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Féminisme et lutte de classes

 

« La femme de demain ne voudra ni dominer, ni être dominée »

Louise Michel

 

Par Laurence Cohen*

Publié mensuellement depuis 2003, notre bulletin Féminis­me/Commu­­nisme illustre, avec des graphies qui s’entremêlent, le combat conjoint qui est le nôtre.

Sans vouloir avoir recours à des définitions exhaustives, le communisme est l’abolition des classes sociales et de l’État. Le féminisme est un combat contre toutes les formes de dominations sexistes et l’exigence du droit à l’égalité dans tous les domaines de la vie. Il s’agit de déconstruire la culture patriarcale omniprésente sur la scène politique et économique, mais aussi dans les savoirs scientifiques et dans les sciences humaines, de la biologie à la médecine, de la psychologie à la psychanalyse et à l’histoire, de la littérature aux arts en général.

Le féminisme remet en cause le fonctionnement politique de nos sociétés et donc le pouvoir, qu’il soit économique, politique, religieux ou familial…En fait, il ouvre sur un changement profond qui fait voler en éclats la frontière entre la sphère publique et la sphère privée. En ce sens, le féminisme est hautement politique et subversif. Et pourtant, il a été trop longtemps minoré et notamment par ceux qui luttaient contre l’aliénation de classes. Ainsi, malgré l’analyse d’Engels de la double exploitation des femmes – « Dans la famille, l’homme est le bourgeois, la femme joue le rôle du prolétariat » – nous pouvons rester dans une analyse figée qui, consciemment ou pas, subordonne le combat contre le patriarcat au combat contre le capitalisme. Comment et pourquoi ne pas voir que l’oppression de classe est sexuée, et que les plus exploités sont des femmes, parmi lesquelles de nombreuses immigrées ? Comment et pourquoi méconnaître que les femmes et les hommes subissent l’exploitation différemment ? Comment ne pas voir que les réformes comme celle des retraites, de l’Accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation des parcours professionnels, ou encore le projet de loi Macron vont encore creuser les inégalités femmes/hommes et permettre de nouvelles formes d’exploitation avec l’institutionnalisation du temps de travail partiel et du travail du dimanche ?

Cette analyse tronquée de la société conduit à refuser de prendre en compte que les stratégies individuelles ou collectives pour résister à l’aliénation de classe, voire y échapper, ne sont pas forcément les mêmes. Comment rassembler quand on méconnaît à ce point la réalité ? Il est particulièrement édifiant de noter que l’ensemble des partis et des syndicats progressistes considèrent la lutte contre le patriarcat comme marginale et ignorent la dimension sexuée de l’exploitation, à l’inverse des tenants du capitalisme.

La Revue du projet, avec ce dossier et sa nouvelle rubrique concernant les droits des femmes, réalise un pas en avant significatif ; elle propose de mettre le combat féministe à la place qui est la sienne, c’est-à-dire au cœur de la réflexion et de l’action des communistes. Analyser simultanément la société au travers du prisme de l’aliénation de classes et de la domination masculine est une forme de pensée qui n’interroge pas seulement l’autre mais soi-même dans son rapport à autrui.

Laissons de côté tout ce qui tourne autour de l’aliénation au travail et prenons deux exemples d’actualité qui peuvent paraître marginaux : celui des violences faites aux femmes avec sa forme ultime, la prostitution, et la notion de genre.

 

La prostitution interdit à la société de progresser vers l’égalité

Comment construire une société égalitaire quand on accepte l’existence d’actes sexuels tarifés au mépris du désir d’autrui ? Celui qui paie domine et a tous les droits, y compris celui d’échapper aux règles et aux droits qui fondent la vie en société. L’abolition de la prostitution est une nécessité et une revendication que nous avons été les premiers à porter en tant que parti politique. Se laisser gagner par une sorte de fatalisme ambiant consistant à ne pas imaginer un monde sans prostitution, c’est renoncer à changer le monde. Lutter sur ce terrain-là, c’est faire progresser notre projet libérateur et émancipateur.

