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Port-de-Bouc. « L'humanisme au cœur de nos combats »

le 22 May 2012

Port-de-Bouc. « L'humanisme au cœur de nos combats »

Commémoration. Hommage à Raymond Aubrac, lors de la cérémonie du 8 Mai 1945 qui célèbre la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Mardi 8 mai, la célébration de la fin de la Seconde Guerre Mondiale a rassemblé plusieurs générations d'habitants près de la gare SNCF, sur la symbolique place du 8 Mai 1945. Les porte-drapeaux, les corps de métiers constitués, les Présidents d'associations d'anciens combattants, les élus et tous ceux qui portent en eux un message de paix se sont réunis pour célébrer la fin de la Seconde Guerre mondiale, 67 ans après.

Avec la fanfare et les majorettes de Port-de-Bouc en tête, le Maire, Patricia Fernandez-Pédinielli, les élus, le Député de la 13ème circonscription, Michel Vaxès, et la population ont procédé au traditionnel défilé du 8 mai dans le centre-ville. Pour l'occasion, les majorettes avaient préparé une chorégraphie avec une nouvelle tenue rouge et argent, très élégante. Le défilé a rejoint le Monument aux morts de la Lèque afin de procéder au traditionnel dépôt de gerbe et aux discours hommage.

Hier comme demain, résister !

Cette année, la célébration du 8 mai a été marquée par la présence d'une jeune Port-de-Boucaine qui aura bientôt 11 ans, Mérine Braza. De sa voix douce et claire, elle a tenu à lire une lettre de Jean-Pierre Rosnay, qui est entré en résistance à l'âge de 15 ans. A la fin de sa lecture, qui a véritablement émue l'assemblée, elle s'est tournée vers son papa, les larmes aux yeux. « Ce que j'ai lu m'a touché », a t-elle confié.

Sa participation volontaire a été saluée par madame le Maire qui l'a remerciée « d'être à ses côtés pour témoigner de son amour de la paix à travers ce poème de résistance ».

L'année 2012 a aussi été marquée par la disparition d'un grand homme, qui avait toute sa place dans la commémoration du 8 mai 1945. Cet homme de la région, qui fut l'un des tout premiers Résistants en France, c'est Raymond Aubrac. Disparu le 10 avril dernier à l'âge de 98 ans, Raymond Aubrac n'a jamais cessé d'être une « sentinelle de l'Histoire », comme l'a rappelé madame le Maire, qui a tenu à lui rendre hommage en ce jour solennel.

Plus jamais ça !

« Toute sa vie, Raymond Aubrac a sillonné les écoles pour, comme il le disait si bien : surveiller et essayer de comprendre passe dans la société qui nous entoure. Et quand on a le sentiment qu'on est devant une injustice, réagir à l'injustice, ne pas se contenter de la constater mais essayer de faire quelque chose. Pour moi, c'est ça la résistance, ça couvre des petits gestes et aussi quelques aventures ».

Le Maire a également insisté sur l'importance du devoir de mémoire, car il ne faut jamais cesser de tirer des sonnettes d'alarmes face aux dérapages de l'Histoire, tout comme l'ont fait Raymond et Lucie Aubrac et leurs camarades qui ont lutté pour la paix, tout au long de leur vie.

En 2010, Raymond Aubrac avait déclaré qu'il sentait venir la banalisation des idées d'extrême-Droite et le dévoiement de la République. « Aujourd'hui, chacun mesure la terrible responsabilité de ceux qui ont donné un label de respectabilité aux idées d'extrême-Droite, à la xénophobie, à la haine et au rejet de l'autre (…) Nous refusons cette République défigurée car nous voulons une République laïque, démocratique et sociale qui s'attache inlassablement à garantir à tous, l'égalité en dignité et en droits, l'égale liberté et l'égal respect de la part de ceux qui gouvernent ».

Le Maire a souhaité que ce message de paix relie l'ensemble des générations, celles d'hier, celles d'aujourd'hui et celles de demain. « Sachons mettre l'humanisme au cœur de tous nos combats à venir. Vive la France, vive la République ».

La Marseillaise, le 17 mai 2012

Gignac. « Le ventre est encore fécond »

le 11 May 2012

Gignac. « Le ventre est encore fécond »

Hommage. La Municipalité de Gignac, les communistes et la FNDIRP ont honoré la mémoire de Marcel Paul le 29 avril dernier. C'est Guylaine Gonzalez qui a prononcé le discours.

Nous sommes aujourd'hui le 9 mai, lendemain du jour anniversaire de la fin de la Seconde Guerre Mondiale qui a été célébrée dans tout le pays.

Nous avons choisi de nous souvenir au travers de l'histoire d'un homme remarquable, d'un militant sans concession, d'un homme d'État majeur au sortir de la guerre : Marcel Paul.

La municipalité de Gignac, en compagnie des communistes de la ville et de la FNDIRP lui ont rendu hommage le 29 avril dernier. Guylaine Gonzalez, Adjointe communiste a pris la parole au côtés de Robert De Vita (1er Adjoint), Alain Croce Conseiller Municipal PCF, Jacqueline Mahieu (Adjointe aux Affaires Sociales), Gabriel Pernin (Adjoint aux Finances), Jacques Messeguer (Adjoint communiste de Châteauneuf). « Aujourd'hui, commémorer le souvenir de la déportation et honorer la mémoire de Marcel Paul, a une haute signification en ces temps de tourmente où les thèses racistes et xénophobes, sont reprises et banalisées au plus haut niveau de l'État. Cet épisode nous rappelle ce que disait Berthold Brecht. "Le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde" », déclarait en préambule Guylaine Gonzalez.

