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Justes colères populaires, Gérard Streiff

À ma droite, la Cour de justice de la République : trois magistrats de la Cour de cassation, le procureur général près la même cour, c’est-à-dire le plus haut magistrat du parquet, un avocat général, douze députés et sénateurs, autant de suppléants, revêtus d’une robe noire à parements de satin (les parlementaires sont défrayés 3 000 euros). À ma gauche, Christine Lagarde, patronne du Fonds monétaire international, bras croisés, sourire boudeur, la morgue tranquille, le regard de celle qui se demande combien de temps va durer cette comédie alors qu’elle a tellement de choses à faire ailleurs.
L’ambiance des cinq jours de son procès a été plutôt bon enfant. La présidente n’était jamais blessante dans ses questions. Les élus faisaient un peu de la figuration : « Le fait que Jean-Luc Warsmann, député LR des Ardennes, ait ouvertement passé le plus clair du réquisitoire et des plaidoiries à consulter sa tablette ne saurait autoriser quiconque à dire que les élus sont des juges dilettantes », écrit, goguenard, le chroniqueur judiciaire Stéphane Durand-Souffland.
Des « juges » assurément du même monde que la personne jugée. Les copains et les coquins remplissaient la salle.

Ce qui était jugé là, c’étaient un peu les suites de l’affaire Tapie-Adidas, une escroquerie en bande organisée, avec détournement de fonds et complicité. Tapie avait obtenu par la grâce d’un arbitrage, truqué, en 2007-2008, 403 millions d’euros dont 45 millions nets d’impôts au titre d’un supposé « préjudice moral », sentence annulée en 2015. Lagarde, alors ministre de l’économie, aurait dû engager un recours en annulation. Elle ne l’a pas fait, elle a donc rendu inéluctable l’appropriation frauduleuse par les époux Tapie du magot, dit la Justice. « Un recours aurait sans doute permis de découvrir la fraude. »

Lagarde est donc coupable d’avoir permis un détournement colossal de fonds publics. Mais la voilà dispensée de peine. Alors que le code pénal prévoit jusqu’à un an de prison (article 432-16) et 15 000 euros d’amendes, éventuellement assortis de sursis. Le tribunal a parlé de « négligence » ne justifiant aucune poursuite de la dame, eu égard à sa « réputation ».
Toute la faune des petits marquis gravitant dans ce monde lagardien l’a joué d’ailleurs désinvolte. Stéphane Richard, ex-directeur de cabinet et actuel président-directeur général d’Orange, ne s’est pas déplacé. Claude Guéant, ex-secrétaire général de l’Élysée (qui reçut dix-sept fois Tapie), ne se souvient de rien. François Pérol, ex-secrétaire général adjoint en charge des affaires économiques, a lui aussi un gros trou de mémoire : « Je ne me souviens pas qu’une instruction a été donnée à une réunion dont je ne me souviens pas. » Christine Lagarde était si sûre de son fait qu’elle ne s’est même pas rendue au Palais de justice de Paris le jour où la Cour de justice de la République, après une délibération express, a rendu son verdict scandaleux : pas de peine, pas de sanction, même symbolique.

 ***
Il faut croire que les puissants, escrocs avérés ou non, se sentent bien sûrs d’eux pour afficher une telle morgue. C’est aussi un des enseignements de ce lamentable quinquennat hollandais. Le Président a réitéré sa pleine confiance dans la dame du FMI. Et la direction du FMI a confirmé son soutien à Lagarde (qui est pourtant censée, à son poste, donner des leçons de bonne gouvernance aux cent quarante-sept pays membres). Assurés de leur impunité, les riches paradent. Cette histoire Lagarde illustre à la caricature la connivence des nantis. Et la déliquescence du débat public. Elle suscite l’indignation. Pas question de laisser l’extrême droite en faire ses choux gras, et criailler son refrain du « tous pourris ». Cette posture est une imposture. L’extrême droite nous la joue anti-système, à la manière de Trump. Foutaise ! Ces gens sont les purs produits du système. Ce sont les plus riches, les plus forts, les puissants qu’ils veulent mettre à l’abri des justes colères populaires. Démonter le mensonge lepenien sera un des enjeux de la présidentielle.
Pour la présidentielle, les communistes, on le sait, pour ne pas rajouter une candidature à la trop longue liste des candidats de gauche, ont décidé d’appeler au vote pour la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Ils lancent cette campagne avec cet objectif d’un rassemblement le plus large de la gauche, bien plus large que celui auquel la France insoumise invite, un rassemblement qui s’oppose à la droite et au FN, exige une rupture avec la politique du précédent quinquennat et qui puisse se qualifier pour le deuxième tour et l’emporter.

Et dans le même temps, et avec une même exigence et un même appétit, ils lancent la bataille des législatives. Parce que pour eux, qui combattent le présidentialisme et ses dérives autoritaires, bonapartistes, les élections législatives n’ont pas pour but de donner au président de la République une majorité pour appliquer sa politique ou renier ses promesses de candidat. Les élections législatives doivent servir à dégager une majorité politique pour des choix, des lois, des orientations qui correspondent aux vœux de la majorité des électeurs. La majorité parlementaire ne doit pas rendre des comptes au Président, comme c’est le cas aujourd’hui, mais à ses mandants. Ce n’est pas le Président, ce n’est pas le gouvernement qui font la loi mais l’Assemblée nationale. Et dans les circonscriptions législatives, les possibilités de rassembler sur des choix de gauche sont très grandes, au-delà des possibilités sans doute de la présidentielle. n

Gérard Streiff
Rédacteur en chef
de La Revue du projet

La Revue du projet, n° 63, janvier 2017
 

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Justes colères populaires, Gérard Streiff

le 11 February 2017

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