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PME : Pourquoi tant de difficultés ?, Yves Dimicoli

le 18 December 2013

PME : Pourquoi tant de difficultés ?,  Yves Dimicoli

Alors qu’en 2012, 61 294 entreprises ont fait faillite en France, dont 57 284 PME1 ,cela repart en 2013, avec la récession et le rationnement du crédit bancaire. Ce sont des PME de plus de 50 salariés qui font faillite. Selon la 17e édition du baromètre de KPMG2 et de la CGPME3 (mars 2013), le pessimisme des dirigeants de PME atteint un record depuis la création de cette enquête (mars 2009). Plus d’un tiers d’entre eux estiment que la situation économique française a des impacts négatifs importants sur les conditions d’accès au crédit. Pourtant F. Hollande se félicite de la baisse du coût du travail que vont permettre les 20 milliards d’euros du crédit d’impôt compétitivité. Il encense l’accord national interprofessionnel (ANI) qui permettra aux employeurs de supprimer plus facilement des emplois, de baisser les salaires, de disposer de main-d’œuvre plus précaire. Il loue la création de la Banque publique d’investissement (BPI) qui, n’interviendra qu’en soutien de « fonds privés », pour des PME « performantes » sur des marchés « en croissance ». Elle devra « corriger les imperfections du marché » bancaire et surtout pas changer les critères du crédit aux entreprises. Loin de permettre aux PME et ETI 4 français de constituer quelque chose d’équivalent au « Mittelstand5 » allemand, cette politique va les affaiblir. Une raison essentielle des difficultés de PME, qui représentent, en France, 56 % de la valeur ajoutée marchande et 66 % de l’emploi marchand, tient à la faiblesse de la demande intérieure avec le chômage, la précarité des contrats de travail, les bas salaires qui minent la demande salariale, tandis que les politiques d’austérité budgétaire dépriment la demande publique. D’autres raisons expriment, plus profondément, leur inefficacité relative par rapport aux PME d’outre-Rhin.

LA FAUTE AUX GROUPES

L’Allemagne a bâti son efficience industrielle, non sur de bas coûts salariaux, mais grâce à des relations entre grands groupes, PME et banques permettant des rapports bien meilleurs qu’en France. En France, il n’existe quasiment pas de relations à long terme construites entre grandes sociétés et PME, sauf lorsque celles-ci sont satellisées par un groupe ou, dans le sillage d’une grande société, partie prenante d’un pôle de compétitivité. Aussi, dès que des difficultés conjoncturelles se font jour, ce sont les PME indépendantes et leurs salariés qui, les premiers, supportent la charge des ajustements. Les grandes sociétés, qui réalisent de plus en plus leur chiffre d’affaires hors de France, canalisent une grande part des 60 milliards d’euros d’aides publiques annuelles distribuées aux entreprises. En France, à la différence de l’Allemagne, les PME à forte croissance, notamment celles que l’on nomme « les gazelles » (entreprises jeunes à forte croissance), disparaissent prématurément, absorbées par de grands groupes. Les grands groupes sélectionnent les PME les plus dynamiques, qui ont 19 % de chances de connaître une restructuration après absorption, contre 3 % si l’entreprise reste indépendante. Tous les efforts des pouvoirs publics, en amont de ces intégrations, comme, par exemple, la multiplication de fonds de capital-risque et de capital investissement, ou l’aide au développement de l’épargne en actions, sans parler des aides directes à la rentabilité (crédits d’impôt, exonérations de cotisations sociales...) constituent ainsi, un subventionnement indirect à la croissance prédatrice et l’écrémage des grands groupes. Les grands donneurs d’ordre pillent aussi les PME par le rallongement des délais de paiement dont la France est championne. Ils sont à l’origine d’un crédit à court terme implicite, le crédit inter-entreprise, qui a pu être évalué à plus de 600 milliards d’euros au 31 décembre 2011, soit environ 30 % du PIB français, contre 14 % en Allemagne. Cette pratique induit un risque d’impayé qui oblige les entreprises exposées à recourir à des assureurs-crédit dont les services coûtent d’autant plus cher qu’ils sont en situation d’oligopole et deviennent de plus en plus sélectifs avec la stagnation de l’économie. Le recours forcé de nombre d’entreprises à l’affacturage accentue la main-mise des grands groupes bancaires. De 1990 à 2005, les PME ont cherché à se désendetter en France. Mais cela n’a pas débouché sur une reprise de leurs investissements matériels. Au contraire, la part de la valeur ajoutée qui leur est consacrée marque une baisse régulière sur la période. Les PME françaises ont utilisé une part croissante de leurs bénéfices pour alimenter leur trésorerie, dans le but « de se prémunir contre les chocs négatifs dans un contexte où les concours bancaires sont difficiles à obtenir ». C’est ainsi, que les liquidités détenues représentaient 13 % du bilan en 2010 pour les PME de l’industrie manufacturière et le commerce, et plus de 16 % pour la construction. C’est dire l’importance d’un changement profond des relations entre groupes et PME avec la transformation des actuels pôles de compétitivité en pôles de coopération et la création, le long des filières industrielles et de services, de pôles publics d’impulsion, acteurs d’une nouvelle politique industrielle visant la sécurisation de l’emploi et de la formation, le redressement productif et la protection de l’environnement.

