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La laïcité, un principe politique, Pierre Dharréville*

La laïcité c’est la démocratie. Retour sur l’histoire du concept et sur les débats actuels.

En 1789, les révolutionnaires mettaient en cause le pouvoir absolu, qui plus est de droit divin. Ils établissaient, dans l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que « le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation » et que « nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » Voilà qui fonde clairement une nouvelle conception du pouvoir. Car la laïcité est un principe politique. Elle garantit que la souveraineté populaire ne saurait être accaparée par un seul ou par quelques-uns, qu’elle ne saurait être exercée par une autorité extérieure ou supposément supérieure. Elle réside par essence dans la Nation, en tant qu’association d’hommes et de femmes libres, et égaux, égales.

Ce principe va mettre du temps à s’imposer car il relève d’un processus de conquête populaire profondément révolutionnaire. La laïcité, d’une certaine façon, invalide l’organisation de la société en ordres, héritée de l’époque médiévale, mais aussi l’organisation de la société en classes qui émerge. C’est pourquoi, même si elle s’est forgée dans l’affrontement avec l’Église catholique, elle ne saurait être réduite à un outil de gestion des relations entre les Églises et l’État ou bien les religions et la société. Elle invite à fonder la politique et l’organisation de la société autour de ce qui est commun à toutes et tous et non pas autour de convictions dogmatiques placées en surplomb. Elle remet le débat politique au centre, avec pour colonne vertébrale la quête de l’intérêt général. Jean Jaurès ne disait-il pas : « Qu’est-ce que la laïcité ? c’est la démocratie. Qu’est-ce que la démocratie ? C’est l’égalité des droits. » C’est en cela qu’elle est profondément siamoise avec l’idée de République telle qu’elle se sculpte au même moment.

Sortir de l’affrontement identitaire
Nous sommes ainsi à mille lieues de ce que l’on peut entendre comme idées reçues sur la laïcité, présentée comme une sorte de règle bénédictine porteuse d’une charge d’interdits… L’agitation autour du principe de laïcité et le flou politique qui l’entoure ont une fonction précise dans le débat public : celui de catalyseur de l’affrontement identitaire. L’extrême droite, poursuivie par la droite, a tenté d’opérer une préemption sur le principe. La xénophobie traditionnelle semblait être une limite à sa progression. Sous prétexte de laïcité, cultiver la haine des musulmans, fut la trouvaille pour se parer d’un manteau républicain usurpé. Il s’agissait notamment de s’en prendre à l’islam visible, érigé en symbole du grand remplacement et de la dégénérescence supposée de l’identité nationale – tout autant supposée.

Cette offensive s’est accompagnée d’un discours mettant en doute la compatibilité de l’islam lui-même avec la République, utilisant la version qu’en donnent des fanatiques intégristes comme si c’était une représentation réelle. Il ne s’agit pas ici de blâmer la critique de la religion, car la critique de toute institution, de tout pouvoir – et la critique de manière plus générale – est salutaire. Nul ne saurait s’y soustraire. Il s’agit de faire mesurer la place qu’occupe la figure musulmane dans l’inconscient collectif, non sans lien avec le passé colonial de notre pays et de notre continent. Il s’agit là de l’autre absolu, l’étranger, l’incompatible. Alors que toute l’histoire de la Méditerranée, de l’Europe elle-même et du monde montre combien les cultures se sont forgées dans les échanges et les frottements des peuples, dans la rencontre. Il y aurait soi-disant un danger, celui d’estomper et de faire disparaître cette fameuse « identité nationale » dont les contenus restent à démontrer.
Identité, ce qui nous rend identiques. Culture, ce qui nous met en mouvement vers l’autre et vers nous-mêmes. Non pas dans l’uniformisation marchande, mais dans le dialogue du semblable et du dissemblable.

