrice. Cependant, les exigences nouvelles radicales de partage sont récupérées par le système capitaliste de domination des entreprises privées.

Ainsi pour partager les coûts de recherche et les informations, à l'échelle du monde entier, cela pousse au développement de sociétés privées multinationales.  Une entreprise publique ou privée nationale peut partager beaucoup moins qu'une société mondiale, même privée. Et donc le système capitaliste traite le besoin de partage en le récupérant avec la privatisation  des entreprises publiques purement nationales, et la possibilité d'un partage plus étendu avec des privatisations multinationales. C'est la manière capitaliste de traiter le défi d'une autre société de partage à l'échelle de l'humanité,

Il y a donc une récupération,  avec une rivalité relancée entre entreprises monopolistes pour la concurrence et non pour le partage généralisé. La société de non partage récupère le partage. La concurrence tend à évincer et même à détruire la multinationale rivale au lieu d'un partage de coopération à l'échelle de l'humanité. Elle tend à mettre en concurrence les salariés du monde entier, avec le chômage massif durable et la prolifération de la précarisation, des délocalisations, au lieu d'un partage avec tous les travailleurs des richesses et des informations, par la formation, la participation à la gestion et à la recherche-développement.

C'est l'exaspération  du système par la récupération de la révolution informationnelle pour la mondialisation capitaliste. D'où le défi d'un vrai épanouissement de cette révolution et des partages avec un nouveau système.

C'est également les constructions  zonales, comme l'Union européenne, pour dépasser les limites nationales aussi, mais, là encore, avec une hyperdélégation étatique, au lieu du partage des pouvoirs décentralisés jusqu'à chacun et chacune ainsi que des concertations. Et cela jusqu'à l'échelle mondiale avec des institutions multinationales et avec l'hégémonie des États-Unis sur toute la planète, à l'opposé de véritables partages pour toute l'humanité.

Mais c'est quand même la montée du besoin de faire ensemble pour toute l'humanité. C'est une façon réactionnaire de traiter la nouveauté.

Cela renvoie aussi aux dominations monopolistes sur la culture, notamment sur l'internet, à l'opposé de véritables partages maîtrisés jusqu'aux interventions créatrices de chacun.

II - Une révolution rendant possible des dépassements en économie et en anthroponomie, pour une autre civilisation de partage et d'inter-activité.

En économie, il y aurait la possibilité de maîtriser et de commencer  à dépasser les marchés et donc la domination du capital.

Dans les marchés, avec la scission offre/demande, on achète, on vend ou non, au lieu de partager. D'où l'insécurité, et les rejets possibles au lieu de partages. Déjà, on ne vend pas, on n'achète pas à l'intérieur d'une multinationale,  mais on y partage, par exemple les coûts de recherche. Mais on n'y partage pas avec les travailleurs  ni avec les autres firmes.

De même, en anthroponomie, on pourrait maîtriser et commencer à dépasser les délégations représentatives, où il y a la scission entre déléguant et délégué, entre représentation et représentés. Dans la délégation représentative, il y a la dualité des personnes, mais il y a aussi une dualité de l'information, avec celui qui élabore, par exemple un programme politique et celui à qui il est adressé. Il y a la scission entre les auteurs et ceux qui lisent. Au contraire, à l'opposé de cela, pourrait avancer le partage des pouvoirs avec des interventions directes décentralisées et aussi de la créativité des informations, pour l'intervention de chacun.

La délégation représentative ne concerne pas que le politique. Il y a aussi délégation de la direction du travail par le contrat de travail aux chefs d'entreprise ; délégation dans la famille aux chefs de famille. Il y a encore la délégation à des directeurs de conscience, à des auteurs, à des écoles de pensée, etc. En fait, il y a des délégations représentatives partout, comme il y a le marché capitaliste partout.

La question posée c'est le dépassements pour les marchés, comme pour les délégations. Dépasser, cela veut dire à la fois détruire et conserver : réussir à supprimer parce qu'on garde les points forts, et même on fait mieux que les points forts. On garde plus exactement le problème avec une autre solution, marquant un progrès fondamental. Par exemple c'est cette démarche qui est recherchée dans la proposition d'un système de sécurité d'emploi ou de formation pour maîtriser et dépasser le marché du travail.

Le chômage est un mal social, économique, moral avec des gâchis et des souffrances énormes. Mais c'est aussi une force considérable du capitalisme, qui oblige à changer les activités, les techniques, à l'opposé des garanties étatistes d'emplois comme en Union soviétique avec leur rigidité. On peut garder la force de pousser au changement lié au mouvement, mais sans le mal du chômage, en passant d'un emploi à une activité de formation bien rémunérée et choisie, pour repasser ensuite à un autre emploi.

En même temps ce n'est pas seulement faire mieux que les points forts, mais c'est aussi renverser les principes. Sécurité au lieu de précarité du contrat sur le marché (on achète des forces de travail ou pas). Un accès garanti à tous à l'activité et aux revenus, avec un partage des activités, des ressources et des pouvoirs. Mais pour cela il faut qu'avancent également un autre type de croissance de l'industrie et des services, d'autres types de financement, avec de nouveaux pouvoirs pour les salariés. Cela renvoie aux autres marchés, ainsi qu'aux pouvoirs politiques et sociaux, à l'anthroponomie.

● Le marché des productions  : de nouveaux critères de gestion d'efficacité sociale et des pouvoirs d'intervention des travailleurs,  pour dépasser les critères de rentabilité capitaliste, avec une économie des coûts fondée non sur la pression sur les salaires et l'emploi, mais sur le développement maximum des capacités des travailleurs,  en liaison avec les recherches et leur utilisation. L'avancée d'entreprises publiques nouvelles coopérant intimement au plan national et au plan international.

● Le marché de la monnaie et de la finance, avec une autre utilisation de la création  de monnaie partagée. Cela concerne un nouveau crédit, à taux très abaissés pour favoriser une sécurisation de l'emploi et de la formation, d'autres critères de gestion, etc. Une autre utilisation de la BCE et de l'euro pour refinancer les crédits des banques aux investissements, avec des taux d'intérêt d'autant plus abaissés que sont programmés de l'emploi et de la formation. Un autre FMI et une monnaie commune mondiale, pour nous émanciper du dollar et pour agir dans le même sens d'un nouveau crédit à l'échelle mondiale.

● Le marché mondial: d'autres règles pour promouvoir la coopération et le co-développement, maîtriser le commerce, avec l'institution de biens et services communs pour toute l'humanité, comme l'alimentation, le transport,  l'eau, l'énergie, la santé, l'environnement, la communication, la recherche, la culture.

Enfin les implications de partage peuvent toucher aussi les domaines de l'anthroponomie :

● Le partage des rôles et activités parentales. Cela concerne l'égalité des parents, y compris pour les familles recomposées etc., l'émancipation des femmes, des jeunes, des personnes âgées.

● Cela concerne aussi les services publics  aux personnes : le partage des pouvoirs et activités dans l'école, la santé, etc. Cela renvoie au partage dans les services publics, entre tous les usagers et tous les personnels, avec une révolution des opérations pour la prévention et pour la créativité de chacun, alors que les personnels sont actuellement dominés par l'État, la rentabilité, leur hiérarchie.

● Le partage des pouvoirs politiques  avec des décentralisations jusqu'à chacun et des concertations  aux différents niveaux, local, régional, national, zonal, mondial.

● Le partage des pouvoirs, des informations, de la gestion, de la créativité dans les activités de production.

● Le partage au plan culturel, avec une culture de toute l'humanité à la fois diverse et commune. Cela viserait  aussi le dépassement des oppositions entre Orient et Occident et de leurs apports propres de liberté individuelle et de solidarité, un nouvel humanisme pour une civilisation « d'intercréativité », c'est-à-dire  de partage des rôles de créativité, la rotation des réceptions et des apports culturels entre tous les peuples et toutes les aires culturelles et jusqu'à chacune et chacun.

Cela renvoie à une nouvelle  construction mondiale, à l'opposé de l'hégémonie des États-Unis, avec notamment un rapprochement décisif entre les pays de l'union européenne et les pays en voie de développement ou émergents. Et surtout cela renvoie à des avancées sociales, politiques, culturelles immédiates, allant en direction de ces transformations profondes d'une nouvelle civilisation.

C'est ce que nous pourrions  faire dans le cadre d'un projet politique et social pour la France, pour les élections présidentielles et législatives. Cela concerne notamment  la proposition d'une loi de sécurisation sociale de l'emploi et de la formation, instituant de nouveaux droits et pouvoirs d'intervention des travailleurs et des citoyens et non seulement une autre politique gouvernementale, pour faire avancer de nouvelles coopérations, d'autres gestions, d'autres financements, une autre croissance des entreprises industrielles ou de service et des services publics.

Débat :

Pour Yvette Lucas, sociologue,  la révolution informationnelle pose la question du changement des rapports entre les hommes et les machines.