Une vie de communiste exemplaire

Marcel Paul, (un boulevard à porte son nom à Gignac où une stèle a été installée en bordure de voie), a été trouvé enfant, le 12 juillet 1900, dans le 14ème arrondissement de Paris où il avait été abandonné. Il commence à travailler à l'âge de 13 ans comme valet de ferme dans la Sar-the. Il milite à 15 ans aux Jeunesses Socialistes contre la guerre.

Mobilisé dans la marine, il participe à la révolte des équipages de Brest, puis à celle des marins qui refusent de faire fonctionner la centrale électrique de Saint-Nazaire contre les ouvriers en grève. À sa démobilisation, il travaille dans le bâtiment et commence à exercer une activité syndicale. Il est ensuite embauché comme électricien. En 1923, il adhère au Parti Communiste. De 1931 à 1936, il occupe le poste de Secrétaire Général de la Fédération des Services Publics CGTU, hospitaliers, éclairage et force motrice. En 1932, il est violemment agressé à la sortie d'une réunion syndicale du personnel soignant de l'Hôtel-Dieu de Marseille. Une infirmière qui l'accompagne, Edmée Dijoud, est tuée. Il est nommé ensuite Secrétaire Général Adjoint, puis Secrétaire Général (en 1937) de la Fédération réunifiée de l'éclairage.

Présenté par le PCF aux élections municipales de 1935 dans le 14ème arrondissement de Paris, il est élu. En 1939, il est fait prisonnier, il s'évade deux fois. Il rejoint la Bretagne, où il organise les premiers actes de résistance. Il est arrêté en novembre 1941. Jugé en février 1943 par la section spéciale, il est condamné à quatre ans de prison. Livré en février 1944 aux Allemands, Marcel Paul tente une nouvelle fois de s'évader. Il est déporté le 27 avril 1944 à Auschwitz, où un matricule lui est tatoué. Le 14 mai, il est transféré à Buchenwald avec les hommes de son convoi. Dans le camp, il devient l'un des chefs de la Résistance clandestine, au sein du « comité des intérêts français ». Il sauve ainsi de nombreux déportés français, dont Marcel Dassault, ingénieur, entrepreneur, homme politique de Droite. En octobre 1945, il crée avec le colonel François-Henri Manhes, Adjoint de Jean Moulin, la FNDIRP pour témoigner au nom de victimes des camps.

Ministre de la Production Industrielle de 1921 à 1946

Nommé Ministre de la production industrielle le 21 novembre 1945 dans le gouvernement de Charles de Gaulle, il reste à ce poste jusqu'en décembre 1946. Le 2 décembre 1945, il vote la nationalisation de la Banque de France et des organismes de crédit.

Le 27 mars 1946, il propose la nationalisation de l'énergie et organise la création d'EDF-GDF, qui est votée le 8 avril 1946. Il en élaborera également le statut du personnel. En tant que Ministre de la Production industrielle, il dépose, le 15 janvier, un projet de loi relatif au personnel des exploitations minières et assimilées, plusieurs projets sur les élections aux Chambres de métiers et, le 20 avril, un projet portant réglementation des conditions d'accès à la profession de coiffeur.

Le 19 avril 1946, il vote pour l'adoption de la Constitution et le 24 avril pour la nationalisation des sociétés d'assurances. En février 1947, il devient Président du Conseil Central des Œuvres Sociales (CCOS) d'EDF-GDF où il reste jusqu'à la dissolution de l'organisation par le gouvernement de René Pleven, le 17 février 1951. Il est nommé officier de la Légion d'honneur en avril 1982.

À l'issue de la cérémonie du 11 novembre 1982, il est pris d'un malaise fatal. Il meurt chez lui quelques heures plus tard. « Notre peuple qui vit une crise profonde de société ne doit pas se tromper de colère. Il se doit d'exercer son droit d'expression démocratique conquis de haute lutte pour construire ensemble un monde meilleur, où le vivre ensemble prédomine. Une société démocratique qui accepte tous ses enfants. Où les valeurs de la République et de la laïcité prennent le pas sur les idées de haine ou d'exclusion. Plus que jamais la Liberté, l'Égalité, la Fraternité, doivent demeurer les principes de notre République. C'est aussi cela le message laissé par Marcel Paul », concluait Guylaine Gonzalez avant que l'assistance fasse une minute de silence.

Joffret Melen (La Marseillaise, le 9 mai 2012)

Projection-débat « Gaston Crémieux, Le Procès »

le 03 May 2012

Projection-débat  « Gaston Crémieux, Le Procès »

Une programmation proposée par l’Ordre des Avocats du Barreau de Marseille En partenariat avec le cinéma Les Variétés En présence des acteurs.

Cinéma Les variétés

37, Rue Vincent Scotto

13001 - Marseille

Mardi 22 mai à 20h

Nombre de places limité - Sur réservation uniquement jusqu’au 21 mai 2012 à 12h

Secrétariat de l’Ordre des avocats : 04 91 15 31 66

Prix des places au tarif habituel du cinéma

Gaston Crémieux, Le Procès.

Film réalisé par Ponts Bleus Productions (2012 - 1h30)

À propos

Ce film retrace la reconstitution historique du procès de Gaston Crémieux que des avocats et magistrats professionnels ont accepté de rejouer le 2 décembre 2011 dans la salle du Palais de Justice de Marseille où il a eu lieu 140 ans auparavant avec la complicité du public.

