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L’école, espace démocratique ou marché ? Catherine Sceaux*

L’école abandonne, depuis un certain temps, une partie de ses prérogatives en offrant de grands pans d’éducation au privé et en appliquant la nouvelle « gouvernance », mot piégé (voir La Revue du projet, numéro 24), pour centrer la gestion sur les moyens.

Le marché juteux du soutien scolaire
Dans son ouvrage School Business, Arnaud Parienty dénonce le poids de l’argent qui devient le moyen de sélection dans le parcours de réussite scolaire.
Avec la montée du chômage, les parents, de plus en plus inquiets, se substituent à l’école et ont recours aux cours particuliers, aux séances de coachings et aux « prépas » privées au coût astronomique pour permettre à leurs enfants d’accéder aux meilleurs diplômes, établissements et formations. Ces structures, en concurrence avec l’Éducation nationale, sont défiscalisées (excluant d’emblée les parents ne payant pas d’impôts). L’argent de l’État qui profite aux familles les plus aisées, n’est pas réinjecté dans l’Éducation. En 2010, un collégien sur cinq et un lycéen sur trois y ont eu recours. Le coaching scolaire en forte augmentation, se fait à partir d’un modèle de management et de compétition et coûte entre 50 et 150 € la séance. Le marché du soutien scolaire privé en France se monte à 1,5 milliard d’euros dont l’activité au noir représente 80 %.

Une grande partie des étudiants qui en ont les moyens se détournent de la faculté, à cause des conditions d’étude qui se sont fortement dégradées. L’accès à certaines filières de métiers dépend de plus en plus des possibilités de financement des parents. Beaucoup d’étudiants sont obligés d’emprunter. Mais l’accès aux prêts est lui aussi inégalitaire. Certains se voient proposer des prêts pour financer un master dans une université américaine prestigieuse tandis que d’autres s’en voient refuser pour entrer dans une école hôtelière. Des chefs d’entreprise créent leurs propres écoles persuadés d’être meilleurs que le service public.
Comme le constate Erwan Lehoux, doctorant en sociologie, l’éducation en commun, en favorisant un processus collectif d’apprentissage et de coconstruction des savoirs disparaît au profit d’une compétition scolaire renforcée et d’une conception utilitariste de l’éducation en vue d’obtenir un emploi.

L’Éducation nationale laisse l’entreprise entrer dans l’école pour son seul profit
Dans les masters interviennent des professionnels, qui viennent des entreprises, payés par les facultés, pour la découverte des métiers. Sous couvert de créer du lien, les entreprises les utilisent pour servir leur stratégie commerciale propre au sein de cours d’auto-marketing qui forment à la recherche d’emploi à la place de former à un vrai métier. On assiste à une déqualification des diplômes qui n’ont plus le rôle d’installer l’étudiant dans un métier. L’université doit avoir des liens avec le monde du travail, mais pour une formation de qualité qui réponde à l’intérêt général et non aux intérêts privés.

L’Éducation nationale externalise une partie de ses missions
Dans les années 1970, l’Éducation nationale a externalisé une partie de ses missions en créant des centres de formation d’apprentis (CFA) privés souvent sous contrôle des officines patronales. Les personnels enseignants ne sont pas recrutés par concours. Les CFA sont exclus des conventions collectives favorisant la précarité avec l’usage des CDII (contrat à durée indéterminée et intermittent) et la pauvreté avec des personnels payés en dessous des minima de l’Éducation nationale avec un temps travail de 11 mois sur 12.
Des centres de formations privés d’entreprises (telles que Dassault ou Safran qui crée sa propre université) sont obligés de remédier aux man­ques de l’Éducation nationale.

La nouvelle « gouvernance »
Il s’agit de passer d’un pilotage par les normes à un pilotage par la responsabilité, associé au mérite et à la contractualisation par objectifs. Sous couvert d’un discours valorisant l’autonomie et l’initiative et donnant une apparence de responsabilisation, l’Éducation nationale développe des modalités de « management » venant du privé pour une politique centrée sur la gestion des moyens.
Le décret Chatel du 5 janvier 2012, régissant la nouvelle « gouvernance » académique est conçu pour permettre un fonctionnement cohérent avec la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et rendre les recteurs responsables de l’orientation des budgets opérationnels de programmes. Réduire le pouvoir des inspecteurs d’académie-directeurs des services départementaux de l’éducation nationale (IA-DSDEN), recrutés par concours pour leurs compétences pédagogiques, au profit des recteurs nommés en conseil des ministres, c’est instaurer une organisation hiérarchique directement politique. Le nouveau directeur académique devient le relais d’une administration, plus soucieuse de la mise en œuvre d’une politique centrée sur la gestion des moyens, que sur la prise en compte des priorités et des enjeux pédagogiques dans les décisions organisationnelles.
La culture des cadres qui s’approprient de plus en plus les principes du « nouveau management public » – rémunération au mérite reposant sur le management par les résultats – se modifie progressivement. Établir la part de mérite d’un professeur dans le succès des élèves est une source d’injustice que les agents chercheront à compenser par des stratégies individuelles qui ne sont pas motivées par les valeurs qu’ils portent. Il en résulte des comportements concurrentiels peu favorables à la qualité de l’action.
La contractualisation par objectifs est présentée sous l’aspect de la responsabilisation des enseignants censés remplir des objectifs clairs définis sur un accord des parties. Or, le fonctionnaire selon l’article 4 de la loi Le Pors « est vis-à-vis de l’administration dans une situation statutaire et réglementaire ». Pas contractuelle ! La contractualisation n’apporte rien de nouveau et apparaît plus comme une stratégie pour viser la dérégulation statutaire et réglementaire.
Les promoteurs des réformes autour de la nouvelle « gouvernance » pensent (sans le dire) que la déréglementation favorisera l’amélioration du système éducatif. A été oubliée la nécessité absolue de construire les changements avec les personnels afin de servir les objectifs de démocratisation de la réussite scolaire.

*Catherine Sceaux est membre du Réseau École du PCF.

Plus de démocratie à l’école, c’est…
Mettre en place des espaces et des temps consacrés aux parents dans l’école, et inscrire le statut de délégué de parents dans le Code de la fonction publique et dans le Code du travail.
Changer « la gouvernance » des académies : abroger le décret Chatel de 2012 qui met en place le pilotage par les résultats et accroît le pouvoir des recteurs, et créer un corps unique de l’inspection pédagogique.
Respecter et valoriser l’intervention des enseignants et des personnels.
Promouvoir les droits lycéens, notamment le droit d’organiser des débats, de se syndiquer ou de manifester. Donner aux jeunes les moyens de réaliser des projets, généraliser les budgets participatifs des lycées.
Construire des temps et des lieux d’échanges entre la communauté éducative et le monde du travail (qu’on ne peut pas réduire à une minorité patronale).

La Revue du projet, n° 53, janvier 2016
 

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L’école, espace démocratique ou marché ? Catherine Sceaux*

le 01 February 2016

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