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Quels horizons au-delà des marchés (1)

Par Paul Boccara, le 01 décembre 2010

Quels	horizons   au-delà	des	marchés (1)

Les derniers événements en Europe, avec la crise en Irlande, et dans le monde, avec les piteux résultats du dernier G.20, renforcent le défi de l’opposition entre la gravité de la crise systémique et les besoins de réponses d’une tout autre ampleur pour le progrès social. Les luttes sociales en France, en Europe et dans le monde ne concernent pas seulement les résistances face aux défis de la crise du capitalisme mondialisé. Elles se rattachent aussi aux aspirations  à une autre vie.

Ainsi, les grandes  luttes  récentes en France sur les retraites ont une portée de civilisation. Elles ont une double dimension. L’une est économique et sociale, en concernant les besoins sociaux effectifs et une transformation de progrès des financements, émancipés de la domination des marchés financiers. Mais il y a une seconde dimension, non économique, qui concerne la vie en société, le type d’activités humaines et la civilisation. On nous dit qu’avec l’allongement de l’espérance de vie, il faut naturellement travailler plus longtemps. On ne peut pas se contenter de répondre qu’il y a d’autres possibilités de financement. Il faut opposer à la prétendue nécessité naturelle l’idée de profiter pleinement du progrès de l’allongement de l’espérance de vie en bonne santé, en développant  des activités sociales libres.

Avec la productivité nouvelle de la révolution informationnelle et son originalité, on peut réduire le temps de travail dans tous les moments de la vie : par l’accroissement du temps de formation initiale avant de travailler, la réduction des horaires pour la vie de travail, avec l’augmentation  de la formation continue ou des activités hors travail, et un allongement du temps de retraite pour des activités sociales libres, culturelles, politiques, associatives, etc., qui se développent déjà d’ailleurs. Ce changement du modèle culturel de la retraite participerait à un autre type de société. Cela donnerait plus de force aux luttes sociales et cela contribuerait à une transformation de la civilisation.

On peut considérer une exemplarité de cette problématique de civilisation. Cela ne concerne pas seulement la domination des marchés financiers, pour d’autres financements, mais celle de tous les marchés.  Et cela concerne tous les moments  de la vie, pour une autre vie.

Le besoin de rassemblement à gauche pour sortir des souffrances sociales et transformer la société ne peut signifier une réduction des ambitions des propositionstransformatrices. Au contraire, face à la démagogie de Sarkozy sur les questions sociales, comme à propos de la dépendance, ou sur les questions  internationales, comme avec ses prétentions  pour la présidence du G.20, ou encore sur la sécurité, il faudrait créer une grande vague populaire, mobilisée par la réponse aux aspirations à une vie nouvelle pour chacun et soutenant des propositions précises et cohérentes dans ce sens. Bien sûr, les propositions  audacieuses doivent être inscrites dans le prolongement d’avancées immédiates. Cela concernerait la mise en place et le développement graduel d’institutions fondées sur le triangle : nouveaux objectifs sociaux, nouveaux moyens financiers, nouveaux pouvoirs. On viserait à maîtriser tous les marchés et même à commencer à les dépasser pour des avancées émancipatrices dans tous les moments de la vie et de civilisation.

A. En ce qui concerne le marché du travail,il s’agit d’avancer vers un système de sécurité d’emploi ou de formation.

Nous proposons de progresser par des mesures graduelles vers ce système. Pleinement réalisé, il assurerait, à chacune et à chacun, soit un emploi soit une formation rémunérée pour revenir par la suite à un meilleur emploi, avec une continuité de bons revenus et droits et avec des passages d’une activité professionnelle à une autre, des rotations emploi/formation,  maîtrisées par les intéressés.

Un système de sécurité d’emploi  ou de formation permettrait d’avancer vers l’éradication  du chômage, grâce à son dépassement. Ce « dépassement », selon un concept issu de Hegel et de Marx, signifie réussir à éradiquer le chômage, car on conserve sa force et un problème de fond auquel répond le chômage, c’està-dire le mouvement des activités et des techniques poussé par les suppressions  d’emploi, mais cela sans les maux économiques, sociaux et moraux du chômage. Cela résulterait du passage de l’emploi à la formation rémunérée. Cela s’oppose aussi bien à la « flexsécurité » prônée dans l’Union européenne  avec la domination écrasante de la flexibilité de facilitation des licenciements et des sécurités très limitées, qu’aux  rigidités et aux gâchis des garanties et attributions autoritaires d’emploi comme en Union soviétique.

Cependant, des mesures immédiates et progressant graduellement pourraient concerner : des améliorations radicales de l’indemnisation de tous les chômeurs  et de leur insertion dans de bons emplois, des moratoires des licenciements pour permettre des contre-propositions des salariés et de leurs organisations dans les entreprises avec des arbitrages, la généralisation de mises en formations avec conservation du salaire, en vue de bons reclassements des licenciés, de nouveaux contrats sécurisés, des conférences régionales et nationales de programmation de soutiens des emplois et formations, et enfin un service public d’emploi et de formation avec affiliation de tous les actifs dès la fin de l’obligation scolaire ou de la scolarité effective.

Est-il possible d’aller dans ce sens et avec quelles forces ? Des points d’appui existent. C’est d’abord la montée des idées nouvelles, surtout dans les syndicats. La proposition de Sécurité d’emploi ou de formation par le PCF a contribué, avec d’autres influences, au projet de Sécurité sociale professionnelle de la CGT. Et ce dernier, avec d’autres influences,  a contribué au consensus de tous les syndicats sur la « sécurisation des parcours professionnels », expression reprise de façon démagogique même à droite. C’est ensuite une série de mesures, certes très réduites et refoulées, mais tendant à aller dans ce sens, comme les trop petites mesures de conservation du salaire dans certains cas pour des licenciés pendant un an avec mise en formation, dont notamment la CFDT souhaite l’extension très considérable

B. Pour les marchés monétaires et financiers, nous proposons un autre crédit pour l’emploi et une monétarisation des dettes publiques pour l’expansion des services publics.

Pour un nouveau crédit, il s’agit d’un crédit bancaire avec des taux d’intérêt très abaissés, jusqu’à zéro (et même négatifs, c’est-à-dire  avec des réductions  de remboursement) pour des crédits à long terme pour les investissements  réels, matériels et de recherche, avec des taux d’autant plus abaissés que sont créés de bons emplois et formations. Cela se réfère à une construction sur quatre niveaux :

1. Le niveau local et régional, avec des Fonds publics régionaux, de prise en charge de tout ou partie des intérêts, pouvant être saisis par les travailleurs à l’appui de leurs propositions dans les entreprises.

2. Le niveau national avec un pôle financier public, regroupant les institutions  financières publiques  ou parapubliques et socialisées y compris certaines nationalisations de banques. Il pourrait inclure en France la Caisse des dépôts, la Banque postale, les banques mutuelles, les caisses d’épargne et certaines banques qui seraient nationalisées. Ce pôle public serait lui aussi ouvert aux saisines des travailleurs et de leurs organisations.

Pour ces deux premiers niveaux, on peut déjà avancer en France, même si le troisième est le plus décisif.

3. Le niveau zonal comme celui de la Banque Centrale Européenne, qui, au lieu d’être  indépendante doit être contrôlée démocratiquement, depuis les parlements européens et nationaux et depuis les interventions   des travailleurs  et de leurs syndicats. La BCE, par sa création monétaire, refinancerait les banques  ordinaires  pour le nouveau crédit.

4. Le niveau du monde. Outre une transformation démocratique de la Banque mondiale, cela concerne une refonte du FMI et de ses opérations. Il s’agit de sa démocratisation, avec la suppression de la minorité de blocage des États-Unis sur les votes importants. Et une véritable monnaie commune mondiale, pour s’émanciper du dollar, serait instituée à partir des Droits de tirage spéciaux du FMI ou DTS. On viserait, avec une création monétaire de DTS puis de cette monnaie commune, allouée en fonction des besoins des différentes populations,  un refinancement des banques  centrales pour le nouveau crédit.

Une seconde transformation fondamentale concernerait, pour l’expansion des services publics, la prise de dettes publiques par la création monétaire des banques centrales et par le FMI nouveau, avec la monnaie commune mondiale. L’enjeu consisterait en des prises systématiques pour financer une expansion massive des services publics, en convergeant vers l’instauration de Services ou Biens publics et communs de l’humanité. Déjà, nous avons pu proposer face à la crise des dettes publiques  européennes  et de l’euro, pour faire reculer l’appel aux marchés financiers du nouveau Fonds de stabilisation financière, une prise systématique de ces dettes par la BCE, en liaison avec un Fonds européen de développement social, pour l’expansion des services publics en coopération dans l’Union européenne.Ici aussi, il existe de nombreux points d’appui : depuis la mise en place de Fonds publics régionaux par les majorités  de gauche dans quelques régions, quoique utilisés seulement jusqu’à présent pour des aides traditionnelles aux entreprises. Jusqu’au début de changement important de la BCE acceptant, à l’opposé du tabou antérieur, de prendre des titres de dette publique européens quoique sans finalité sociale mais pour les créanciers. Ou encore la proposition de la DGB, la centrale syndicale allemande, allant dans le même sens que notre proposition concernant la BCE et le Fonds de développement  social européen ; ou enfin la proposition chinoise d’une autre monnaie de réserve internationale  que le dollar, soutenue par le Brésil et la Russie.

C. En ce qui concerne le marché des productions, de nouveaux critères de gestion « d’efficacité sociale » des entreprises  pourraient faire reculer les critères de rentabilité, en dépassant ces critères synthétiques décentralisés, dans une mixité conflictuelle et évolutive.

À l’opposé de la rentabilité « profit/capital », on combinerait économie de capital et dépenses de développement des êtres humains. On s’appuierait sur des critères d’efficacité du capital : « valeur ajoutée/capital ». Sur la base de l’élévation de cette efficacité du capital en valeur ajoutée, avec moins de besoins de profits pour faire grandir le capital, on pourrait viser à élever la « valeur ajoutée disponible » pour les travailleurs et la population : salaires, dépenses  de formation, prélèvements publics et sociaux, tout en soutenant la réduction du temps de travail. Cela s’articulerait à des droits nouveaux des travailleurs et de leurs organisations pour intervenir dans les gestions. Cela pourrait être stimulé avec une politique concertée industrielle et des services, une démocratie participative pour une planification stratégique et incitative.

