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Nice-matin, une page inédite dans l’histoire de la presse

Les salariés créent une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) et font un pari sur l’avenir qui peut faire tache d’huile.

 

Par Gérard Pitocchi*

Un journal créé à la Libération

Nice-Matin a été créé à l’issue du dernier conflit mondial sous forme de Société anonyme à participation ouvrière (SAPO), dont 25 % étaient détenus par ses salariés au travers d’une coopérative de main-d’œuvre. Jusqu’à la fin du siècle dernier, la gestion familiale de l’actionnaire majoritaire, Michel Bavastro, bien que souvent conflictuelle avec les ouvriers du livre CGT, a toujours privilégié la pérennisation des emplois et le développement de ce quotidien régional.

 

Nos problèmes ont débuté en 1997 lorsque nous sommes passés sous la gouvernance d’une société multinationale, le groupe Lagardère, qui, dix années durant, s’est contenté de faire remonter tous les bénéfices réalisés par l’entreprise en la laissant s’installer dans l’immobilisme le plus total. Pas le moindre début de modernisation de l’outil de travail, pas la moindre vision ou projet d’avenir pour notre titre de presse.

 

En 2007, Nice-Matin est racheté par le groupe Hersant, lequel a immédiatement connu des difficultés économiques engendrées par l’effondrement de sa branche d’édition d’hebdomadaires gratuits d’annonces commerciales, Paru Vendu. Ces difficultés ont entraîné une faillite et une des plus importantes suppressions d’emplois de ces dernières années avec 3 000 licenciements (la société d’édition Comareg qui employait environ 2 500 salariés et la société d’imprimerie Hebdo Print pour laquelle travaillaient environ 500 salariés), d’ailleurs passés pratiquement inaperçus dans les média.

 

Subissant de plein fouet cette déconfiture, accentuée par un contexte général de crise économique, le groupe Hersant, incapable de résoudre ses problèmes, a continué de ponctionner la trésorerie de ses titres de presse encore bénéficiaires, les entraînant ainsi dans sa chute (Paris Normandie placé en redressement judiciaire, l’Union de Reims vendu in extremis au groupe Rossel, la Provence cédée à Bernard Tapie, les titres de France-Antilles placés en redressement judiciaire).

Dans ces conditions Nice-Matin s’est trouvé placé sous la protection du tribunal de commerce de Nice à la fin de l’année 2013, avant de basculer en redressement judiciaire au cours du mois de mai 2014. Dans les semaines qui ont suivi, plusieurs propositions de reprise se sont fait jour dans les média, plus particulièrement sur le Web, avant d’être déposées auprès du tribunal de commerce de Nice.

 

La mobilisation des salariés et la naissance d’une coopérative

Dans ce contexte nous avons diffusé, par voie de tracts puis en communiquant en direction des média, notre projet de reprise de Nice-Matin par ses salariés, qui n’avait pour objet que d’influer sur le volet social proposé par les repreneurs potentiels. Malheureu­sement, nous avons rapidement pris conscience du massacre social auquel nous risquions d’être confrontés dans les semaines qui devaient suivre notre placement sous contrôle des administrateurs judiciaires désignés par le tribunal de commerce. En effet, les candidats les plus solides financièrement étaient porteurs de projets sociaux d’une violence extrême visant à ne pas reprendre environ 50 % des salariés de Nice-Matin.

 

Avec le recul il est manifeste que notre coopérative est née de l’ampleur des licenciements annoncés, notamment ceux prévus en cas de reprise par le groupe Rossel dont l’assise financière était de loin la mieux-disante, et nous nous sommes trouvés dans l’obligation de construire et réussir notre projet de reprise sous forme de Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC).

Dans la même période, le ministre de l’Économie et des finances mettait en place une loi relative à l’économie sociale susceptible de favoriser une capacité d’action nouvelle pour les salariés, notamment en favorisant la reprise d’une entreprise par son personnel en créant un statut de Société coopérative et participative (SCOP) d’amorçage.