Ces évolutions effacent-elles tout ce que les hommes avaient acquis dans le maniement des outils ? N'y a-t-il pas une nouvelle « combinatoire » optimum  à chercher dans les relations hommes-machine pour les rendre plus efficaces et plus épanouissantes alors que le capitalisme utilise la révolution informationnelle pour hiérarchiser la société et fragmenter les opérations de travail ?

Pour Paul Boccara, il y a eu plusieurs étapes avant la révolution informationnelle. Cette évolution n'est pas finie. Dans l'analyse de ces évolutions,  il y a une dialectique entre hommes et moyens artificiels avec une transformation de la nature humaine (l'anthroponomie)  et une transformation de la nature extérieure (l’économie).

Dans la révolution industrielle, quand la main est remplacée par la machine-outil, il y a aussi le fait que le salarié sert et commande la machine qui fait mouvoir l'outil, corrige les erreurs, au lieu de manier les outils, c'est-à-dire accroît ses activités informationnelles.  Même s’il s’agit d'information d’exécutant, à partir de consignes liées à la science appliquée au machinisme émancipé des mains, il y a un important aspect informationnel. Cela explique que le capitalisme ait eu besoin d’une certaine liberté individuelle,  mais dans une société de subordination et non pas dans une société de l'information généralisée avec partage et sans domination sociale.

Plutôt qu’un optimum « homme-machine », il y a donc une dialectique historique : ce qui est transféré à l'objet matériel prend d'autres dimensions, s'objective,  donc se développe, d'une part, et d'autre part, les êtres humains eux-mêmes sont obligés de se spécialiser  dans ce que la machine ne fait pas, de développer leurs capacités propres.

Avec la révolution informationnelle, et plus précisément l'«automation » (qui va plus loin que le remplacement de la main de l'automatisation),  c'est la machine elle-même qui  corrige et remplace les fonctions informationnelles de contrôle réalisées par les hommes. Ainsi, pour les êtres  humains la créativité peut se développer au lieu du cantonnement dans la fonction d'exécution. Mais bien sûr cela  suppose la lutte contre la récupération capitaliste par des nouvelles formes hiérarchiques et de divisions.

Jacques Broda, sociologue,  insiste sur le besoin de prendre en compte le sujet, notamment la part inconsciente de la subjectivité, et sur le fait qu’une révolution comme la révolution informationnelle pourrait déboucher, non pas sur une nouvelle civilisation, mais au contraire sur la barbarie.

Ce qui nécessite de s’interroger sur la parole et le langage, sur ce que pourrait être une parole communiste, voire une éthique communiste et donc sur les valeurs.

De ce point de vue avec les idées de partage, on avance un système de valeurs, mais celles-ci sontelles un bien commun de l’humanité? Car nous assistons à une guerre contre tous et il faut nous interroger sur la haine et le non partage. Être barbare ne signifie-t-il pas tomber hors du langage ?

A l'intérieur de la révolution informationnelle, n’y a-t-il pas une désappropriation  généralisée des formes de communication et de langage au niveau social d'une gravité  extrême  ? Dans ce contexte, comment changer le monde ? C’est  aussi une question de valeur. La solidarité  est un mot galvaudé, pourquoi ne pas parler d'amour comme valeur essentielle dans notre projet ?

Pour Antoine Casanova, ce n'est pas la première fois que dans le mouvement des forces productives, celui de l'hominisation qui a commencé par la position verticale, l'outil, des capacités séparées, hors du code génétique, se développent. A chacune de ces grandes étapes, l'humanité invente des forces productives nouvelles dans le terreau des rapports de production. Elles se trouvent par là-même, au centre de batailles et de stratégies de civilisation. Et la classe dirigeante a souvent sa propre version de la mise en acte des capacités productives qu'elle tente de faire intérioriser par chacun. Il est donc besoin de comprendre le mouvement des capacités humaines et comment la bourgeoisie fait par rapport à ce mouvement. On a aujourd'hui  une technologie séparée de l'homme, qui permet non seulement de démultiplier les bras comme la machine-outil, mais aussi des capacités d'intelligence. Ce type de système  change fondamentalement la société, il implique des mutualisations, mais développées dans le cadre d'une concurrence immense. D'où des contradictions:  d'un côté, des êtres humains qui maîtrisent ces transformations, ce qui implique une formation initiale de haute qualité pour tous. De l'autre côté, il s'agit d'utiliser les êtres humains trés formés et en même temps à bas coûts et jetables ? Cela concerne  un projet de civilisation.

Pour Paul Boccara, il n'y a pas de fatalité pour passer de l'exigence de partage récupérée par le capitalisme à une civilisation de créativité pour tous et de sécurité dans la mobilité de promotion de chacun. Nous avons vu que les multinationales récupèrent ce partage des informations  pour relancer la concurrence mondialisée et ses destructions  sociales. Mais il y a des conditions nouvelles qui rendent possibles et favo-risent une civilisation de dépassement, y compris par les défis d'exacerbation des dominations  capitalistes. C'est aussi le cas, notamment,  avec les risques majeurs, mais aussi les potentiels  des nouveaux espaces et techniques de la révolution écologique, faisant monter les besoins de coopération avec des aspirations nouvelles à un autre monde.

On va passer à une société où l’informationnel va prédominer. L'informationnel caractérise le développement humain en liaison avec les moyens matériels. Ceux-ci remplacent des fonctions humaines, objectivent et développent la conscience humaine. Mais cet «informationnel» qui est fondamental dans le développement humain, a longtemps été subordonné au physique dans la production, ou au biologique matériel dans l'anthroponomie. C'est-à-dire manger, se vêtir, etc... Nous passerions à une prédominance de l'informationnel, par rapport au physique et au biologique. Dans cet "informationnel" il peut y avoir la prédominance de la créativité pour chacun, et non de l'exécution, avec la domination élitiste des créateurs et de ceux qui les contrôlent  avec un monopole social de la créativité pleinement développée. Cela suppose bien sûr la montée de nouvelles valeurs, éthiques et culturelles, de partage et d'inter-créativité.

Tous les types de domination sociale ont été liés au monopole de la créativité supérieure articulé au monopole sur les moyens matériels.  Ce monopole,  c'est celui du prêtre de l'Égypte antique à qui il est dit « tu mangeras le pain dans la maison de Dieu  ». Cela renvoie au monopole du travail productif pour la masse de ceux qui travaillent la terre pour le pain, tandis que le prêtre, lui, peut se consacrer à l'astronomie, la médecine, la science et la religion. Avec cette prédominance massive des activités physiques  sur les activités informationnelles, il y avait un monopole de la créativité pleinement développé détenu par une minorité dans tous les systèmes, aussi bien marchands que non marchands. L'objet de l'information  humaine ce n'est pas seulement la science, c'est toute la créativité. C'est l'art par exemple. C'est l'éthique.  Cela renvoie à la conscience est aussi à l'inconscient, avec l'opposition des pulsions d'union et de création aux pulsions de destruction.

On a eu un art de la religion parce que la religion dominait avec l'aide de l'art. Mais on peut avoir une sorte de religion de l'art. L'art exprime tout particulièrement la créativité en soi. La tendance de la civilisation c'est de développer la vie humaine avec la créativité, même si cela peut être récupéré par la domination et aussi la destructivité.

Plus précisément, plutôt que de créativité  au sens strict, il faudrait parler de transformation créatrice, parce que ce n'est pas une créativité à partir de rien comme celle attribuée à un Dieu. Dans ce sens, rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme, comme disait Lavoisier. La vraie créativité est une transformation de choses existantes et non une création à partir du néant. C'est l'art, et c'est aussi l'éthique et non seulement la science. C'est le beau, le bien, le vrai de Platon. Et cela renvoie à la coopération, pour la transformation des résultats de la créativité d'autrui.

Mais pour revenir à la subjectivité, il y a toute cette dialectique inconscient conscience qui est constitutive de l'information psychique des êtres humains. C'est cette dialectique conscience et inconscient qui d'ailleurs permet la créativité. Par exemple, il y a l'identification dans l'inconscient  et les fantasmes, depuis l'identification du bébé à la mère. L'identification est une base de la créativité, parce que l'on rapproche  des choses séparées et la jonction de choses séparées permet de faire quelque chose de nouveau.

Cela renvoie à toute une pensée de la créativité et non pas seulement une éthique de la créativité, à une culture qui explique la créativité par les croisements d'apports et le métissage, à une éthique de la créativité de chacun, dans l'intercréativité, avec la dignité créatrice de chaque être humain.