Cela s’appuierait notamment sur la montée dans les entreprises des luttes pour des contre-propositions, contre les licenciements,  les délocalisations  et les restructurations de destructions d’emplois. Cela s’appuierait aussi sur la montée des exigences d’une véritable politique industrielle concertée, depuis les syndicats comme la CGT, jusqu’à la démagogie des promesses présidentielles dans ce sens.

Face à la gravité des défis écologiques,  de simples taxations et subventions ou des objectifs de réduction, comme pour les émissions de CO2, sont insuffisants.

Ils sont contrecarrés par les productions installées et les gestions des grands groupes. Les limitations, régle-mentations et objectifs devraient donc être articulés à ’autres critères de gestion visant notamment à économiser les moyens matériels. Ils seraient aussi reliés à des refontes systématiques des types de production et de consommation, impulsées par des services publicsnationaux de l’environnement, coopérant au plan international, zonal et mondial, à l’opposé des illusions sur le capitalisme vert et des détournements  de ses récupérations du besoin d’un autre développement.

D. En ce qui concerne le marché mondial, avec des mesures de maîtrise et de compensation des dissymétries des échanges et des délocalisations, des accords de coopération permettraient des réciprocités.  

On remplacerait l’Organisation Mondiale du Commerce par une Organisation de Coopération et de Maîtrise du commerce mondial pour le co-développement. De nouveaux accords internationaux, des joint-ventures nouvelles, ou co-entreprises, et des accords de développement en commun pourraient s’opposer aux dumpings monétaires, fiscaux, écologiques,  avec des protections négociées. Ils s’opposeraient aussi aux dominations d’états et des multinationales des zones de libre-échange, transformées en zones de coopération, avec également des coopérations interzonales du type « euro-méditerrannée » profondément démocratisées.

Tout cela se relierait à la promotion de Services ou Biens publics et communs de l’humanité, dans les différents domaines économiques et non-économiques.

Pour finir, il convient d’insister sur le fait que l’on ne peut réussir à maîtriser et à commencer à dépasser les marchés  pour une nouvelle vie, sans l’avancée de nouveaux pouvoirs de démocratie participative et d’intervention, aux différents niveaux, et d’une nouvelle culture de partages pour animer les nouvelles institutions.

Évidemment, toutes ces propositions doivent pouvoir être débattues pour ce que l’on a appelé un programme populaire et partagé. Ce débat ne peut se limiter aux sommets et aux directions d’organisations, ni se perdre dans des phrases générales et un « supplément d’âme ». Il doit pouvoir se démultiplier, sur des points précis, avec le plus possible de citoyens et de militants associatifs, syndicalistes et politiques, en liaison avec les luttes  et les aspirations  populaires.  C’est  le sens que je vois dans ces rencontres  organisées par le Parti communiste français pour débattre bien au-delà de ses rangs. Comme économiste marxiste, travaillant sur ces questions, je pense, pour ma part, que les communistes ont une responsabilité particulière dans l’organisation des discussions  et pour porter, en coopération avec bien d’autres, mais sans effacer des questions décisives, ces propositions  pour avancer vers une autre société. Une société où, à l’opposé du travail contraint et du chômage, prédomineraient les activités créatrices de chacun, pour une nouvelle civilisation. 

(1) Lors des « rencontres nationales du projet » des 26-27-28 novembre derniers, organisées par le PcF et largement ouvertes à de nombreux intellectuels, syndicalistes, experts et militants progressistes, Paul Boccara a prononcé cette intervention.

 

Pour des avancées des théories hétérodoxes ou critiques

Par Paul Boccara, le 01 décembre 2010

Pour des avancées  des théories hétérodoxes  ou critiques

La crise financière formidable de 2008 et la grande récession mondiale de 2009 manifestent un tournant d’aggravation de la crise du capitalisme mondialisé.

Face à cela, on assiste au retour de la problématique des crises et de l’insuffisance périodique de la demande globale, constituant une sorte de tronc commun des théories économiques dites hétérodoxes contestant les élaborations néoclassiques et leur apologie des marchés.

 Tournant dans la crise du système capitaliste mondialisé, actualité du tronc commun des théories hétérodoxes sur les crises, besoins de théorisation au-delà 

À l’opposé des illusions théoriques sur l’équilibrage du système, devenues dominantes avant la crise planétaire de 20082009, Paul Krugman, prix dit Nobel d’économie en 2008, publie en 2009 un ouvrage intitulé The Return of Depression Economics and the Crisis of 2008, traduit en français sous le titre : « Pourquoi les crises reviennent toujours ? ». Il y oppose à la déclaration de Robert Lucas, prix Nobel d’économie en 1995, selon laquelle « le principal problème de la prévention de la dépression a été résolu en pratique » et à ce qu’il appelle « la doctrine fanatique » de l’économie de l’offre, « les insuffisances de la demande globale », selon l’expression keynésienne (ouvrage cité, page 13 et 192). Cependant, derrière l’éclatement de l’insuffisance de la demande globale, il y a l’opposition entre capital et travailleurs salariés ainsi que la suraccumulation des capitaux.

Keynes avait évoqué dans la Théorie Générale les « excédents de capital fixe et de marchandise » à propos des crises et de la phase descendante de la conjoncture où « l’efficacité marginale du capital peut s’effondrer » (Théorie  Générale de l’Emploi, de l’Intérêt et de la Monnaie, [1936], Payot, Paris, 1959, p. 332). Marx avait déjà parlé de la « suraccumulation de capital », excessivement accumulé par rapport aux limites du profit, en relation avec les crises de surproduction de marchandises (Le Capital, éditions Sociales en livre de poche, Livre III, p. 245). Cette suraccumulation résulterait, selon notre analyse néo-marxiste,  après une phase de croissance de la production et de l’emploi aboutissant à une montée des salaires (et de la consommation salariale) contre le profit, à la réponse capitaliste du remplacement accéléré de salariés (exploités pour le profit) par des machines-outils. En effet, les machinesoutils remplaçant les mains des travailleurs caractérisent la révolution industrielle dont le développement conditionne la productivité du système capitaliste. D’où l’excès d’accumulation en machines et en moyens matériels, en liaison avec une inflation de crédits, et donc de production en volume et en prix, par rapport à l’insuffisance finale de la consommation salariale et les difficultés ou les chutes de la rentabilité des capitaux. Alors des masses de capitaux voient leur mise en valeur supprimée ou réduite et le chômage se développe.

Cela concerne des crises cycliques, avec phases de croissance puis crise, dépression et reprise. Cependant, alors que les marxistes contemporains peuvent distinguer, avec un autre grand hétérodoxe Schumpeter, les cycles dits de Juglar de moyenne période, de 7 à 12 ans, et les cycles dits de Kondratieff de longue période, de 48 à 60 ans, ces derniers ne sont par pris en compte par Keynes. Ces grands  cycles comportent une longue phase de tendance ascendante et une longue phase de tendance aux difficultés. Cette dernière correspond à une crise systémique du capitalisme, comme celle de l’entredeux-guerres mondiales, ou encore la crise systémique actuelle, dont la longue phase de tendance aux difficultés serait indéfiniment allongée. Or, précisément, l’analyse de Keynes dans la Théorie Générale de 1936 se rapporte plus particulièrement à la crise systémique de l’entre-deux guerres et à des propositions pour en sortir. Cela se relie d’ailleurs à sa mise en évidence du  « chômage involontaire », contrairement aux théories néoclassiques dominantes.

Au fond des crises systémiques du capitalisme, on aurait une suraccumulation très grande et relativement durable des capitaux dans la production, avec du fait des technologies particulières dominant dans la phase ascendante, une élévation devenue tout à fait excessive du rapport capital/produit en termes néo-keynésiens ou en termes néo-marxistes, une élévation de la composition organique des capitaux, ou rapport capital constant/ valeur ajoutée, devenue si importante que l’élévation du taux de plus-value ne peut plus la compenser pour relever le taux de profit. À cette suraccumulation si importante et relativement durable répondent, dans la crise systémique, la progression très forte de l’accumulation financière et aussi de nouvelles technologies. Ces nouvelles technologies tendent à économiser le capital matériel, diminuant le rapport capital/produit ou la composition organique des capitaux. Cela entraîne en plus de l’économie massive du travail direct dépensé dans la production, l’économie considérable du travail contenu dans les moyens matériels, fixes ou circulants en contribuant ainsi au chômage massif.

Tandis que Keynes, à l’opposé de Schumpeter, ne se réfère pas aux cycles de longue période de Kondratieff, il y est pleinement confronté et ses propositions politiques ont contribué précisément à une nouvelle longue phase ascendante. Notons d’ailleurs que le néoclassique Hayek, dans son avant-propos de 1975 à la traduction française de son ouvrage de 1931, se rapportant aux crises, Prix et Production, après qu’il ait reçu le prix Nobel, se heurte lui aussi en fait à la question des fluctuations cycliques de longue période. Dans cet avantpropos, il a en effet dû déclarer que l’accroissement de la dépense publique sous l’influence des idées de Keynes, à l’opposé de ses propres conceptions sur les dangers de l’excès de consommation et la sous-épargne, avait pu favoriser la croissance pendant « un quart de siècle ». Il précisait qu’il s’était agi d’une « politique… qui, je l’admets, disait-il, réussit plus longtemps que je ne l’attendais à maintenir la prospérité et le pleinemploi »  (Friedrich Von Hayek, Prix et Production, Calmann-Lévy, 1975, pp. 55-56). Par parenthèse en 1974, le nouveau prix dit Nobel d’économie avait été accordé conjointement à Gunnar Myrdal, auteur d’une théorie sous-consommationniste strictement opposée à la théorie sur-consommationniste de Hayek (voir G. Myrdal, L’équilibre  Monétaire, 1931, librairie de Médicis 1950). Alors qu’entre surconsommation  initiale et sous-consommation finale du tournant du cycle vers la crise, il y aurait l’élévation du rapport capital/ produit accompagnée de l’inflation de crédit.

Cependant, encore à l’opposé de Schumpeter ou des marxistes,  Keynes,  s’il mentionne l’importance de la technique, ne précise pas du tout son analyse et son rôle dans le système et dans les mouvements cycliques. Et cette lacune est particulièrement  grave de nos jours alors que les mutations technologiques sont colossales dans la crise systémique en cours. D’où le besoin d’avancer sur cette question.