LA FAUTE AUX BANQUES

Cela exprimerait, aussi, la difficulté des rapports banques PME en France. Les premières détiennent un très fort pouvoir de marché sur les secondes « dans la mesure où elles ne répercutent que de façon différée et partielle les baisses de taux sur les crédits de court terme de plus faibles montants ». Un rationnement du crédit frappe ainsi les PME françaises restées indépendantes, tandis que les plus performantes, une fois absorbées par des groupes, accèdent aux financements mutualisés internes et aux prélèvements de ces derniers. Ce serait là une raison essentielle pour laquelle les PME, en France, tendent à freiner leurs investissements et accumulent de la trésorerie. Cela engendre un vieillissement relatif de leurs capacités productives qui, marchant de pair avec une insuffisance des qualifications des salariés et de l’effort de R&D, contribue à une perte d’efficacité du capital des PME particulièrement sensible en France. En Allemagne, par contre, le secteur public bancaire, avec les secteurs coopératif et mutualiste, domine le marché bancaire. Les banques des Länder détiennent 20 % de ce marché. Ce pays a développé le concept de « banque maison » (hausbank) : les entreprises allemandes entretiennent avec leur banque, souvent unique, des relations suivies de partenariat à long terme. Ce type de relations fait que les faillites sont moins nombreuses en Allemagne et les banques sont moins rentables financièrement qu’en France. Le rationnement du crédit aux PME a pris de l’ampleur en Europe du sud avec les plans d’austérité et malgré les 1 000 milliards d’euros de prêts à trois ans accordés par la BCE aux banques à 1 % de taux d’intérêt seulement. Effectuée sans aucun changement des critères du crédit, cette création monétaire n’a fait qu’encourager la spéculation, au lieu de lever le frein du crédit. En France, les encours de crédit mobilisés par les entreprises résidentes n’ont crû que de 0,1 % pour les PME entre novembre 2012 et février 2013, contre 0,6 % pour les grandes entreprises. Les PME appartenant à un groupe (+0,6 %) paraissent favorisées par rapport aux autres PME (+0,1 %). Sans réforme du système bancaire et des critères du crédit aux entreprises, sans réorientation du système européen de banque centrale et de la politique monétaire de la BCE, ce rationnement perdurerait, accentuant les tendances dépressives de la zone euro, avec la mise en œuvre des règles prudentielles de Bâle III. Elles prétendent inciter les banques à adopter des comportements plus sains et moins risqués que ceux qui ont conduit à l’explosion de la crise financière de 2007-2008 en accentuant leurs besoins de fonds propres relativement aux crédits accordés et, donc, leurs exigences de rentabilité financière. F. Hollande cherche à encourager les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) les plus performantes à aller chercher des fonds sur le marché financier et à développer l’épargne en actions. Pourtant, le lancement, en mai 2005, du marché Alternext débouche sur des résultats plus que mitigés. Surtout, dans l’industrie manufacturière, on constate que la part des capitaux propres dans le bilan des PME françaises a gagné plus de 6 points depuis 2000, à 41,5 % en 2010, soit le troisième plus haut niveau en Europe, après celui des PME belges (50,5 %) et polonaises (48,5 %). Mais cela n’a en aucune façon détendu le crédit, le taux d’endettement bancaire des PME françaises demeurant l’un des plus faibles en Europe, ni amélioré l’efficacité productive des PME et ETI. Les ETI les plus rentables tendent à se tourner vers des « financements alternatifs » désintermédiés encore plus sélectifs, ce qui va accentuer le dualisme déjà si prononcé du secteur PME en France. Autant de fuites en avant avec lesquelles il faudrait rompre, notamment par la création d’un pôle financier public regroupant la CDC, la banque postale, la BPI, les banques mutualistes et des banques nationalisées. Il distribuerait un nouveau crédit, pour les investissements matériels et de recherche des entreprises, dont le taux d’intérêt serait d’autant plus abaissé, jusqu’à zéro, voire en dessous (non-remboursement d’une partie du crédit) qu’ils programmeraient plus d’emplois et formations correctement rémunérés et de progrès écologiques.

 

YVES DIMICOLI est responsable de la commission économique nationale du PCF

Le port du Havre, un poumon pour la ville, un atout pour la France, Daniel Paul

le 18 December 2013

Le port du Havre, un poumon pour la ville, un atout pour la France, Daniel Paul

Quelques chiffres pour illustrer le poids du complexe industrialo-portuaire du Havre dans l’économie nationale et dans l’emploi local.

• Le Havre, second port de France, après Marseille, en tonnage total de marchandises, est le 1er pour le nombre de conteneurs manutentionnés, avec 2,3 millions d’EVP(1) en 2012.

• Près de 32 000 emplois sont recensés par l’INSEE, se décomposant en :

• 14 400 emplois dans le « cluster » maritime. Ce sont surtout des emplois tertiaires, dont 1800 dans le secteur public, y compris l’autorité portuaire,

• 17 400 dans le « cluster » non maritime. Il s’agit d’emplois industriels (automobile, raffinage, pétrochimie…), mais aussi de services aux industries et du transport terrestre qui concerne près de 3000 emplois.

• Si la zone industrialo-portuaire pèse 22 % de l’emploi de la région havraise, la richesse dégagée représente 42 % de la valeur ajoutée dans l’ensemble considéré. Évaluée à 3,7 milliards d’euros, elle correspond à 1/8e de la richesse créée en Haute- Normandie. Soit 125 000 euros par salarié !!!

• le montant des droits et taxes acquittés à l’administration des douanes du Havre atteint 3,25 milliards d’euros.

Ces chiffres illustrent les enjeux économiques et sociaux liés à la plate-forme industrialo-portuaire du Havre. Poumon local et régional, par le nombre et la nature des emplois, par les qualifications et les salaires, le Port du Havre est aussi un atout national, avec la large diffusion des marchandises transitant par Le Havre et son poids dans le commerce extérieur et les rentrées fiscales de notre pays. Les atouts du Havre au vent du libéralisme : à court terme, 75 % à 80 % des échanges mondiaux se feront par voie maritime. Les ports prennent dès lors encore plus d’importance. Mais ils sont peu nombreux, ceux qui sont capables d’accueillir les plus gros porte-conteneurs, les super-tankers… Le Havre est de ceuxlà. Son tirant d’eau lui a toujours permis de recevoir les plus gros navires. Dans les années 60, le percement de l’écluse François 1er avait permis aux navires d’accoster auprès des entreprises installées sur la Zone Industrialo-portuaire. Depuis les années 70, les supertankers viennent à Antifer. « Port 2000 », c’est un accès simultané à 8 porte-conteneurs de la dernière génération, du type du dernier né de CMA-CGM, le « Jules Verne », avec ses 396 m de long, ses 54 m de large, ses 16 m de tirant d’eau et ses 16 000 « boîtes ». Cette accessibilité est un atout dans la concurrence à laquelle se livrent les ports européens pour attirer les plus grands armements, ceux qui dominent le commerce maritime mondial. Mais cela ne suffit plus à ces groupes. Maximiser la rentabilité et les profits passe par des escales de plus en plus rapides pour des navires de plus en plus grands, avec des tarifs de plus en plus bas… Tout ce qui peut « gripper » les résultats doit donc être modifié. C’est le sens des réformes portuaires exigées par la Commission Européenne depuis plus de 20 ans. En quelques années, la manutention, les dockers, les conducteurs d’engins, l’outillage et les personnels de maintenance sont passés aux mains du privé liées aux compagnies maritimes. Le Port garde la gestion des ponts, de l’écluse, une réparation navale (très réduite), le secteur croisière… Il reste aussi propriétaire des quais. Pour accueillir les navires, les armements disposent, par Autorisation d’Occupation Temporaire (AOT), de postes à quai sur lesquels ils installent leurs matériels de manutention, portiques, grues, etc… Cette libéralisation s’est heurtée à de grandes luttes sociales des personnels, soutenues par les communistes du Havre et leurs élus, du Conseil Municipal jusqu’au Parlement. Nous avons toujours estimé que les enjeux portuaires et la préservation de l’avenir justifient que les ports restent sous maîtrise publique, ce qui signifiait, et signifie toujours, qu’ils ne soient pas dessaisis des moyens leur permettant la poursuite de leurs activités, face à des armements dont les intérêts sont de plus en plus internationalisés. Et nous avons toujours défendu l’idée que les objectifs de « performance industrielle » étaient tout à fait compatibles avec les statuts du port et des différents personnels. Ces luttes(2) ont permis d’éviter les aspects les plus négatifs et de maintenir la vigilance face aux volontés de relancer de nouvelles phases de libéralisation. Vigilance justifiée car, pour gagner en rapidité, certains revendiquent l’allégement du contrôle des marchandises importées, ce que dénoncent les personnels des douanes confrontés aux réductions de moyens humains et matériels pour un bon exercice de leurs missions. Il faut regretter que le ministre des transports n’ait pas hésité à intégrer cet allégement dans son « plan » de compétitivité des ports.