Résumé

Gaston Crémieux, originaire de Nîmes, avocat de formation, arrive à Marseille en 1862 à une époque où la classe ouvrière subit les excès de la politique libérale de Napoléon III. La misère du peuple émeut Crémieux que l’on surnomme « l’avocat des pauvres ». La Troisième République, proclamée le 4 septembre 1870 à la suite des défaites successives de l’armée française contre les Prussiens, permettra à Gaston Crémieux, républicain avancé, de faire son entrée en politique. En mars 1871, les Républicains à Paris décident de s’opposer au gouvernement de Thiers en proclamant La Commune. Crémieux dont les talents oratoires galvanisent les foules n’hésitent pas à leur emboiter le pas et prend la direction de la Commune de Marseille le 23 mars 1871. L’insurrection est réprimée par les représentants de l’armée versaillaise le 4 avril 1871. Gaston Crémieux est arrêté jugé et condamné à mort le 22 juin 1871 par le Conseil de guerre à l’issue d’un procès inique et fusillé le 30 novembre 1871 au Palais du Pharo. Juif et franc-maçon, Crémieux était le coupable idéal pour expier tous les crimes reprochés par Thiers aux Communards. Victor Hugo ému par l’exécution de ce noble cœur qu’était Gaston Crémieux, écrit dans une lettre adressée à sa veuve que l’histoire rejugera le procès de cette homme mais l’histoire n’a pas refait son procès.

Dans le cadre du 140e anniversaire de la Commune, Roger Vignaud, avocat et historien, auteur de plusieurs livres sur La Commune de Marseille, eut l’idée de procéder à la reconstitution du procès de Gaston Crémieux mais avec des avocats et magistrats professionnels dans les lieux mêmes où Gaston Crémieux avait été condamné. L’idée a séduit le Bâtonnier Jérôme Gavaudan, la Chancellerie qui a donné son accord pour l’utilisation du Palais de Justice mais également de nombreux historiens et militants tous passionnés d’histoire sociale et surtout la société de productions Ponts Bleus Productions qui allait filmer la pièce.

La reconstitution du procès a eu lieu le 2 décembre 2011. C’est devant une salle comble que s’est rejoué le procès de Crémieux, présidé par Jean-Pierre DESCHAMPS, ancien Président de la Cour d’Assises d’Aix, avec à ses côtés comme assesseurs Cécile THIBAULT, Conseiller à la Cour d’Appel d’Aix et Benoit VANDERMAESEN, Vice-Procureur du TGI de Marseille. Le rôle du procureur était joué par Sylvie CANOVAS, Vice-Procureur du TGI de Marseille. L’accusé Gaston Crémieux, interprété par Roger VIGNAUD, avocat au Barreau de Marseille, et défendu par Sixte UGOLINI, ancien Bâtonnier du Barreau de Marseille

Mode de production et de distribution

Ce film sur la reconstitution du procès de Gaston Crémieux a été produit en toute indépendance par la société de production Ponts Bleus Productions.

Hommage de Pierre Dharréville à Raymond Aubrac

le 15 April 2012

Hommage de Pierre Dharréville à Raymond Aubrac

La voix de Raymond Aubrac va nous manquer. Nous nous souvenons à Marseille, de ce jeune Commissaire de la République, avec qui nous organisions la Libération de la ville et la sortie des ténèbres. Nous nous souvenons des réquisitions d'entreprises, où le pouvoir était donné aux salariés, parce que les patrons avaient trahi. Nous nous souvenons de son intervention en faveur des travailleurs indochinois dans le camp de Colgate Mazargues. Nous nous souvenons du décret d'exception, faisant siéger Pascal Posado au Conseil Municipal, plus jeune Conseiller Municipal de France, pour donner toute sa place à la jeunesse dans la reconstruction. Nous nous souvenons des attaques portées contre le grand serviteur de l'État qu'était Raymond Aubrac, pour la considération dont il témoignait à l'endroit des communistes, et de la tranquillité avec laquelle il en répondait. Parce qu'il savait que le combat pour l'humain n'est jamais achevé et qu'il faut des voix pour le mener. C'est avec son souvenir au cœur, comme avec celui de Lise London, disparue voici quelques jours, que nous porterons les valeurs de la Résistance, qui ont sauvé l'humanité de la barbarie nazie et mis en œuvre de formidables espérances.

Décès de Raymond Aubrac. Communiqué de presse de Jean-Marc Copolla

le 12 April 2012

Décès de Raymond Aubrac. Communiqué de presse de Jean-Marc Copolla

C’est avec tristesse que j’ai appris le décès de Raymond Aubrac.

On connaissait son attachement pour la cité phocéenne, lui qui fut Commissaire de la République à Marseille à la Libération, et qui y ordonna notamment la réquisition d’usines.

Il aimait aller à la rencontre des jeunes dans les collèges et les lycées, qu’il encourageait à faire vivre et retransmettre l'héritage de la Résistance.

J’ai eu la chance de partager avec lui de longues discussions durant lesquelles il rappelait toujours la nécessité de résister au libéralisme, de combattre la politique de la peur et de la stigmatisation pour défendre la République laïque, démocratique et sociale, celle du Conseil National de la Résistance, libre, égale et fraternelle.

J'ai été frappe de la grande admiration qu'il portait à sa femme Lucie, et pour l'engagement qu'elle a eu jusqu’ a la dernière heure.

Je tiens à saluer la mémoire de cet homme qui, jusqu’au bout, a été un citoyen très actif faisant preuve d’une grande lucidité et d’une grande clairvoyance.

Son courage forçait le respect et l’admiration comme sa détermination encourageait à l’engagement militant autant pour la Paix que pour l'intérêt général. Des sujets vraiment d'actualité.

