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Refonder la sécurité sociale, Frédéric Rauch

À partir d’une réforme d’ensemble du financement de la Sécurité sociale, il s’agit de se donner pour finalité une nouvelle efficacité économique et sociale, qui réponde aux besoins sociaux actuels et à venir, tout en ouvrant la voie d’une sortie de la crise systémique que nous vivons.

À sa naissance en 1945, la Sécurité sociale visait à répondre aux enjeux de sortie de la crise systémique du capitalisme et du libéralisme de l’entre-deux-guerres. Elle se donnait deux objectifs principaux. D’une part, répondre au besoin de justice sociale dans la France d’après-guerre en dépassant les insuffisances des législations sociales de la fin du XIXe et du début du XXe siècle par une nouvelle législation prenant en charge l’ensemble des besoins sociaux de tous les Français. D’autre part, faire de cette nouvelle législation sociale un outil de la reconstruction économique du pays en assurant une efficacité productive et sociale nouvelle, à partir de la richesse créée dans l’entreprise.

Un manque à gagner imputable au ralentissement de la masse salariale

Malgré les réticences de certains, la démarche fut un succès. La crise de notre système de protection sociale nous oblige à reprendre le chemin de cette philosophie. À partir d’une réforme d’ensemble du financement de la Sécurité sociale, il s’agit de se donner pour finalité une nouvelle efficacité économique et sociale, qui réponde aux besoins sociaux actuels et à venir, tout en ouvrant la voie d’une sortie de la crise systémique que nous vivons. Cela suppose d’aller à l’opposé de ce qui a été engagé depuis, et qui a échoué. Les choix politiques opérés n’ont cherché qu’à réduire les dépenses de prestations sociales aux populations et les prélèvements de cotisations sociales sur les entreprises. Mais ni la réduction du périmètre de prise en charge socialisée des assurés sociaux, ni le transfert toujours plus important des entreprises vers les ménages des recettes de Sécurité sociale par leur fiscalisation (impôts et taxes affectées ou CSG) n’ont sérieusement permis de résorber les déséquilibres financiers de la Sécurité sociale. Sauf à réduire le périmètre de la couverture sociale, com­me on le constate aujourd’hui, et à accroître la contribution individuelle.

Et pour cause, les déficits structurels de la Sécurité sociale ne s’expliquent pas par des dépenses excessives. Ils sont la conséquence d’un manque à gagner considérable du côté des recettes, imputable au ralentissement de la masse salariale, lui-même conséquence directe de la montée du chômage, de la précarisation de l’emploi, revendiqué au nom de la baisse du coût du travail et de la financiarisation des gestions d’entreprise. En 1999, le taux de croissance de la masse salariale était de 6 %. Il n’est plus que de 2,4 % en 2016, après n’avoir été que de 1,7 % en 2015 et de moins de 1,3 % par an depuis 2008-2009. Dans une note de la Sécurité sociale publiée en 2013, celle-ci précisait qu’« en prenant du recul sur l’ensemble de la période ouverte par le déclenchement de la crise économique et financière à l’automne 2007, on observe que depuis 2008 la masse salariale du secteur privé a connu une croissance constamment inférieure à son rythme moyen au cours des dix années précédant la crise (4,1 % sur la période 1998-2007) ». Or si la cotisation sociale est un prélèvement sur la richesse produite dans l’entreprise, la masse salariale est sa base de calcul. Rappelons qu’un point de masse salariale représente près de 2 milliards d’euros pour le régime général. De sorte que ce ralentissement s’est traduit par une perte minimale directe de recettes pour la Sécurité sociale de plusieurs dizaines de milliards d’euros, depuis dix ans.

Cette pression sur la masse salariale répond aussi aux objectifs de financiarisation des gestions d’entreprise. D’un côté, elle accentue le partage de la valeur ajoutée (VA) en faveur des profits contre les salaires. La part des salaires dans la valeur ajoutée aurait perdu entre 8 et 10 points depuis 1983 et passerait en 2015 à 49,5 % de la VA brute. De l’autre, elle pousse les logiques de financiarisation des entreprises, qui se traduisent par le fait que leurs profits proviennent des profits financiers et non de leurs activités elles-mêmes. De 1998 à 2015, la part des revenus financiers dans les ressources propres des entreprises est passée d’un peu moins de 24 % en 1998 à 33,6 % en 2015. Or ces actifs financiers ne contribuent pas au financement de la protection sociale, pire, ils se développent contre la croissance réelle, contre l’emploi et les salaires, et donc contre le besoin de recettes nouvelles de la Sécurité sociale.

 

Soumettre les revenus financiers aux cotisations sociales

L’enjeu du financement de la protection sociale, et de la Sécurité sociale en particulier, tout comme sa capacité à répondre aux besoins sociaux actuels et à venir, nécessite donc impérativement de s’opposer à ces logiques financières prédatrices.

Cancer de l’économie, les revenus financiers bruts des entreprises, qui sont aussi le coût du capital qu’elles paient, doivent pouvoir être mis à contribution pour le financement de la Sécurité sociale. Selon nos calculs effectués à partir de la publication des Comptes de la Nation pour 2015, les revenus financiers des entreprises

et des institutions financières représentaient 313,7 milliards d’euros. 236,6 milliards d’euros au titre des produits financiers des sociétés non financières (dividendes reçus + intérêts perçus, revenus des investissements directs étrangers inclus) et 77,1 milliards d’euros de revenus financiers des sociétés financières (dividendes reçus + solde des intérêts versés/perçus). C’est près de 30 % de la valeur ajoutée qui sont prélevés ainsi sur l’économie pour rémunérer les actionnaires et la finance, et qui ne contribuent que très marginalement au financement de la Sécurité sociale.