UN PORT A BESOIN DE LIAISONS TERRESTRES

Un port a besoin de lignes maritimes, mais aussi besoin de liaisons terrestres – fluviales, ferroviaires et autoroutières – vers des « hinterlands » souvent lointains, vers l’est de la France, l’Europe centrale. C’est un enjeu majeur, environnemental et économique qui interpelle l’État. Force est pourtant de constater que notre pays n’a jamais tiré les conséquences de ses vocations maritimes et portuaires. Faut-il rappeler que l’autoroute de Normandie, à sa création dans les années 60, joignait Deauville à Paris mais ignorait Le Havre et qu’il faudra attendre les années 80 pour que le pont de Tancarville soit relié, par autoroute, au Havre. Les grands ports belges et hollandais font passer 40 % de leurs trafics conteneurs par le rail, quand le pourcentage Havrais est tombé à 5 %, symbolisant l’échec d’une politique de fret ferroviaire, tant au niveau des investissements que des réponses aux enjeux. C’est moins que le fluvial, et pourtant, ce dernier souffre aussi de l’absence d’une liaison facile entre les quais à conteneurs et le fleuve, alors qu'Anvers et Rotterdam reportent leurs marchandises à 30 % par voie d'eau, mode sobre en énergie et en émissions de CO2 (trois fois moins de carburant que le transport routier). Le trafic de l'estuaire de la Seine se fait à 87 % par la route ! Ferroviaire et fluvial : les exigences en matière de transports terrestres pour un développement portuaire supportable sont là. Cela signifie que pour bien répondre à la grande question nationale et européenne des transports de demain, intégrant celles de l’environnement et de l’aménagement du territoire, les enjeux portuaires ne peuvent plus être ignorés par la puissance publique.

LE PORT, ACTEUR ET TÉMOIN

« L’activité industrielle et l’emploi qui en découle sont des pans essentiels de la stratégie portuaire… Cela fait bien partie des objectifs des Grands Ports Maritimes de développer l’emploi portuaire et l’emploi industriel lié à l’activité portuaire ». Cette déclaration du Président du Directoire du Port du Havre est importante. Encore faut-il que se traduise dans les faits l’idée qu’un port n’a pas seulement à se préoccuper des activités de transport et des activités maritimes, mais qu’il doit aussi intégrer dans sa stratégie le développement industriel et favoriser l’installation de nouvelles entreprises sur le domaine public portuaire et au-delà. Nous avons toujours défendu une double idée : le port du Havre doit être un outil public et un acteur dans le développement de l’activité et de l’emploi industriels. Ainsi, nous soutenons les projets d’implantation, au Havre, d’usines destinées à la filière éolienne offshore, synonymes de centaines d’emplois industriels. Mais les évolutions des trafics maritimes et portuaires témoignent aussi des conséquences des coups de boutoir que subit notre tissu industriel. Ainsi, la fermeture de 2 tranches de la centrale thermique du Havre a considérablement réduit les importations de charbon, donc les emplois et les recettes qui s’y rattachent. Quant à l’arrêt de « Petroplus », s’il était confirmé, il entraînerait une baisse significative du trafic de pétrole brut. Et deux constats sont préoccupants : • Le trafic conteneurisé devient en 2013 le 1er trafic du Port du Havre, ce qui justifie une grande vigilance sur les évolutions de ce type de trafic. • Le Havre est de plus en plus un port d’importation, ce qui témoigne de la désindustrialisation de notre pays. Or, si les armements internationaux peuvent trouver leur compte dans des importations toujours plus importantes et un trafic conteneurisé dépassant nos frontières nationales, nous ne saurions nous satisfaire d’une activité portuaire surfant sur le déclin industriel. Notre bataille pour la relance de notre appareil productif se nourrit aussi de ce constat.

DU PORT AUTONOME, AU GRAND PORT MARITIME ET À HAROPA

Le statut de « Port Autonome » marquait une volonté politique de maîtrise publique. Le passage de « Port Autonome » à « Grand Port Maritime » reflète les pressions libérales en Europe et en France et la volonté d’imposer une plus grande présence des intérêts privés. Nous avions dénoncé, dans le débat parlementaire, cette étape nouvelle de l’évolution des ports. HAROPA, GIE créé par les ports du HAvre, de ROuen et de PAris, constitue aujourd’hui le 5e ensemble portuaire européen, derrière Amsterdam, Hambourg, Anvers et Rotterdam. Si l’intention affichée est de développer les complémentarités, soutenir l’activité et l’emploi, développer l’axe-Seine, la vigilance est forte parmi les salariés qui craignent, à juste titre, que ce GIE soit le prélude à une fusion des 3 ports. La création du Port du Havre, en 1517, visait à pouvoir accueillir les plus gros navires de l’époque, marquée par les grandes expéditions maritimes. Ses caractéristiques actuelles lui permettent de répondre aux défis auxquels il est confronté. Mais cela ne se fera pas sans une volonté politique forte, affirmant et concrétisant la maîtrise publique nécessaire sur tout ce qui engage son avenir. Par ailleurs, les missions d’un grand port international ne sauraient se limiter à la bonne gestion du transit des marchandises dans ses bassins ; il doit s’impliquer, en coopération avec les collectivités territoriales, dans l’aménagement et l’industrialisation des territoires qu’il irrigue. Enfin, n’est-il pas temps de dépasser la concurrence effrénée entre les ports, les territoires et les hommes et de réfléchir à des coopérations permettant de mieux appréhender les évolutions du monde, une autre construction européenne, d’autres modes de productions, des échanges entre différents secteurs (industrie et agriculture), des symbioses entre des activités-clefs et des moyens de transport à mettre en œuvre ?

 

DANIEL PAUL est Conseiller Municipal du Havre, député honoraire.

Refonder la finalité et la « gouvernance » de l’entreprise, Daniel Bachet

le 18 December 2013

Refonder la finalité et la « gouvernance » de l’entreprise, Daniel Bachet

Baisse permanente des coûts et de la masse salariale, licenciements, délocalisations abusives, pollutions et atteintes à l’environnement… Tous les actes des entreprises sont guidés par une logique purement financière et le travail n’est pas valorisé autant qu’il pourrait l’être car réduit lui aussi à un simple coût. On peut considérer de manière logique, opératoire et progressiste que l’entreprise devrait s’inscrire dans une dynamique de développement où les savoirs, savoir-faire et compétences prennent tout leur sens et deviennent véritablement sources de valeur. Pour s’inscrire dans cette option, il faut tout d’abord sortir de la confusion entre les deux entités distinctes que sont l’entreprise (structure productive) et la société (entité juridique). Qu’elle soit une multinationale ou une PME, l’entreprise est la structure productive qui produit des biens et/ou des services dans le monde physique. Elle n’est pourtant pas aujourd’hui reconnue par le droit. Seule la société dispose d’une personnalité morale qui la fait exister juridiquement. Cette confusion conduit à des conséquences désastreuses sur la représentation et la gestion du travail et surtout sur l’emploi. C’est dans l’entreprise que le travail est une source de valeur et de développement. Pour la société (au sens juridique) et compte tenu de ses finalités actuelles, les travailleurs ne sont que des tiers et des coûts réduits au maximum pour augmenter le profit. Le fait de ne plus confondre les deux entités ouvrirait la perspective d’une nouvelle logique économique beaucoup plus favorable au travail et à l’emploi.