Jean-Marc Coppola, Vice-président de la Région PACA, Conseiller municipal de Marseille

Marseille, le 11 avril 2012

 

 

« Votez utile ! Votez pour moi ! » Petite histoire d’une expression, Simon Desmarest*

le 04 April 2012

« Votez utile ! Votez pour moi ! » Petite histoire d’une expression, Simon Desmarest*

Pourquoi les partis politiques appellent-ils désormais au vote utile au point d’en faire un argument de campagne ? Apparent fruit du « traumatisme politique » du 21 avril 2002, le vote utile s'avère être en réalité une expression bien plus ancienne, utilisée dès les débuts de la Ve République.

N euf mars 2012, France 3. François Bayrou est l'interviewé du jour. « Le seul vote utile c'est moi » lâche-t-il au milieu de l'entretien. Cinq jours plus tard, le 14 mars, dans un entretien accordé à La Provence, François Hollande lance : « la dynamique du premier tour est décisive pour l'emporter. Aucune voix ne doit manquer », élégante manière d'appeler au vote utile en faveur du PS.

1962 - 1974 : un vote utile implicite

Le « vote utile » sous-tend l'idée du  rassemblement contre une force politique adverse. C'est donc un phénomène bien plus ancien que l'expression elle-même. C'est à partir de 1962 que la pratique du « vote utile » se met en place dans l'élection présidentielle, le général De Gaulle ayant décidé que le président de la République serait dorénavant élu au suffrage universel direct. Ce choix va modifier en profondeur la compétition politique. La première élection présidentielle au suffrage universel direct (depuis 1848) a lieu en 1965. L'expression de vote utile n'y est pourtant pas utilisée et ce, pour trois raisons :

 

• il n’y a que six candidats au premier tour : François Mitterrand, Charles De Gaulle, Jean-Louis Tixier-Vignancour, Jean Lecanuet, Pierre Marcilhacy et Marcel Barbu ;

 

• la campagne présidentielle se fait sans grand concours télévisé, et les candidats les moins connus – Marcilhacy, Barbu et Tixier-Vignancourt – ne disposent pas d'un espace médiatique suffisant pour se faire connaître face à un De Gaulle, un Lecanuet ou un Mitterrand ;

 

• en 1965, la gauche présente un candidat unique, sorte de pratique « anti-vote inutile ». Toute la gauche s'est rangée derrière François Mitterrand, ce qui permet d'affirmer que déjà en 1965, la tentative d'écarter toute candidature inutile est réfléchie. Cette expression n'est donc pas utilisée mais la gauche a effectivement un comportement de « vote utile » qui ne dit pas son nom. Le candidat le laisse d'ailleurs entendre lui-même : «  je suis candidat contre le général De Gaulle, contre lui seul, car lui seul compte à droite. […] je suis le candidat de la gauche, […]  je suis le candidat de toute la gauche ».
Cette logique est martelée avec constance par François Mitterrand. Ainsi, en 1970 encore, en vue des prochaines élections législatives : « Je pense que tout doit être fait pour maintenir l'union de la gauche, pour rassembler les socialistes, et pour, liquidant tous les sectarismes inutiles, appeler la majorité des Français à 'changer de bord'. »

Mais l'unité de la gauche se fissure et la formation de François Mitterrand ne fait pas l'unanimité en 1969. Se présentent alors une pluralité de candidats de gauche – cinq sur les sept candidats. C'est sans doute lors de ces élections que l'expression, directe ou détournée, de « vote utile » trouve ses fondements. Michel Rocard lance ainsi un appel le 27 mai 1969 : « voter utile, c'est voter pour un avenir socialiste. » Mais cet appel est vivement critiqué le soir du second tour par un journaliste de l'Humanité qui lui reproche d'être un « candidat de division ». Jacques Duclos, le candidat du PCF en 1969, expliquait en effet la veille du premier tour qu'il « est absolument indispensable que la gauche soit présente à ce 2e tour de scrutin. Et elle ne peut l'être qu'en ma personne. […] J'appelle tous ceux qui veulent quelques changements dans la société  à [voter pour moi] dès le premier tour de scrutin. »
 

1974 - 1988 : la cristallisation et la routinisation de l'emploi du terme vote utile

 

Il est intéressant de remarquer que parallèlement à l'essor du vote utile en France, apparaît dans les années 1970 la théorisation de ce phénomène par l'intermédiaire des Américains, Allan Gibbard et Mark Sattherwaite, sous le nom de tactical voting [vote tactique]. Dès lors, les théories de l'individualisme méthodologique utiliseront beaucoup ce paradigme de sociologie électorale.
En outre, l’expression figée commence à cristalliser : Michel Rocard parle en 1973 à la télévision de « vote utile ou efficace » pour expliquer son échec.

C'est en fait l'élection présidentielle de 1974 qui est fondamentale pour la construction de cette expression. On peut le remarquer en observant trois phénomènes :

 

1) après avoir été éliminée dès le premier tour en 1969, la gauche décide à nouveau de se regrouper et de ne présenter qu'un candidat – François Mitterrand. Là encore, la stratégie de l'utilité d'une seule candidature se déploie : la logique du « vote utile » liée au mode de scrutin lui-même joue à plein ;

 

2) mais ce qui fait des élections de 1974 un événement fondamental pour le « vote utile » c'est aussi que la droite est, cette fois, divisée : Valéry Giscard d’Estaing le dispute au gaulliste Jacques Chaban-Delmas, successeur en titre de Georges Pompidou, décédé en avril 1974. Le gaulliste veut jouer sur le « vote utile » face à son concurrent, en s'appuyant sur la rhétorique gaullienne du « rassemblement ». Il dit par exemple en avril 1974 : « Il m'est apparu que ma candidature était indispensable, pour barrer la route aux candidats du parti socialiste et du PCF » ; quelques jours plus tard : « ne tombez ni d'un côté ni de l'autre... ». Mais lors de la soirée post-électorale de 1974, Pierre Charpy, journaliste à La Nation, dira que Chaban-Delmas « a beaucoup souffert des conditions dans lesquelles cette campagne s'est engagée […] autour des thèmes de l'unité de candidature, le bon, le mauvais candidat ». Le pari de Chaban-Delmas est donc perdu malgré sa campagne autour de l'utilité de sa présence.