À propos de la question de savoir si l’avenir sera barbarie nouvelle ou partage généralisée jusqu'à chacun, il n'y a pas de fatalité mais des possibilités  désormais ouvertes aux luttes  de classes des salariés en économie et aux luttes émancipatrices en anthroponomie, des femmes, des générations, des groupes culturels,  etc... Au plan de l'anthroponomie et du psychisme humain il y a certes, à côté des pulsions d'union et d'amour, les pulsions de destructivité auxquelles peut conduire la répulsion de la mort. Mais cela peut conduire aussi à la créativité qui réunit l'union et la destruction créatrice, et les dépasse. C'est notamment  le cas avec ce que Freud appelle la sublimation et la créativité supérieure comme l'art et la science. Mais Freud parle aussi des divisions sociales de ce point de vue comme si elles étaient éternelles : il y aurait ceux qui répriment leurs pulsions pour travailler comme les producteurs matériels et ceux qui les répriment pour les œuvres supérieures de la sublimation. Mais on pourrait aujourd'hui dépasser cette opposition, en dépassant la domination sociale des moyens matériels et des moyens informationnels,  en supprimant les monopolisations  sociales dans une société de partage, vers laquelle on peut avancer.

Fondamentalement, cela renvoie à une vision éthique nouvelle, de l'inter-créativité.  Chaque être humain à une dignité créative, chacun doit pouvoir participer pleinement à la création. Il ne s'agit pas de faire le bien des autres, ce qui serait tout à la fois dominateur, paternaliste ou poussant au sacrifice de soi. Mais que chacun puisse créer son propre bien, en relation avec d'autres qui créent leur bien, avec l'inter-créativité.

L'aspiration fondamentale, ce n'est pas de produire, mais de évelopper sa vie créatrice.  Ce n'est pas de consommer on plus, même si évidemment, il faut une base de consommation. Mais le but serait de développer pour chacun sa vie créatrice et son style de vie créatrice en relation avec celles des autres. C'est toute une éthique qui dépasse le travail et son exploitation, mais s'appuie sur la formation, la création de soi pour la créativité avec autrui. Ainsi nous proposons une sécurité d'emploi ou formation pour chacun, afin de dépasser le salariat et sécuriser les activités dans une mobilité de promotion, avec la formation continue qui dans le futur deviendrait plus importante que l'emploi.  De même, on peut proposer formation et créativité, participation à la créativité dans tous les domaines à partir de la formation.  La créativité libre pour épanouir sa vie deviendrait  le moteur et le but de toutes les activités de chacune et chacun, y compris dans les activités de formation pour la création de soi-même avec les autres.

Stéphane Bonnery soulève des questions  d'éducation  et de pédagogie : on est passé en éducation de l'inculcation et la répétition pour la mémorisation  à la pédagogie se réclamant de l'émancipation de l'individu, avec un constructivisme des savoirs où l'élève pourrait construire ses savoirs par lui-même. Mais il est difficile de délimiter une démarche qui pourrait relever d'une volonté de partage et celle releverait d'un certain « libéralisme » en pédagogie. En rompant avec l'inculcation on est passé à une forme de pédagogie où l'élève est mis en présence d'un savoir qui est caché volontairement  et le travail pédagogique consiste à faire faire des exercices à des élèves pour dans un cheminement où l'élève serait censé avoir construit lui-même ce savoir par l'échange, l'expérimentation,  etc. Or, derrière cela, c'est une certaine forme de « libéralisme » en pédagogie. C'est comme dans un marché où le savoir est mis à l'étal avec une multitude d'éléments où ce sont les élèves de familles cultivées qui ont les outils pour savoir quels sont les bons fruits à prélever. Ainsi, les élèves les plus en difficulté,  qui n'ont pas les codes les plus en phase avec les attendus scolaires sont noyés dans une multitude de tâches dont ils ne maîtrisent pas la finalité. Et le discours qui a les apparences du progressisme favorise souvent les mêmes élèves qui auraient aussi été les plus aptes à recevoir un savoir reposant sur l'inculcation. On a changé le procédé mais le résultat est le même.

Une série de questions découle de ce constat : comment on pose la question du partage de manière qui échappe à ce mouvement de balancier passant de conservatisme pédagogique à libéralisme pédagogique? Comment travailler  l'idée de reconnaissance de l'individu dans l'acquisition  de connaissances avec une conception  qui dépasse celle de l'individu libéral  ?

Peut-on faire un tel parallèle entre marchés en économie et marché en anthroponomie?  Comment ces deux sphères sont en relation dialectique d'interdépendance réciproque et comment les modèles économiques peuvent influer sur les modèles de partage entre êtres humains  ? Quel  type de partage de la formation et du savoir ? Et inversement comment  ces échange dans la sphère anthroponomique peuvent avoir des incidences sur l'économie ?

Cette question du partage de l'information  pose la question stratégique de l'alliance. Dans la classe salariale, il y a une convergence de plus en plus grande entre catégories  de salariés qui pourraient permettre de porter la question de « la classe pour soi » au-delà de « la classe en soi ». Ce rapprochement  ne pose-t-il pas cette question du dépassement des modèles pédagogiques dominants qui excluent du savoir nombre d'enfants des catégorie ouvrières et des employés  ?

Paul Boccara :

Effectivement il y a une utopie et des idéalisations du  constructivisme scolaire ou de l'apprentissage scolaire nouveau avec la montée de la créativité qui dans notre  société peut favoriser les enfants issus des milieux favorisés. Mais il y aurait en même temps une revendication  novatrice profonde, exigeant précisément d'autres conditions de vie sociale pour tous, une transformation radicale  systémique et non limitée à la pédagogie. Même l'exigence pédagogique peut justifier la révolution systémique bien plus vaste. Ce n'est pas une abstraction.  On sait déjà, par  exemple, l'influence du logement sur les capacités scolaires.

D'où les implications pour un autre logement social. Il faut donc faire attention de ne pas tomber dans l'unilatéralité de la critique et chercher à dépasser les points de vue limités.

Ce dépassement est lié sans doute à la compréhension de ce qu'est la créativité transformatrice.

Comme dans tous les domaines, dans l'éducation, la créativité suppose que l'on ait des bases à transformer, par exemple avec les enfants et les conditions  parentales. Comme nous l'avons indiqué, la créativité pure n'existe pas et il y a besoin de présupposés, d'une base, de choses déjà données  (mais que l’on peut ne pas avoir), comme une culture transmises par des parents et par des générations précédentes. On retrouve l'idée que la contradiction  n'est jamais supprimée, c'est l'antagonisme qu'il faut supprimer: c'est-à-dire ici le monopole des moyens de vie et de conditions de vie.

De même, cette contradiction entre « moi je te dis une chose et toi tu l'écoutes », on ne peut pas la supprimer, mais on peut la retourner avec la rotation et le partage des rôles pour qu’il n’y ait pas antagonisme. C’est « l'enseignant enseigné ». Un meilleur enseignant a appris par ses élèves. D'où aussi sans doute la question de la valorisation des cultures d'origine parentale par exemple, mais sans segmentation, avec des partages entre tous. On ne peut supprimer la contradiction mais l'antagonisme, et l'antagonisme vient du monopole. Et on supprime l'antagonisme en organisant la rotation, jusqu'au partage de tous les rôles. Mais cela implique le partage des moyens et des conditions des rôles.

C'est aussi valable pour les moyens de vie et la culture des différents peuples. Cela renvoie à la diversité culturelle à respecter, avec soit le relativisme et la segmentation des cultures, soit le partage et le métissage, l'inter-créativité. On peut prendre l'image de l'arbre et de son arborescence, il y a les troncs communs et la diversité arborescente. Il y a besoin de nos jours d'une culture à la fois commune et diverse de toute l'humanité. Mais aussi pas de floraison multiple,  sans suffisamment de sève partout.

Concernant les catégories de salariés et leurs luttes communes pour l'émancipation matérielle et culturelle, plus qu'une alliance possible, il y a un rapprochement. Un rapprochement par le haut et un autre par le bas. Par le bas, il y a les conditions d'un rapprochement des catégories de salariés touchés par le chômage et la précarité, y compris dans la Fonction publique, chez les cadres, et donc le besoin de sécurité. Il y a aussi un rapprochement  par le haut, avec le besoin de formation continue pour tous, le besoin de responsabilité créatrice pour tous. C'est plus qu'une alliance. Il faut construire un rapprochement, une communauté, un partage jusqu'à chacune et chacun. C'est un peu la même chose entre les nations, les peuples, les aires culturelles. Bien sûr, ce rapprochement ne va pas tout seul. Ainsi, monte le besoin d’une sécurisation dans un processus permettant d'aller vers une sécurité dans un mouvement de promotion  pour l'épanouissement des êtres humains. Mais, cet objectif est récupéré quand, par exemple, tout le monde parle de sécurisation des parcours professionnels. Mais dans la sécurisation il y a des ambivalences : cela peut être une prétendue sécurisation pour améliorer à peine tout en conservant le chômage et même en généralisant la précarité. De même, dans l'idée de gradualité il peut y avoir l'idée de seulement quelques améliorations pour renforcer finalement la précarité.

Avec un autre sens de la gradualité, il s'agit d'avancer vers l'éradication du chômage. C'est une gradualité avec une perspective radicale et non pas une radicalité d'accompagnement de ce qui existe. Il y a donc un enjeu énorme de créativité sociale et de pouvoirs nouveaux avec cette idée de sécurisation dans une mobilité de promotion.

