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Rendre l’économie plus belle en la rendant plus humaine Hommage à Bernard Maris

par Michaël Orand

 

L’économie a beau se revendiquer de la rigueur scientifique, il n’est pas besoin d’une analyse poussée pour comprendre que la raison est loin d’être la pierre angulaire de la discipline. Avec ses dogmes (orthodoxes ou hétérodoxes), ses saints (Adam Smith), ses idoles (le marché) et ses prêtres (les « experts »), l’économie tient en effet plus de la religion que de la science. Cela la disqualifie-t-elle pour autant ? Non, car l’économie est une science humaine, et pour cette raison elle est à la fois sujette aux travers humains, dont le travers religieux, et d’autant plus fascinante à observer et à étudier. Voilà ce qu’aimait à répéter Bernard Maris, l’Oncle Bernard, dont nous avons été tragiquement privés le mercredi 7 janvier dernier.

 

Remettre l’humain au centre de l’économie. Telle était l’ambition que s’était fixée Bernard Maris. Et il ne s’agissait pas simplement d’humaniser les objets auxquels s’intéresse l’économique, même s’il s’agit d’une part importante de la démarche. En témoigne le nombre de pages qu’il a consacré à réhabiliter le partage et l’échange, à montrer qu’il vaut mieux parfois être cigale que fourmi, ou à remettre en question les totems du Marché, de la Marchandise et de la Valeur. Mais il fallait aller plus loin encore, et amener l’humain au cœur même de la science économique, pour rappeler qu’elle n’est finalement que le produit de rapports humains et sociaux, et que c’est là le seul prisme sous lequel on peut l’observer, l’analyser, la critiquer et la faire progresser.

 

« Au fait, les économistes… De quoi parlez-vous ? Savez-vous que lorsqu’on a compris que la “science” économique était une religion, l’économie devient passionnante ? On peut l’aborder sous l’angle de la mathématique pure — rien n’est plus respectable que le plaisir pur du chercheur, détaché des contingences mercantiles, qui produit ses théorèmes de mathématique, mais qu’il ne les baptise lois économiques, par pitié ! Sous l’angle de l’histoire des faits, de la pensée, de la philosophie économique, de la comptabilité, de la statistique descriptive… De la rhétorique — comme il est amusant, alors, d’observer les travaux de couture des uns et des autres pour emmailloter plus ou moins habilement dans de la ”science” leur idéologie ! »

 

Car l’objectif, en s’attaquant à la carapace de scientificité derrière laquelle se protègent économistes et autres experts, c’est bien de porter les premiers coups à la nouvelle sainte alliance du sabre capitaliste et du goupillon économiste. Ce que nous retiendrons des leçons de l’Oncle Bernard, c’est qu’il est des façons sublimes de porter ces coups, en hissant l’économie au niveau des plus belles productions de l’esprit humain, poésie et littérature en tête. En rappelant ainsi que l’économie n’avait pas à rougir de sa propre capacité à élever le genre humain, le contraste avec son avilissement actuel et son asservissement au capitalisme et à la société de consommation n’en paraissait que plus insupportable. La plus belle des défenses pour la plus efficace des attaques, en quelque sorte, et un flambeau que nous tâcherons de reprendre.

 

 

Pour découvrir ou approfondir la pensée de Bernard Maris

Antimanuel d’économie (2 tomes), Bréal

Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles, Le Seuil

Petits principes de langue de bois économique, Bréal et Charlie Hebdo

 

La Revue du projet n°44, février 2015.

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Rendre l’économie plus belle  en la rendant plus humaine    Hommage à Bernard Maris

le 26 février 2015

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