Par ailleurs, alors que Keynes analyse l’insuffisance de la demande globale de façon dualiste et non sous-consommationiste, en insistant sur l’insuffisance de la demande d’investissement et de la demande de consommation, notre analyse néo-marxiste ne se limite pas non plus à propos des crises à l’insuffisance de la consommation. Cette analyse insiste sur le fait qu’on est sorti de la crise du capitalisme de l’entre-deux guerres par des transformations institutionnelles du système, permettant notamment de relever la demande en investissements, en faisant reculer l’exigence  de rentabilité dans les secteurs lourds en capital fixe, grâce à leur régulation étatique, et en permettant aussi de relever la consommation publique, sociale et personnelle.

C’est le développement du secteur public dans ce que l’on a pu appeler l’économie mixte et du Welfare State ou encore le capitalisme monopoliste d’état social. Cela a concerné tout particulièrement la production, avec les nationalisations en Europe ou les Public Utilities aux états-Unis, permettant la relance de la rentabilité et de l’accumulation des grands groupes privés monopolistiques, par leurs apports en volume et en prix et par leur demande. Et cela a concerné aussi le financement et le système bancaire ainsi que des progrès sociaux avec le développement des services publics et l’institution de la Sécurité sociale. Mais après une longue phase de croissance, nous sommes entrés vers 1967-1974, dans une nouvelle crise systémique, mettant notamment en cause l’importance du secteur public avec les privatisations, avec un allongement indéterminé de la longue phase de tendance aux difficultés.

Déjà, pour sortir de la dépression des années 1930, Keynes avait proposé la solution de l’investissement public, en soulignant qu’il n’exigeait pas une efficacité marginale du capital (analogue aux taux de rentabilité marginale), contrairement à l’investissement privé. Et il avait insisté sur « l’élargissement  des fonctions  de l’état », à l’opposé du « laisser-faire », pour sauver le système ou « comme le seul moyen d’éviter une complète destruction  des institutions  économiques actuelles » (Théorie Générale, ouvrage cité, p. 294).

Or précisément, le profond tournant de 2008-2009 dans la crise systémique  en cours consiste à la fois dans l’ébranlement  du système par l’éclatement  du surendettement et de l’énorme suraccumulation financière et aussi dans les très importantes interventions étatiques nouvelles. L’éclatement des surendettements privés a entraîné l’aggravation extrême des défis de la suraccumulation durable. Les surendettements  des ménages,  des entreprisses,  des banques  et de l’état avaient pu, du moins dans une certaine mesure, compenser l’insuffisance de la demande globale, mais leur excès a éclaté relançant gravement cette insuffisance. Cela renvoie à l’analyse d’Irving Fisher pour 1929 et les années 1930 sur l’éclatement du surendettement et la déflation consécutive des dettes, à laquelle certaines analyses se réfèrent d’ailleurs récemment (Irving Fisher,« The Debt Deflation  Theory and the Great Depression »,Econometrica, 1933).

On a également la remontée des interventions étatiques très importantes de 2008 à 2010 pour sauver les banques et le système lui-même. Et à l’opposé des années 1930, on a assisté à l’amplification  considérable de l’endettement public, pour contrecarrer les difficultés de l’endettement privé des ménages, et à la formidable création monétaire des banques centrales, de la Federal Reserve à la BCE.Ce défi des interventions étatiques nouvelles renvoie encore au tronc commun des théories hétérodoxes, insistant non seulement sur les institutions, en relation avec les contradictions  des relations sociales, mais aussi sur le rôle de la régulation publique, de la politique et des états dans l’économie.

Toutefois, de même que pour les innovations  technologiques, il y a de nos jours des nouveautés profondes. Cela consiste notamment dans le caractère interétatique des interventions  publiques,  en liaison avec l’internationalisation desinstitutions économiques et la mondialisation de la salarisation, l’industrialisation, de la finance, et du système capitaliste lui-même. Tout cela rend nécessaires, sur la base du tronc commun des hétérodoxes et de leurs avancées authentiques  souvent négligées, des rapprochements pour débattre de nouvelles avancées possibles des théories hétérodoxes ou disons des théories critiques.

Avancées souhaitables et rapprochement des théories hétérodoxes ou critiques à partir de l’originalité de la crise  systémique actuelle du capitalisme mondialisé

La problématique de ces débats  pour des avancées nouvelles pourrait concerner au moins trois ensembles de questions, en liaison avec la dimension  proprement systémique des analyses. Ce serait :

1. Les énormes transformations technologiques en cours et leur portée économique.

2. Les transformations  profondes  corrélatives des marchés et la mondialisation du capitalisme

3. L’articulation des problèmes économiques aux dimensions politiques et culturelles des institutions et à la crise de civilisation.

Face à la conjonction  de la crise systémique originale et de la crise de la pensée économique dominante, on ne peut se contenter de défendre un minimum d’acquis des théories hétérodoxes, ni, bien sûr, de protéger une sorte de pré-carré de références critiques aux relations sociales, aux institutions,  à la sociologie et aux sciences politiques. Au-delà de la juste insistance traditionnelle des théories hétérodoxes sur les structures sociales et notamment sur la relation fondamentale du salariat capitaliste, il convient de développer les analyses sur l’ensemble des paramètres du système économique.

Ce système comprendrait trois ensembles interdépendants :

 les structures des rapports socio-économiques ;

 les opérations technologiques des productions  matérielles et des services ;

 la régulation du système, les règles du marché, les régulateurs, comme le taux de profit, les réglages des gestions et des politiques économiques.

D’ailleurs, profondément différente de l’école de la régulation parisienne, de Boyer, Aglietta et autres, l’école de la régulation que j’ai initiée quelques  années auparavant, dès 1971, et à laquelle se rattachait Aglietta à ses débuts, se proclame école de la régulation systémique. Elle insiste tout particulièrement sur l’analyse des deux derniers ensembles du système, opérations technologiques et régulation, ainsi que sur leurs dimensions historiques. Cette théorie de la régulation systémique articule, notamment, à la régulation du capitalisme passant par des crises de suraccumulation, les cycles de longue période, se manifestant jusqu’à nos jours du moins. Au-delà de son insistance sur les conditions du taux de profit global, elle analyse le rôle des critères de gestion de rentabilité économique et financière des entreprises [P. Boccara, « Théories de la régulation et suraccumulation-dévalorisation  du capital », Issues, 3e  rimestre 1988 ; 1er et 2e trimestre1989] ; [B. Jessop, « Regulation Theories in Retrospect and Prospect », Economies et Sociétés, vol 23,1989].

Notre analyse néo-marxiste des fluctuations cycliques de longue période, leur récurrence, leur périodicité, leur irréversibilité, renvoie précisément, non seulement aux transformations de la structure  sociale, mais à celles du sous-système technologique et, à propos de la périodicité, à l’évolution des conditions démographiques [P. Boccara, « Cycles longs, mutations technologiques et originalité de la crise de structure actuelle », Issues, 2e (2 et 3 trimestre 1983].

Par parenthèse, à l’opposé des fonctions de production néoclassique de type y = F (K, L), et de la mathématisation d’équations irréalistes, comme avec des séries de variables indépendantes,  telles que dans cette fonction de production le capital K et le travail L, l’analyse systémique devrait reposer sur des systèmes de ratio correspondant à la réalité concrète. Il s’agit de ratios de type K/L ou encore capital/produit, correspondant aux technologies effectives, en relation avec les rapports sociaux de production, de circulation, de répartition, et de consommation. Il s’agit aussi des évolutions de ces ratios, des limites de leur élévation et de leur retournement cyclique en liaison avec les ratios des relations sociales et ceux des régulateurs comme le taux d’intérêt ou le taux de profit.

Dans ces conditions, il s’agit, tout d’abord, d’insister sur le besoin d’avancer sur les transformations des opérations technologiques, si considérables de nos jours et aussi des bases techniques des régulations sociales. Ces transformations sont si importantes qu’on peut, par hypothèse, parler à leur propos de véritables révolutions techniques, conditionnant l’originalité de la crise du système et sa radicalité, comme on avait déjà parlé de la révolution industrielle à propos du développement du système capitaliste.

Il s’agit de la révolution informationnelle, de la révolution monétaire et de la révolution écologique.

La révolution informationnelle succède à la révolution industrielle et permet son achèvement. Il s’agit de son achèvement au plan technologique,  avec les processus d’automatisation complète, et au plan géographique avec la mondialisation de l’industrialisation. Tandis que la révolution industrielle développe le remplacement de la main des travailleurs par les machines-outils,  on assiste à un remplacement de certaines opérations du cerveau sur les informations,  comme avec les ordinateurs, dans les nouveaux moyens matériels.

Et surtout,  désormais, les informations,  comme les résultats d’une recherche, tendent à devenir prédominantes, plus importantes que les machines,  dans la production. Or une même information, comme le résultat d’une recherche, à la différence d’une machine qui est ici ou là, base de sa propriété privée capitaliste, peut être partagée jusqu’à l’échelle du monde entier.

Une implication fondamentale est la récupération de ce partage par le capital privé monopolistique, face à la suraccumulation des entreprises publiques. Avec la remontée de l’idéologie du libéralisme, cela va favoriser la privatisation,  avec l’expansion des entreprises multinationales. En effet, une entreprise privée multinationale peut bien davantage partager les coûts informationnels (de recherche, et aussi de distribution, de publicité…) qu’une entreprise publique purement nationale. Avec la maîtrise des transferts informationnels mondialisés des technologies,  cela va favoriser l’industrialisation du monde entier et la salarisation massive, avec la montée formidable des pays émergents. Cependant, à l’opposé de partages généralisés devenus possibles, les entreprises multinationales  privées tendent à mettre en concurrence les salariés du monde entier et développent aussi la concurrence entre elles.

La révolution informationnelle, avec notamment l’automation, va élever fortement la productivité du travail direct et aussi des capitaux matériels. Ainsi, nous avons de nouveau une tendance à la baisse du rapport capital/produit  avec les économies de capital matériel fixe et circulant. On pourrait, à ce propos, prendre en compte les graphiques  sur plusieurs pays analysés dans mon livre de 2009, Transformations et Crise du Capitalisme Mondialisé. Quelle Alternative ?  (Boccara, 2009, p. 92). Il faudrait en outre considérer les économies de matières et d’énergies, tout particulièrement pour les services qui progressent très considérablement. Toutefois, l’évolution serait en partie différente pour des pays émergents, comme la Chine, en raison de la montée de l’industrialisation.  Avec les économies de travail direct et de travail contenu dans les moyens, c’est de nouveau la tendance au chômage massif durable, avec en outre, en raison des à-coups technologiques, la prolifération de la précarité des emplois.