Dans tous les domaines, dès lors que montent des réalités et exigences nouvelles, il y a des tentatives  pour leur récupération, pour la pérennisation du système. Cette récupération n'est pas désespérante, parce qu'au contraire, malgré elle, elle pousse également les défis et le besoin de faire tout autrement que la récupération réactionnaire à partir des nouvelles tendances réelles. Cette récupération  est donc elle même ambivalente. Elle peut produire  son propre fossoyeur, ou plus exactement pousser à des dépassements réussis. •

Offrir à tous les jeunes, les moyens d’agir, d’espérer et de vivre l’engagement collectif

Par Minin Ines, le 31 juillet 2006

Offrir à tous les jeunes,  les moyens d’agir, d’espérer et de vivre l’engagement collectif

Une interview de Ines Minin, Présidente Nationale de la JOC

 

Economie & Politique : Quelle a été votre démarche pour élaborer vos propositions sur l'emploi des jeunes, notamment votre grande enquête, quels sont les obstacles essentiels auxquels les jeunes sont confrontés, quelles sont leurs aspirations et quels enseignements en tirez vous ?

 

Ines Minin : Nos propositions sont issues de ce que vivent les jeunes et plus particulièrement ceux des milieux populaires. Tout au long de la cam pagne «Emploi : Atout Jeunes la JOC a offer t les moyens aux jeunes de se rencontr er, de réfléchir, d’échanger avec des experts et d’autr es organisations. Nous avons commencé par donner la parole aux jeunes à travers l’enquête JOC CSA, avant d’organiser plus de 200 tables rondes locales. Les réflexions et propositions de ces dernières ont été synthétisées et enrichies à travers le « Blog Notes Emploi ». Celui-ci a permis de soumettr e à nouveau des propositions concrètes à la réflexion des jeunes . Enfin, les résu ltats du « Blog Notes » ont mis à jour des propositions qui ont été débattues avec des responsab les assoc iatifs, syndicaux, politiques et des employeurs lors des Etats Générau x. Suite aux débats, les délégués ont adopté 11 propositions pour amé liorer la situat ion de l’emploi des jeunes . Lors de cette rencontr e, nous avons également adopté « la Char te pour l’emploi des jeunes » à dest inat ion de la société civile, des employeurs , des élus et des jeunes eux-mêmes . Avec cette cam pagne et plus par ticulièrement lors de ces Etats Générau x, nous avons fait la démonstrat ion de la capacité des jeunes à réfléchir sur les grands débats de société.

 

E & P : Vous venez de tenir vos Etats généraux :

  1. quelles propositions d'avancées sociales s'y sont dégagées ?

  2. quels enseignements tirez vous de ces journées ?

 

Ines Minin : Les propositions adoptées visent une meilleur e orientat ion des jeunes en incluant un temps minimum qui lui sera it dédié dans le parcours scolaire, une format ion au droit du tra vail, la démocrat isation des concours , la rémunérat ion des stages et un meilleur suivi des apprentis. Concernant l’inser tion et la précar ité, les propositions appellent à un meilleur accom pagnement des chômeurs , à la sécur isation des parcours profess ionne ls, à un meilleur enca drement des contrats aidés et à l’applicat ion effective de la Charte de la diversité. Au regard de l’emploi, les propositions insistent sur le renforcement des pouvoirs de l’ins pection du tra vail, sur la nécess ité d’informer les jeunes sur les dispositifs de format ion profess ionne lle, sur l’impor tance de la syndicalisat ion et enfin sur l’implicat ion des jeunes dans les décisions de l’entr eprise.

Beaucou p de jeunes ont du mal à croire qu’il est encor e possible de changer les choses . Nous voulons leur montr er que ceci est pour tant possible et que pour cela, s’organiser, adhérer à une assoc iation, un syndicat ou un parti est utile et efficace . Nous allons développer des out ils permettant de porter localement les propositions. Ces out ils seront offer ts à tous les jeunes , jocistes ou non. « La Charte pour l’emploi des jeunes » est un out il concr et d’engagement citoyen. Portée localement , les jeunes pourr ont voir par eux-mêmes les résu ltats de leur implication. La réflexion de la JOC ne s’arrête pas aux Etats Générau x. Nous cont inuons nos recherches pour un ser vice local de l’emploi et de la format ion, pour accom pagner les jeunes et les entr eprises, pour favoriser la participation des salariés dans l’organisation du travail et le développement économ ique. Les jocistes seront dispon ibles pour contr ibuer à un débat et à des initiatives sur la sécur isation des parcours professionnels et sur les moyens à mettr e en oeuvre pour y parvenir.

 

E & P : La suite de la campagne : quelles initiatives pour faire avancer ces revendications ?

 

Ines Minin : Sur l’ensem ble des villes nous sommes implantés et d’autr es jeunes le souha iteront, nous allons agir autour d’initiatives locales issues des tables rondes et des propositions adoptées lors des Etats Générau x. La JOC donne rendez-vous le 16 décem bre 2006 pour une grande journée d’action. Les jocistes rencontr eront les jeunes de leur ville pour les inviter à signer «la Charte pour l’emploi des jeunes » et à s’engager autour des initiatives locales. Début 2007, la JOC éditera un livre sous forme de lettr e ouverte pour rappe ler l’exigence des jeunes de milieux populaires. Nous voulons faire de ce livre un porte voix pour ces jeunes auprès de tout ceux qui prennent des décisions pour nous , pour qu’enfin, l’avis des jeunes soit pris en com pte. La JOC ne sera pas absente des échéances électora les. Nous voulons que tous les jeunes de milieux populaires puissent prendre leur place dans ces débats. Nous offrirons les moyens de com prendre et de maîtriser les enjeux des prochaines élections, d’aller voter et de faire des choix librement et consc iemment .

 

Enfin, nos réflexions sur l’emploi de jeunes vont s’élargir à la dimens ion eur o p éenne pr incip alement lors d e la rencontr e eur opéenne des JOC qui aura lieu en France du 3 au 5 août 2007.

 

Plus d’information sur www .joc.a sso .fr

 

Europe : sous couvert de flexibilité, c’est un modèle de précarité qui s’établit

Par Mills Catherine , le 01 juin 2006

Europe : sous couvert de flexibilité, c’est un modèle de précarité qui s’établit

Les luttes en France contre le CPE ont suscité la vive sympathie des forces progressistes dans divers pays européens confrontés à la même acc élération des logiques libérales. Les dirigeants et les milieux patronaux martèlent que la flexibilité, et notamment la facilité de licencier, serait la clé de la création d’emplois.

Le taux de chômage élevé des jeunes sera it essent iellement lié aux « rigidités » du marché du tra vail dans une France « à la tra îne », alors que d’autr es aura ient négocié le virage de la flexibilité dans des con ditions satisfaisantes . De même, l’attr ibution de revenus de subst itution (indemnisation du chômage, minima sociaux) est systématiquement présentée par l’idéologie libéra le comme un frein à la reprise d’activité.

 

Lunique solution résiderait donc dans l’abaissement des dites rigidités , notamment par la réforme du droit du travail en s’inspirant des expériences européennes récentes , tand is que l’amenu isement des revenus de subst itution tendra it au retour à l’emploi. Concernant le droit du travail, ce qui est par tout visé, c’est l’assou plissement des règles du licenc iement individuel et collect if et la dérégulation du marché du travail.

1 Les mesures concernant les licenciements individuels

Les contra intes pesant sur les licenc iements individuels s’exercent de diverses manières : les procé dures de licenciement , le coût du licenc iement et les réparat ions pour licenc iement abusif (indemnités, obligation de réembauche , plans sociaux et obligations de reclassement …). Ces com posantes jouant différemment selon les pays et les com paraisons indiquent que les contra intes les plus lourdes concernent l’Europe du sud, les plus légères des pays de l’Europe du Nord (Finlande, Irlande) mais auss i la Belgique. En France , si les procédures apparaissent effectivement parmi les plus contra ignantes , le coût des licenc iements est modéré et les répara tions en cas de licenc iement abusif sont en réalité faibles.

  1. Un premier indicateur analyse les coûts occasionné s par un lic enciement abusif, l’existence ou non d’obligation éventue lle de réintégration du salarié et le montant maximum d’indemnisation prévu par la loi. Les contra intes sont faibles en France et aux Pays-Bas, avec un minimum d’indemnisation inférieur à la moyenne . C’est au Royaume-Uni, en Irlande et en Allema gne qu’elles sont les plus for tes, notamment sur le droit à la réintégration et une indemnisation de subst itution.

  2. Un deuxième indicateur concerne la difficulté à lic encier, l’obligation pour les entr eprises de notifier par écrit les motifs, la consu ltat ion des représentants du personne l, l’obtention d’une autor isation administrat ive. Sur ce point, c’est en France , en Italie et aux Pays-Bas que les procédures apparaissent les plus contra ignantes .

