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Des manuels d’économie version MEDEF, Gérard Streiff

Sous le couvert de l’Académie des sciences morales et politiques, repère de cadors patronaux (Michel Pébereau, Denis Kessler, Yvon Gattaz…), une purge libérale des manuels d’économie est mise au point avec application.
 

Les patrons ne lâchent rien. Eux non plus. Non contents de profiter et d’exploiter, ils voudraient bien éduquer. Et formater. C’est ainsi qu’ils ont les manuels scolaires d’économie dans le collimateur. Ces derniers ne sont pourtant pas d’un radicalisme échevelé, mais ce qui y est dit, le peu qui y est dit sur Marx par exemple, sur l’exploitation, l’aliénation, les prix ou les marchés, tout cela est encore beaucoup trop. On voit, sur ce sujet, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) régulièrement monter à l’assaut de l’école et de l’Éducation nationale, où il rencontre d’ailleurs quelques oreilles complaisantes.

Dernier avatar de cette croisade : la journée de « travail », lundi 30 janvier dernier, que l’Académie des sciences morales et politiques a consacré aux manuels d’économie. Journée dite de « diagnostic », avant une prochaine réunion, elle, de « réorientation ».

L’Académie des sciences morales et politiques est présidée par Michel Pébereau, l’ex patron de BNP-Paribas. L’archétype de la nomenclature du capitalisme à la française. Haut fonctionnaire chargé de privatiser la BNP, il en deviendra le patron. Il a le profil de ce que les Russes nomment les oligarques. L’homme est administrateur d’une ribambelle de sociétés (Total, Saint Gobain, Lafarge, Eads, BNP, Pierre Fabre, Axa, etc.) mais manifestement il lui reste encore du temps pour consulter les manuels scolaires, ceux d’économie tout particulièrement.

Il rêve sans doute de transmettre aux jeunes générations une histoire de l’économie digne d’un conte de fées, avec de gentils entrepreneurs et de désolants salariés, un marché exemplaire face à des inégalités naturelles.

Bref, il présidait une réunion, l’autre jour, à l’Institut, quai de Conti, laquelle héberge son institution, avec cet ordre du jour : « L’enseignement des sciences économiques et sociales » au lycée. Deux journaux aussi dissemblables que Le Figaro (Marie-Estelle Pech, 30 janvier) ou L’Humanité (Adrien Rouchaleou, 1er février) en ont rendu compte. Au programme, la mise en accusation des manuels scolaires d’économie actuels, pas assez alignés sur la doxa du MEDEF.

C’est un dada de nos bourgeois depuis de longues années de vouloir réécrire l’économie, une science économique pure et dure. On peut penser que, depuis la chute du Mur, cette exigence se formule sans vergogne. Il n’est d’économie que libérale. On se souvient que la même académie, en 2008 déjà, flinguait les précédents programmes ainsi : « Il est difficile d’écarter l’hypothèse que cet enseignement, inadapté dans ses principes, et biaisé dans la présentation, soit néfaste. » De cette précédente réunion, nos académiciens avaient bâti une proposition de réforme des programmes mise en musique par le ministre sarkozyste Luc Chatel.

Les manuels ont donc déjà subi plusieurs purges ces dernières années. Un économiste tout à fait normé comme Bernard Salanié en convient : « Je dois dire que j’ai été favorablement surpris [à la lecture des manuels d’aujourd’hui, NdA]. Les sources des articles retenus sont certes bien plus souvent Alternatives économiques que Le Figaro Économie, mais les extraits cités sont moins marqués en général qu’ils ne l’étaient il y a quelques années. » Bref, la mise aux normes libérales est passée par là, mais ça ne fait pas encore le compte pour nos possédants. Comme le dit un des censeurs, « les programmes ont bien tenu compte des propositions des précédentes commissions mais jusqu’à un certain point ».

Il y a encore trop de Marx, trop de Keynes, trop de critiques tout simplement. Des économistes BC-BG, de préférence avec le label de l’université de Columbia, ont donc été invités à sabrer, symboliquement, dans ces textes, tel Yann Coatanlem (voir extraits ci-contre).

Les critiques ont visé tout particulièrement les chapitres « Comment se forment les prix sur un marché » d’un manuel de seconde ; les considérations « franchement caricaturales » sur la justice sociale et le marché du travail d’un livre de terminale ; les propos « souvent tendancieux » sur les politiques de relance ou sur le chômage keynésien. Sur le chômage justement, un économiste d’Oxford s’agace : « On demande aux élèves si le chômage est dû à des coûts salariaux excessivement élevés ou à la faiblesse de la demande. Cela me semble renvoyer directement au paysage politique français ; poser la question en ces termes paraît extraordinairement partisan… »

En fait, ce que ces membres de la Grande Inquisition ont l’air de reprocher aux manuels, c’est de donner une image trop sombre du capitalisme. De la joie, que diable ! Que vive l’entreprise et les entrepreneurs ! L’un des membres de la commission de censure regrette « une tendance à insister sur les aspects négatifs. Je pense qu’on est en droit de soutenir que l’économie mondiale dans son ensemble est en bien meilleur état qu’elle l’a jamais été dans l’histoire ». Comme on disait en 1968, d’où tu parles pour dire des choses pareilles ?
 

La Revue du projet, n°66/67 avril-mai 2017

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Des manuels d’économie version MEDEF, Gérard Streiff

le 02 May 2017

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