Le développement du fanatisme, de la violence, des intégrismes n’a pas favorisé la tâche des progressistes, apportant de l’eau au moulin des réactionnaires : intégristes fanatiques d’un côté, xénophobes nationalistes de l’autre. Partenaires de jeu entre lesquels nous serions sommés de prendre position. Il ne saurait y avoir de complaisance ni pour les uns, ni pour les autres. Les deux relèvent de projets politiques – j’insiste sur ce point – qui n’ont rien à s’envier, aux accents totalitaires. En cela, ils portent chacun à leur façon atteinte au principe de laïcité, qu’ils nient la liberté de conscience, l’égalité des droits et/ou la volonté fraternelle. Non pas en tant que valeurs supposées occidentales, mais à vocation universelle car elles sont attachées à la nature humaine. La théorie du « choc des civilisations » mise en œuvre au plan géopolitique par de multiples interventions armées a, hélas, pris quelques racines dans le réel. Et au passage, toute une partie de la population se sent – ou plutôt est – rejetée et discriminée et s’installe dans la peur. Il y a urgence à sortir de l’affrontement identitaire et la laïcité bien comprise – révolutionnaire – en est le moyen le plus efficace.

Une visée émancipatrice
Alors, dans ce paysage, comment traiter la question religieuse ? On ne saurait l’éviter… La foi est un levier puissant. Elle peut être un vecteur d’aliénation comme un moteur d’émancipation. Tout dépend de ce que les humains en font. Dans un monde qui se mondialise, elle constitue un identifiant qui dépasse les frontières nationales. Mais les contradictions qui hantent les sociétés et l’humanité traversent les communautés de croyants comme elles traversent l’ensemble des corps sociaux. Renvoyer dans le camp des forces obscures l’ensemble des croyants à cause des intégristes serait un choix dévastateur. Le fait religieux est une réalité, mais les progressistes doivent refuser les logiques d’assignation identitaire. Nous sommes des êtres uniques, semblables et dissemblables, les produits des rapports sociaux, mais aussi d’une histoire familiale, de démarches éducatives, de nos rencontres, de nos lectures… Il faut combattre l’enfermement et l’obscurantisme dont certaines manières de croire ou de pratiquer peuvent être le siège. Mais décréter l’obscénité de la religion et son bannissement de l’espace public ne conduirait qu’à des catastrophes – c’est dans l’obscurité que croissent les monstres. L’expression de convictions religieuses dans l’espace public n’est pas proscrite, comment cela se pourrait-il ? Contrairement à l’idée la plus répandue, cela n’est d’ailleurs pas le projet laïc.
La laïcité porte une visée émancipatrice. Peut-on parler de laïcité sans parler de liberté ? Liberté de croire ou de ne pas croire, liberté de penser, de débattre, de s’associer, d’agir. D’évi­dence, peut-on parler de laïcité sans parler d’éducation ? Des services publics ? De démocratie ? Pour sortir de l’affrontement identitaire qui attise les racismes, bien souvent en instrumentalisant la religion – et la laïcité –, il faut retrouver l’essence des combats communs, se remettre sur la piste d’un grand récit émancipateur.

Depuis deux ans, avec l’ouvrage La Laïcité n’est pas ce que vous croyez, aux Éditions de l’Atelier, j’ai participé à de nombreux débats dans tout le pays. Je me demandais, sur une question piégée par tous les bouts, comment tourneraient ces discussions. Bien sûr, les questions pratiques, celles que l’on retrouve en permanence dans les épisodes médiatiques, finissent toujours par venir dans la discussion ; mais on n’en parle pas sur le même mode après s’être interrogé sur le sens, sur la portée, sur le contexte… J’ai rencontré une véritable envie de connaître, de comprendre, de savoir. Une envie de s’expliquer, de témoigner, de se réapproprier un sujet qui a été préempté par des forces dont il n’est pas vraiment la tasse de thé, en réalité. Il y a toujours du répondant, et des participants qui sont souvent à l’image de la société. Curieusement, peut-être, c’est une question qui rassemble, lorsque nous prenons l’initiative. J’ai le sentiment que les choses avancent, que la conscience grandit qu’on ne doit pas laisser dévoyer la laïcité et qu’elle est, pour aujourd’hui et pour demain, un principe essentiel.

*Pierre Dharréville est  membre du comité du projet. Il est animateur du secteur République, démocratie et institutions du Conseil national du PCF.
La Revue du projet, n°52, décembre 2015
 

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La laïcité, un principe politique, Pierre Dharréville*

le 07 janvier 2016

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