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L’astronomie à la Belle Époque : une science « populaire », Florian Mathieu*

Pour « rallumer les étoiles », qu’y a-t-il de mieux que l’astronomie ? Les militants républicains, puis révolutionnaires, anarchistes ou socialistes y ont pensé dès le XIXe siècle.

 L’astronomie, à la fin du XIXe  et au début du XXe siècle, est assurément une science que l’on peut qualifier de « populaire », d’abord dans la dimension culturelle du terme. En témoigne par exemple le succès des romans de Jules Verne où il est fait référence à l’astronomie : De la terre à la lune, Le Rayon vert, La Chasse au météore… Nous trouvons également des références à cette science du côté du cinéma naissant, avec le film Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès (1902).
Sur le plan de la diffusion plus stricte des savoirs, François Arago avait déjà donné des « cours d’astronomie populaire » à l’Observatoire de Paris, de 1813 à 1846. Devant le succès rencontré, un amphithéâtre fut même spécialement construit pour accueillir le public. Ces cours seront par la suite publiés à titre posthume dans une Astronomie populaire qui paraîtra de 1854 à 1857.
Lorsque Flammarion édite son ouvrage au titre identique, il le dédie d’ailleurs à Arago. En 1844, Auguste Comte avait également fait imprimer un Traité philosophique d’astronomie populaire dans lequel il exposait la place de l’astronomie au sein de la doctrine positiviste. Cette influence du positivisme se retrouvera à la fois chez de nombreux vulgarisateurs et chez les militants politiques, républicains et révolutionnaires.

L’influence du positivisme
L’astronomie arrive en effet en première position dans la hiérarchie des sciences proposée par le philosophe Auguste Comte. Elle fait partie, selon lui, des premières sciences à avoir atteint l’état positif, c’est-à-dire qu’elle est désormais construite par l’esprit humain sur des bases uniquement observables et rationnelles. À partir des années 1830, Comte va ainsi donner pendant quatorze ans un cours public et gratuit d’astronomie à la mairie du IIIe arrondissement de Paris, cours dont le contenu sera par la suite publié sous la forme d’un traité.
Pour Comte la dimension mathématique de l’astronomie n’est pas un obstacle à sa compréhension, mais bien ce qui justifie au contraire la priorité de son enseignement, l’observation des astres étant la voie d’accès privilégiée aux mathématiques qui, elles, constituent le socle de toutes les sciences.
L’intérêt de nombreux vulgarisateurs pour la science astronomique doit ainsi être envisagé en considération de ce développement de la pensée positiviste et de son influence générale sur la société en cette seconde moitié du XIXe siècle. Camille Flammarion, dont les ouvrages rencontrèrent un impressionnant succès, fut assurément le plus célèbre de ces vulgarisateurs.

L’œuvre de Camille Flammarion (1842-1925)
En conflit avec le directeur de l’Observatoire de Paris, le tyrannique Urbain le Verrier, le jeune astronome Camille Flammarion va s’éloigner de son activité d’astronome professionnel dans les années 1860 pour se consacrer à la diffusion de cette science dans la société. Il donne des conférences publiques qui attirent les foules et publie des ouvrages qui deviennent rapidement de véritables best-sellers. Le plus célèbre, sa fameuse Astronomie populaire publiée en 1880, sera même écoulé à plus de 100 000 exemplaires ! Il fonde en parallèle en 1882 la revue L’Astronomie, pendant périodique de son œuvre éditoriale.
Mais Flammarion ne se contente pas de vulgariser : en 1883 il fait construire un observatoire populaire à Juvisy et fonde en 1887 la Société astronomique de France (SAF). La SAF rassemble rapidement plusieurs milliers d’adhérents, constituant de cette façon un véritable réseau d’astronomes amateurs. Les adeptes d’Uranie, comme on les appelle (du nom de la muse de l’astronomie dans la mythologie grecque), se font alors de plus en plus nombreux, des « Sociétés Flammarion » ou « Sociétés d’astronomie populaire », sortes de déclinaisons locales de la SAF, sont créées un peu partout en France entre 1890 et 1914.
Une multiplicité d’acteurs
Si Camille Flammarion occupe un rôle prépondérant dans la popularisation de l’astronomie à la Belle époque, il est néanmoins loin d’être tout seul. D’autres vulgarisateurs, souvent aussi membres de la SAF, vont à la même période donner des cours publics, publier des ouvrages ou même fonder des observatoires populaires. On peut citer à titre d’exemple Théophile Moreux, dit l’abbé Moreux (1867-1954), qui publia de nombreux ouvrages de vulgarisation et fut à l’initiative de la création d’un observatoire populaire à Bourges dans les années 1900. Un observatoire populaire fut également installé dans les jardins du Trocadéro à partir des années 1880 à l’initiative d’un certain Léon Jaubert.
Localement, certaines sociétés d’astronomie populaire furent très actives, organisant des séances d’observation publiques ou reproduisant certaines expériences historiques comme celle du Pendule de Foucault (qui permet de mettre en évidence la rotation de la Terre sur elle-même).
Les revues de vulgarisation scientifique généralistes, qui se multiplient également à l’époque, consacrent bien évidemment une partie de leurs pages à l’astronomie. C’est également le cas de certains titres de presse d’information mais de manière plus occasionnelle, principalement lors d’événements astronomiques exceptionnels comme des éclipses, qui font alors la une des journaux.