À cette révolution informationnelle est intimement liée la révolution monétaire, de décrochement presque complet de la monnaie par rapport à l’or. Cela s’est opéré par décrochements  successifs, de 1971-1973 (avec l’inconvertibilité  du dollar en or) à 1979-1982 (avec les ventes d’or des banques centrales et la nouvelle politique monétaire des États-Unis et d’abord la forte élévation des taux d’intérêts en dollars). La révolution monétaire a contribué à une création monétaire effrénée, tout particulièrement en dollars, à la montée extraordinaire des crédits pour les marchés financiers, aux énormes endettements et à la spéculation. Le dollar est devenu la monnaie mondiale de fait. Et cela a permis l’endettement public international formidable des États-Unis.

Il faut enfin considérer la révolution écologique. Elle a trois dimensions : la tendance à l’épuisement  des ressources naturelles traditionnelles comme des ressources énergétiques  fossiles, les pollutions devenues intolérables pour la santé, jusqu’aux  graves risques du réchauffement climatique, et enfin les nouveaux domaines écologiques, de l’espace à la profondeur des océans, aux biotechnologies et aux nanotechnologies.

Cela entraîne des majorations de coûts nouvelles mais aussi des besoins de reconversions fondamentales des productions et des consommations ainsi que de coopérations internationales intimes.

Tout cela renverrait aux besoins de rapprochement et même de coopérations  des économistes  avec les spécialistes des technologies et de leur sociologie, tout particulièrement pour les nouvelles  technologies  de l’information et de la communication, ainsi qu’avec des spécialistes de l’écologie, ou encore avec les historiens spécialisés sur ces questions.  D’un autre côté, selon une orientation  plus classique mais à développer considérablement, il s’agirait, à propos des institutions, d’avancer sur leurs dimensions non économiques, que j’appelle anthroponomiques. Cela se rapporte à la combinaison dans le système de civilisation occidentale du système économique capitaliste et du système anthroponomique du libéralisme. Cette civilisation occidentale est aujourd’hui mondialisée et sa mondialisation est un facteur de sa crise radicale. Cela concernerait non seulement les dimensions institutionnelles et politiques de la société mais aussi les problèmes culturels, les valeurs éthiques, les comportements familiaux avec leurs spécificités propres, les affrontements violents et les guerres, etc. Cela exigerait des relations développées avec les travaux des chercheurs concernés, à l’opposé de l’impérialisme économiciste néoclassique et notamment des théories dites d’anticipation rationnelle et de calculs de type économique sur ces questions. 

(1) Première partie d’une communication au  premier congrès de l’Association Française d’Economie Politique, Lille, 9 décembre 2010. La deuxième partie sera publiée dans le prochain numéro.

 

révolution de la longévité : pour une réponse solidaire et efficace Sarkozy en route pour une nouvelle « réforme »

Par Mills Catherine , le 30 novembre 2010

révolution de la longévité : pour une réponse solidaire et efficace       Sarkozy en route pour une nouvelle  « réforme »

Ce premier article sera suivi dans le numéro suivant de notre revue par un dossier approfondi sur la réforme de la dépendance.

Après les retraites, N. Sarkozy s’attaque au dossier de la dépendance. Cette réforme devrait déboucher sur la création « d’un cinquième risque ». Le coût de la dépendance est estimé à 22 milliards d’euros, autour de 1% du PIB par an et il devrait atteindre 30 milliards dans les prochaines années.

Le nombre des plus de 75 ans devrait doubler au cours des prochaines décennies. Le nombre de bénéficiaires de l’APA (Allocation personnalisée à l’autonomie) qui était de 700 000 en 2002 pourrait atteindre1,6 million de personnes en 2040. Deviendraient dépendants 15 % d’une génération atteignant l’âge de 65 ans et 60 % d’une génération atteignant90 ans.

La volonté de la droite et du patronat consiste à remplacer une démarche solidaire où chacun cotise en fonction de ses moyens et reçoit en fonction de ses besoins par une démarche assurantielle individuelle où chacun épargne en fonction de ses possibilités et reçoit à due proportion de cette épargne. Ainsi il s’agirait d’ouvrir en grand la prise en charge de la dépendance aux assureurs privés, en accélérant une protection sociale à 2 vitesses, éclatée entre assistance pour les plus modestes et assurance pour les plus aisés. Aussi le rapport de la députée UMP Valérie RossoDebord est – il un plaidoyer en faveur du recours à l’assurance privée. Elle propose de rendre obligatoire dès cinquante ans la souscription d’une assurance.

Alors que la réforme des retraites va se traduire par des pensions « peau de chagrin », et inciter à des retraites privées par capitalisation, le rendez-vous de 2013 vise à une transformation systémique de la retraite. Avec la privatisation de la prise en charge de la dépendance, les perspectives s’avèrent potentiellement juteuses. Les assureurs et les groupes privés de retraite ne s’y sont pas trompés. Notamment Guillaume Sarkozy, reconverti dans le secteur assurantiel, s’est mis sur les rangs avec son groupe privé Malakoff Mederic.

Quelles propositions alternatives ?

Nous avançons la proposition d’un service public des personnes âgées, ainsi qu’un financement solidaire et efficace de la dépendance.

 Il s’agit  de favoriser le maintien à domicile  avec les services d’aides  et de soins nécessaires,  tout  en développant les structures publiques d’accueil. Ce qui exigerait une coordination au niveau des communes et des départements, ainsi qu’une politique de formation, de créations d’emplois correctement rémunérés.

 Ce nouveau service public assurerait la sécurisation de tous les moments de la vie, des emplois des seniors à la promotion des activités sociales créatrices, libres et choisies des jeunes retraités jusqu’à l’autonomie des très âgés avec leur soutien et l’accompagnement des familles.

 Le développement des financements solidaires dans le cadre de la sécurité sociale est essentiel.

Ainsi pourrait-on proposer un taux de cotisation supplémentaire spécifique, lié à l’entreprise, lieu où se créent les richesses, pour ce nouveau besoin.

Une affectation du produit de la cotisation nouvelle sur les revenus financiers des entreprises et des banques, ainsi qu’une nouvelle contribution de solidarité portant sur les revenus financiers des ménages les plus riches.

Cela nécessite d’imposer, dans les entreprises  comme dans le secteur public, d’autres critères de gestion et des nouveaux pouvoirs pour les salariés et les citoyens, pour sécuriser et développer l’emploi, la formation et les salaires, base des rentrées de cotisations.

La question de l’autonomie et de la solidarité face à la dépendance, notamment des personnes âgées, constitue un véritable enjeu de civilisation. 

(1) dernier ouvrage paru : michel Limousin et catherine mills, La protection sociale en danger. état des lieux et stratégie pour une alternative, Le Temps des cerises,  2010. 2è ed cf.  notamment ch. 5.

Le « paradis de la libre entreprise » entre en enfer

Par Galano Jean Michel , le 30 novembre 2010

Le   « paradis de la libre entreprise » entre en enfer

L’histoire de l’Irlande contemporaine est celle d’une lente et difficile prise d’autonomie par rapport à la Grande-Bretagne, puissance coloniale. Indépendance tronquée du fait de la partition du pays, qui a coupé l’« état libre » (devenu République en 1924) de son Nord industriel. Si la République a pu au fil des années mettre à son actif un certain nombre de réussites en matière de protection pour les minorités, de droits individuels, d’éducation surtout, elle est restée très en retard dans le domaine économique e

Une île derrière une île » (Taine), elle a longtemps été dans l’impossibilité de rompre le tête à tête avec la Grande-Bretagne, et quand les classes dirigeantes, nationalistes  mais fortement liées à la finance et à la bourgeoisie rurale ont enfin été aux affaires, elles ont eu recours à des choix qui étaient ceux du conservatisme social et de la facilité économique.

La plus ancienne colonie du monde

Les Anglo-saxons débarquent en Irlande et s’y installent au xiie siècle. L’Amérique est encore inconnue et l’Irlande est déjà une colonie. Ce pays va connaître  ce qui est le lot de tous les pays colonisés : pillage de ses matières premières, saccage de sa culture, stagnation économique… L’Irlande, considérée comme peu productive du point de vue agricole, sera essentiellement vouée à l’élevage des moutons et par la suite aussi des bovins. Ses ressources naturelles  dans le domaine de la pêche et de la forêt ne seront jamais véritablement mises en valeur. Surtout, l’île va être cantonnée dans une double fonction d’arrière-cour politique et celle de réservoir de main d’œuvre :

-Arrière-cour politique : Pendant les siècles de la colonisation, c’est en Irlande que seront déplacés les esprits turbulents et contestataires de Grande-Bretagne : le meilleur exemple est sans doute celui de Swift, qui y fut

« hazebroucké » (1) doyen de la cathédrale protestante de St Patrick, et qui se solidarisa avec ce peuple dont il voyait la misère. Le célèbre pamphlet « A Modest proposal… » (2) où il suggère aux Anglais de manger les petits Irlandais, eux qui ont déjà affamé leurs parents, est à cet égard hautement significatif.

Réservoir de main-d’œuvre : En effet, plus que les taudis de Glasgow, l’Irlande s’impose à la réflexion des Européens (Marx ne sera pas le dernier à y réfléchir) comme cet endroit où prolifère une vie humaine dépourvue de tout : pas de droits, pas de dignité, grouillement terrible et choquant. Toutes  les misères, épidémies, faim, alcoolisme,  s’y concentrent. Seul référent identitaire, l’église catholique,  qui a toujours joué un rôle ambigu, se faisant tantôt l’avocat des Irlandais auprès de l’establishment, tantôt défendant avec véhémence son « pré-carré » parmi eux, tandis que Rome était surtout soucieuse de prendre appui sur l’Irlande pour reconquérir de l’influence en Grande-Bretagne.

L’Irlande a donc été, au fil des siècles, un objet et un enjeu plutôt qu’un peuple reconnu et traité d’égal à égal. Et le nationalisme  irlandais s’est nourri de trois apports contradictoires : d’une part, le catholicisme, et d’autre part une grande défiance à l’égard de la GrandeBretagne, enfin et très contradictoirement la volonté de garder vaille que vaille ses enfants sur son sol.