 

3) Jean-Marie Le Pen essaie lui aussi de se faire une place dans l'échiquier politique à droite de Giscard d'Estaing.

 

Le FN du statut de victime du vote Utile à celui de prétendant au vote utile

 

Le Front National joue aussi sur le terrain du vote utile en se montrant hostile à la gauche et très opposé à la droite. Jean-Marie Le Pen regrette ainsi amèrement le « vote utile » en faveur de Pompidou en 1974 : « un certain nombre d'électeurs ont jugé utile, et plus intelligent, tactiquement, de voter pour M. Giscard d'Estaing en essayant de barrer la route au marxisme. » Il déplore que les électeurs n'aient pas « voté pour leurs idées. » (Le Pen, 19/04/1974).    
Le « vote utile » permet ainsi de comprendre une part de l'ascension du FN et de sa dynamique depuis sa création. Toutefois, les élections « intermédiaires » des années 1980 – européennes (1984) et cantonales (1985) – ne sont pas propices au « vote utile », l’enjeu d’une élimination du second tour étant inexistant du fait même du mode de scrutin (proportionnelle d’une part et qualification pour le second tour au-dessus d’un seuil et non par élimination des candidats arrivés en-deçà de la deuxième position). Le FN s’étant imposé au point de rassembler 14,8% des voix en 1988, il utilise dès lors à son profit le « vote utile » jusque-là déploré. Ainsi, en 1995, Le Pen appelle l’électeur de Philippe de Villiers à « voter utile […] pour reporter ses voix sur le candidat bien placé », c'est-à-dire le FN. Ce parti passe donc de victime du vote utile (1974) à celui de prétendant au vote utile (1995). Grâce aux appels au vote utile, ou, au contraire à « voter pour ses idées », on entrevoit peut-être la force d’un parti dans le champ politique à un moment donné.

1974 et la cristallisation du syntagme

Revenons aux élections de 1974, moment où cristallise l'expression « vote utile » qui sera dès lors utilisée pour appeler à voter pour son parti, principalement lorsqu’on est annoncé en tête de son camp, voire pour expliquer une défaite. Il semble donc qu'à partir de cette date, l'expression se soit institutionnalisée dans le débat. Elle devient donc commune et employée très fréquemment. Deux exemples lors des élections présidentielles de 1981 et de 1995.
En 1981, la dynamique d'alliance à gauche fonctionne, mais au détriment du PCF. Georges Marchais, candidat communiste, n'est pas qualifié au second tour. Le soir même, interrogé par la télévision, il déclare : « je comprends, évidemment je regrette [… que] les électeurs aient pensé qu'il fallait voter utile et au premier tour se débarrasser de Giscard. »    
Second exemple, en 1995, Robert Hue est alors le candidat du PCF. À l’occasion d'une interview accordée à Antenne 2 le 19 avril 1995, le commentaire indi­que que « Robert Hue entend çà et là les appels répétés au vote utile. La présence d'un candidat de gauche au second tour serait l'enjeu. »

 

La cristallisation, l'évolution et l'installation du syntagme « vote utile » depuis cinquante ans se révèle ainsi très intéressante dans la mesure où elle constitue un indice pour comprendre l'histoire de la vie politique qui se polarise autour de l’élection présidentielle au suffrage universel direct, uninominal et ne retenant, pour le second tour que les deux candidats arrivés en tête au premier. Parallèlement, on constate que les argumentaires des principales forces politiques soulignent de plus en plus en l'utilité de leur candidature et/ou de leur parti, comme s'il s'agissait d'une justification de leur présence dans la compétition politique.

Le vote utile possède donc une double acception et donc une double dynamique : l'unification derrière le favori face à un adversaire commun appelle le vote utile pour fortifier un camp contre un autre ; les « dissidents » par contre, eux, l'emploient occasionnellement, à contre-pente,  comme en 1969 (Rocard) ou encore en 1974 (Le Pen) pour marquer une candidature du sceau de l'originalité : votre vote pour moi est utile, car il permet à de nouvelles idées d'arriver au pouvoir. 

*Simon Desmarest est étudiant en histoire et en sciences politiques à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

La Revue du Projet, n° 16, avril 2012
 

Voter utile, Une mise en perspective historique XIXe-XXe siècle , Raymond Huard

le 04 April 2012

Voter utile, Une mise en perspective historique XIXe-XXe siècle , Raymond Huard

Si le  terme « vote utile » est apparu assez récemment dans la vie politique française, la notion d’utilité n’en est pas moins depuis longtemps consubstantielle à celle d’élection.

S i l’on vote, c’est bien parce qu’on pense que cela sert à quelque chose. Sinon, on s’abstient et on prône même l’abstention (« Élection-trahison ! »). Les variations très importantes du taux d’abstention selon les scrutins révèlent d’ailleurs l’appréciation que les électeurs portent sur l’utilité de telle ou telle consultation.