  3. Quant au troisième indicateur , le coût du lic enciement individuel en termes d’indemnisation et de préavis, c’est en Italie et dans les autr es pays de l’Europe du Sud qu’il est le plus élevé, mais il reste faible par com paraison en France , aux Pays-Bas et en Allema gne. Un tra it commun à tous les pays doit êtr e sou ligné : ce sont les derniers embauc hés qui sont systémat iquement les premiers licenc iés, ce qui, sous couvert «d’équité », const itue une manière efficace de limiter le coût du licenc iement .

Mais ce qui ressor t d’une étu de com parat ive, c’est que l’idée d’une France le droit du licenc iement sera it par ticulièrement lour d pour les entr eprises se trouve battue en brèche. En outr e, si l’on s’achemine par tout vers un assou plissement de contra intes , il peut exister des écar ts nota bles des contra intes dans un même pays selon les conventions collect ives, notamment en Allema gne, en Belgique, en Espa gne également , les indemnisations sont souvent supér ieur es au minimum requis.

 

2 Les mesures concernant les licenciements collectifs

C’est une directive eur opéenne de 1975 qui fixe les procédures de consu ltation et d’informat ion des représentants du personne l, l’obligation pour les employeurs de donner les informat ions concernant le nom bre des licenc iements , les motifs et le calendrier à transmettr e aux ser vices nationaux de l’emploi. Le délai de préavis est prolongé de 30 jours par rappor t à celui des licenc iements individuels, mais varie selon les législations nationales. Si la déterm ination des indemnités de licenc iement est auss i fixée par les législations nationales, dans cer tains pays les négociations collect ives s’y subst ituent généra lement , comme en Allemagne, en Autriche ou en Suède.

 

Mais les com paraisons eur opéennes restent com plexes. Ainsi, la définition du licenc iement collect if apparaît-elle la plus restr ictive en France , en Espagne et au Por tugal. En revanc he, les contra intes administrat ives les plus for tes concernent la France , les Pays-Bas et les pays du Sud, excepté l’Italie une très grande soup lesse a été intr oduite depuis 1991. Le plus souvent, les seules obligations cons istent à verser des indemnités de mob ilité et à reconna ître les salariés licenc iés prioritaires en cas de réembauche .

  • Une tentative de bilan sur les contraintes imposées aux licenciements

La législation du licenc iement reste for tement réglementée en Espagne et au Portugal. LItalie, la France , le Royaume-Uni sont dans une position intermé diaire, tand is que les contra intes apparaissent faibles aux Pays-Bas, en Irlande, en Finlande et en Allema gne. Mais quan d on isole la législation spéc ifique aux licenc iements collect ifs et aux licenc iements abusifs, c’est en Allema gne, en France , en Italie et dans l’ensemb le de l’Europe du sud que les contra intes procé durales sur le motif, les recours et la durée nécessa ire pour licenc ier sont les plus for tes .

  • Le recours aux CDD comme moyen d’éviter des coûts de licenciement

Ainsi, en Espagne, pour contourner les contra intes for tes liées au licenc iement d’une personne en CDI, les employeurs ont-ils multiplié les CDD, d’autant que la législation spécifique les concernant est en revanc he très peu contra ignante . À l’inverse , au Royaume-Uni, il est plus facile de licenc ier les salariés en CDI et le recours aux CDD est beaucou p moins développé.

 

En Italie, la loi Tren (promulguée par la gauc he en 1997), puis la loi Biaggi en 2003 ont organisé un arsena l de contrats atypiques, dits « contrats de projets » allant de quelques jours à plusieurs années , pouvant êtr e dénoncés à tout moment (1). Du cou p, en 2005, les CDD ont représenté 70% des créat ions d’emplois, mais les CDI const ituent encor e la majorité des em plois, puisque les CDD ne représentent encor e pour l’instant que 12% du tota l des contrats de tra vail. La réglementat ion des licenc iements « just ifiés » est devenue très soup le et le montant de l’indemnisation est fonct ion des conventions collect ives.

  • Flexibilité des salaires, recours aux heures supplémentaires et à l’intérim

Sur ce point, c’est en Grande -Bretagne que la liber apparaît la plus for te, et quasi tota le, malgré l’existence d’un salaire minimum. LAllema gne, la France , et lItalie sont les pays les contra intes les plus fortes subs istent concernant le recours aux heures supp lémenta ires et à l’intér im.

  • La question de la période d’essai

Comme le droit au licenc iement n’est pas forma lisé lors du laps de temps visant à « tester l’employé », plus la période d’essa i est cour te, plus la sécur ité est for te pour le salarié. Les périodes d’essa i les plus cour tes concernera ient l’Autriche et la Norvège (1 mois). En France , la période d’essa i est de trois mois pour les cadres, d’un mois à huit semaines pour le personne l non-cadre, mais ceci varie également en fonct ion des con ventions collect ives et de la natur e des contrats . Au Danemar k, la période d’essa i atte int 3 mois pour les employés. C’est en Belgique que l’amplitude des périodes d’essa i apparaît la plus longue : 6 mois pour les employés, mais seulement 14 jours pour les ouvriers . En Espagne, le maximum est de 6 mois pour le personne l qualifié et diplômé, de 2 mois pour les autr es, mais ce sont les conventions collect ives qui viennent préciser les con ditions de la période d’essa i. En Suède et en Italie, la durée maximale est de 6 mois. Au Royaume-Uni et en Allema gne, la plus grande soup lesse est laissée à la négociation contractue lle, mais une grande inégalité règne selon les contrats au Royaume-Uni, alors qu’en Allema gne les négociations collect ives fixent en généra l des durées inférieur es à 6 mois. En Grèce, la période d’essa i est négociée individuellement lors du contrat de tra vail, et en Irlande, elle n’est pas fixée, ce qui n’est pas nécessa irement au désa vanta ge du salarié, puisque le droit du licenc iement s’applique dès l’embauc he.

Aux Pays-Bas, la période d’essa i est de 2 mois maximum, mais de 2 semaines seulement pour les contrats inférieurs à 1 an. Au Por tugal, elle s’étale de 60 à 90 jours en fonct ion de la taille de l’entr eprise et de la natur e du poste pour le personne l non cadre, mais elle peut atte indre 240 jours pour les cadres et 180 jours pour le personne l hautement qualifié. Elle peut varier de 2 semaines à 6 mois au Luxembourg, tand is qu’elle s’élève en Finlande à 4 mois maximum . En généra l, on aboutit à une com binaison entr e longue période d’essa i et recours aux CDD relativement contra int comme en Italie (avant les réformes récentes ), en Grèce, en Suède, en Allema gne. Au contra ire, les pays la période d’essa i est cour te ont un recours aux CDD plus fréquent , les entr eprises l’utilisant comme un moyen de présélection des can didats , ce qui est le cas au Danemar k, en Autriche, en Irlande, aux Pays-Bas, en Espagne.

(1) Mais sans avoir fait sauter l’obligation d’exposer un motif de licenciement, contrairement à la décision inique prise en France pour le CNE, puisque l’exposé de ce motif est obligatoire en vertu de la convention 158 de l’OIT.

Ajustements structurels et classes laborieuses. Les métamorphoses du travail dans unfaubourg populaire d’Accra (Ghana)

Par Verlet Martin, le 01 avril 2006

Martin Verlet

 

Notre propos a pour objet les métamorphoses du travail dans un bidonville d’Accra : Nima. Le parcours séculaire va de l'intrusion coloniale britannique jusqu’au choc, à partir de 1983, des politiques d’ajustement structurel préconisées par le FMI et la Banque mondiale, mises en œuvre par l’Etat ghanéen. Du retrait de l’homme salarié à la mise au travail des enfants (1).

Le champ d’observation sera un quartier populaire d’Accra, Nima, qui, au cours des décennies passées, fut l’un des creusets de la classe ouvrière au Ghana. Sous l’effet des politiques d’ajustement structurel, qui furent conduites avec une singulière fermeté au Ghana, à partir de 1983, sous la direction de Jerry Rawlings, le tissu social s’effiloche ; le marché du travail se rétrécit ; par dizaines de milliers, des salariés se retrouvent au chômage, à la dérive, en situation de désaffiliation sociale. Conséquence directe de la déréglementation du marché du travail, la dérégulation domestique s’aggrave, entraînant la redistribution des rôles et une redéfinition des activités économiques au sein des familles. A la suite du retrait de l’homme salarié, on assistera à la professionnalisation du travail des femmes, puis à la mise au travail, plus précoce, plus systématique, des enfants.

Dans le temps court, c’est-à-dire les deux dernières décennies, l’exploitation du travail des enfants telle que nous l’observons à Nima, coïncide avec l’application des programmes d’ajustement structurel. Sur les classes laborieuses, l’ajustement se traduit d’abord par le recul du travail salarié, par la ruine des systèmes de protection sociale, par la dégradation des conditions de vie, par l’érosion des réseaux de solidarité primaires, par la vulnérabilité de masse. Dans la longue durée, laquelle correspond grossièrement au XXème siècle, le phénomène s’inscrit plus largement dans une triple trajectoire : celle des formes de la ville ; celle des métamorphoses du travail salarié ; celle enfin des vicissitudes des unités domestiques. Ces trois trajectoires s’entrecroisent, se mêlent, se confondent.