Le spectre de l’émigration

L’émigration est en effet une constante de la démographie irlandaise : la Grande Famine de 1830 (à l’occasion de laquelle les gouvernants de la Grande-Bretagne firent preuve d’un exceptionnel cynisme, revendant à prix d’or aux Irlandais le peu de pommes de terre qui avaient échappé à la maladie) a donné le signal de départ d’une émigration massive des survivants, d’abord en Grande-Bretagne même, puis aux états-Unis (dans une moindre mesure au Canada), puis en Australie, voire en Afrique du Sud. Immigration considérable aussi au point de vue qualitatif : de nombreux entrepreneurs, lassés des structures archaïques de l’économie irlandaise (prépondérance de la bourgeoisie rurale, de la petite entreprise, fragmentation extrême du marché) allèrent tenter l’aventure, souvent avec succès, de l’autre côté du Canal St Georges, voire de l’Atlantique. On insiste souvent sur cet aspect des choses, certes à bon droit : le niveau traditionnellement bon des établissements scolaires et universitaires fait que, maintenant plus encore qu’avant, de nombreux jeunes diplômés trouvent des emplois qualifiés et bien rémunérés dans les institutions européennes, dans la finance notamment : le cas de Francfort est souvent allégué. Oui, mais l’essentiel est ailleurs : l’émigration irlandaise reste fondamentalement ce qu’elle a toujours été, une émigration pauvre. Les jeunes non qualifiés ont rarement le choix, et maintenant que l’agglomération Manchester-Liverpool, au large de Dublin, n’est plus guère pourvoyeuse d’emplois, il leur faut aller plus loin… Notons par ailleurs que les Irlandais  émigrés en Grande-Bretagne ont traditionnellement eu la réputation d’être prêts à travailler pour n’importe quel salaire, fût-il de misère : le patronat britannique a su très habilement se servir d’eux pour contourner les statuts  et le droit du travail, divisant profondément la classe ouvrière britannique et faisant naître un sentiment anti-irlandais très fort… Beaucoup de jeunes Irlandais sans qualification, garçons et filles, alimentent en Grande-Bretagne un sous-prolétariat de la misère et de la prostitution.

« L’Irlande se vend bien »

Au début des années soixante, les milieux économiques irlandais, mais aussi l’essentiel des responsables politiques et même syndicaux, voient la croissance des autres pays européens galvanisée par l’aide Marshall (à laquelle l’Irlande ne peut prétendre). L’idée s’impose alors à beaucoup, y compris dans l’opinion, que pour enrayer une reprise de l’émigration, il convient de prendre des initiatives tendant à favoriser coûte que coûte l’activité économique et l’emploi. Le Premier ministre de l’époque, Sean Lemass, prend alors toute une série de mesures, notamment au plan fiscal, destinées à attirer en Irlande des entreprises  étrangères.  On peut dire que le pays va étrenner les premières délocalisations. Cette politique industrielle, dépourvue de tout lien avec une politique de qualification et de consolidation de l’emploi, et surtout de toute stratégie de remontée des filières, rencontre vite ses limites : attirées par les avantages fiscaux (deux ans nets d’impôts), les entreprises s’installent de façon éphémère, implantant essentiellement des activités de montage : c’est ainsi que dans les mêmes locaux, plus ou moins les mêmes ouvriers vont pendant deux ans monter des pianos, puis des sièges de voiture pour un équipementier automobile, puis conditionner des produits pharmaceutiques,  etc. Ces activités de montage se sont faites au détriment d’une recherche de reconstitution de filières : par exemple, alors que l’Irlande exporte une grande quantité de bétail sur pied (notamment vers les pays musulmans, d’où la prudence de sa diplomatie  au moment de la guerre du Golfe), elle est importatrice de conserves de viande…

L’« opportunisme économique » de l’ère Lemass a eu au moins deux conséquences importantes : la première est d’ordre social : des banlieues immenses se sont constituées à la périphérie des villes, sans réelle unité sociale, pour des travailleurs hantés par le spectre de la précarité. Les problèmes de drogue, d’alcoolisme, de violence, de grande pauvreté, sont tout à fait importants dans ces banlieues souvent repliées sur elles-mêmes.

La deuxième est, si l’on peut dire, morale : ayant imposé une vision de la société où la seule alternative à l’émigration est l’acceptation de « n’importe quoi », l’ère Lemass a généré chez une masse d’Irlandais une mentalité empreinte d’une sorte de pragmatisme désespéré : car il est bien vrai que, bon an mal an, une génération et demie d’hommes et de femmes ont pu ne pas quitter le pays, échapper au chômage, élever leurs enfants, construire une vie certes précaire et difficile, mais supportable et même honorable malgré tout…

Le tournant des années 1990

La désindexation de la livre irlandaise (le punt) par rapport à la livre anglaise, puis l’adhésion de l’Irlande à l’euro, ont été les signes forts d’une stratégie économique désormais de plus en plus orientée vers la finance et les activités spéculatives. Dès les années 1980, les services des banques et des organisations de crédit occupent une place de plus en plus visible dans les grandes agglomérations, et drainent une quantité considérable de salariés, eux-mêmes souvent de statut précaire. Adossée à une Grande-Bretagne réticente, l’Irlande fait figure d’élève zélée du libéralisme européen. Certains milieux médiatiques et syndicaux, voire politiques (le petit Parti Travailliste notamment, bientôt rejoint par la Democratic Left, aile droite d’une dissidence du mouvement nationaliste tombée dans l’économisme) commencent à théoriser l’idée  que l’Europe  est seule capable de créer le dynamisme économique, le « plein-emploi », avec la constitution d’une classe salariée centrée sur les activités « modernes », productrices de services et non de richesses. Quelques succès enregistrés dans le commerce extérieur (avec par exemple un excédent vis-à-vis de l’Espagne) mais aussi dans le tourisme,  ont un temps donné corps à cette théorie. Mais très vite, les contradictions inhérentes à un mode de croissance fondé sur le montage, l’opportunisme industriel et la spéculation se font ressentir : d’abord la faiblesse du niveau de vie et donc de la consommation, avec les conséquences déjà évoquées mais encore aggravées, les entreprises des secteurs économiques  traditionnels (brasseries, miroiteries, textile) se voyant de plus en plus massivement rachetées par des capitaux étrangers. Enfin, le développement  massif du « cheap labour » (3) a créé un véritable appel d’air pour l’immigration économique, phénomène absolument nouveau, amplifié par une législation très accueillante à l’égard des nouveaux arrivants et par les crises violentes consécutives au démembrement du bloc de l’Est : on a donc vu arriver en Irlande une masse de réfugiés venant du Kosovo, d’Albanie, etc., phénomène sans précédent, d’où le cortège habituel d’incompréhension, voire de racisme. On a vu aussi des milliers de jeunes Européens, notamment Français, se faire embaucher dans les industries de montage, notamment dans l’informatique, acceptant des contrats « off-shore » totalement inadmissibles pour les salariés irlandais. Certains  conservateurs cyniques le disent bien : « Nous sommes punis par où nous avons péché ». La pression fiscale, enfin, ne s’est jamais desserrée, et les lois de décentralisation votées par les différents gouvernements ont fortement aggravé les inégalités  entre les territoires,  mettant à mal le consensus républicain datant de l’Indépendance.                                                           

En d’autres termes, on peut dire que tous les fronts se sont retournés dans les années 1990-2000, au moment même où l’émigration reprenait, et alors que la croissance dopée par la financiarisation de l’économie européenne commençait à montrer ses limites. Quelques incontestables  progrès  réalisés au niveau des infrastructures (transports et distribution de l’énergie notamment) ne peuvent dissimuler la grande misère des industries portuaires, forestières et surtout des industries de transformation.  Le paradoxe est d’autant plus cruel que les formations techniques assurées dans les « vocational schools » sont le plus souvent de qualité.

La crise qui s’est  abattue sur « l’île  des saints et des sages » devenue  de façon éphémère « le tigre celtique » est tout le contraire d’un coup de tonnerre dans un ciel serein. Seules les élites autoproclamées  qui avaient, en Irlande plus qu’ailleurs, prêché les déréglementations et l’opportunisme économique, et les gouvernements qui les ont soutenues, ont pu en être surprises. 

(1) Expression se référant à un déplacement de magistrat à Hazebrouck qui fit scandale en son temps. (NDLR.)

(2) écrit par dr Jonathan Swift en 1729. (3) main d’œuvre bon marché.

Rapport Bockel / délinquance des mineurs : des mesures qui défient l'entendement !

le 04 novembre 2010

Dans le concours du « plus à-droite-tu-meurs » que se livrent les futurs ex-ministres pour exister coûte que coûte avant le futur remaniement, c'est au tour de Jean-Marie Bockel. Le secrétaire d'État à la Justice a remis hier au Président de la république un rapport sur la prévention de la délinquance des mineurs.

Parmi les principales mesures annoncées, le Secrétaire d''État propose pèle-mêle un repérage précoce des troubles du comportement chez l'enfant dès 2-3 ans ; la possibilité de suspendre les allocations familiales pour des parents qui ne parlent pas français ; le « coaching parental » ; des stages anti-violence pour les filles parce qu'elle « miment des conduites jusqu'à présent masculines ».

Du grand n'importe quoi ! Ce genre d'annonce pourrait même être risible si on évoluait dans un autre contexte politique. Malheureusement le pire est possible et il est à craindre que certains prennent au sérieux des mesures qui défient l'entendement.

Parti communiste français,

Jeudi 4 novembre 2010.

Existrans : la liberté ne se négocie pas !

le 22 octobre 2010

La marche revendicative de l'Existrans se déroulera samedi 23 octobre, à 14h à Paris, au départ du métro Barbès-Rochechouart. « Fier-es et révolutionnaires », collectif contre les discriminations LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) du PCF, apporte son soutien à cette marche.

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité » : le PCF soutient avec force et détermination tout ce qui participe de la liberté individuelle, en s'appuyant notamment sur le 1er article de la déclaration des droits humains, partie intégrante de la constitution, malheureusement encore trop peu respecté dans le cas des transgenres et intersexués.

Nicolas Sarkozy et son gouvernement semblent se contenter de déclarations solennelles, comme celle de Roselyne Bachelot, Ministre de la santé, le 16 mai 2009 sur la déclassification de la transsexualité en France. !

