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Liberté et migrations

La migration est présentée à tort comme relevant de la responsabilité individuelle, quand elle est un enjeu collectif, à la fois ressort et produit de l’économie capitaliste mondialisée.

 

Par Morane Chavanon*

Àl’heure où l’on ne cesse de valoriser la libre circulation des capitaux et la mobilité des étudiants et travailleurs des pays occidentaux, les migrants provenant des pays du Sud font l’objet d’un contrôle accru et d’une véritable criminalisation. Les corps migrants ne bénéficient pas des mêmes droits, à commencer par celui à la libre circulation, ni de la même image sociale en fonction de leur provenance.

 

Le contrôle des migrants, une opportunité politique pour les États

Au sein de l’Union européenne et de la zone Schengen, les déplacements de citoyens communautaires sont présentés comme les symboles d’un monde moderne et « connecté ». À l’inverse, les migrants originaires des continents africain ou asiatique, émigrant pour des raisons politiques, économiques voire écologiques vers l’Europe sont immédiatement perçus sous l’angle du danger et du coût qu’ils représenteraient pour les sociétés dites d’accueil : « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ! », dit-on.

Comme le soulignait Catherine Withol de Wenden dans Les Immigrés et la politique (1988), en Europe, jusque dans les années 1970, les flux migratoires étaient considérés par les pouvoirs publics comme une question d’ordre purement technique et économique. Il était laissé au patronat le soin de gérer comme il l’entendait l’arrivée d’une main-d’œuvre avantageuse et peu coûteuse. Ce n’est que récemment que le contrôle des migrants est apparu, pour les États, comme une opportunité politique de mettre en scène leur propre puissance.

 

Une créolisation du monde, une dynamique

La politique européenne de fermeture des frontières, commencée après le choc pétrolier de 1973 et qui ne cesse de se durcir depuis, allant même jusqu’à la création en 2004 d’une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, plus connue sous le nom de FRONTEX, via ses conséquences meurtrières en Médi­terranée, pose alors un paradoxe. L’invocation d’une libéralisation toujours plus importante du marché, s’incarnant dans des délocalisations, une exploitation intensive des ressources naturelles, des ingérences politiques, s’accompagne d’une assignation à résidence pour ceux et celles qui ont eu la malchance de naître du mauvais côté de la planète. La migration est présentée à tort comme relevant de la responsabilité individuelle, quand elle est un enjeu collectif, à la fois ressort et produit de l’économie capitaliste mondialisée.

Un projet de transformation sociale supposerait de repenser la question migratoire et le droit à la libre circulation des individus, à l’aune d’une « créolisation du monde », pour reprendre l’expression de Patrick Chamoiseau. Pour l’écrivain, nous allons vers une composition des sociétés de plus en plus plurielle, ce qui ne doit pas être vu comme une succession de greffes mais comme une vraie dynamique. Dépasser le « nous » fictif d’une identité européenne fantasmée dressée contre un « eux » stigmatisé, pour réappréhender l’expérience sociale collective et inventer de nouvelles formes de solidarités. 

*Morane Chavanon est politiste. Elle est doctorante en sciences politiques à l’université Lyon-2.

La Revue du projet n°43, janvier 2015. 

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le 21 January 2015

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