Sur la base de ce constat nous avons dû dans un premier temps réussir le pari de convaincre les salariés du bien-fondé de ce projet et leur faire-valoir notamment qu’une étude économique du Trésor avait démontré que la reprise d’entreprises par les salariés avait de nombreuses vertus, ce qui n’est pas toujours le cas de transmissions réalisées dans un cadre différent, que le taux de pérennité des SCOP était de 82,5 % sur trois ans alors qu’il n’est que de 66 % pour le reste des entreprises françaises à capitaux privé. Malgré cela, jusqu’au jour de la décision du président du tribunal de commerce, de nombreux salariés n’ayant pas la culture de l’autogestion n’étaient pas convaincus par le projet de reprise en coopérative, notamment au sein de notre filiale de régie publicitaire.

 

La deuxième étape a été de rechercher le soutien des collectivités locales et régionales, action pour laquelle la confiance inaltérable des élus du Front de gauche de toute la région PACA et des instances CGT du Var et des Alpes-Maritimes s’est révélée prépondérante. Nous avons organisé divers rassemblements et manifestations de salariés notamment devant la préfecture des Alpes-Maritimes ou le tribunal de commerce de Nice. Nous avons également fait appel aux compétences d’un cabinet d’avocats spécialisé afin de structurer notre projet et d’accomplir l’ensemble des démarches légales et administratives.

 

C’est ainsi que nous avons obtenu une décision favorable du président du tribunal de commerce et que, si notre aventure s’avère viable, nous pourrions devenir un modèle pour de nombreux titres de presse quotidienne de notre pays.

 

Il est manifeste qu’il existe toujours une demande relativement forte d’information développée, explicitée et commentée par des journalistes professionnels et que pour le plus grand nombre cette possibilité ne se conçoit que sur un support papier.

 

À l’inverse, l’environnement de la presse écrite sur support papier ne nous est pas forcément favorable, il est notoire que la frange la plus jeune de la population adulte a pris ses habitudes sur le Web, où elle peut trouver pratiquement en temps réel des informations précises et concises. La multiplication des chaînes télévisuelles d’information vingt-quatre heures sur vingt-quatre ou la distribution de quotidiens d’informations gratuits sur toutes les zones de passage intense des grandes villes ne sont pas non plus de nature à soutenir la pérennité des sociétés de presse écrite d’information quotidienne. Plus encore, la fermeture de nombreux kiosques ou points de diffusion ne facilite pas la vente des titres de presse quotidienne. Enfin la manne publicitaire qui n’est pas extensible à souhait, doit être partagée entre l’ensemble des média susvisés, et elle est de fait en régression constante.

 

De ce constat, certes peu réjouissant, nous pouvons tirer notre force. Puisque les grands groupes multinationaux, (Lagardère, Rossel, Hersant, Dassault, le Crédit Mutuel), ne parviennent plus à dégager les profits qu’ils attendent de leurs investissements dans la presse quotidienne, cela peut permettre l’avènement de nouvelles sociétés de presse bâties sur une gestion démocratique et participative dont l’objet n’est plus de dégager des profits à l’attention de l’actionnaire majoritaire mais de permettre un fonctionnement cohérent, de dispenser une information de qualité. Et si profits il y a, qu’ils soient consacrés à la modernisation de l’outil de travail.

 

Pour Nice-Matin l’enjeu est de taille, il nous faut réussir notre nouveau départ et, en espérant que la situation trouble et anxiogène qui nous a été imposée durant de nombreux mois ne laisse pas trop de traces sur l’intégrité physique et morale des salariés de notre entreprise. Nous espérons transformer notre victoire en un immense sursaut d’énergie et d’implication du plus grand nombre pour garantir notre pari sur l’avenir. 

 

*Gérard Pitocchi est délégué syndical CGT des ouvriers du livre Nice-Matin.

La Revue du projet n°44, février 2015.

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le 26 février 2015

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