L’utilité du vote a été conçue de façons diverses au cours du temps. En outre, dans l’ensemble des électeurs, tous, à un moment donné, n’ont pas forcément la même conception de l’utilité de leur vote, et sans doute aussi, chez un même électeur, plusieurs conceptions peuvent coexister de façon plus ou moins consciente. Elles peuvent être naturellement instrumentalisées par les candidats. Ces différentes visions se regroupent en deux catégories principales, l’une qui privilégie, pour des raisons très variées d’ailleurs, la personne du candidat, l’autre, celle du vote politique.   

Intérêt immédiat, déférence, vote plébiscitaire

 

Au XIXe siècle, à l’époque du Second Empire, chez les électeurs les moins politisés et dans les milieux ruraux, on a pu considérer que l’élection était une occasion d’obtenir d’un candidat des avantages immédiats sous forme de dons d’argent, de libations et agapes diverses, ou bien qu’elle devait donner lieu à des  cadeaux  aux communes (pour une fontaine, une voiture de pompiers, etc.). Si les abus en cette matière furent sanctionnés et si ces pratiques devinrent moins voyantes, sous la Troisième République, les élus républicains eux-mêmes n’hésitèrent pas parfois à faire valoir auprès des électeurs les avantages concrets qu’ils pouvaient  leur apporter.

Plus élaborée, moins directement intéressée, une conception notabilitaire fut surtout présente pendant la période de suffrage censitaire entre 1815 et 1848, mais persista au-delà, en particulier dans certaines régions rurales ou même urbaines. Le notable local (grand propriétaire ou usinier) est considéré alors comme le seul candidat valable, « naturel », ce que semblent justifier son instruction, sa richesse, sa capacité à animer la vie économique du pays,  son influence au niveau du pouvoir d’État. Il fait appel, non sans contrainte parfois, à la déférence, au dévouement personnel des électeurs. Ses adversaires sont jugés comme des utopistes impuissants, risquant de mener le pays à la ruine.

 
Tout au long de l’histoire électorale, le vote plébiscitaire, que ce soit au profit de Bonaparte, de Louis Napoléon en 1848 et sous le Second Empire, du général Boulanger entre 1887 et 1889, ou de Charles de Gaulle  en 1958, incarna aussi une conception du vote utile. Il répondait, en général dans une période de malaise ou de crise, à la demande d’un pouvoir fort, privilégiait l’exécutif jugé plus efficace que les « bavards » des Assemblées. L’électeur était dès lors prêt à s’abandonner à un homme « exceptionnel », qu’il fût effectivement hors du commun ou fût promu tel par une propagande efficace.

Un vote politique
aux contenus divers  

 

Mais très tôt également, et dès la Révolution, s’affirma une conception plus politique du vote. Dans le grand débat qui opposait les partisans de la Révolution aux contre-révolutionnaires, l’enjeu politique, la survie, la consolidation ou même l’approfondissement des acquis de la Révolution passa au premier plan et les élections de l’époque révolutionnaire que ce soient celles pour la Législative en 1791, la Convention en 1792 ou les élections du Directoire entre 1795 et 1799, manifestèrent bien l’existence d’un débat politique de fond. Cet héritage se retrouva dans le mouvement républicain au XIXe siècle, qui  mit l’accent  sur un choix  institutionnel, celui de la République présentée comme un régime propre à assurer à la fois les libertés et le progrès social, puis il se différencia en fonction des options de ces mêmes républicains. Le vote politique caractérisa aussi les royalistes qui défendaient l’option opposée. Nombre d’élections législatives de la troisième République de 1875 jusqu’au Front populaire, furent marquées par un débat politique de grande ampleur.

L’attitude du mouvement ouvrier et socialiste fournit un autre cas de figure. Il resta divisé assez longtemps sur la question de l’utilité du suffrage, mais il finit par s’y rallier majoritairement et petit à petit s’imposa l’idée du « vote de classe ». L’utilité du vote consistait désormais à promouvoir au niveau de l’État des représentants de la classe ouvrière dans la perspective d’un passage au socialisme. Si au départ, que ce soit en 1848 ou en 1864, on associa cette idée à l’élection  de représentants ouvriers, les élus proprement ouvriers furent rares jusqu’en 1914 et, de fait, les ouvriers et paysans socialistes acceptèrent d’être représentés surtout par des intellectuels originaires de la bourgeoisie du moment qu’ils se réclamaient du socialisme. C’est avec la fondation en 1920 d’un parti communiste qui s’implanta fortement dans la classe ouvrière, que le vote de classe put coïncider, au moins partiellement, avec l’élection de députés d’origine ouvrière.

 

Aujourd’hui, si l’on prend l’exemple de l’élection présidentielle actuelle, le vote politique semble l’emporter dans les comportements, et, au-delà de leur personnalité – qui entre toujours cependant en compte – les principaux candidats se différencient d’abord par leur programme politique, mais les autres conceptions du vote utile, que j’ai mentionnées, ne subsistent-elles pas obscurément dans les cerveaux sous forme de traces  et ne sont-elles pas à l’occasion utilisées par des candidats ? 

*Raymond  Huard est historien, professeur émérite à l’université de Montpellier, auteur de L’élection du président au suffrage universel dans le monde, La Dispute, 2003.

 

La Revue du Projet, n° 16, avril 2012
 

Une histoire française

le 28 March 2012

Une histoire française

La folie meurtrière de M. Merah donne lieu à des déclarations et des décisions exclusivement répressives qui omettent e d'affronter une question essentielle: nous avons à faire à une histoire française, qui se déroule sur notre territoire, met en présence des français et nécessite par conséquent que l'on s'interroge sérieusement sur l'état de notre société. Notre communauté nationale choquée souhaite comprendre avant de jeter des anathèmes ou de faire des amalgames.