« Fier-e-s et révolutionnaires » demande la dépsychiatrisation réelle, qui laisse à chacun et à chacune la liberté de ses choix de vie et de son genre. Nous défendons aussi l'accès aux soins des trans les plus précaires, qui vivent encore plus durement leur condition, relégué-es à la marge d'une société bien trop souvent transphobe et hypocrite. Il y a urgence ! Une étude épidémiologique, couplée à une étude sociale, devra être menée le plus rapidement possible pour apporter des solutions.

Fier-es et Révolutionnaires apporte son soutien aux revendications du collectif Existrans : http://2010.existrans.org/

Parti communiste français,

Paris, le 22 octobre 2010.

Le PCF soutient l'occupation de la Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration par les travailleurs sans-papiers

le 07 octobre 2010

Depuis ce matin, des centaines de travailleurs et travailleuses sans-papiers occupent la Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration.

Après huit mois de grève, et l'occupation des marches de l'Opéra Bastille, 6800 travailleurs et travailleuses sans-papiers avaient obtenu un accord avec le ministère de l'immigration. Aujourd'hui, alors qu'un texte permettrait de régulariser tous ces travailleurs, les grévistes sont exclu-e-s de sa mise en œuvre.

En plus de réclamer leur régularisation, et donc le respect des engagements du ministère, l'occupation de ce lieu symbolique est une façon de dire qu'on ne saurait dresser une histoire de l'immigration sans prendre en compte la souffrance des milliers de travailleurs et travailleuses sans-papiers vivant dans notre pays. Le PCF est au coté des sans-papiers dans leur lutte pour faire respecter leurs droits.

Parti communiste français

Paris, le 7 octobre 2010

Décès de Bernard Clavel : réaction du PCF

le 05 octobre 2010

Nous venons d'apprendre le décès de Bernard Clavel. On retiendra de lui le pacifiste et militant des droits de l'Homme qui, durant des décennies s'est engagé pour l'objection de conscience, contre la guerre et la violence.

Prix Goncourt en 1968 pour « les fruits de l'hiver », il a été élu à l'Académie française en 1971 pour en démissionner en 77. Ce n'était pas son univers.

Né en 1923 dans une famille modeste, il a quitté l'école à quatorze ans pour devenir apprenti pâtissier à Dôle et se heurter très vite à la dureté de la tâche. Il saura plus tard restituer avec virtuosité cet épisode de sa vie et sa première confrontation à l'exploitation quotidienne et au petit patronat au travers de récits d'initiations tels les quatre tomes de « la grande patience », aujourd'hui encore au programme des collèges.

Bernard Clavel était un homme du peuple, un écrivain de l'émotion ; il était encore un auteur de contes et nouvelles hors pair dont les accents rappellent le cévenol Jean Pierre Chabrol. Epris de son Jura natal, il n'en était pas moins un citoyen ouvert au monde, un voyageur qui avait choisi le Canada pour deuxième patrie.

L'auteur de « l'Espagnol » et « la maison des autres » qui ont marqué la biographie, avait encore soutenu l'association Terre des Hommes et en 2001, lors de sa création, le fonds associatif Non Violence XXI.

Nous aimions l'homme de culture et de convictions, l'humaniste qu'il était.

Parti communiste français,

Paris, le 5 octobre 2010.

Rapport Attali : vive la finance !

Par Yves Dimicoli, le 01 octobre 2010

Rapport Attali : vive  la finance !

La principale nouveauté du second rapport de la commission Attali  tient dans la nette affirmation de son objectif politique : engager la France dans un plan sur dix ans, donc bien au-delà de l’échéance de 2012, construit sur « un socle commun de réformes que tout gouvernement quelle que soit son orientation politique devra mettre en œuvre ». Quant au contenu de ce second rapport, il suffit de relever combien Sarkozy s’est félicité de « la convergence » de ses conclusions avec la politique qu’il conduit, notamment en matière d’« assainissement des finances publiques ».

épouvantail de la dette contre le modèle social

Le rapport Attali-2 part d’un constat volontairement dramatisé à propos de la dette publique :« Si rien nest fait pour corriger la trajectoire, la dette [publique] dépassera les 100 % du PI B, et le potentiel de croissance descendra à 1,2 % ». Rappelons que le premier rapport, publié en janvier 2008, et qui n’avait pas vu venir la crise financière et la récession les plus graves d’après-guerre, postulait un potentiel de croissance descendant à 1,9 %.Cette dramatisation vise à empêcher tout débat sur l’utilisation des fonds empruntés par l’État pouvant ouvrir sur des préconisations alternatives à ce qui s’est fait jusqu’ici, en alternance, depuis plus de vingt ans. On pense, notamment, aux propositions avancées par le PCF d’une utilisation des fonds publics versés aux entreprises permettant de mobiliser, via des Fonds publics régionaux et national constitutifs d’un pôle financier public, le crédit bancaire de façon sélective. Il s’agirait de favoriser d’autant plus les investissements matériels et de recherche des entreprises, par modulation du taux d’intérêt, que ceux-ci programmeraient plus d’emplois et de formations.

Cette dramatisation, qui vise à faire peur et à culpabiliser les salariés et les populations, est bien en ligne avec les orientations que l’Allemagne a fait adopter les 9 et 10 mai derniers en contrepartie de son accord pour un plan de stabilisation financière de 750 milliards d’euros engageant l’Union européenne et le FMI. Ce plan, conçu dans la foulée d’un traitement à la tronçonneuse de la crise de la dette souveraine grecque, est assorti de conditions drastiques permettant aux dirigeants des États membres de justifier le passage de plusieurs crans supplémentaires dans les politiques d’austérité en conformité avec l’exigence du maintien d’un euro « fort ».

Il marque un tournant des politiques économiques des pays membres de l’Union après les mesures sans précédent de sauvetage publique des banques, sans changement des critères du crédit, face à la crise financière et qui ont débouché sur un surendettement public. Il témoigne de la volonté de faire reculer la part des prélèvements publics et sociaux, nécessaires au financement des services publics et de la protection sociale, dans les richesses produites, afin de laisser s’accroître la part des prélèvements financiers (intérêts et dividendes). Et cela sous injonction des marchés financiers et des agences de notation qui les servent, chaque État étant sommé de réduire le plus et le plus vite possible, en taillant dans les dépenses publiques et sociales, l’écart entre le taux d’intérêt dont sont assortis ses titres de dettes publiques et celui payé par l’État allemand (spread).

Aussi, le premier impératif que souligne le rapport Attali-2 est-il celui de ramener le déficit public sous le seuil de 3 % du PIB en 2013 et viser l’équilibre en 2016, année inscrite par l’Allemagne dans sa loi fondamentale dans le même but. Il s’agit, ce faisant, de créer les conditions pour un « basculement du financement de la protection sociale vers limpôt » et « un allègement du coût du travail ».

Pour atteindre ce but, le rapport Attali-2 propose cinq mesures emblématiques :

• le gel du point d’indice dans la Fonction publique jusqu’en 2013, ce qui permettrait de diminuer de 4 milliards d’euros la rémunération des personnels ;

• l’extension de la règle du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite aux collectivités locales et à la Sécurité sociale (une économie de 2 milliards d’euros) ;

• la mise en place d’une TVA sociale (26 milliards d’euros prélevés de façon aveugle sur la consommation);

• la mise sous condition de ressources des allocations familiales ;

• le gel de certaines prestations sociales comme les aides au logement.

Ces mesures seraient très peu populaires, à un point tel que, même à l’UMP, certains ont émis quelques réserves. Aussi, le rapport Attali s’efforce-t-il de présenter les arguments susceptibles de les faire vendre de façon consensuelle, à droite et à gauche, en cherchant à y intégrer, notamment, le mouvement syndical.

On mesure, dans ces conditions, combien ce rapport, qui ne dit pas un mot de la BCE, du rôle des banques et du crédit, s’inscrit en contre du mouvement social sur les retraites en France. D’ailleurs, il note de façon alarmiste, que « la conjonction du vieillissement démographique en cours et du déséquilibre de nos finances publiques place en effet la France sur une pente très dangereuse dendettement croissant et de perte de compétitivité », et c’est pour cette raison qu’il propose de substituer au système français de retraite par répartition le système suédois de comptes notionnels défendus par T. Piketty (1), économiste proche du PS.

Mais il prend à rebours aussi toutes les luttes engagées en Europe contre les plans d’austérité et pour la défense et la promotion du modèle social européen qui préconisent, ensemble, de faire reculer la BCE, la Commission de Bruxelles et les dirigeants de l’Union européenne.

Dix ans daustérité budgétaire

Ce plan à dix ans mettrait l’accent sur deux grandes urgences : le désendettement et l’emploi.

Il faut mesurer ce que peut avoir de démagogique et trompeur l’association, dans ce rapport, de ces deux objectifs :

L’essor de l’emploi en quantité et qualité est effectivement une condition impérieuse d’une croissance réelle régulière susceptible de produire les recettes nouvelles nécessaires en impôts et cotisations pour réduire durablement les déficits et les dettes.

Mais les conditions envisagées pour le désendettement conduiraient à un rationnement tel des dépenses de services publics, y compris celui de l’emploi et de la formation, que la croissance réelle risque de beaucoup en souffrir, entraînant, au contraire, une insuffisance grandissante des rentrées d’impôts, taxes et cotisations, ce qui accentuerait les déficits et les dettes publics.

La première urgence, donc, « est de ramener au plus vite, cest-à-dire en 2013, le déficit public sous le seuil de 3 % du PIB ».

Le rapport souligne que « le programme de stabilité français […] doit être respecté ». Et il chiffre la contrainte qui en découle pour la France : si le pays connaît une croissance moyenne de 2 % sur la période, l’effort à accomplir par rapport à l’évolution spontanée des finances publiques serait de 25 milliards d’euros chaque année, soit un « ajustement » de 75 milliards d’euros d’ici à 2013. C’est évidemment considérable, quoique inférieure au chiffrage présenté par Woerth en janvier dernier (100 milliards d’euros) et très en deçà des 172 milliards d’euros de niches fiscales et sociales dont bénéficient chaque année les entreprises.

Le rapport propose de réaliser cet ajustement via des économies de dépenses pour 50 milliards d’euros et un élargissement des assiettes fiscales et sociales, mais seulement celles qui concernent les particuliers, « cestà-dire une hausse des impôts » sur les particuliers, pour 25 milliards d’euros.

Sur ces bases, il promet que si cette « stratégie à dix ans »   est mise en œuvre, la France sera capable d’atteindre une croissance moyenne d’au moins 2,5 % par an, contre plus de 3 % dans le premier rapport !