L’enseignement
de l’astronomie auprès des classes populaires : le rôle du mouvement ouvrier

Si le terme « populaire » a été utilisé pour parler des différentes initiatives présentées jusqu’ici, le public qui y assistait et y participait était cependant principalement issu des milieux mondains. Il faut alors entendre l’expression « astronomie populaire » davantage dans le sens de « non-professionnel » que véritablement touchant largement le peuple. Cependant, dans ce contexte où l’astronomie est déjà une science bien présente dans l’espace public, le mouvement ouvrier, qui développe au même moment ses propres outils éducatifs, va également s’emparer de cette science.
On retrouve déjà de nombreuses références et utilisations de l’astronomie chez les socialistes dits « utopistes » de la première moitié du XIXe siècle. Ces derniers s’appuient notamment sur cette science pour élaborer des systèmes cosmogoniques originaux. Dans ces systèmes, la réflexion d’ordre « scientifique » est inséparable de leurs théories politiques, la perspective d’un ordre social plus juste nécessite selon eux la compréhension de l’ordre gouvernant l’univers tout entier. Si ces auteurs s’intéressent aussi aux questions éducatives, leur influence restera limitée, et ce n’est que dans la deuxième moitié du siècle que ces enjeux prendront réellement de l’ampleur au sein du mouvement ouvrier.
En effet, alors qu’est fondée l’Association internationale des travailleurs en 1864, nombre de ses membres rejoignent parallèlement la Ligue de l’enseignement à sa création en 1866. Même si cette dernière est plutôt dirigée par des notables, ce fait témoigne d’un intérêt pour ces questions chez les militants du mouvement ouvrier. À partir de la fin des années 1880 et de la fondation des premières Bourses du travail, un certain nombre d’outils sont mis en place visant à développer l’accès aux savoirs – et donc également aux savoirs scientifiques – pour les prolétaires. Certains militants s’emparent alors des nombreux travaux de vulgarisation déjà existants pour diffuser leur contenu plus largement au sein du monde ouvrier. Les milieux libertaires se préoccupent particulièrement de cette question de transmission des savoirs auprès des classes populaires, ils expérimentent ainsi de nouvelles méthodes pédagogiques à destination des enfants ou ouvrent des bibliothèques. Bien que l’importance de son enseignement diffère d’une initiative à l’autre, l’astronomie demeure une discipline bien présente dans le cadre de ce mouvement pour l’éducation.
Un acteur important de ce mouvement fut le pédagogue Paul Robin. Membre de l’Association internationale des travailleurs et proche de Bakounine, ce professeur de mathématiques/physique de
formation se consacra en effet essentiel­lement à l’aspect éducatif du projet anarchiste avec son programme d’éducation intégrale.
Comme son nom l’indique, l’éducation intégrale consiste à prendre en compte tous les aspects de la vie dans l’éducation des enfants : éducation physique, manuelle, intellectuelle, morale mais aussi principe de coéducation des sexes, une grande attention portée à l’hygiène et un encouragement à l’entraide entre les élèves des différentes classes d’âges. Paul Robin se voit confier en 1880 la direction d’un orphelinat à Prévost dans l’Oise, qui se transforma alors durant une quinzaine d’années de manière tout à fait avant-gardiste en un établissement scolaire laïque, mixte, fondé sur un principe de liberté avec pour objectif éducatif premier l’émancipation individuelle et collective des enfants. Bien qu’elle ne soit pas, et de loin, la seule science enseignée et pratiquée à l’orphelinat, l’astronomie occupe une place tout à fait importante dans cette application expérimentale des méthodes d’éducation intégrale. Les archives de l’orphelinat nous apprennent en effet que Paul Robin organisait régulièrement des veillées d’observation du ciel avec les enfants, ou encore que ces derniers pouvaient apprendre à construire leur propre lunette d’observation. L’astronomie étant complètement absente des programmes officiels, il est important de souligner le caractère éminemment novateur d’un tel enseignement dès l’école primaire.
En ce qui concerne l’éducation des adultes, on sait par exemple que la bibliothèque de la Bourse du travail de Paris contenait l’intégralité des œuvres de Flammarion. Des conférences ayant pour thème l’astronomie furent également prononcées dans le cadre des premières universités populaires, qui se sont développées parfois en lien avec le mouvement ouvrier au début des années 1900. On retrouve aussi quelques articles de vulgarisation dans les journaux socialistes et anarchistes de l’époque, de même que dans les almanachs diffusés dans les milieux révolutionnaires.
Cette réappropriation de l’astronomie par des militants situés à l’extérieur de l’institution scientifique montre comment l’investissement du champ scientifique pouvait être considéré comme un enjeu important, dans une perspective de changement social. Une démarche à mon sens inspirante encore aujourd’hui pour celles et ceux qui aspirent à « rallumer les étoiles »…

*Florian Mathieu est doctorant en histoire des sciences à l’université de Paris-Sud.

La Revue du projet, n° 63, janvier 2017
 

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le 20 février 2017

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