 

Le genre, une question révolutionnaire

Polémique artificielle ou problème de fond ? Le genre nous aide à réfléchir dans tous les domaines des sciences humaines et sociales. C’est pourquoi la construction des savoirs est totalement à revoir si nous voulons faire bouger les mentalités, déconstruire les stéréotypes sexistes. La droite ne s’y trompe pas. Christine Boutin accuse, dès 2011, des manuels scolaires de 1e, d’influencer l’orientation sexuelle des élèves. Cette polémique se poursuit par l’affrontement social et moral autour du « mariage pour toutes et tous » et se concentre sur les « études de genre » en dénaturant le contenu des modules d’apprentissage de l’égalité entre les filles et les garçons dès l’école maternelle, avec l’appel aux journées de retrait de l’école. Pour les réactionnaires familialistes, partisans du maintien des femmes sous domination masculine et à l’origine des commandos anti IVG, c’est l’occasion de retrouver une place prépondérante en menant une véritable croisade contre l’égalité. Ils n’hésitent pas à employer des arguments caricaturaux et à instrumentaliser les religions mais ils marquent des points dans les quartiers populaires comme dans les quartiers « bobos », dans les zones rurales comme dans les zones urbanisées. C’est une porte d’entrée insidieuse et très dangereuse pour consolider la hiérarchie des rôles assignés, dans nos sociétés, aux filles comme aux garçons. C’est le terreau qui permet de maintenir les dominés sous le joug du capitalisme et du patriarcat. De « manif pour tous » à « jour de colère » en passant par « jour de retrait de l’école », ce sont les droits des femmes, des lesbiennes et des gays qui sont visés, au nom de la préservation de l’ordre moral, de la sauvegarde de l’humanité. C’est pourquoi la droite et son extrême se joignent à cette contestation, afin de capter des suffrages contre tout projet de changement.

Nous devons faire voler en éclats tous ces présupposés. Ainsi, quand la droite revendique un projet de société rétrograde avec un modèle unique de la famille, notre commission a élaboré un « contre » argumentaire « Pour une politique familiale solidaire et universelle » et a programmé un colloque sur le sujet en partenariat avec la fondation Gabriel Péri au printemps prochain. Car on touche ici aux fondements politiques de la société qui reposent sur la hiérarchisation des rôles sociaux suivant la différenciation entre féminin et masculin.

 

Faire front collectivement

On le voit, toutes les atteintes contre les droits des femmes sous-tendent une conception de la société où inégalités riment avec discriminations, restrictions des libertés, concurrence… Dans une période où l’on assiste à une montée de l’extrême droite partout en Europe, il est essentiel de ne laisser aucun terrain, de mener de front la bataille idéologique contre les politiques néolibérales et patriarcales. Pour ce faire, il faut donc non seulement ouvrir des espaces de discussion, d’échanges, de confrontations mais également organiser des luttes. En ce mois de mars, nous serons très mobilisés pour la manifestation du 8 mars aux côtés de la marche mondiale et pour les élections départementales qui verront, pour la première fois, des conseils départementaux paritaires.

Au fond, il s’agit de réagir à toute remise en cause des droits des femmes, à toute attaque contre l’égalité en France, en Europe et dans le monde, ce qui nécessite notamment de travailler avec les associations féministes, le Parti de la gauche européenne et son réseau EL-FEM (que nous avons créé avec Marie-George Buffet), mais aussi avec le Front de gauche féministe. Un énorme champ d’intervention qui nécessite une présence sur tous les fronts pour défendre, résister mais également pour ouvrir une alternative féministe car j’affirme avec Emma Goldman : « La révolution, oui, mais ce n’est pas ma révolution si je ne peux pas danser. »

 

*Laurence Cohen est responsable du secteur Droits des femmes/ Féminisme du Conseil national du PCF.

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Féminisme et lutte de classes

le 23 mars 2015

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