Au-delà de 2013, insiste le rapport, « la poursuite du désendettement passe par la poursuite dun très profond effort de modernisation des institutions, dans un sens juste et durable, et dune réforme des règles budgétaires ». Il s’agit d’atteindre « un niveau dendettement voisin de 60 % » en « renforçant lefficacité des services publics et la maîtrise budgétaire » avec, bien sûr, les moyens dont on s’est doté pour cela, tels la RGPP et une informatisation des services conçue, avant tout, pour réduire fortement l’emploi public et la masse des salaires versés pour les services publics.

S’agissant de la protection sociale, il s’agit, prétend-il, de donner la priorité aux plus démunis tout en visant « un rôle plus grand confié aux complémentaires santé et à lassurance dépendance complémentaire obligatoire » !

S’agissant du « système fiscal », il s’agit de le rendre   plus efficace et plus juste » (sic) « fondé sur une meilleurerémunération finale du travail et de la création, avec, encontrepartie, de nouvelles ressources fondées sur trois assiettes : les dégradations de lenvironnement, la consommation et les patrimoines ».

Cette présentation quelque peu trompeuse annonce, en fait, la diminution drastique des impôts pesant sur les entreprises et des cotisations sociales patronales avec la création de la TVA sociale et d’une taxe carbone. Le rapport note que cela « accroîtrait de manière importante la compétitivité des secteurs exposés à la concurrence internationale », tandis que « la hausse des prix engendrée […] et les pressions à laugmentation des salaires et à lindexation pourraient être limitées à court terme du fait de la conjoncture ».

Il conclut : « Ce redressement des finances publiques au service de la croissance doit pouvoir sappuyer sur une Europe forte. » Et, pour cela, « la France doit semployer à renforcer le Pacte de stabilité et de croissance […] ».

La seconde urgence est de « créer des emplois et redonner un avenir aux jeunes ». Que préconise le rapport pour réaliser un objectif aussi séduisant ?

Il pose, « dabord », pour postulat que « tout ce qui améliore la compétitivité des entreprises est favorable à lemploi », étant entendu que seul « le coût du travail trop élevé » serait en cause.

À cette fin, la Commission Attali « recommande de préserver lessentiel des allégements de charges (sociales), et de transférer une partie des charges sociales sur la TVA », bref de mettre en place une TVA sociale.

Pour cela, « une mise en œuvre simple de la mesure consisterait en un transfert des cotisations au titre de la branche famille, qui relève encore plus que les autres branches de la solidarité nationale ». Cette baisse de cotisations, « qui représente 5,4 points (ou 26 milliards deuros), pourrait être compensée par une hausse de 3,2 points de TVA ». Le rapport propose de l’étaler sur trois ans, « au rythme denviron 1,8 point de cotisation et 1,1 point de TVA par an ».

Il préconise aussi « le développement de la concurrence, notamment dans le secteur des services (télécommunications, banques et assurances, énergie…) ». Avec une amplification des déréglementations et privatisations, l’hyper-concurrence ainsi engendrée permettrait assure-t-on, de « contrebalancer leffet potentiellement inflationniste de la hausse de la TVA» !

Une flexisécurité à la française

La seconde grande voie préconisée vise explicitement à capter la revendication syndicale de sécurisation des parcours professionnels en mettant en place une « flexisécurité à la française » tant défendue par Ségolène Royal en 2007.

Il s’agit d’abord de créer « un cadre efficace, cohérent et valorisant pour la recherche demploi à travers la mise en place dun contrat dévolution ». Le rapport est très explicite en préconisant « le déploiement à grande échelle dun mécanisme similaire au contrat de transition professionnelle (CTP), mais mieux ciblé ». Le contrat d’évolution serait ainsi « un contrat dactivité à durée variable » passé, « en contrepartie dengagements forts de la part du chercheur demploi dont le respect serait contrôlé », avec Pôle emploi, le dernier employeur du demandeur d’emploi ou les Conseils généraux.

Rappelons que le CTP a été créé pour faciliter les suppressions d’emploi avec une déresponsabilisation totale des entreprises et l’obligation, en réalité, pour l’intéressé, dans ce cadre, de finir par accepter un emploi ou une activité à faible coût salarial, les dépenses pour la formation, l’accompagnement et le retour à l’emploi étant extrêmement insuffisantes.

C’est toujours pour récupérer l’aspiration à une sécurisation de l’emploi et de la formation tout le long de la vie de chacun-e que le rapport Attali préconise d’« utiliser la formation professionnelle pour sécuriser les transitions professionnelles », mais sans qu’aucune de ses dispositions ne permettent de laisser envisager un quelconque essor de la création d’emplois stables et correctement rémunérés, notamment par une autre utilisation des fonds publics et du crédit bancaire. Et cela dans un contexte de rationnement du financement des services publics, notamment celui de l’emploi et de la formation.

À cet effet, il est proposé de modifier « profondément le fonctionnement » de la formation professionnelle, sans doute dans le sens de tout ce qui est en cours, notamment la privatisation de l’AFPA et la main mise du patronat, via les OPCA, et des officines privées sur les fonds de la formation professionnelle. On notera ici, particulièrement, l’adjonction proposée au Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels de fonds régionaux sur les ressources desquels rien n’est dit, ni d’ailleurs sur leurs critères de financement, sur leurs pouvoirs ou leur saisine.

La Commission Attali se prononce aussi pour une modulation des cotisations d’assurance chômage selon la durée du contrat de travail qui serait articulée à la mise en place d’un « contrat à droits progressifs » dans le sens de ce qu’ont préconisé les économistes néolibéraux O. Blanchard et J. Tirole (2). Ceux-ci ont bâti leurs propositions avec le souci de substituer au financement actuel de l’assurance chômage par « des cotisations sociales qui augmentent le coût du travail » (3), un financement contributif libérant les entreprises de toute responsabilité sociale et facilitant les suppressions d’emplois. Simultanément, le contrat à droits progressifs serait assorti d’un montant de charges sociales (charges chômage) qui serait dégressif en fonction de la durée dans l’emploi, tandis que les salariés concernés

« accumuleraient des droits progressifs dans le temps (en terme dindemnisation du chômage, de protection juridique, de formation..)». Et, bien sûr, les modalités de mise en œuvre de ce nouveau contrat, appelé à devenir « le contrat de référence sur le marché du travail », seraient définies par les « partenaires sociaux ».

L’ancrage à l’Europe de Maastricht

Le rapport Attali est ancré à une préoccupation f o n d a m e n t a l e : l a construction européenne et « l’euro fort » sacrément mis en difficulté par l’exacerbation de la crise systémique du capitalisme en 2008-2009 et ses développements récents jusque dans la crise de la dette souveraine d’États du sud de l’Europe.

C’est aussi ce qui fait qu’il cherche à se présenter comme un « vade mecum » à usage bipartisan pour une gestion de ces difficultés qui soit conforme aux exigences des marchés financiers et compatibles avec les rapports de domination intra-européens.

D’ailleurs, le rapport, qui ne dit pas un mot de la politique monétaire de la BCE, affirme qu’il est « dans lintérêt de la France et de lensemble de lUnion européenne que, collectivement, les pays européens organisent la mise en œuvre de la discipline budgétaire nécessaire à la réduction de lendettement public ».

Il en appelle, dans ce but, à « accroître la surveillance collective » et « renforcer le pacte de stabilité et de croissance et lappliquer ». Il en appelle à une « mutualisation des dettes des états membres jusquà un certain niveau » avec la création d’une « agence de la dette de la zone euro ». Il propose « lémission dobligations européennes » et de « définir avec lAllemagne une stratégie commune de finances publiques et de croissance », laquelle serait indexée – mais ce n’est pas dit – sur les priorités des capitaux allemands largement dominants dans la zone.

Bien sûr, rien n’est dit sur les risques d’assujettissement encore plus étroit des pays de l’Union européenne aux exigences des marchés financiers que cela entraînerait, ni sur les risques très envenimés de guerre monétaire avec le dollar.

Surtout, rien n’est dit sur la BCE, sa politique monétaire, ses rachats sur les marchés secondaires de titres de dettes publiques, sans création monétaire, décidés dans le cadre d’une « stratégie de sortie de crise » qui s’avère particulièrement inefficace du point de vue des intérêts sociaux et économiques des populations européennes.

De même, rien n’est dit du caractère antagoniste des décisions prises le 9 mai dernier avec la mise en place d’un Fonds européen de stabilité financière alimenté par des emprunts effectués sur les marchés financiers. Comme le propose Paul Boccara (4), la BCE pourrait, au contraire, par création monétaire, acheter des titres de dette publique avec des taux très bas, voire nuls.

Elle interviendrait en liaison avec un Fonds de développement, se substituant au Fonds de stabilité financière. Ce nouveau Fonds, contrôlé démocratiquement, organiserait les attributions de l’argent provenant des rachats des titres de dettes. Il viserait systématiquement une expansion des services publics pour une croissance durable d’efficacité sociale, en privilégiant les pays en difficulté. Il serait aussi alimenté par des taxations des flux financiers. Et des obligations de prise de titres publics à bas taux d’intérêt seraient imposées aux banques et établissements financiers, aux sociétés d’assurances, aux fonds d’investissement.

Ensuite, la BCE aurait un autre rôle, de refinancement des banques pour un nouveau crédit pour l’emploi et la formation dans les entreprises. Ce crédit, depuis des fonds régionaux jusqu’à la BCE, en passant par un pôle financier public, offrirait des taux d’intérêt, pour des investissements matériels et de recherche, d’autant plus abaissés que l’on fait de l’emploi et de la formation. Le rapport Attali confirme à sa façon qu’il n’est pas possible de concevoir une Europe sociale sans mettre en cause la dictature des marchés financiers, pour une tout autre utilisation de l’euro et des pouvoirs de la BCE. Mais il confirme aussi qu’il y a incompatibilité entre la prétention à défendre des acquis sociaux fondamentaux en France, comme la retraite par répartition et les « 60 ans », et l’ancrage à la construction européenne actuelle.

C’est précisément cela qui fait que, côté PS, on parle de maintenir les « 60 ans » sans, cependant, mettre en cause la tendance actuelle à l’allongement de la durée de cotisation… ce qui est trompeur.

