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Un printemps pour la République, Pierre Dharréville

Le 8 et le 10 février 2016 les députés votaient respectivement les projets de révision constitutionnelle concernant l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution de la République et la déchéance de la nationalité. Le projet républicain qui irrigue notre mode de vivre-ensemble depuis la Révolution française est directement mis en cause. Dans ce contexte nous revenons sur un des quatre grands axes de préparation du congrès : « La refondation démocratique de la République », avec Pierre Dharréville, membre de l’exécutif national, responsable de la commission République, démocratie, institutions.

Pourquoi faire de la Répu­blique un axe de travail important en cette pério­de de préparation du congrès ? Notre système politique est-il en danger ?
La question démocratique n’est pas une question secondaire, ce n’est pas un luxe, elle est intimement liée à la question sociale. Si le pouvoir réel n’était pas accaparé par quelques-uns, nous n’en serions sans doute pas à ce stade de la régression sociale.
La République est désormais au cœur d’un affrontement politique extrêmement vif dans notre pays : elle traverse une crise profonde parce qu’elle ne parvient plus à rassembler notre peuple autour d’un projet commun. Sa promesse semble presque abandonnée et la défiance envers la politique vient frapper les institutions elles-mêmes. Or, depuis plusieurs années, on assiste à une tentative de redéfinir la République au rabais. Lorsque l’UMP est devenue Les Républicains, Nicolas Sarkozy et Henri Guaino se sont échinés à accuser la gauche d’avoir trahi la République et ils en ont livré une vision pour le moins singulière. Au fond, sans surprise, trois mots-clés pouvaient résumer les traits de caractère de la République façon Sarkozy : autorité, mérite, assimilation. Cette conception porte indéniablement la marque de l’influence des idées d’extrême droite. Il s’agissait donc de reprendre l’offensive politique en essayant d’incarner une perspective profondément réactionnaire. Il y a toujours eu un débat autour de cette idée. Pour schématiser, dès la Révolution française, les ardeurs républicaines ont été refrénées par ceux qui ne voulaient pas donner trop de pouvoir au peuple et conserver les avantages de la propriété. L’idée selon laquelle la République doit incarner l’ordre est extrêmement répandue. En réalité, elle doit surtout incarner le droit, contre la force. Nous voyons bien, si l’on se réfère à la condamnation, sur demande du procureur de la République, des huit salariés de Goodyear, qu’il y a matière à discuter sur l’esprit républicain. Que la République ait comme mission d’assurer la protection des citoyennes et citoyens, c’est une chose, mais qu’elle protège les intérêts de grands capitalistes, c’en est une autre. Il faut souligner qu’à peu près au même moment, un agent des forces de l’ordre ayant abattu un jeune voleur qui prenait la fuite a été relaxé. La justice est au cœur d’enjeux de société majeurs. Une conception sécuritaire de la République essaye de s’imposer, et les débats autour de l’état d’urgence en sont le témoignage.

Justement, que penser de la révision constitutionnelle portée par François Hollande ?
Trois jours après les effroyables attentats du 13 novembre, le président de la République a annoncé une révision de la Constitution. Franchement, c’est la pire des choses que de vouloir réécrire notre texte fondamental sous le coup de l’émotion et sans recul sur les événements. On ne peut que s’interroger sur les motivations réelles qui ont conduit à cette initiative. La révision constitutionnelle comprend deux aspects. Le premier consiste à constitutionnaliser l’état d’urgence comme l’un des instruments mis à la disposition de l’exécutif pour faire face des situations d’exception. Pour nous, cela n’était pas nécessaire et relève d’une volonté d’en banaliser le recours. Il ne faut pas sous-estimer que cette banalisation est déjà à l’œuvre dans la réforme pénale qui intègre des dispositions d’exception durcissant encore l’esprit de la loi. Quant au deuxième volet, qui a tant fait couler d’encre, il vise à introduire la déchéance de nationalité dans la Constitution. Placer le débat et la réponse de la République sur ce terrain est grave. Cela vient alimenter encore les mécanismes de l’affrontement identitaire. Le terrorisme n’est pas une question de nationalité. Cette révision constitutionnelle s’inscrit dans l’air du temps, marqué par l’influence des idées d’extrême droite sur les idées dominantes. C’est une opération politicienne qui est en train de se retourner contre ses promoteurs. La gauche doit mener la bataille des idées, elle n’a rien à gagner à s’y dérober.