En soumettant ces revenus financiers aux taux actuels de cotisation patronale de chaque branche, on pourrait dégager immédiatement :

• 41,0947 milliards pour la maladie (13,1 %),

• 26,0371 milliards pour la retraite (8,3 %),

• 16,9398 milliards pour la famille (5,4 %).

Cette contribution nouvelle, qui dépasse largement les besoins de financements actuels des organismes sociaux, permettrait alors de mener une politique sociale active répondant véritablement aux besoins actuels de la population mais aussi à venir (sanitaire, vieillissement, dépendance, petite enfance, etc.). Par

ailleurs, sa nature même permettrait d’engager un processus de suppression progressive de la CSG, aujour­d’hui prélevée uniquement sur les ménages. Ce qui rééquilibrerait les sources de contribution fiscale au financement de la Sécurité sociale (revenus d’activité des ménages/revenus financiers des entreprises).

Mais plus encore, en rendant moins incitatifs les revenus financiers des entreprises, cette cotisation sociale additionnelle permettrait d’engager le combat contre la spéculation en poussant la réorientation de l’activité économique et les gestions d’entreprise vers la production de richesses réelles. Ainsi, loin d’en faire une source de financement pérenne, ce prélèvement fiscal aurait vocation à s’éteindre dans la durée, faute de base fiscale de prélèvement.

 

Modulation des cotisations sociales employeurs

C’est pourquoi, combiné à ce dispositif, nous proposons l’institution d’un dispositif de modulation des cotisations sociales employeurs en fonction de leurs politiques salariales et d’emploi. L’idée est simple et efficace. Dans un mouvement général de hausse progressive des cotisations sociales patronales, il s’agit de moduler le taux de cotisation sociale patronale de chaque entreprise en fonction de l’écart entre son rapport « masse salariale/valeur ajoutée » et celui moyen de sa branche d’activité. Plus cet écart serait négativement élevé, c’est-à-dire plus l’entreprise préfère accroître sa valeur ajoutée en faisant des économies sur l’emploi et les salaires et en développant ses revenus financiers, et plus elle serait soumise à des taux de cotisations patronales élevés. À l’inverse, plus cet écart serait positivement élevé, c’est-à-dire plus l’entreprise adopte une stratégie de gestion vertueuse à l’égard de l’emploi et des salaires par rapport aux pratiques de sa branche, et en proportion moins ses taux de cotisations sociales seraient élevés.

La logique de ce nouveau dispositif est fondamentale. En dissuadant ainsi la course à la croissance financière, aux économies massives sur l’emploi et les salaires, il s’agit de responsabiliser socialement et solidairement les entreprises face au développement de l’emploi, des qualifications et des salaires. Il s’agit d’engager le combat contre les critères de gestion des entreprises, tournés essentiellement vers la rentabilité financière immédiate, et d’opposer des critères de gestion assis sur le développement des capacités humaines. L’objectif serait de les faire participer au financement de la solidarité en incitant à une autre utilisation de l’argent pour viser un nouveau type de croissance réelle. Le développement des ressources humaines constituerait le moteur de ce nouveau type de développement économique et social. Celui-ci à son tour permettrait de dégager des moyens pour financer une nouvelle Sécurité sociale, elle-même articulée avec la sécurisation de l’emploi et de la formation. L’enjeu est donc moins de récompenser les vertueux et de punir les vicieux, que d’enclencher un nouveau type de croissance économique et sociale centrée sur le développement de la ressource humaine.

Inciter à la croissance réelle à partir du développement de l’emploi, des salaires, de la formation, c’est la condition d’un réel « gagnant-gagnant » pour la Sécurité sociale, les assurés sociaux et les entreprises. Pour la Sécurité sociale, ce dispositif permettrait de renouer avec la croissance régulière et importante de ressources de cotisations sociales patronales qui n’ont cessé de se réduire depuis le début des années 1990. Et donc de résorber ses déficits. Pour les assurés sociaux, l’arrivée de nouvelles cotisations patronales permettrait de réduire relativement leur contribution qui a compensé le retrait de la contribution employeur. Ces ressources dynamiques supplémentaires permettraient aussi de mettre fin à la réduction systématique du niveau de la prise en charge socialisée et d’ouvrir au contraire sur de nouvelles prises en charge socialisées.

Pour les entreprises enfin, le développement de l’emploi, des salaires et des qualifications pour accroître les ressources de cotisation sociale de la Sécurité sociale répondrait à deux de leurs difficultés actuelles : les débouchés et la productivité du travail. Cela permettrait d’augmenter le revenu disponible des ménages, et donc de relancer la demande intérieure et le potentiel de débouchés des entreprises, qui leur fait cruellement défaut aujourd’hui pour cause de politiques d’austérité sociale et salariale ! Par ailleurs, cette dépense sociale accrue et dynamisée des entreprises constituerait globalement un moteur d’accroissement de la productivité du travail et donc un facteur de nouvelle croissance. Seule la finance et les spéculateurs seraient perdants. Mais eux, c’est normal, ce sont nos ennemis… 

 

*Frédéric Rauch est rédacteur en chef d’Économie et politique.

La Revue du projet, n°66/67 avril-mai 2017

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Refonder la sécurité sociale, Frédéric Rauch

le 02 mai 2017

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