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L’exemple sud-américain des radios populaires : les « voix des sans voix »

 

Aujourd’hui Radio mundo real permet aux auditeurs d’avoir accès non seulement à l’actualité de mouvements sociaux partout à travers le monde, mais également à des entretiens et des programmes produits par d’autres radios communautaires.

 

Par Camille Marigaux*

Les débats sans droit de suite se multiplient sur l’avenir du journalisme et parviennent inextricablement à un même constat contrit, voire hypocrite : face à l’incursion croissante et inévitable des professionnels de la communication, du management et de la publicité, la parole des journalistes reste soumise, bâillonnée, achetée. Un tel atavisme cache pourtant une autre réalité, bien plus éclairante, sur les contributions que « d’autres » média peuvent apporter au progrès social et à l’intérêt public. Les radios populaires prouvent dans de nombreuses régions du monde qu’il est possible d’atteindre cet équilibre fragile, mais si évident : toucher mais aussi informer dans leurs intérêts les populations minoritaires, marginalisées voire opprimées. L’Amérique latine, laboratoire historique de l’usage de ces média alternatifs, mais aussi terre fertile de l’emprise des groupes financiers sur les média, en est l’exemple criant de paradoxes et de leçons.

 

Un contre-modèle historique et toujours actuel

En Amérique latine, les premières radios communautaires avaient déjà une vocation éducative pour les populations concernées. En Colombie, une « école radiophonique » est mise en place par l’Église à Sutatenza dans les années 1940. L’idée était d’aider les agriculteurs à résoudre leur manque d’instruction, à discuter de leurs problèmes et à s’organiser pour adopter des solutions et agir dans leur propre intérêt. Souvent mises en œuvre dans des contextes ruraux, ces premières expériences avaient pour objectif l’alphabétisation des communautés marginalisées. Elles rappellent la pédagogie du brésilien Paulo Freire (années 1960), qui considérait l’alphabétisation comme un acte politique contre la négation du droit à l’expression de ceux qui ne savent ni lire ni écrire. Plus tard, la mise en réseau régionale progressive de ces radios a donné naissance à l’Alianza Latinoamericana de Escuelas Radiofonicas (ALER). Plus récemment, c’est l’UNESCO qui s’est emparée de l’enjeu éducatif dans les pays du Sud à travers les Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), en mettant en place des programmes éducatifs au moyen de radios communautaires dans ces régions.

 

Mais, partant de l’hypothèse selon laquelle tout média alternatif s’oppose à un discours dominant, la difficulté de définir les média alternatifs réside dans le relativisme inhérent à l’objet de l’alternative. Rodger Streitmatter, historien et professeur de journalisme, distingue ainsi dans la sphère de la communication alternative la « communication dissidente » qui porte un projet de changement radical de la société. Cardon et Granjon, eux, différencient la « critique expressive » de la « critique anti-hégémonique », la première cherchant à donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. C’est le cas de Radio Mundo Real en Uruguay.

 

De Jakarta à Montevideo : Radio Mundo Real, ou le projet d’une communication de la résistance

Imaginé par un groupe d’une dizaine de militants à Montevideo en 2003, Radio Mundo Real est née dans le but d’effectuer un travail avec les radios communautaires de la région d’Amérique latine-Caraïbes. L’objectif ? Relayer l’actualité des mouvements sociaux paysans dans cette région, et promouvoir une dynamique de partage des contenus radiophoniques et des informations entre les différents média alternatifs concernés. Une dizaine d’années plus tard, cette initiative donnera naissance à ce qu’ils nomment eux-mêmes « la convergence des média de mouvements sociaux ». Leur ambition était et reste encore aujourd’hui, en contribuant à une communication participative et militante, d’aider à l’émancipation des populations concernées. « La communication n’est pas neutre et ne peut être dissociée de la construction politique des processus de changement. L’échange et les contributions de chaque mouvement, à partir de ses expériences, ses langages ou moyens de communication, sont des éléments fondamentaux pour un répertoire des luttes collectif, vivant et militant » (Ignacio Cirio, journaliste à Radio Mundo Real)

Internet permet aux auditeurs d’avoir accès non seulement à l’actualité de mouvements sociaux partout à travers le monde, mais également à des entretiens et des programmes produits par d’autres radios communautaires. Lors du Forum social mondial (FSM) de Porto Alegre au Brésil, en 2005, les membres de la radio firent l’expérience d’une retransmission de l’événement à travers une fréquence FM. La structure de l’événement, dans un lieu étendu, représente un espace propice pour travailler de la sorte : ils distribuèrent notamment des petites radios aux participants et aux membres des organisations présentes.

Aujourd’hui, aux côtés de la Via Campesina ou de la Marche mondiale des femmes, présent aux Forums sociaux mondiaux comme aux côtés des plus invisibles, en Colombie, à Bruxelles ou en Indonésie, leur micro voyage, révèle et partage. Car la défense des territoires et de ceux qui y vivent, cette lutte qui ne cesse de donner aux communautés rurales et aux mouvements d’écologie sociale toujours plus d’importance, est aussi forte de ces expériences de communication en résistance. Un même combat, contre la privatisation et la marchandisation de l’information comme de la terre, pour recréer un nouvel environnement médiatique populaire, et redonner leur visibilité à ces réalités masquées, déformées, confisquées. 

*Camille Marigaux est diplômée de l'Institut des hautes études de l'Amérique latine (IHEAL). Elle est étudiante à l'École supérieure de journalisme de Lille.

La Revue du projet n°44, février 2015.

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le 26 février 2015

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