SORTIR DE L’IDÉOLOGIE ACTIONNARIALE : LA RÉMUNÉRATION DU CAPITAL NE DOIT PLUS ÊTRE LA FINALITÉ DE L’ENTREPRISE

Pour sortir de cette confusion, il faut donc trouver une réponse à la question de l’organisation des pouvoirs en vue d’alimenter démocratiquement les processus de décision. L’idéologie actionnariale a réussi à faire passer l’exercice d’un pouvoir

- le gouvernement d’entreprise

-pour le simple usage d’un droit de propriété, délégué par les actionnaires au chef d’entreprise qui ne doit rendre compte qu’à eux seuls, ses mandants. Or les actionnaires ne sont propriétaires que des actions émises par les sociétés commerciales qui servent de support juridique aux entreprises, pas de l’entreprise en soi. Quand il s’agit de payer les « pots cassés », les actionnaires sont très heureux de n’être que propriétaires des actions qui leur accordent une limitation de leur responsabilité et donc l’immunité. L’idéologie actionnariale, c’est le pouvoir sans la responsabilité, l’appropriation des gains découlant de risques que l’on fait peser sur d’autres, le droit de créer des dommages sans l’obligation de dédommager. Il faut donc construire un système démocratique dans lequel le rôle politique de l’entreprise fait l’objet d’une prise de conscience se traduisant par la mise en place de modes nouveaux d’expression des intérêts affectés par l’activité entrepreneuriale. Refonder l’entreprise pour construire une véritable démocratie économique implique comme préalable d’assigner à l’entreprise une finalité institutionnelle qui n’est plus le profit puis en tirer toutes les leçons en matière d’organisation des pouvoirs et de nouvelle efficacité économique et sociale. Le pouvoir dans l’entreprise ne peut plus provenir de la seule propriété des titres de capital émis par les sociétés commerciales servant de support juridique aux entreprises. Autrement dit, changer de logique économique et sociale suppose de laisser les droits de propriété sur les actions à leur place : la rémunération du capital n’est pas la finalité de l’entreprise. C’est l’ensemble des coûts générés par les décisions qui doit être pris en compte, seule manière de décharger la collectivité du rôle qui lui est imposé aujourd’hui et auquel elle a du mal à faire face. Il faut donc conduire juridiquement les dirigeants des grands groupes cotés en bourse à prendre en compte l’ensemble des intérêts qui vont être affectés par leur décision et non les seuls intérêts des actionnaires. L’objectif est de produire des biens et/ou des services en vue de dégager un revenu pour l’entreprise : la valeur ajoutée. Il s’agit de la contrepartie économique de la richesse créée. C’est la fonction première et « l’objet social » même de l’entreprise qui donne du sens à l’action du dirigeant. Ce dernier doit agir en respectant un certain nombre de contraintes (équilibre financier, économique et écologique, intérêts collectifs des parties prenantes, conditions de travail, etc.). L’article 1832 du Code Civil indique que la « société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ». Il faut changer cette formulation et souligner que l’objectif de la société n’est pas de maximiser le profit et de partager le bénéfice qui en résulte (ce qui n’intéresse que les détenteurs de capitaux) mais de maximiser la valeur ajoutée en vue de la partager de manière juste entre les différentes parties prenantes (personnel, banques, État, actionnaires, société). Paul-Louis Brodier a mis en évidence une grandeur économique ayant une importance majeure pour l’entreprise qu’il a nommé Valeur Ajoutée Directe des ventes ou VAD. Il s’agit simplement de la différence entre le Chiffre d’affaires et la Consommation directe des ventes. VAD des ventes = Chiffre d’affaires – Consommation directe des ventes. La Valeur Ajoutée Directe est le véritable revenu de l’entreprise considérée en tant qu’institution (SA, Sarl, Scoop…) créée dans la perspective de produire des biens et des services. Elle est à la source des revenus des ayants droit et une contribution au PIB (Brodier, 2013). La VAD est le revenu créé par l’entreprise, considérée en tant qu’organisation ayant concrètement pour fonction de produire des biens et des services grâce aux ressources réunies et « mises en système » par l’institution : personnel, équipement, consommation de fonctionnement. Il est par conséquent plus que jamais indispensable d’assigner cette finalité à l’entreprise et de construire juridiquement c’est-à-dire politiquement, de nouvelles règles qui tiennent compte de celle-ci si l’on souhaite rééquilibrer les pouvoirs concernant les décisions de production et de répartition des richesses. La mise en avant de l’entité entreprise comme intérêt supérieur aux intérêts des parties en présence permettrait aux salariés de disposer de points d’appui pour s’assurer une meilleure représentativité dans les lieux où se joue le pouvoir (Conseil d’administration en particulier).

LES SALARIÉS DOIVENT AVOIR DES REPRÉSENTANTS DANS LES CONSEILS D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES

L’axe structurant de la nouvelle organisation pourrait être conçu sur la base de la double légitimité des dirigeants (P.-D.G., directeurs généraux) qui recevraient leur pouvoir de gestion et de décision du Conseil d’administration c’est-à-dire des actionnaires et des propriétaires mais aussi des salariés (Comité d’entreprise et collectivité de travail). Dans cette nouvelle configuration, il faudra commencer par interdire les stock-options et autres rémunérations axées sur la création de « valeur actionnariale », et taxer très fortement les revenus financiers des entreprises, la « vraie » valeur étant la valeur ajoutée. Le pilotage de la société et de l’entreprise ne pourra alors s’effectuer que sur la base de comptes de gestion orientée valeur ajoutée dont la confrontation permettra ensuite aux différentes instances institutionnelles reconfigurées de prendre des décisions plus conformes au développement de l’entreprise, seule entité qui implique l’ensemble des acteurs (actionnaires, propriétaires, dirigeants, salariés, élus des salariés). Les représentants des salariés au Conseil d’administration seraient alors en mesure de faire connaître l’intérêt social de l’entreprise qui se mesure d’abord par la valeur ajoutée. Le pouvoir des apporteurs de capitaux est un des facteurs parmi beaucoup d’autres permettant le fonctionnement de l’entreprise. Il n’y a aucune raison justifiant que l’apport de départ des actionnaires et des propriétaires leur octroie les pleins pouvoirs alors que la hausse de la richesse de l’entreprise provient en grande partie du travail des salariés et que ce sont eux qui assument le véritable risque (perte de capital pour les actionnaires, perte de leur travail pour les salariés). Les représentants élus des salariés devraient donc disposer de droits de vote au sein du Conseil d’administration. Dans ce conseil, la présence significative de représentants de salariés permettrait de mieux définir l’intérêt général en évaluant la justesse des décisions prises par les directions.