Nima : les formes de l’anti-ville

A proximité du centre administratif et commercial d’Accra, les faubourgs populaires de Nima et de Mamoobi se sont constitués, aux marges de la cité, comme une ville à part. Les formes de cette agglomération au sein de la ville se sont profondément modifiées dans le temps. D’une archéologie des formes de la ville, il ressort que trois sédimentations se sont cristallisées au fil des générations pour structurer les configurations urbaines que nous découvrons aujourd’hui : les mouvements migratoires; les avatars du travail salarié; la présence de l’islam.

Les faubourgs jumeaux de Nima et de Mamoobi regroupaient, en 1970, 11% de la population d’Accra. Ils comptent aujourd’hui 150.000 habitants. Nima constitue, avec Kumasi et Tamale, l’un des principaux lieux de la présence de l’islam au Ghana. L’espace urbain est fortement contrasté. Deux pôles opposés symbolisent l’extrême différenciation du tissu urbain : le gutter (2) , qui représente la ruralité, la pauvreté, l’exclusion ; Nima Highway, qui affiche une vitrine d’urbanisation, d’opulence, de modernité. Le gutter, ce sont « les eaux usées de la misère », pour reprendre l’expression d’Eugène Dabit. Nima Highway, c’est l’intrusion, au sein du quartier populaire, de la ville étrangère.

De toutes les empreintes qui ont façonné Nima dans sa genèse séculaire, la plus marquante fut, sans aucun doute, le travail migrant, son ascension, puis sa dévalorisation. Quartier populaire, le devenir de Nima se confond intimement avec le destin des classes laborieuses au Ghana. Qualifier Nima de zongo (3), c’est désigner, d’un même mot, la ville à part, étrangère à la ville, sa population de travailleurs migrants, l’empreinte de l’islam sur la vie sociale.

Déréglementation du travail et dérégulation domestique

L’archéologie des formes de la ville laisse affleurer les traces de l’histoire du travail sur Nima. Trois séquences sont identifiables, où se croisent les effets de l’urbanisation spontanée et les vicissitudes du travail migrant. Le campement correspondait à la période formative des classes laborieuses sur Accra. A la phase d’expansion du marché de l’emploi, répondit le bidonville. Puis le faubourg populaire concordera avec la phase de la déchéance de la condition du travailleur migrant, à sa disqualification. Trois termes symboliseront ces parcours mêlés : le creuset ; le vivier ; la décharge.

Le creuset ? Nima fut en effet le lieu où se forgea le noyau d’une classe ouvrière urbaine de manœuvres, de terrassiers, de domestiques, d’hommes de labeur. Le vivier ? Le travail s’élargissait sur Accra. La période conduisant de 1940 à 1981 fut celle où le campement se densifia, se transforma en bidonville, en même temps que le noyau originel se muait en classe laborieuse. Nima devint alors une réserve inépuisable de force de travail. La décharge ? Au marasme économique succède le choc de l’ajustement. Retardée, la déréglementation du marché du travail, engagée à partir de 1986, ruinera les équilibres sociaux institués sur Nima. La force de travail est massivement mise au rebut de l’avenir. Les oscillations de l’unité domestique à la famille, puis le retour du balancier, de la famille vers l’unité domestique, reflètent les avatars de la condition du travailleur migrant. Dans la phase initiale, l’adolescent qui s’arrache à l’univers villageois pour accéder à un emploi rémunéré ne s’embarrasse ni d’une femme ni d’une famille. Son horizon devient l’argent pour construire son retour au pays natal, parmi les siens. Son univers urbain est essentiellement masculin. Ainsi se constitueront des noyaux élémentaires de familiarité et de proximité où l’on partage la même maisonnée, où l’on utilise les mêmes filières de découverte d’un emploi, où, le soir, on mange la même soupe, où les revenus se partagent autant que de besoin : l’unité domestique.

Dans un second temps, devenu citadin, sa condition se stabilisant, le migrant est tenté de se constituer une famille. L’arrivée d’épouses venues directement de son village d’origine modifiera considérablement la vie sociale. Elle se traduira par l’éclatement des unités domestiques et leur fragmentation en familles. Dans un dernier moment, l’implosion de l’économie, puis la crise de l’ajustement structurel entraîneront la débâcle du travail salarié. En profondeur s’opère un remaniement social qui bouscule les équilibres sociaux jadis institués. La disqualification du travailleur salarié eut pour effet de priver l’homme de son rôle de chef de famille. Celui-ci part à la dérive. Les familles récemment formées se désagrègent. Les femmes deviennent chefs de famille. Mais la famille monoparentale ne peut perdurer qu’en se recomposant. Elle s’adjoint des éléments extérieurs. Ce sera le retour à l’unité domestique.

La dérégulation du marché du travail a engendré la dérégulation domestique. La notion de « dérégulation domestique » exprime les incidences, vécues à la base, des programmes de libéralisation sous contrainte et d’ajustement structurel sur les classes laborieuses urbaines. Elle met en avant leur impact social et domestique. La déréglementation du marché du travail a engendré la dérégulation des unités domestiques. La réponse sociale sera la recomposition de l’univers domestique sous l’emprise de l’impérialisme globalisé, la résistance des plus appauvris par une mobilisation de leurs capacités d’imagination, de toutes leurs ressources en force de travail. A la professionnalisation de l’activité des femmes, s’ajoutera la mise au travail des enfants.

Du retrait de l’homme à la mise au travail des enfants

Sur Nima, trois formes de travail se combinent : le travail domestique ; le travail indépendant, curieusement qualifié, à partir d’un usage édicté par les institutions financières internationales, de « travail informel » ; le travail salarié, aujourd’hui menacé.

L’histoire des classes laborieuses à Nima laisse découvrir des états successifs du travail dans ce faubourg populaire d’Accra. L’état initial correspond à la préhistoire du travail salarié. Le travail naît de la mobilité, des mouvements migratoires à longue distance. Les situations de travail se stabiliseront. De saisonnier, le migrant se fixera à proximité des gisements d’emploi. Ses liens avec sa communauté d’origine se distendirent. Désormais, il se consacrera uniquement à son travail salarié. Dans cette phase formative, les classes laborieuses de Nima se constitueront à partir d’une matrice unique : le travail salarié.

Un second état coïncide avec une période de longue durée de croissance soutenue du marché du travail urbain au Ghana (1920-1980). Le secteur public représente le plus important pourvoyeur d’emplois, offrant les garanties maximales de stabilité et de rémunération. Un troisième état est marqué par l’ébranlement de la condition salariale. L’implosion de l’économie, puis la crise de l’ajustement structurel précipiteront la débâcle du travail salarié. Le secteur privé réduira ses effectifs dès la fin des années 70. A partir de 1985, la vague des licenciements massifs s’amorcera et décimera le secteur public lequel employait la plupart des travailleurs de Nima. En l’espace d’à peine deux décennies, un travailleur sur trois perdra son emploi. Une famille sur quatre se trouvera affectée. A la figure devenue familière de l’homme travailleur se substituera dès lors celle, plus inquiétante, plus insolite, du travailleur déchu, privé de son emploi, d’un individu « fatigué de lui-même », pour reprendre l’expression de Alain Ehrenberg, frappé inexorablement d’inexistence sociale, de dissociation. Les figures du travail se métamorphosent. Le travail indépendant, commerce, artisanat, activités de service, connaît une remarquable expansion. Le travail se décline désormais aussi au féminin.

La montée de la crise fait surgir une nouvelle génération du travail féminin. Celle-ci se différencie profondément de la précédente, laquelle était formée de femmes auxiliaires, dépendantes. L’autonomie et la primauté du travail au féminin, qui se banalise aujourd’hui, contrastent donc avec l’hégémonie masculine qui s’imposait auparavant.

Plusieurs tendances influencent ce processus de féminisation du travail. La première est sa banalisation. En effet, 95% des femmes exercent désormais une activité rémunératrice. Le travail des femmes s’est professionnalisé en l’espace d’à peine une décennie. Il s’agit actuellement d’une activité à plein temps, qui exige le plus souvent une solide expérience ou des compétences particulières. On observe par ailleurs une spécialisation croissante. La femme s’investira sur un créneau précis, correspondant à une demande forte. Dans le même temps, elle fera preuve d’une extrême plasticité dans ses choix, s’adaptant au plus près aux aléas du marché et aux goûts des consommateurs. Plus récente est la tendance à la qualification, laquelle passe par un apprentissage. Ainsi prolifèrent depuis peu les salons de coiffure et les ateliers de confection.

