La revue du projet

La revue du projet
Accueil
 
 
 
 

Le quotidien des SSII

La Revue du projet a publié deux articles (nos 44 et 47) sur le thème « Qu’est-ce qu’un informaticien ? ». Voici la réaction d’un lecteur.

Travaillant dans une société de services en ingénierie et informatique (SSII), privée, sous-traitante je nuancerai et complèterai le tableau. Mon entreprise met des « ressources humaines » en informatique (ses employés, moi) à disposition des grandes entreprises privées ou organismes publics, nous sommes « prestataires »: une grande banque veut « externaliser » la maintenance de son système informatique de gestion des comptes, un transporteur veut moderniser son site Internet…
Je suis donc affecté sur des « missions » qui peuvent durer plusieurs mois, un an. Faute de projet, la situation peut se compliquer, un « collaborateur » peut se trouver affecté à des tâches éloignées de ses souhaits d’évolution, de son profil, ou... de son domicile : j’ai passé plusieurs mois en Bretagne l’an dernier (en habitant à Lyon…) ! La clause de mobilité, que nous sommes, pour la plupart, obligés (de fait) de signer, nous impose de nous adapter à ce genre d’exigences. Officiellement, il faut être averti deux jours avant, ce délai n’est même pas toujours respecté.

Une pression insidieuse
Certains aspects du métier sont intéressants, mais pas toujours. Les clients, notamment le service public étranglé, dépensent moins qu’autrefois pour des demandes équivalentes, la concurrence pour les contrats est toujours plus féroce entre les prestataires, la pression rejaillit sur les conditions de travail au quotidien : délais serrés, demandes incohérentes ou mal interprétées et donc une mauvaise réalisation de notre part. Nous sommes en équipes limitées (3 à 10), dirigées par des chefs de projet (CP). Plusieurs équipes peuvent travailler pour le même client, les CP sont ainsi chapeautés par un directeur de projet (DP). Au-dessus, nous trouvons la direction régionale ou nationale. Les commerciaux et les responsables des « ressources humaines » sont en parallèle de cette hiérarchie. Outre le respect des budgets et de la qualité, les CP et les DP doivent assurer une bonne communication avec le client. Enfin, ils ont aussi pour rôle la surveillance des équipes de travail : s’assurer de notre efficacité, de notre respect des charges…
Ces exigences entraînent une pression souvent insidieuse, chacune des couches hiérarchiques est soumise à sa propre pression. J’ai une formation bac + 5, mais je suis au niveau le plus bas dans mon entreprise, et n’ai de contact qu’avec les deux niveaux juste au-dessus (CP, DP). Nos supérieurs directs peuvent changer régulièrement, nous pouvons en avoir plusieurs, occupant des positions pas toujours clairement définies. En apparence, la communication est toujours très détendue, la direction, les responsables d’équipe de production et les membres de celles-ci se tutoient tous, à l’exception éventuelle de quelques dirigeants nationaux. Nous sommes tous des « collaborateurs », l’ambiance se veut toujours plaisante, voire décontractée. Ce n’est qu’une façade, le rôle de chacun est bien connu et l’amicalité disparaît rapidement dès que les sujets les plus graves doivent être abordés.
La performance est toujours centrale dans nos échanges. Il y a injonction à travailler mieux, plus, plus vite, alors que les budgets, donc les jours disponibles pour accomplir telle ou telle tâche, ne sont pas toujours suffisants. Nous avons régulièrement des bilans personnels avec un supérieur hiérarchique direct détaillant notre performance des derniers mois, ce qui s’est bien ou moins bien passé lors de la dernière mission, et ce que nous pourrions faire pour l’améliorer. C’est un moment privilégié pour une discussion privée, plus confidentielle avec nos supérieurs. Un des points d’achoppement régulier concerne les horaires de travail, il est de bon ton de faire plus que les horaires prévus légalement : « il n’y a pas d’heures supplémentaires pour les cadres » ; on m’a suggéré aussi de « donner d’abord à l’entreprise, avant de recevoir en retour », sous-entendu ne pas compter ses heures pour être récompensé plus tard (sans trop savoir comment). On m’a aussi parlé de « sacrifice », plus précisément : « dans le contexte actuel, seuls ceux qui se sacrifient seront récompensés ». Rentabiliser, rentabiliser. La grande majorité des projets sacrifie régulièrement la qualité au vu des délais trop courts.
Les syndicats ne sont pas très représentés. Être syndiqué nuit à la carrière au sein de l’entreprise, mais aussi en cas de changement, car les autres SSII ne veulent pas recruter un syndiqué. En outre, il arrive que des représentants syndicaux profitent de leur protection pour ne guère travailler et les syndicats s’en retrouvent fortement discrédités. Le recrutement est très orienté vers les sorties d’écoles d’ingénieurs : on embauche des stagiaires, des jeunes diplômés, pas trop exigeants dans un contexte d’inquiétude générale vis-à-vis du marché économique global.
La revalorisation des contrats existants est faible, surtout lors des premières années. La considération n’est que rarement au rendez-vous, les employés se lassent rapidement. Après trois ou quatre ans, beaucoup cherchent un nouvel emploi : chez un client direct si possible pour quitter la sous-traitance, chez un sous-traitant mieux réputé ou tout simplement chez quelqu’un qui paye mieux. Pendant ce temps, l’entreprise aura fait de très bons résultats en 2014. Pendant ce temps, l’entreprise aura fait de très bons résultats. Les dividendes ont doublé entre 2012 et 2014 et représentent maintenant près de 40 millions d’euros. Les primes de participations et d’intéressement coûtent moins de 2 millions, soit quelques 200 € par employé. C’est trois fois moins qu’en 2012…

D’un lecteur qui écrit sous le pseudo « Ressource humaine »

La Revue du projet, n° 49, septembre 2015
 

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.

 

le 22 septembre 2015

    A voir aussi