Qu’entendons-nous par République ?
La République est le bien commun de notre peuple, elle porte son projet, qui se définit par les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. La République est la forme institutionnelle qui a succédé à la monarchie et triomphé de l’empire. Pour nous, elle ne saurait être que laïque et démocratique. Mais la promesse de la République mérite un nouvel élan, et sa version cinq est à bout de souffle. Nous sommes donc favorables à un changement de Constitution. Il y a besoin d’un nouvel acte fondateur pour rompre avec le présidentialisme forcené des institutions actuelles et instaurer un régime de souveraineté populaire favorisant la plus large participation citoyenne. Le champ de la République s’est tellement réduit ces dernières années qu’il devient urgent d’amorcer un processus de reconquête de pouvoirs pour notre peuple, en particulier face aux forces de la finance. La question démocratique est un enjeu de classe plus que jamais d’actualité. Ce travail de reconquête populaire est décisif. Nous avons pu sentir, après les attentats de janvier 2015, que la dégradation du rapport à la République était sévère, parce qu’elle semble aux yeux de beaucoup avoir abandonné sa promesse d’émancipation. Si l’on faisait l’état des lieux populaire de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, on verrait combien l’on est loin du compte. Ces dernières décennies, à la montée du chômage, à la faiblesse du pouvoir d’achat et à la précarité se sont ajoutées des logiques de stigmatisation et de division qui ont fait d’intenses dégâts. La République doit les combattre et s’attacher à unir et rassembler notre peuple en mettant en échec les tentatives de fracturation multiples.

Comment imaginez-vous cette nouvelle Constitution ?
Il faut une sixième République, c’est un combat de longue date pour le Parti communiste français. Réunir le Parlement pour changer la Constitution aurait pu s’avérer être une bonne idée, mais la proposition de François Hollande est complètement à contresens. Il eût fallu réenclencher un mouvement populaire pour faire face aux enjeux de la période, plutôt que de vouloir insuffler encore un peu d’esprit de caserne. Le salut ne viendra pas de là. Nous avons des idées sur les grandes lignes de nouvelles institutions pour la République. Il s’agit de se doter d’institutions qui promeuvent réellement la souveraineté populaire. Nous voyons bien, à chaque élection, que la crise de confiance s’approfondit et que la politique n’est plus perçue comme un moyen utile à vivre et à décider ensemble. Bien sûr, il faut repenser l’équilibre des pouvoirs, mais cela suppose plus largement de s’attaquer à la philosophie même de nos institutions et poser un nouvel acte fondateur. Cela suppose une vraie démarche de construction populaire et démocratique. Face au néolibéralisme, et aux oligarques, la République doit donner à notre peuple les moyens de réagir. La République devra nous aider à repenser notre relation au monde dans une cité-monde en pleine mutation. La révolution numérique nous offre également de nouvelles pistes de développement pour la démocratie et elle pointe de nouveaux enjeux : va-t-elle se faire pour l’émancipation humaine ou pour accroître la domination capitaliste ? Nous voyons bien que la tentation de la surveillance généralisée essaye par tous les moyens de s’imposer, il faut lui opposer un tout autre récit. Il convient d’inventer de nouvelles formes institutionnelles, de nouvelles formes de propriété sociale, de nouvelles formes de services publics. Il y a une idée-force qui peut nous permettre de recréer une perspective républicaine émancipatrice de notre temps : celle des biens communs. Ils peuvent être au cœur d’un processus de reconquête multiforme qui permettra l’émergence de nouvelles dynamiques politiques et sociales. Ce mouvement autour d’une Res communa peut venir donner un souffle inédit à la Res publica. La République ne doit pas être faite pour soumettre le peuple à l’autorité de quelques-uns, pour gouverner le peuple. Elle doit être faite pour établir pleinement la souveraineté partagée d’hommes et de femmes libres et égaux, égales.

À paraître : Un printemps pour la République, Éditions de l’Atelier - Éditions des fédérés, mars 2016.

La Revue du projet, n° 55, mars 2016
 

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Un printemps pour la République, Pierre Dharréville

le 02 avril 2016

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