Le choix du gouvernement actuel de ne retenir qu’un ou deux représentants des salariés dans les Conseils d’administration est une évolution bien peu audacieuse (le rapport remis au gouvernement par Louis Gallois préconisait d’en introduire quatre).

 

DANIEL BACHET est Professeur de sociologie à l’Université d’Evry.

Hôtesses de caisse (caissières) dans les grandes surfaces : quel avenir ?, Anne Rivière

le 18 December 2013

Hôtesses de caisse (caissières) dans les grandes surfaces : quel avenir ?, Anne Rivière

Médias et sociologues montrent un vif intérêt pour le métier de caissière dans la grande distribution, qui concentre des questions sociales très sensibles. Cela concerne des emplois à dominante féminine, dits peu qualifiés, aux salaires très bas, à temps partiel souvent subi (37 % des emplois), aux horaires mal commodes impactant la vie familiale. S'y ajoute la monotonie et pénibilité particulières, soumis à des calculs de rendement, d'intensité et stress ainsi qu'un regard social souvent dévalorisant. Un mouvement social très courageux en 2008, impensable pour certains, a fortement pointé le phénomène du « travailleur pauvre », dont le salaire trop bas ne lui permet pas de vivre. Pour les principaux employeurs concernés, la solution fut le « travailler plus pour gagner plus », c’est-à-dire passer des 28 ou 30 heures subies au soi-disant temps complet « choisi », avec cinq heures de complément à passer en rayon, ou en bijouterie ou à toute autre tache. Cela représente environ 200 €pour compléter des salaires de 800 €et un accès à la « polyvalence » salvatrice pour augmenter l'intérêt du métier, avoir moins de manipulations et de poids à porter et plus de contact avec le client. Avec l'apparition des caisses automatiques en libre-service et des « douchettes » (des scanners code-barres pour clients), ces emplois sont-ils menacés ? La grande distribution va-t-elle rester un employeur massif avec les nouveautés techniques ou organisationnelles que certains préparent? L'effectif global approche 150 000 personnes, avec de forts taux de turnover, qui suscite des embauches en continu pouvant faire illusion. Une dominante féminine et une forte présence étudiante qui se complètent pour les répartitions d'horaires. Une caisse automatique coûte de 15 000 à 20 000 € avec un retour sur investissement en trois ans et il y en a environ 4 000 à 5 000 en France. Elles ont été testées prudemment, il n'y a pas eu d'introduction massive susceptible de déclencher une contestation ou la colère de clients, qui n'aiment pas attendre, mais n'aiment pas non plus la croissance du chômage. D'autre part la disparition de l'humain dans leurs services préférés ou obligatoires les heurte. Les publics ne sont pas homogènes dans leurs âges, leurs cultures, leur adaptabilité aux nouveautés et les distributeurs sont prudents.

UN NOUVEAU RAPPORT AU CLIENT

Ainsi, le mouvement social de 2008 a fortement frappé l'opinion, échaudé par une forte expansion de l'automatisation dans les banques, les cinémas, la Poste (42 000 emplois perdus de 2002 à 2007), et déjà à l'époque dans la grande distribution. Aussi l'introduction des caisses automatiques n'a-t-elle été que très progressive sur dix ans, présentée invariablement par les cadres de la profession comme un complément de moyens souple pour assurer la fluidité aux heures de pointe, avec mise à disposition très rapide de quatre ou cinq caisses contrôlées par une seule caissière, derrière un écran. Ce sont souvent les meilleures caissières qui tiennent ces îlots de caisses, réservées aux paniers plus qu'aux caddies. Leur travail change : de séquentiel et peu mobile, il devient une tâche intense de surveillance et de détection/résolution de problèmes en 4 lieux simultanément. La caissière peut bouger, aider un client, vérifier une tentative de chapardage, une pesée d'articles, et cherche à éviter la constitution de queue aussi derrière ces caisses-là en facilitant leur usage. Le rapport avec le client devient un rapport de formation « professionnelle », plus ou moins bien accepté, nécessitant plus de diplomatie et d'interactions patientes que le contrôle de caisse normal. On les forme pour jongler avec des logiques contradictoires : fonction d'accueil et guide pour résoudre les problèmes : mauvaise pesée, non-respect des consignes des écrans de machines, blocage sur un paiement de carte bleue, ne sont pas rares et chaque client se vit seul et n'a cure de la fluidité recherchée pour la file d'attente. L'obsession des responsables du magasin est pour ainsi dire que le client en ressorte le plus vite possible en ayant payé. Éviter les queues ou les réduire afin d'éviter que le client renonce aux achats. Le client est roi et est aussi « imprévisible » dans ses flux, surtout depuis les années 1980, où est apparue tout à coup la nécessité d'adapter le temps de travail et la présence des caissières à ses caprices. Ainsi au lieu du temps complet avec horaires réguliers, le temps partiel surgit comme le moyen par excellence de réduire cet aléa et de minimiser la dépense en salaire pour qu'elle colle au plus près aux flux de clients. La même « imprévisibilité » dans le discours persiste aujourd'hui, curieusement, alors que l'on connaît les moments d'affluence sur une année, ou sur un mois, empiriquement et par calcul informatique sur les données des années antérieures. Derrière « l'imprévisibilité » du flux de client, il y a donc eu construction sociale du temps partiel réservé aux femmes et à leurs contraintes familiales, largement financé par l'Etat (exonérations de prélèvements sociaux sur les bas salaires). Or, l'entrée massive des femmes sur le marché du travail s'était d'abord faite à temps complet. Si l'usage du scanner en caisse a réduit au maximum les temps morts, selon l'idéal entrepreneurial du flux tendu propre au secteur industriel, il a eu aussi d'autres effets : une caissière classique manipule jusqu'à trois tonnes de produits sur une journée de 8 heures et tourne 9 000 fois la tête. Cela finit par un très gros chiffre de troubles musculo-squelettiques (TMS) et un million de journées de travail perdues en 2008, payées par la Sécurité Sociale; celle-ci, depuis 2005, a mené campagne pour réduire cette incidence et les invalidités. Le patronat y a vu une raison de plus, peu avouée et peu glorieuse, pour contourner ce problème avec une recherche incessante d'innovations techniques ou organisationnelles. Les troubles de santé et rigidités d'horaires ont conduit certains employeurs à assouplir l'organisation des plannings en permettant aux salariées regroupées en îlots de planifier elles-mêmes sur trois semaines ou un mois leurs impératifs personnels. Ainsi un échange des moments « pénibles » est devenu possible, dans certaines limites, entre collègues: fermeture, nocturnes, Samedi et Dimanche, selon les secteurs et les régions qui ne sont pas toutes sur un pied d'égalité pour les moyens de transport ou de garde d'enfants etc. Cette expression des salariées a fortement réduit l'absentéisme partout où elle est appliquée loyalement. Pour autant, le « choix » du métier de caissière en est-il un ? Ses transformations en cours doivent d'abord nous interpeller sur les questions des salaires et de la recherche d'égalité réelle, d'accessibilité concrète aux formations professionnelles des jeunes femmes, sur les questions de services publics utiles pour la garde des enfants, sur les transports, le logement, sur le statut du jeune travailleur en étude, sur les questions d'horaires jusqu'à 22 heures ou même minuit pour Auchan au Portugal! Liberté pour les uns, esclavage pour les autres? La faiblesse des salaires et les conditions de travail des hôtesses de caisse apparaissent bien comme la transposition d'un rapport social profondément inégalitaire qui conduit « naturellement » à leur sous-évaluation en matière de salaire et de droits sociaux (retraite). La surface de vente elle aussi est déclinée selon les prix des produits et la clientèle visée: les hypermarchés ne s'installent pas partout.