Rien ne justifie un tel acte : ni les horreurs commises sur les enfants palestiniens, ni la présence de nos troupes en Afghanistan, encore moins la référence obscurantiste à la guerre sainte et au choc des civilisations. L'islam n'est pas plus responsable du geste ignoble du jeune toulousain que le christianisme ne l'est du massacre perpétré par ce norvégien qui lui aussi prétendait défendre « sa » religion. Va-ton cesser de chercher des boucs émissaires et regarder la réalité en face : la jeunesse issue des migrations récentes est née et a grandi dans les quartiers et les banlieues de nos grandes villes qui sont en proie à un appauvrissement généralisé. Elle est en voie de désintégration pour reprendre le titre du documentaire que le cinéaste Philippe Faucon vient de leur consacrer. Les travaux de Gilles Kepel sur « les banlieues de l'islam » montrent bien pourquoi ces jeunes sont à la recherche de repères : dans ces cités 1 jeune sur 2 est en échec scolaire, le chômage l'attend et la délinquance le guette. Pour tous c'est le temps du mépris, de la stigmatisation, des discriminations économiques sociales et culturelles, même quand ils sont parvenus à suivre une scolarité normale. Comment s'étonner que dans ce contexte de précarisation sociale, de fragilisation identitaire et psychologique, certains perdent pied et soient sensibles au discours fondamentaliste qui s'appuie sur le fait que la France, leur pays, ne les reconnaît pas et les exclus du champ de la devise républicaine d'égalité de liberté et de fraternité. Les discours xénophobes de N. Sarkozy, C. Guéant ou M. Le Pen sont dangereux et portent une lourde responsabilité dans le climat malsain qui s'est instauré dans la campagne présidentielle que les français jugent sévèrement parce qu'elle ne traite pas de leurs problèmes.

Il devient urgent de faire de la question sociale et singulièrement de l'avenir de la jeunesse une priorité du débat électoral. L'immense majorité des jeunes des cités sont totalement étrangers à la psychose sécuritaire ou anti-terroriste qui nous envahit.

Ils aspirent à une vraie formation, à un emploi durable et intéressant avec un salaire correct, ils rêvent comme tout un chacun, de sport et de culture, d'amour et de voyages. Renouer les liens de solidarité avec ces jeunes quelques soient leurs origines ou leurs références confessionnelles, mener avec eux des luttes pour mieux vivre ensemble, sont les conditions pour créer de l'espoir et ouvrir une perspective de changement. La dynamique que connaît actuellement le Front de Gauche, les attentes qu'il suscite, doit l'inciter à mieux se tourner vers ces populations en déshérences comme il a su le faire avec les salariés.

La Marseillaise, le 27 mars 2012

Décès de Claude Duneton

le 26 March 2012

Décès de Claude Duneton

 

Claude Duneton nous a quittés. Écrivain, pédagogue, journaliste, scénariste, grand connaisseur de la chanson française, et comédien, cet amoureux de la langue française, des langues de France et du monde est décédé hier à Lille. Cet « homme de mots » était aussi un homme de parole, et sa chronique régulière dans le Figaro littéraire ne l’a jamais empêché d’écrire, des dizaines de fois, dans l’Humanité. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer intégralement une de ses courtes tribunes, plaisamment intitulée « Marx en celtique », du 6 septembre 1999 : « Anéantir l'idiome constitutif d'une communauté, quelle qu'elle soit, la priver par la coercition de sa langue racine, langue mère, sera toujours un acte d'une violence extrême. Même les conquérants des Amériques qui liquidaient les Indiens sans remords ne songèrent pas à interdire leurs langues. Parce que c'est la langue qui crée les mentalités, qui force le lien au monde — c'est une notion que nous ne devrions pas perdre de vue en France aujourd'hui. La langue commande l'identité vraie, plus que le sol, on le sait bien, foutre ! Plus que le sol natal ! La nation française a beaucoup souffert et davantage qu'on ne le croit, je pense, de ce terrible viol des consciences. Les conséquences, durant tout le XXe siècle, sont insoupçonnées, sans doute, mais nous les subissons là où on ne les attend pas. » Il ne croyait pas si bien dire. On lui doit une trentaine de livres, , décortiquant les évolutions d’une langue qu’il savait, qu’il voulait vivante. S’il ne fallait en retenir qu’un, va pour celui qui lui fit aborder les rivages de la notoriété, « la Puce à l’Oreille ». Sa truculence, sa fantaisie, sa grande érudition et son humanité nous manqueront. Le Parti communiste français s’associe au deuil de ses proches et de ses lecteurs.

Commémoration des accords d'Évian. Intervention de Félix Girolami

le 22 March 2012

Commémoration des accords d'Évian. Intervention de Félix Girolami

Il y a 50 ans.

Le 19 mars 1962, je suis aux côtés d'André Millo à la direction de l'Union des Jeunesses Communistes de France des Bouches du Rhône. C'est un moment important pour nous. C'est le cessez le feu en Algérie, suite à la signature la veille des accords d'Evian entre le gouvernement français et le GPRA. Une grande victoire de la paix.

Ces accords mirent fin à plus de 7 années de guerre injuste, meurtrière et ruineuse, avec un traumatisme pour nos deux pays.

Un drame qui aurait pu être évité, si ces négociations avec les représentants du peuple algérien avaient eu lieu dès 1954 comme le réclamaient le Parti Communiste Français, la C.G.T. et de nombreux démocrates.