On observe une intensification du travail féminin. Les temps de travail s’allongent. Au bout du compte, la durée des journées de travail oscillera entre 12 et 14 heures, celle de la semaine de travail dépassera les 80 heures. L’évolution vers la capitalisation des activités féminines est également sensible. Le capital initial pourra provenir du mari, d’un parent ou d’un protecteur. Dans bien des cas, les bénéfices sont engloutis dans les dépenses domestiques. Le renouvellement du capital constituera un problème constant.

L’éventail des activités féminines demeure restreint. Pour l’essentiel, ce seront des activités de service. Les femmes s’affairent pour la plupart dans le secteur du petit commerce et de la revente au détail. Une contrainte s’impose au travail féminin. Comment concilier l’activité professionnelle et les responsabilités familiales ? Absente du foyer familial, la femme travailleuse devra confier la gestion domestique à l’une de ses filles. Ce transfert de responsabilité sera l’antichambre de la mise au travail des gamines. A La professionnalisation de l’activité des femmes viendra s’ajouter la mise au travail des enfants. A vrai dire, l’enfant exploité est né de l’homme salarié condamné au chômage et de la femme, devenue négociante, contrainte de s’affairer dès l’aube dans les rues ou sur les marchés..

On assiste, depuis une vingtaine d’années, à l’émergence d’une nouvelle génération de l’enfance exploitée. La génération en question eut pour « âge historique » la crise, plus globale, de l’ajustement structurel. Celle-ci fut son unique horizon. Grandir sous influence, tel fut son destin. Les gamins et les gamines que nous avons rencontrés à Nima étaient âgés de 6 ans à 16 ans. Ils étaient uniformément des éléments de cette enfance ajustée. Ils avaient « grandi » sous ajustement. Aujourd’hui la mise au travail de la génération de l’enfance ajustée revêt une ampleur et une signification renouvelées. Elle participe de la redistribution des rôles et de la redéfinition des fonctions économiques au sein des unités domestiques en transition. L’abaissement de l’autorité de l’homme chef de famille et sa marginalisation économique conduisent à l’ascension de la position des femmes. Leur rôle est particulièrement crucial dans le cas des familles monoparentales (50% à Nima).

C’est en vertu de ses qualités particulières que la force de travail infantile sera exploitée. Elle est flexible, malléable, aisément renouvelable, donc jetable, peu coûteuse. Elle n’est pas rémunérée ou bien payée en dessous de sa valeur, ce qui permet de la mettre en compétition avec les forces de travail des hommes et des femmes, dont les rémunérations se voient ainsi tirées vers le bas et l’emploi menacé. L’enfant sera nié dans son être, dans son développement. Cette force de travail hors normes pourra en outre être mobilisée pour accomplir des activités illicites. Il existe un mode spécifique d’exploitation de cette force de travail singulière du fait qu’il est dénué à l’enfant d’être un sujet de droit. L’exploitation du travail infantile constitue ainsi l’un des rouages de la déréglementation du marché du travail. Celle-ci vise à construire une concurrence exacerbée entre les membres d’une même unité domestique : hommes, femmes, enfants. La mise en ?uvre de la force de travail des enfants assurerait au capitalisme une facile réserve de travail, faiblement qualifiée, ignorante de ses droits, dévalorisée. L’assujettissement de l’enfant au travail préfigure la construction de l’homme flexible, atomisé, coupé de ses racines sociales, privé de ses capacités contractuelles, vidé de sa pugnacité revendicative, réduit à l’état d’instrument dissocié, abstrait, de forces de classes qui décideraient aveuglement, de haut, de l’abaissement de sa condition. Sur le marché, la force de travail ne représente qu’une marchandise un peu plus dépréciée que les autres. Mais, sous notre regard, elle constitue avant tout le révélateur sensible d’une entreprise internationale d’équarrissage de la condition salariée. L’exploitation des enfants constitue une rupture avec la condition salariale. Elle en est même la négation, et précipite ainsi la ruine du salariat.`

Les formes du travail des enfants recouvrent un large éventail d’activités. Les activités à l’ombre du domestique incombent le plus souvent aux fillettes : travaux conduits à l’intérieur de la maisonnée, dans le voisinage ou sur le marché dans le sillage de la mère ou de la tutrice. Ou bien il s’agira de la gamine placée à l’extérieur comme servante, comme domestique. Les activités de service prolifèrent. Il s’agira le plus souvent de vente ambulante, de petit commerce sur les marchés, de portage, de maintenance, de réparations. Les services sont l’ombre portée du travail informel. Contrairement aux activités domestiques, filles et garçons se retrouvent mobilisés dans cette nébuleuse d’activités qui participent à la vie quotidienne. Plus rares, les travaux productifs seront surtout le fait des gamins pour ce qui est du bâtiment, du travail du bois ou du fer. Les filles seront associées à la transformation des produits agricoles et à la confection de vêtements. Les activités marginales représentent des formes particulières de ce travail hors normes qui est celui de l’enfant transformé en marchandise. L’exclusion précipite le développement des activités marginales, certaines d’entre elles étant socialement tolérées, alors que d’autres, franchement illicites, seront réprouvées et réprimées. Il convient de préciser que les activités marginales sont minoritaires. Quant aux actes délictueux ou criminels, ils restent exceptionnels.

L’apprentissage est la voie privilégiée de la mise au travail des enfants. L’inventaire des activités de production pratiquées par les gamins recouvre un éventail extrêmement large de métiers conduisant de la forge, du chantier de construction, à l’atelier de charpentier et de menuisier, à l’imprimerie ou au garage de construction automobile. La réparation des équipements électroménagers, des appareils de radio ou de TV, des vélomoteurs est largement répandue. S’agissant des filles, les activités ressortissent à l’artisanat et aux services : ateliers de confection de vêtements, boulangeries, salons de coiffure, gargotes. Du gamin à la gamine, l’image s’inverse. L’apprentissage se confondra dans 55% des cas à un travail productif pour ce qui est des garçons lesquels ne seront que marginalement mobilisés dans les activités commerciales. Ce pourcentage tombera à 10% en ce qui concerne les filles. Celles-ci, dans leur immense majorité (82%), seront appelées à s’initier aux pratiques de la vente. Leur destin est fixé à l’avance : le négoce. S’opère ainsi dès l’enfance une bifurcation des trajectoires, puis une stricte partition des rôles. En se qualifiant professionnellement, les garçons seront préparés très tôt à rejoindre leurs aînés sur le marché du travail. Se spécialisant comme commerçantes, les fillettes seront précocement incorporées à la condition féminine qui les fera osciller entre les tâches domestiques et le secteur du petit commerce.

L’exploitation des enfants plonge ses racines dans l’univers domestique. Elle reconduit les liens traditionnels de subordination des cadets aux aînés, des femmes aux hommes, ainsi que l’usage institué de l’adoption et du parrainage du jeune enfant. Le fait que la mise au travail passe par les canaux de la parenté va aboutir à un processus de domestication des rapports de travail. Ceux-ci emprunteront leurs formes au langage et à l’idéologie de la parenté. Le maître ou la maîtresse joueront d’un simulacre de position parentale sous prétexte que leur autorité procède initialement des parents, provient de l’univers domestique de l’enfant. Cette domestication du rapport de travail, l’usage qui en est fait confèrent à celle-ci une légitimité supérieure, appelant au respect et à la soumission.

La mise au travail des enfants combine des éléments d’oppression et des formes d’exploitation. L’oppression se manifeste à travers la toute-puissance du patron ou de la maîtresse. L’enfant ne sera pas considéré comme un sujet de droit. Il sera placé dans l’incapacité de rejeter les conditions de cette oppression qui découle d’une délégation de l’autorité parentale. Dans ce contexte, les abus de pouvoir seront nombreux, le maître ou la maîtresse fixant les règles, et se chargeant de les faire respecter. Le travail juvénile n’est soumis à aucun cadre légal strict. Un âge minimum est certes officiellement fixé, celui de seize ans. Il sera rarement respecté. La mise au travail pourra, dans la réalité, intervenir dès l’âge de sept ans.

L’exploitation se traduit dans la durée du temps de travail. Celle-ci peut dépasser les quatorze heures par jour. Dans certains secteurs d’activité, les femmes se verront imposer le travail de nuit. Ajoutons que, dans le cas des gamines en particulier, le travail à l’extérieur n’exempte aucunement des tâches domestiques. Le temps laissé au repos et aux loisirs s’avère dérisoire. L’insalubrité des conditions de travail se combine le plus souvent à la pénibilité du travail lui-même. Il s’agira le plus souvent d’un travail gratuit, ne procurant à l’enfant aucune rémunération. Exceptionnellement, le patron ou la maîtresse pourront donner un peu d’argent de poche, ce geste prenant la forme d’un cadeau ou d’une gratification. Non seulement le travail de l’enfant ne sera pas rémunéré, mais, dans le cas de l’apprentissage, les parents devront payer pour les frais de la formation, ce versement représentant le paiement d’un service. Par ailleurs, une fois formé, l’apprenti sera tenu de continuer à travailler gratuitement, comme ouvrier, pour le patron ou la maîtresse, durant une période de six mois à un an.

