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Retisser un lien positif, humain et de proximité entre la police et la population, Fabien Guillaud-Bataille

Après la vague d'indignation soulevée par le viol de Théo Luhaka, Fabien Guillaud-Bataille, chargé des questions de sécurité à la direction nationale du PCF évoque pour La Revue du projet le contexte d'extrême tension entre la police et  la population, notamment dans les quartiers populaires. Il développe l'analyse des communistes et leurs propositions pour une police républicaine.

 

Que disent à votre avis de notre société, les difficultés de la justice et des média dominants à qualifier de viol l'acte subi par Théo ?

Il y a plusieurs raisons. D'abord l'aspect « technique ». On ne parle pas de la même chose si c'est un viol ou pas. Cela change la juridiction et les peines encourues. Il y a un temps pour prendre la mesure de l'accusation portée. Le deuxième aspect est politique : un certain nombre de média et de responsables politiques marchent sur des œufs pour éviter d'augmenter la tension mais aussi pour protéger l'institution policière d'une accusation très grave. Le troisième aspect est d'ordre « culturel ». La société dans laquelle nous vivons a un rapport très problématique avec la notion de viol. Les féministes parlent d'ailleurs de « société ou de culture du viol ». Elle se fonde sur des représentations où il y aurait toujours une part de responsabilité chez l'agressé et une part de désir chez l'agresseur. C'est une question très lourde à traiter. Il est indispensable de rappeler que le viol c'est un contact ou un rapport à caractère sexuel imposé par la force quelle que soit l’intention de l'agresseur.

 

S'agit-il d'un fait isolé ?

La réponse est évidemment non. Il s'agit d'un pic d'expression de la violence qui intervient dans un contexte où celle-ci est banalisée. Les rapports de la police avec la population passent trop souvent par des vexations, un manque de respect, des provocations qui parfois ne sont pas sans réponse, des bousculades, des coups qui amènent les interpellés à être poursuivis pour outrage et rébellion. De façon générale, il est très difficile d’avoir des éléments statistiques sérieux sur ces faits puisque seuls ceux qui passent le mur de l’actualité sont portés à notre connaissance et, de façon plus sporadique, des violences extrêmement graves comme celle qu'a subie Théo. Elles vont jusqu'à entraîner la mort, je pense au décès d'Adama Traoré mais aussi, bien sûr, de toutes les victimes avant lui. Le niveau de violence exercé est alors tel qu'on ne peut pas parler d'accident. Le malaise est très profond, il faut le traiter.

 

La vague d'indignation populaire a été l'occasion saisie par des casseurs pour semer le trouble. Comment continuer une mobilisation pacifique ?

Objectivement, il y a un problème. Ceux qui sont censés encadrer et garantir le bon déroulement des mobilisations portent le même uniforme que ceux qui sont pointés du doigt. Cela crée une situation complexe dans laquelle ceux – une petite minorité – qui ne sont là que pour commettre des actes de violences trouvent les conditions pour semer le trouble. La question est : qui va structurer les mobilisations ? Il me semble important qu'il y ait, dans ces mobilisations, des éléments familiaux d'autorité. Des mères, des pères, des adultes des quartiers populaires qui ont eux-mêmes vécu des rapports compliqués à la police et qui souhaitent que ça change en manifestant pacifiquement. C'est aussi une responsabilité du mouvement social, des associations, des partis. Quand je regarde les images de la place de la République, certains de ceux qui allaient à la confrontation avec la police étaient manifestement membres de mouvements organisés, tels qu’on a pu les voir lors des manifestations contre la loi Travail. J’émets des doutes sur leurs préoccupations quant à la situation de Théo et des autres victimes de violences policières.

 

Quelles propositions le PCF, ses élus, formulent-ils pour que cessent les contrôles au faciès et les brutalités policières ?

Une chose est sûre : ce sont les sénateurs communistes qui ont déposé un projet de loi, il y a quelques mois, pour encadrer les contrôles d'identité afin de lutter contre les contrôles au faciès. Le flou dans lequel ceux-ci se déroulent induit une part de subjectivité qui ouvre la porte à des contrôles fondés sur l’apparence ou la couleur de peau. Cette proposition de loi est toujours au Sénat, elle a été travaillée avec des associations qui ont d'ailleurs pointé ce flou dans lequel se déroulent les contrôles d'identité en faisant condamner l’État pour pratiques discriminatoires. Il semble assez logique que les personnes concernées puissent connaître l'identité professionnelle des policiers qui les contrôlent, c'est-à-dire leur matricule.

 

Certains parlent de caméras placées sur les agents…

On a un exemple à ciel ouvert : aux États-Unis, les policiers ont des caméras partout : sur eux, sur leur véhicule. Et pourtant les violences existent à un niveau très inquiétant. Certes, on en a les images mais le but est avant tout de les réduire. Cela passe plutôt de notre point de vue par une formation des policiers qui permette de créer une nouvelle norme. Une définition de comment doit se passer un contrôle et de son but. Quand on est dépositaire de l'autorité de l’État, tous les comportements, tous les gestes sont plus lourds, ils demandent de la retenue et du jugement.

Ces faits surviennent après des mobilisations policières menées hors des syndicats et orchestrées en partie par des éléments d'extrême droite. Quel projet le PCF porte-t-il pour une police républicaine, agissant pour le respect du droit de chacun à vivre en sécurité ?

Les violences policières ne datent pas d’hier. Le climat global dans la police est le reflet de celui de la société. Les policiers votent globalement moins que la moyenne et parmi ceux qui votent le poids du FN est important. C'est aussi le cas chez les catégories C de la fonction publique, chez les aides-soignants, chez les ouvriers… Par ailleurs, lorsque les injustices sont galopantes, lorsque la misère progresse partout, lorsque la promesse républicaine n'est pas tenue, l’État est délégitimé. Par conséquent ceux qui sont dépositaires de son autorité le sont aussi. Pour renouer avec le service public de police, il est donc d'abord nécessaire de retravailler en profondeur le cadre social et républicain global. La priorité est donc de retisser un lien positif, humain et de proximité entre la police et la population. Cela passe par l'attachement des policiers à un territoire et à ses habitants par une présence régulière et durable. Il faut renoncer aux équipes volantes dont les manières d'intervenir créent souvent de la tension. Il n'y a pas si longtemps, avec la police de proximité que Nicolas Sarkozy a mise à bas, les policiers connaissaient des habitants par leur nom, les côtoyaient dans la vie de tous les jours et disposaient ainsi d'une connaissance fine du terrain. Cela nécessite des moyens pour ce service public. Les communistes ont parfois la réputation de ne pas aimer la police, il n’en reste pas moins que c’est nous qui proposons de créer 20 000 postes supplémentaires dont 5 000 destinés à assumer les tâches administratives qui éloignent aujourd'hui les agents du terrain. Cela doit permettre de soulager les effectifs, mis à rude épreuve depuis la mise en place de l'état d'urgence. Je rappelle que cinquante-quatre policiers se sont donné la mort avec leur arme de service l'année dernière. Cela dénote d'un mal-être terrible dans la profession. Nous pensons que, dans le cadre de ces nouveaux recrutements, il faudra revoir les missions de la police et en finir avec la politique du chiffre qui a sa part dans les contrôles d'identité systématiques. La police doit pouvoir se consacrer à des tâches moins quantifiables mais plus utiles pour le lien social et la tranquillité publique.

 

La Revue du projet, n° 65, mars 2017

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Retisser un lien positif, humain et de proximité entre la police et la population, Fabien Guillaud-Bataille

le 29 March 2017

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