Je me souviens, quand les premiers combats éclatent le 1er novembre 1954, je suis en 3ème au cours complémentaire du Vallon des Auffes. On nous dit alors qu'il faut maintenir l'ordre contre quelques rebelles, que l'Algérie c'est la France. Mais la répression continue en s'amplifiant. Alors avec les jeunes de mon boulevard André Aune, nous sommes inquiets, cela ressemble de plus en plus à une guerre que nous ne voulions pas faire.

La sale guerre d'Indochine vient de se terminer et puis les souvenirs rapportés par nos parents de celle de 39-45 sont encore vivaces avec leurs cortèges d'atrocités. Nous sommes donc très attentifs aux résultats des élections législatives annoncées pour le 2 janvier 1956. C'était un lundi.

En écoutant les résultats devant les journaux dont la Marseillaise, au cours d'Estienne d'Orves, nos espoirs sont immenses. Nous pensons que la guerre va prendre fin, vu que les Partis de Gauche qui proposaient la paix et la négociation étaient majoritaires (150 députés communistes, 95 députés SFIO -socialistes-, 77 radicaux).

Malheureusement, notre déception fût à la hauteur de notre espérance.

Je songeais à ce que mon père m'avait dit au soir du 2 Janvier : « Les communistes tiendront parole, ce n'est pas sûr que les socialistes fassent de même ». Je m'étais insurgé contre ce point de vue rétorquant à mon père que j'avais vu des affiches indiquant que la SFIO fera retourner vos enfants d'Algérie. Notre colère était à son comble surtout quand Guy Mollet, Président du conseil et Secrétaire général de la SFIO, bénéficiant de pouvoirs spéciaux pour faire la paix, mais cédant aux pressions des ultras d'Alger intensifia la guerre. Les troupes engagées sur le terrain passent de 200.000 à 400.000 soldats. Le service militaire passe de 18 mois à 24 mois, puis avec De Gaulle à 28 mois.

Avec les jeunes de mon boulevard, nous sommes furieux, nous ne comprenons pas. Nos parents s'inquiètent pour nous.

C'est alors qu'un communiste du quartier vient à ma rencontre. Il s'appelait Louis Gatto, un traminot (RATVM), comme mon père, qui diffusait avec d'autres, dont Antoinette et Pierre Doize, Secrétaire fédéral du Parti, l'Huma tous les dimanches. Il me propose de donner un prolongement à notre colère et de s'organiser pour la faire connaitre en créant un cercle de la Jeunesse Communiste. C'était début Juillet 1956. Le 14ème Congrès du Parti Communiste Français décidait la recréation de la Jeunesse Communiste pour succéder à l'U.J.R.F. (Union de la Jeunesse Républicaine de France créée à la Libération).

J'en parle à mes copains qui sont d'accord et nous créons le 1er cercle de la Jeunesse Communiste dans ce quartier de Vauban. J'en deviens le Secrétaire et nous engageons notre premier combat politique pour la paix en Algérie. Nous couvrons le boulevard et ses alentours d'affiches écrites à la main, et d'inscriptions à la chaux « Paix en Algérie » « Négociations » « Retour du contingent ».

Par la suite, 5 cercles de la Jeunesse Communiste seront créés à Vauban (avec Francis Guglielmi, Henri Deluy, Georges Fossati) s'ajoutant à l'organisation de l'Union des Jeunes Filles de France. C'est le départ de mon engagement communiste.

Puis De Gaulle arrive au pouvoir en 1958 à la faveur du coup de force du 13 mai en Algérie et de celui des paras le dimanche suivant en Corse. Plusieurs manifestations importantes ont lieu dans tout le pays. Mais De Gaulle poursuit la guerre. Malheureusement, la SFIO est à la proue de la 5ème République.

Après avoir participé à la campagne pour le NON au référendum gaulliste, je pars au service militaire le 2 septembre 1958, que je terminerai 28 mois plus tard en janvier 1961 après avoir passé l'année 1960 à Oran, dans le service de santé comme infirmier militaire.

Devant le développement du rejet de la guerre par le peuple français, la volonté massive du peuple algérien aspirant à son indépendance, De Gaulle est contraint d'accepter cette situation, brave ses anciens soutiens et déclare le 11 avril 1961 « la décolonisation est notre intérêt et par conséquent notre politique ».

La résistance du peuple algérien fût le facteur premier. L'autre facteur fût l'opinion française qui a progressivement accepté, compris et exigé le droit à l'indépendance de l'Algérie et, les communistes avec d'autres y ont joué un rôle déterminant.

Je ne peux m'empêcher de penser à toutes ces manifestations en 1958 contre le putsch et le pouvoir personnel, au 22 avril 1961 contre le putsch militaire en Algérie, à la grève générale et à ce fait nouveau : le contingent à l'initiative d'appelés communistes, syndicalistes, de chrétiens, de gradés républicains repoussant les généraux félons et leurs soutiens, au 17 octobre 1961 et au massacre des algériens à Paris, du 8 février 1962 et à la tuerie de Charonne à l'issue d'une manifestation contre les attentats meurtriers de l'OAS, où 9 militants de la C.G.T. dont 8 communistes parmi lesquels Daniel Ferry, un jeune de quinze ans. Plusieurs cercles de la Jeunesse Communiste porteront son nom.

Alors le 19 mars 1962, c'est une date marquante pour ceux de ma génération, pour le peuple de France et celui d'Algérie.

C'est l'aboutissement d'années de résistances, d'explications, de luttes diverses, de manifestations.

La date du 19 mars doit être maintenue. Elle est partie intégrante de notre histoire.

Félix Girolami.

Marseille, le 16 mars 2012