Le caractère hors normes de l’exploitation de la force de travail des enfants n’est guère modifié par les termes du contrat d’apprentissage. A vrai dire, celui-ci ne vise pas à établir une relation contractuelle. Il insiste exclusivement sur les prérogatives et les droits du patron ou de la maîtresse d’une part, sur les obligations des parents et les devoirs de l’enfant de l’autre.

L’enfant au travail « entre en condition », comme on disait jadis en France pour les domestiques, devient dépendant et disponible. Pour qualifier cette condition, on serait tenté de parler de « travail servile ». Mais le terme « servile » a l’inconvénient de renvoyer trop directement à l’état d’esclavage ou de servage. Nous choisirons donc de parler de « serviciabilité » pour désigner une condition personnelle et transitoire de dépendance et de soumission qui contraint, dans bien des cas, l’enfant travailleur à être pris dans un système d’offre et de demande généralisé des services. On peut dire ainsi que l’enfant pris précocement dans des rapports de domination et d’exploitation, est destiné à devenir « serviciable à merci ». Telle est sa condition.

Reprises d’initiative et résistances à l’ajustement social

Avec le temps, la crise de l’ajustement ronge inexorablement le milieu social et grave plus fortement son empreinte, accentuant les contrastes, creusant les inégalités, dictant les exclusions, minant les agencements sociaux. Il importe donc de rechercher les éléments de réponse à une triple question. Comment les communautés de Nima, les unités domestiques qui les structurent résistent-elles à la poussée simultanée de l’urbanisation spontanée et du néolibéralisme sous contrainte ? Quelle est l’efficacité des réponses locales face à une globalisation et à une uniformisation propagées de l’extérieur ? Et, au-delà, quel sera l’avenir des classes laborieuses ghanéennes et le destin de Nima qui en fut l’un des creusets ?

Au fil de ces dernières années, l’environnement économique s’est sensiblement détérioré. La déferlante du chômage n’en a pas fini de ruiner les fragiles équilibres agencés par les unités domestiques. Et pourtant, Nima respire un air d’allégresse, de liberté, de jeunesse. Sous les décombres du marché du travail, affleure une intense vitalité. Le misérabilisme vole en éclat sous les manigances narquoises des gamins, la volonté des femmes, la sagacité des aînés. Des lignes de résistance s’échafaudent qui traduisent un commun refus de la condition de paria.

La ligne première de défense, la plus inattendue, se matérialise par le rejet, par le refoulement de l’urbanisation. Au refus de la Ville, correspond l’affirmation d’une appartenance, d’un enracinement. Maîtrisées de l’intérieur, les formes de la ville abriteront les ébauches de recomposition et de régénération d’un milieu social en voie de dislocation. L’Anti-Ville fait de la résistance, et déploie pour les siens un rideau protecteur.

Une seconde réponse, démographique, constitue un camouflet aux politiques néo-malthusiennes préconisées par les institutions internationales. La vitalité démographique est un défi lancé, à travers les Océans, aux pays occidentaux industrialisés et à leurs populations vieillissantes.

Une autre parade est recherchée dans la scolarisation des enfants. L’éducation moderne est désormais valorisée. Elle sera perçue comme le moyen de se dresser face à ceux qui gouvernent et qui oppriment. Savoir lire et écrire, n’est-ce pas avoir son mot à dire, être capable de se dresser face à l’arbitraire et à l’injustice ? De plus, à partir de l’école, il serait plus aisé d’acquérir une qualification, donc d’accéder au marché du travail. Pour le candidat à l’exil, la lettre deviendra un sauf-conduit, aussi essentiel que le visa d’entrée. La mémoire du migrant apporte d’autres éléments de réponse à la crise. Elle éclaire une sortie de secours. Le migrant engendre l’autre migrant. L’expérience de l’itinérance et de l’exil constitue le patrimoine commun des gens de Nima. Lorsque les sources de l’emploi tarissent, partir, au loin si nécessaire, là où il sera possible de gagner de l’argent par son travail, est comme inscrit dans la force des choses. La migration à longue distance constitue l’horizon du futur. Grandir à Nima, ce sera naître à l’exil. S’arracher aux contraintes et à la pénurie, n’est-ce pas franchir, grâce à la connivence des aînés, les barrières dressées par la dictature du marché libre ? Le rêve partagé sera la figuration d’un autre monde, celui de l’abondance, celui du désir.

L’islam constitue à Nima un acteur principal de ces reprises d’initiative. Le wahhabisme se posa un moment comme l’unique promoteur, parmi les musulmans, des idéologies de la modernisation et de l’esprit d’entreprise. Toutefois, dès les années 70, l’islam des aînés, fortement inspiré par le soufisme, entendit rivaliser sur ce terrain avec les jeunes doctrinaires fraîchement émoulus des universités séoudiennes. Une sorte de nahda a irradié la communauté des musulmans, incitant à une appropriation du savoir global et à une ouverture maîtrisée sur l’extérieur. Les réseaux de solidarités primaires ont été revitalisés. Cet islam rénové contribue à affirmer la particularité des communautés de Nima face à l’extérieur et à cimenter une cohésion fissurée.

Les reprises d’initiative locales sont cependant marquées par d’étroites limitations. La résistance a ses revers. Le regain de dynamisme des réseaux de solidarités primaires va de pair avec une érosion progressive des systèmes de reproduction et protection sociales. L’élan démographique est freiné par la ruine des dispositifs de santé publique et par la recrudescence de la mortalité infantile. La tendance à la scolarisation se conjugue avec la mise au travail plus fréquente des enfants. De plus, le système moderne d’éducation se montre incapable de transmettre aux enfants la maîtrise des techniques et des savoir -faire conduisant à une qualification accrue du travail. Dans ce magma en fusion, il serait bien malaisé de fixer des points d’aboutissement. La dislocation du monde du travail freine les mobilisations sociales. Les classes laborieuses de Nima avaient appris les ressources de l’organisation syndicale et la pertinence des choix politiques tranchés, pour Nkrumah et le CPP (Parti de la Convention du Peuple) durant la transition postcoloniale, du côté de Rawlings pendant la crise de l’ajustement. La fragmentation sociale engendre le fatalisme, la passivité, la vulnérabilité. Les seules ripostes collectives ont Nima pour champ clos. Or, l’avenir dépend primordialement de réponses plus globales, essentiellement politiques. Comment sortir le Ghana de l’économie rentière et du retour à l’économie de traite ? Comment recomposer un système économique cohérent, diversifié ? Comment infléchir les politiques gouvernementales vers une prise en compte des besoins sociaux et une revitalisation des modes de reproduction et de protection sociales ? Desserrer les contraintes extérieures, aménager, grâce au pouvoir régulateur de l’Etat, les modalités d’une économie de transition maîtrisée, la réponse à ces questions ne peut être que collective, politique. Or, l’atomisation de la force de travail, la transformation du travailleur en agent économique abstrait, ne visent-elles pas d’abord à le livrer, muet et sans défense, aux forces aveugles du marché ? L’avenir de Nima dépend du dynamisme des reprises d’initiatives et de la capacité collective à’atténuer les effets dévastateurs du mondialisme néolibéral. Le dilemme confronte les mobilisations populaires aux assauts du nouvel impérialisme.

Du prolétaire déchu de Nima à l’éboueur ghanéen se profilant au matin bleu sur les trottoirs de Dortmund, du gamin déluré s’amusant dans les éboulis du gutter au chiot de guerre terrorisant les villageois de Sierra Leone, se tissent d’invisibles convergences, des liens discrets d’appartenance à une même condition. Et, au-delà, une unique nasse ne capture-t-elle pas l’enfant mineur de Bolivie et le chômeur sur les quais du port de Bombay, la femme concassant la rocaille dans la banlieue du Caire et la gamine se prostituant à la nuit tombée sur les avenues de Mexico ? L’ajustement structurel est d’abord ajustement social. D’une exploitation parcellaire à une exploitation globale, chacun est sommé d’inventer, sous contrainte et sans avenir, son existence. Il reste beaucoup à penser et à dire de cet impérialisme nouveau si l’on refuse de s’abandonner à son discours religieux et à sa domination uniforme. Et à faire.

  1. Martin VERLET, 2005, Grandir à Nima (Ghana). Les figures du travail dans un faubourg populaire d’Accra, Paris, KARTHALA.

  2. Pour les gens de Nima, le mot gutterrenvoie immédiatement à l’égout à ciel ouvert, au cloaque, qui partage Nima de Mamoobi, puis, s’incurvant vers le sud, sépare Nima de Lagos Town, le quartier voisin.

  3. Un zongo est la section d’une ville où se regroupent les migrants venus du nord, c’està-dire des zones soudanaises et sahéliennes.La population des zongo est composée majoritairement de musulmans.