Le grand mouvement social en France, parti de l’enjeu des retraites et qui soulève désormais des questions de civilisation, peut faire jonction avec toutes les luttes engagées en Europe contre les politiques d’austérité, bousculer tous les conservatismes et populismes et poser en pratique à toutes les gauches la nécessité d’une réorientation profonde de l’Europe. 

(1) A. bozio et t. piketty: « retraites : pour un système de comptes individuels de cotisations  propositions pour une refonte générale des régimes de retraites en France », 7 avril 2008.

(2) « protection de l'emploi et procédures de licenciements », rapport d' o. blanchard et J. tirole pour le conseil d'analyse économique (cAe), 2006.

(3) Ibid. p. 10.(4) Interview à L'Humanité, mercredi 19 mai 2010

 

Santé : l’impasse gouvernementale

Par Gibelin Jean Luc , le 01 octobre 2010

Santé : l’impasse gouvernementale

Une récente enquête de l’Institut Viavoice pour le CISS (Collectif interassociatif Sur la Santé) vient de donner la dernière image sur ces questions du renoncement aux soins de la population de notre pays. C’est un véritable cri d’alarme qui est poussé.

Un renoncement aux soins aggravé !

Ainsi, 36 % des sondés reconnaissent avoir reporté ou renoncé à des soins ou à l’achat de médicaments pour des raisons financières ces dernières années. La progression est terrible, nous sommes à 26 % qui renoncent aux soins contre 12 % il y a deux ans. Quand un quart de la population est dans le renoncement aux soins, c’est un signe que l’état de santé du pays est en danger. C’est d’autant plus inquiétant que ces chiffres passent à 41 % pour les femmes, 49 % pour les 25-34 ans et 51 % pour les bénéficiaires de la CMU. À ce sujet, cela montre les limites de la CMU qui était pourtant présentée comme une avancée sociale. Nous étions quelques-uns à dénoncer le financement de cette prestation qui était la première à exonérer les employeurs de toute participation, même si le mouvement mutualiste portait cette mesure. Une dizaine d’années après, le pourcentage des renoncements aux soins est terriblement accusateur pour les promoteurs.

Un attachement populaire réaffirmé

La même enquête montre que 74 % des sondés considèrent que l’État doit prendre toutes les mesures nécessaires pour que la Sécurité sociale rembourse le plus possible les dépenses de santé. La proposition du PCF de remboursement à 100 % par l’Assurance maladie est donc en phase avec l’attente d’une très large majorité de la population.

Les transferts de l’assurance-maladie  vers les complémentaires mutuelles et assurances sont ressentis selon cette enquête comme un accroissement des inégalités de santé par 73 % et 54 % comme une étape de la privatisation du système de santé.

La mise en œuvre de la loi HPST, les territoires de santé

Les Directeurs  généraux des Agences régionales  de santé, DG ARS, ont déjà pris des décisions aux conséquences graves.

Prenons la question des territoires de santé. Le pouvoir veut aller vers un nombre très réduit de territoires, sans doute moins d’une centaine environ. Le territoire de santé est l’entité géographique de support de la communauté hospitalière de territoire prévue dans la loi HPST. Ce serait le regroupement  en une entité unique des structures sanitaires et médico-sociales publiques.

Les informations qui reviennent, mi octobre, vont toutes dans le même sens. En Champagne-Ardennes, le découpage est de deux territoires pour l’ensemble des quatre départements. En Rhône-Alpes, le découpage retenu est de 5 territoires pour 8 départements, intitulés macro-territoires dans cette région. En Bretagne, il semble que ce ne soit que 4 territoires qui soient prévus.

En Limousin, le découpage se réduit à un territoire unique pour les trois départements. En Île-de-France, le choix est entre 3, 5 ou 8 territoires.

Les conséquences prévisibles

La concentration extrême résultant de ces territoires  annoncés a des conséquences importantes. Tout d’abord, cela va éloigner les lieux de décisions du terrain, des salariés. C’est aussi un éloignement en terme de proximité des besoins de santé de la population. C’est une hyper-concentration portant fondamentalement un recul démocratique.

C’est aussi une ouverture pour la privatisation rampante du secteur sanitaire. La concentration au niveau du territoire de santé des services logistiques offre une réelle opportunité pour les grands groupes privés des sociétés dites de services de tenter d’entrer plus largement dans le secteur hospitalier. Mais cela peut avoir aussi de vrais impacts pour l’économie locale. En effet, les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) comme les hôpitaux locaux sont un marché pour les fournisseurs locaux. Cela ne serait plus possible en cas de centralisation au niveau du territoire de santé, cela pourrait remettre en cause l’existence de commerces locaux.

La concentration au niveau des territoires  de santé augmenterait  aussi gravement les charges de transports. Cela augmenterait les « restes à charge » pour les usagers. Ce serait un obstacle de plus, une raison supplémentaire de renoncement ou report de soins.

La permanence des soins hospitalière en Île-de-France

Dans la région capitale, le directeur général de l’Agence régionale de santé, Claude Evin, a annoncé une organisation pour les nuits et les samedi après-midi et dimanche toute la journée avec un seul bloc opératoire, un seul service des urgences, un seul service d’imageriemédicale ouvert par département. C’est tout simplement scandaleux de proposer une telle casse d’autant plus au motif de la sécurité. C’est édifiant de ce que les serviteurs zélés du pouvoir peuvent imaginer.

Une question politique

C’est donc bien une vraie question politique qui se joue sur ces dossiers. Soit une accélération de la structuration de la protection sociale dans un découpage dans l’intérêt des « copains de la bande du Fouquet’s », soit une réorientation de la protection sociale dans le sens de la réponse aux besoins de la population. Il importe de bien aider à la compréhension  de cet enjeu et de politiser le débat. La question n’est pas d’en rajouter sur la concurrence entre les structures publiques mais bien de poser les questions politiques,  les choix politiques que fait le pouvoir, et ceux qui le servent. Rien n’est inéluctable dans la situation actuelle. Ce sont les choix politiques du pouvoir qui sont à l’œuvre, il est donc possible de s’y opposer, de proposer de vraies alternatives.

La campagne nationale santé

Le Comité national du PCF a décidé en septembre d’engager  une campagne nationale santé. C’est  une démarche transversale que nous voulons mettre en œuvre comme cela a été le cas pour la campagne contre la réforme régressive des retraites. Nous voulons la travailler avec un groupe de pilotage transversal proposé à d’autres secteurs, commissions et collectifs qui sont concernés : retraités, entreprises, économie et finances, féminisme et droits des femmes, JC et UEC, ANECR, économie solidaire, environnement, etc. Il nous faut imaginer un phasage de la campagne nationale, des rendez-vous d’étape, la liste des thèmes possible à traiter. Nous proposons d’ores et déjà : Les retraites, La psychiatrie, L’hôpital public au cœur de notre système de santé, IVG/Contraception/Santé des femmes, Centre de Santé et médecine de proximité, mais aussi en prospective des débats ultérieurs, La médecine du travail et la santé au travail, La dépendance, La bioéthique, La recherche médicale, Le médicament, Santé/Précarité (CMU/ AME…), Les complémentaires  et le financement  de la protection sociale, Santé/Environnement.

Les assises régionales de santé

Face à la casse organisée, structurée, un contre-pouvoir est indispensable. C’est l’enjeu des Assises. C’est aussi une volonté d’une démarche pérenne avec les assises. L’idée n’est pas de faire un coup mais de mettre en place une structure démocratique qui permette de se faire l’écho des besoins de la population, que celle-ci soit informée et actrice des réponses apportées à ces besoins et puisse contrôler dans la transparence la mise en œuvre de ces réponses. Un ancrage départemental voire au niveau des cantons des villages, des villes est souhaitable.

Cela doit aussi nous permettre de faire connaître nos propositions alternatives comme par exemple les centres de santé plutôt que les maison médicales.

En l’état actuel à mi-octobre, un appel de cinquante personnalités a été lancé en Île-de-France, la majorité de gauche et écologiste du Conseil Régional a voté un vœu demandant la tenue d’assises régionales de santé. C’est aussi le cas dans le Nord-Pas-de-Calais.

En Limousin, plusieurs réunions de contacts ont eu lieu. Une date pour un lancement public est en cours de finalisation pour début décembre.

En Champagne-Ardennes et en Languedoc-Roussillon, de premières initiatives ont été entreprises dans ce sens.

Les assises régionales de santé peuvent contribuer à faire ce que l’on a dit, à transformer en acte notre volonté de faire de la politique autrement en mettant en œuvre les engagements  pris en campagne électorale.

Les assises régionales sont pour nous un lieu de l’intervention citoyenne des professionnels, des personnels, des usagers, des élus. C’est une concrétisation de la démocratie sanitaire participative de proximité indispensable pour s’opposer aux pouvoirs sans limites des DG ARS.

Propositions du PCF

Le PCF propose dans l’immédiat une nouvelle contribution sur les profits financiers des entreprises et des banques qui dégagerait 39,9 milliards d’euros pour l’assurance-maladie au taux de 13.1 % sur la base des données 2009. Les profits financiers étant passés de 268,3 milliards en 2008 à 305 milliards en 2009, il existe une marge d’action considérable pour répondre aux besoins des populaitions.

Au-delà, le débat impliquant l’élaboration de propositions alternatives de réforme pour un nouveau financement et une nouvelle gestion à l’hôpital ainsi que des réformes alternatives du systèmes de santé, en rupture avec les réformes libérales en cours, doit impérativement être imposé et mené par les forces de progrès. Il faut sortir du sous-financement structurel de l’assurance-maladie, ce sont les cotisations sociales qui financent l’essentiel  des dépenses de santé, une réforme alternative visant l’accroissement  des cotisations patronales est indispensable. Elle inciterait, en lien avec les luttes et les interventions des salariés dans les gestions des entreprises,  au relèvement de la part des salaires dans la Valeur ajoutée. Cela exigerait un nouveau type de croissance et de gestion centré sur le développement des emplois, des salaires et de la formation, le développement durable. Cela tendrait à dégager des cotisations nouvelles pour la sécurité sociale. La mise en place d’un pôle public du médicament au niveau national mais aussi européen devient essentielle.

Ces propositions ouvrent de réelles perspectives, lèvent l’hypothèque  d’une  situation bloquée. Le PCF appelle à l’ouverture urgente du vrai débat large et populaire sur ces sujets et s’opposera à tout recul.

Ce qui est essentiel est bien le lien entre positionnement politique clair et offensif et l’intervention citoyenne indispensable.