QUELLES RESPONSABILITÉS SOCIALES POUR LES ENTREPRISES ?

Alors que progressent la prise de conscience de cette question et ses traductions légales et jurisprudentielles, les innovations techniques et organisationnelles les plus récentes s'en évadent, dans « l'intérêt du client ». Ainsi ont été testées les puces magnétiques RFID, intégrées aux produits, à lire par une machine tunnel à la sortie, mais leurs coûts élevés les réservent à des marchandises coûteuses ou spécifiques (bijoux…). Une autre formule connaît un important développement, dans la guerre concurrentielle des distributeurs: Le DRIVE. Le client ne met plus les pieds dans le magasin et commande sur internet sa liste de courses. Sous le signe du temps gagné, cette innovation séduit de nombreux clients motorisés, des mères avec enfants qui vont juste chercher le paquet sur des parkings réservés. En un an, deux mille sites ont été créés en France par Carrefour, Intermarché, et Leclerc aux grands projets. Au lieu d'une heure « client » pour le parcours de courses en magasin, l'employée recrutée, formée spécialement à la rapidité, met une demi-heure, ou même 10 minutes dans les formules avec entrepôt. C'est un succès indéniable : l'innovation permet de contourner la loi limitant l'implantation des grandes ou très grandes surfaces et se rit des efforts des édiles locaux pour préserver les petits commerces car il suffit de déposer un permis de construire. L'argument des créations d'emploi est avancé, ainsi que la pression concurrentielle scrutée pour se « piquer » les zones de chalandise (attractivité commerciale). Remettre en cause ces métiers ? Oui, mais selon une logique progressiste : en identifier la valeur humaine et salariale réelle et en qualifier d'autres pour briser l'enfermement dans le sous-emploi et la précarité. Revoir les prix et comment ils sont fixés, hors de toute considération de juste rémunération et de dégâts écologiques et garantir des produits de qualité, préservant la santé. Un autre modèle agricole redéfinissant les liens producteurs consommateurs. Le « modèle » de la voiture à remplir le samedi ou le soir tard dans des grandes surfaces lointaines sous prétexte d'économies connaît un certain déclin. Les hypermarchés souffrent d'une relative baisse de rentabilité depuis la crise de 2008 suite aux restrictions dues au chômage et aux salaires insuffisants. Le chiffre d’affaires de la grande distribution frise tout de même les 300 milliards, avec un effectif global de 600000 emplois (caissières et personnels divers) et représente environ 70 % du commerce alimentaire en 2012.

 

ANNE RIVIÈRE est juriste et membre du comité de rédaction.

Risques et sûreté industriels : les collectivités directement concernées, Jérome Marcuccini

le 18 December 2013

Risques et sûreté industriels : les collectivités directement concernées, Jérome Marcuccini

Logée au cœur de la région Rhône- Alpes qui est la première productrice d'électricité en France, Grenoble se place sur le nœud hydroélectrique du bassin de l'Isère et de ses affluents. Cette situation a permis le développement d'une recherche de pointe, grâce à une capacité de mise à disposition quasi instantanée d'une puissance de 50 millions de watts/heure (50 Mwh): accélérateur de particules, expériences sur le magnétisme ou développement de la miniaturisation atomique, sont notamment aujourd'hui en place. Toutefois, le fait que cette énergie soit 100 % propre ne doit pas cacher les risques, même minimes, liés à son exploitation. Parmis les sept barrages classés au PPI – Plan Particulier d'Intervention – de la Préfecture de l'Isère, cinq concernent directement l'agglomération de Grenoble et ses 405000 habitant-e-s. De fait, l'ouverture prochaine à la concurrence soulève de sérieuses inquiétudes, principalement dans le prolongement de la vallée du Drac où des opérateurs privés se verraient confier l'exploitation des barrages de Notre Dame de Commiers et du Monteynard. LE RISQUE DE LA PRIVATISATION Le PPI prévoit concernant ces deux sites, en cas de rupture, le déferlement d'une onde de front en 30 à 45 minutes avec des hauteurs d'eau estimées entre 10 et 12 mètres, donc une nécessité d'évacuer les habitant-e-s sur les hauteurs et, dans les immeubles, au-dessus du 5e étage. Dans un tel scénario, le sud de l’agglomération comprenant la ville d’Échirolles (36000 habitants), classé en zone de proximité immédiate, subirait une propagation rapide de l'onde de submersion comprenant de « lourds effets mécaniques », « des dommages et des hauteurs d'eau importants », une remontée des eaux en direction de Chambéry et une fin de zone d'inondation comprenantValence, soit 130km en aval des barrages et plus de 100 km en aval de Grenoble. Certes, le plan préfectoral souligne l'importance des délais avant-coureurs d'une telle catastrophe. Il précise cependant que l'alerte est de la responsabilité directe de l'exploitant. Dans le cadre d'une ouverture à la concurrence, des groupes privés tels que Direct Énergie, E-ON, Alpiq, ENEL ou Vattenfall, pourraient venir remplacer les opérateurs traditionnels, principalement EDF et GDF. Attirés par les faibles investissements à réaliser sur des ouvrages rentabilisés depuis très longtemps ainsi que la perspective alléchante d'une forte augmentation des tarifs, ces groupes auront pour premier intérêt de satisfaire les marges et donc les dividendes de leurs actionnaires. Quel contrôle public, quelle garantie de gestion des concessionnaires, et surtout, quelle garantie concernant le personnel de maintenance et d’entretien pouvons-nous attendre de groupes qui considèrent l'humain comme une variable d'ajustement de leurs taux de profit? Dans ce débat – comme dans celui de la production nucléaire – la question de la gestion démocratique des risques demeure au cœur des préoccupations. Nous ne pouvons nous en remettre à de prétendues garanties contractuelles, pas plus que nous ne pouvons demander à nos concitoyen-ne-s de se prononcer « pour » ou « contre » le maintien ou l'implantation de telles installations, sans débattre des conditions d'exploitation et de la transparence quant à leur mise en œuvre. De fait, la question de l'intervention de la puissance publique dans le développement et la gestion des sites de production énergétique, du contrôle opéré par les élu-e-s et les collectivités sur les installations comme sur les opérateurs est seule à même de garantir le cadre de cette ambition. Dans le prolongement, le service public s'impose dès lors comme le modèle d'exploitation démocratique le plus cohérent, à condition d'être exempt de touteredevance envers les marchés financiers donc, de centrer ses missions sur l'intérêt public et, nécessairement, sur l'intérêt collectif. Dans un pays où la demande d'énergie est croissante, au cœur d'un monde en développement, la nécessité d'investissements productifs est constante. Toutefois, il est illusoire de penser que sous la dictée de la commission européenne et du dogme de la réduction des déficits imposé par Giscard dès 1973, la collectivité pourrait s'en remettre seule à l'investissement privé. Celui-ci rime nécessairement avec production de dividendes et marges bénéficiaires. La facture en revient alors aux usagers, sur le plan financier comme sur le plan humain. Nous pouvons inverser ces logiques. JÉRÔME MARCUCCINI est secrétaire fédéral du PCF de l'Isère, maire adjoint de la commune de Voiron, délégué aux déplacements, stationnement et qualité de l’air.

