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Ni droite, ni gauche : le premier parti de France

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Le premier parti de France est celui des adeptes du « ni à droite, ni à gauche ». Un bon tiers de l’opinion partage depuis plus d’une dizaine d’années cette idée.

C’est tout à la fois un signe de déclin du politique et de fragilisation du débat public ; un symptôme de malaise démocratique ; et aussi un piège car l’extrême droite est en embuscade, faisant de ce thème son fond de commerce.

Depuis le milieu des années quatre-vingt dix, une forte proportion de Français ne se situent plus ni à droite ni à gauche. Cette opinion a progressé à mesure que reculait une forme d’affiliation politique. On remarquera au passage un paradoxe  : c’est à partir du milieu de la décennie 90 en effet, qu’on assiste au retour des mouvements sociaux (1995), à une nouvelle combativité populaire et à un recul régulier de l’idée libérale. Dans le même temps, cette évolution ne se traduit pas vraiment par une réelle repolitisation. Au contraire. Tout se passe comme si les citoyens étaient plus exigeants, comme l’attestent leurs revendications sociales notamment, et plus frustrés de réponses politiques.Une des questions classiques de la sociologie électorale est celle de « l’auto-positionnement des Français sur l’axe gauche-droite ». On demande aux sondés : « Vous mêmes, diriez-vous que vous vous situez à gauche ? À droite ? Ni à gauche ni à droite ?  » On dispose de suffisamment d’études, notamment la remarquable série d’enquêtes des sociologues Guy Michelat et Michel Simon, avec la Sofres (voir encadré) pour pointer avec précision cette installation du « ni droite, ni gauche » dans les têtes

Une opinion qui perdure

 

L’idée (ni-ni) est partagée par 19 % des sondés en 1995, par 24 % en 1997. Elle culmine vers 2000 : en novembre 2001 (Sofres), alors que la gauche est au gouvernement depuis plusieurs années, 45% des sondés disent partager cette appréciation. Chiffre énorme. Qui va s’exprimer en partie dans les résultats calamiteux de la présidentielle de 2002. L’idée du « ni ni » , depuis, se maintient à un haut niveau, avec de petits reculs (Sofres) ou des petites progressions (Ifop) : 37 % des sondés continuent de se situer « ni à droite ni à gauche » en 2006 (Ifop/Cevipof); 29 % en 2007 (Ifop/Cevipof) ; 31% en juin 2010 (Sofres/Gabriel Péri) ; 33% en septembre 2010 (Ifop/France Soir).Ainsi dans ces deux dernières enquêtes, le bloc des partisans du « ni-ni » est le premier parti de France, devant la gauche (entre 25 et 28%), la droite (entre 19 et 25%), le centre (14 ou 15%),  l’extrême droite et l’extrême gauche ( autour de 3% chacun).Les chiffres sont encore plus impressionnants, dans l’enquête Gabriel Péri/Sofres, lorsqu’on demande aux sondés s’ils font confiance à la gauche ou à la droite ou à personne « pour gouverner le pays » : 16% accordent leur confiance à la gauche, 13% à la droite et 69 % (!) « ni à la gauche ni à la droite ».Autre chiffre redoutable, et convergeant : les Français ont le sentiment de ne pas compter pour les politiques ; 83 % estiment que « les responsables politiques ne se préoccupent pas de ce que pensent des gens comme eux ». 83 % : ce chiffre est à peu près inchangé depuis quinze ans.D’après l’enquête Ifop/France Soir (septembre 2010), les catégories sociales qui endossent le plus volontiers le « ni-ni » sont les plus jeunes (52% des 18 à 24 ans), les inactifs (55%) ou les employés (41%), très exactement les catégories qui ont été les plus abstentionnistes lors des derniers scrutins.Si on regarde la proximité politique des partisans du « ni-ni », car on peut se sentir proche de telle ou telle formation et être aussi tenté par le « ni-ni », on note que cette idée taraude 20% du PS ou 22% de l’UMP. A gauche, ce sont les électeurs du Front de gauche qui sont les moins tentés par le « ni-ni » et donc de fait les plus sensibles au clivage gauche / droite ; seuls 15% des sympathisants Front de gauche se disent « ni-ni ». Par contre l’idée du « ni-ni » fait un malheur à l’extrême-gauche (NPA-LO) avec 44% et surtout chez les Verts : 51%.

Une longue histoire au fn

 

Le « ni-ni » est assez fort au FN (28% des électeurs s’y disent sensibles) où cette thèse est très en vogue. A l’extrême droite, le « ni droite ni gauche » a une longue histoire. Des historiens la font remonter aux racines du fascisme à la française. Dans « Ni droite, ni gauche » de Zeev Sternhell, ce dernier montre que le courant fasciste d’avant guerre était plus solide qu’on ne le croit généralement ( parmi les historiens) et qu’il fit le lit de Vichy. Très tôt, la rhétorique fasciste se place en opposition aussi bien à la droite qu’à la gauche, se prononce tout à la fois contre le « matérialisme libéral » et le « matérialisme marxiste ». C’est cette piste que le GRECE de de Benoist reprend à partir de 1968. Cette problématique est officiellement revendiquée par le Front National Jeunesse en 1994. Elle est depuis devenue un des grands thèmes lepénistes. Certes on ne peut pas identifier le « ni à gauche, ni à droite » de l’extrême droite, qui est un programme politique, et le sentiment de déception – ou de frustration – à l’égard des partis qu’expriment ainsi nombre de sondés. Les uns et les autres ne disent pas la même chose. L’extrême droite cultive le « tous pourris » sauf moi, les sondés disent plutôt que la politique est devenue impuissante face aux marchés, à la mondialisation, etc. Cela traduit donc plutôt une désaffiliation politique, une incrédulité générale. Reste que la proximité (ne serait-ce que de vocabulaire) entre ce sentiment si populaire du « ni-ni » et sa forme théorisée par le FN n’est pas sans danger pour la démocratie. Pour Frédéric Dabi, directeur du département d’Opinion de l’IFOP : « Un tiers des personnes interrogées se positionne sur la réponse ni à gauche, ni à droite, soit (pour l’IFOP) une progression de 4 points depuis la dernière campagne présidentielle. Ce chiffre préoccupant pour la santé de notre vie démocratique est à relier à la défiance croissante des Français à l’égard du personnel politique que la très forte abstention à tous les scrutins depuis 2007 a exacerbée ». De petits signes tendraient à montrer qu’un processus de recomposition ou de réaffiliation est peut-être à l’œuvre. Par exemple, l’enquête Gabriel Péri/Sofres note un regain d’intérêt pour la politique. 50% des sondés disent s’y intéresser, soit +10% en dix ans.  Il y a une envie de politique (à nuancer peut-être si on regarde les catégories sociales motivées). Ou encore, en liaison probablement avec le renforcement des mouvements sociaux et avec une perception nouvelle des inégalités, on observe un retour de la conscience de classe, la conscience d’appartenir à une classe sociale: c’est le cas de 65% des sondés, soit +11% en dix ans.

Seule, une repolitisation de pans entiers de la société, un réengagement citoyen des milieux populaires, une mise en cause réelle du marché et du libéralisme pourront bousculer ce paysage globalement déprimant.

Par Gérard Streiff

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le 21 mars 2011

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