Lorsque de grands projets « inutiles » s'invitent sur une commune, Alain Pagano

le 18 December 2013

Lorsque de grands projets « inutiles » s'invitent sur une commune, Alain Pagano

Avec la bataille contre l'installation d'un aéroport à Notre Dame des Landes, l'idée de « grands projets inutiles » a fait surface et s'est popularisée dans l'opinion publique, nombre de personnes croyant défendre des problématiques environnementales avec ce concept. Grattons un peu le vernis de « l'écologiquement correct » pour regarder sa compatibilité avec le développement durable. Dans un premier temps, avant les problématiques environnementales elles-mêmes, il faut bien voir qu'un des arguments majeurs pour décréter l'inutilité des grands projets est un argument économique. On nous assène que l'heure n'est plus aux grands projets dispendieux à l'heure de politiques d'austérité sans précédent. Autrement dit, c'est une manière de valider l'austérité et de renoncer à des projets de développement humain! Drôle d'argument quand il est porté par des gens qui se veulent de gauche… Je conteste cette idée simpliste, me battant pour une alternative à l'austérité, pour le développement humain, l'humain d'abord! J'y ajoute que, du point de vue du scientifique que je suis, l'Homme fait partie de la « Nature », est une des composantes des écosystèmes(1). C'est la définition des biologistes, des écologues dont je fais partie. Cela implique que, au lieu d'avoir une vision dogmatique de l'écologie où Homme et Nature sont incompatibles et opposés, on doit, au contraire, considérer qu'il ne peut y avoir de respect des écosystèmes quand l'homme est maltraité. Oui, le développement humain (social, culturel…), c'est la condition d'une prise en compte par le plus grand nombre des problématiques environnementales. Les fameux «grands projets» sont souvent des projets d'aménagement du territoire d’ampleur (aéroport, ligne TGV, autoroute…). Sont-ils inutiles? Derrière cette inutilité affirmée par les « défenseurs de l’environnement » se cachent plusieurs raisons au refus, certaines avouables, d’autres moins… Certains refusent les projets par intérêt individuel de propriétaires (on ne veut pas avoir de nuisances à côté de chez soi). Ce qui doit être entendu et peut être résolu. D’autres parce qu’il y a des impacts environnementaux négatifs. Mais là encore cela peut être résolu. D’autres parce qu’ils jugent que le projet en lui-même est inutile. Prenons ces arguments un par un pour essayer de mettre en place une démarche progressiste soucieuse de l’environnement face à des projets d’aménagement du territoire: 1) Vérifier l’utilité sociale, l’intérêt collectif d’un projet, en faisant abstraction, dans un premier temps des impacts environnementaux. Tel projet correspond-il exclusivement à l’intérêt financier des grands groupes du BTP ou à une réelle amélioration du quotidien des gens? Mais une fois cela fait… 2) Se battre pour le bien-être humain. Par exemple, exiger des protections contre les nuisances environnementales. L’expérience des militants est truffée d’exemples où il est possible d’obtenir une réduction des nuisances pour le plus grand nombre (murs anti bruits, chaussées couvertes, interdiction des vols de nuits…). Cela répond à la défense des intérêts individuels et est très rassembleur. Et indissociablement, 3) Travailler à la minimisation des impacts environnementaux au sens large. La loi y oblige à travers des mesures compensatoires, et la science le permet avec l’écologie de la restauration. Qu’il me soit permis de développer ici sur cet aspect peu connu à travers mon expérience professionnelle. Lors de la construction de l’autoroute A87, des dizaines de zones humides ont été supprimées dans lesquels vivaient des espèces protégées. Il était donc possible de mettre en échec ce projet autoroutier, ou, à tout le moins, demande des modifications de tracé. J’ai travaillé, avec mon laboratoire de l’époque, à proposer des mesures compensatoires c’est-à-dire des recréations de zones humides pour compenser celles qui étaient détruites. La grande majorité des espèces que nous surveillions sont revenues sur ces nouvelles zones humides, de nouvelles se sont installées. Foin de scientisme, je ne dis pas que tout fonctionne à merveille dans tous les cas, mais cette expérience, parmi d’autres, montre qu’il est possible de travailler à des mesures compensatoires de qualité qui réduisent ou annulent les impacts environnementaux. On doit travailler à leur application, avec les compétences des bureaux d’études en environnement et des chercheurs en écologie de la restauration. En conclusion, si les grands projets sont réellement inutiles… Point besoin de les défendre. S’ils sont utiles (et à c’est sans doute le cas de la plupart d’entre eux), rien n'empêche qu’ils soient conçus dans une logique de développement durable. Il faut simplement créer les rapports de force pour que les citoyens et les écosystèmes soient respectés dans les projets (réduction des nuisances, mesure de restauration d’écosystèmes). Il n'y a rien de fondamentalement et irrémédiablement incompatible entre projet de développement humain et respect de l'environnement. ALAIN PAGANO est Maître de conférences en écologie et membre du conseil national du PCF.

20131218-LeP-Beauvais-Un nouveau dispositif pour favoriser le maintien à domicile [Ouest du département]

le 18 December 2013

20131218-LeP-Beauvais-Un nouveau dispositif pour favoriser le maintien à domicile [Ouest du département]

20131218-CP-Noyon-« Il y aura des représailles, c'est sûr » [suite opération anti-drogue]

le 18 December 2013

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20131218-CP-Chambly-Un réseau de vigilance se constitue

le 18 December 2013

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Transport et agglomération : l'exemple de Toulouse, Bernard Marquie

le 17 December 2013

Transport et agglomération : l'exemple de Toulouse, Bernard Marquie

L'intervention des communistes sur les transports à Toulouse a été permanente, y compris lorsque la ville était gérée par la Droite (45 ans, de 1971 à 2008), que nous ayons des élus ou pas. Ainsi, au début des années 2000 avec Charles Marziani, vice-président PCF du Conseil régional, nous avons animé une bataille pour que la Société d'économie mixte Tisseo ne fasse pas l'objet d'une Délégation de service public au bénéfice de Conex (Véolia). Nous avons gagné et depuis 2005, Tisseo est une régie publique transformée plus tard en EPIC. La droite qui gérait Toulouse depuis 1971 ne s'était pas donné les moyens d'un système de transport ambitieux et laissait reposer la charge des emprunts pour financer les deux lignes de métro sur l'autofinancement de Tisseo: poussant ainsi Tisseo vers un surendettement qui aurait « justifié » une privatisation. Dès le retour de la gauche en 2008, unila- téralement, Toulouse avec sa nouvelle équipe municipale, a décidé de rajouter 15 millions d'euros au budget des transports. Le passage en Communauté Urbaine (C.U.) en 2009 nous a permis d'augmenter sensi- blement les versements, nous en sommes aujourd'hui à 100 millions d'euros par an versés par la C.U. au budget de Tisséo avec l'ambition d'arriver à 180 millions d'euros en 2020. Ce volontarisme politique a permis de consolider la dette de Tisséo, ce qui a été approuvé par la Cour des Comptes, et de voter un Plan de déplacement urbain (PDU) ambitieux en 2012.

• Les jeunes : pendant la campagne électorale notre liste d'union avait promis la gratuité pour les jeunes de moins de 26 ans, contre mon avis, car la situation financière ne nous a pas permis de le faire. Mais nous avons mis en place un abonnement à 10 euros par mois pour les jeunes de moins de 26 ans, ce qui fait de nous la ville la moins chère pour les jeunes.

• Le choix de la « toile d'araignée » Nous avons une ligne A du métro qui fête ses 20 ans cette année et une ligne B qui a été inaugurée peu de temps avant les municipales de 2008. Aujourd'hui la ligne A est saturée et nous proposons le doublement de sa capacité pour accompagner l'ar- rivée du TGV. La caractéristique du réseau que nous avons trouvé était qu'il reliait des zones d'habitat au centre-ville et que les principales zones d'emploi hors centre-ville n'étaient pas desservies (Aéroport, zone aéronautique, Sicoval, Oncopole etc.) Avec les habitants, après avoir tenu des assises de la Mobilité nous avons décidé de réorganiser le réseau en toile d'araignée et en même temps de desservir les villes de la banlieue : c'est notre PDU. Nous avons inauguré la 1re ligne de Tramway en 2009 et nous avons aus- sitôt décidé de la prolonger pour commencer notre toile d’araignée. Le nouveau tronçon sera mis en service le 20 décembre 2013. Nous avons également décidé : - Le prolongement de la ligne B du métro vers la zone économique du Sicoval pour 2018, - la mise en place d'un téléphérique qui relie les deux côtés de la Garonne au niveau de l' Oncopôle qui sera lui aussi un élément de notre toile d'araignée et la mise en place de plusieurs BHNS (Bus à haut niveau de service). La progression du nombre de voyageurs depuis 2008 sur le réseau des transports en commun est de près de 50 % ce qui fait de nous le 3e réseau en Province après Lille et Lyon. Nous enregistrons à ce jour plus de 620 000 validations quotidiennes. Les Toulousains valident nos projets et nous avons fait la démonstration d'une gestion publique des transports dynamique et efficace. Dans la foulée, nous avons transformé la Société d'économie mixte (SMAT) d'assistance à maîtrise d'ouvrage de Tisséo en Service public local pour éviter les contraintes des procédures longues de mises en concurrence (code des marchés publics) et préserver les intérêts des cadres, techniciens et employés de cette société. La régie est confortée et si en 2003-2004 nous étions l'exception qui confirme la règle en passant en régie publique, aujourd'hui, le mouvement de retour vers une gestion publique des transports existe bel et bien.

• Le partage de l’espace public avec la voiture L'autre chantier que nous avons dû affronter avec le prolongement de la ligne de Tramway plus près du centre-ville c'est le partage de l'espace public avec la voiture. Et là nous avons dû passer aux travaux pratiques du débat avec les habitants concernés. Nous avons dû porter l’intérêt d'un outil de transport à la place de la voiture, plus efficace et moins cher, nous n'avons pas encore gagné partout mais, aujourd'hui, la recherche des solutions alternatives à la voiture indi- viduelle est dans la tête des gens avec le service d’autopartage, les systèmes de location de vélo, Velô Toulouse, la marche et l'utilisation des transports en commun. À noter que la progression de la fréquentation du réseau de transports en commun se fait sur la base de tous les modes : métro, tram bus et le TAD (Transport à la demande). Ce débat se complète par la politique du stationnement en centre-ville où nous avons continué et élargi dans le centre, et là où c'est nécessaire, la mise en place du stationnement payant avec un tarif préférentiel pour les résidents, pour les services à la personne et pour le maintien à domicile. Là aussi, le débat est ouvert, des habitants de certaines rues font des pétitions pour nous le demander, d'autres le refusent, et à ce jour, tout le centre-ville est couvert ce qui permet de limiter les flux de voitures qui asphyxiaient le centre-ville et nous avons inauguré le 15 juillet la piétonnisation de la place du Capitole et de quelques rues autour, chose impensable il y a 10 ans.

• Les zones limitées à 30 km/h : Nous progressons dans leur déploiement en fonction de la demande des habitants, contrairement à d'autres villes qui avaient fait de grandes annonces et ont organisé des référendums généraux qu'elles ont perdus.

• La prévention, axe très important Nous avons diminué sensiblement le nombre d'accidents. 40 % des tués dans la Communauté urbaine le sont en deux roues motorisés. Nous avons travaillé durant ce mandat avec la Fédération Française des Motards sur des campagnes de prévention, et dans le cadre de la semaine de la mobilité, l'effort a porté essentiellement sur la prévention. Tous les ans nous coorganisons avec la police, la gendarmerie, les fédérations et associations de motards, le « Printemps des Motards » événement festif qui a réuni cette année plus de 2500 personnes pour faire la fête sur un fond d'éducation à la prévention. J'ai pu aussi animer un atelier sur les livraisons en centre-ville. Il existait une charte de livraisons qui n'était respectée par personne et j'ai proposé de lancer une réflexion avec tous les intéressés sur ce sujet: transporteurs individuels, avec leurs syndicats, la chambre de commerce, l'Etat et les services de la ville. Nous avons fait faire un bilan des pratiques par un bureau d'études, bilan partagé par les intéressés et à partir de là nous avons lancé des ateliers pour travailler sur les différents aspects que revêt la livraison en ville et nous avons coécrit une charte dans laquelle toutes les parties prenaient des engagements. Cette charte a été conclue et votée en séance du Conseil Municipal en juin 2012 et signée solennellement en septembre 2012 par les représentants des participants. Depuis, nous nous revoyons tous les 3-4 mois pour faire le bilan de la mise en œuvre et pour modifier ou compléter certains aspects. Lors de la première réunion, nous étions une trentaine, rapidement ce chiffre a doublé et même aujourd'hui pour les réunions de mise au point, nous sommes encore une cinquantaine. Je dois dire que toutes les parties ont joué le jeu. Aujourd'hui la plus grosse difficulté rencontrée par les transporteurs est l'obtention de véhicules de livraisons électriques et l'installation chez eux de bornes de recharges avec une fourniture d'énergie suffisante. Devant les délais de fabrication, nous sommes obligés d'accorder des dérogations pour les véhicules thermiques. Que fait notre industrie ?

 

BERNARD MARQUIE est Maire Adjoint PCF et délégué à la Communauté urbaine Toulouse Métropole.