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La ville côté femmes : les usages féminins des espaces publics

 

Par Corinne Luxembourg

et Dalila Messaoudi*

 

La construction de la ville des grands ensembles à la fin des années 1960 a répondu à plusieurs objectifs, en particulier l’impérieuse nécessité de trouver une solution à la situation de mal-logement importante tout en maintenant une relation forte entre le lieu de travail et le logement. Or, les carrières professionnelles féminines sont alors généralement courtes, souvent arrêtées lors de la première grossesse, ou encore à temps partiel. Ces espaces urbains de « chemins de grue » dessinés et rapidement bâtis par les hommes sont l’espace vécu des femmes pour l’essentiel. Aujourd’hui, dans l’ensemble des villes occidentales, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à vivre dans des villes construites par les hommes. Pour autant, si cela signifie que les femmes ont une plus grande appropriation de l’espace public urbain, en se référant au nombre de lieux fréquentés, cela ne se traduit pas par une occupation pérenne des lieux comme peuvent le faire les hommes (bancs, halls d’immeuble…), mais par une circulation où les arrêts sont rares. Enfin, cet habiter féminin est confronté aux déficiences générales de l’habiter de l’ensemble de la population dans nombre de ces quartiers de grands ensembles. C’est-à-dire que la fonction même d’habiter a longtemps été réduite à la seule fonction de loger. Or la ville de la mondialisation, issue de la compartimentation de la ville moderne, en ne permettant pas la mixité fonctionnelle, renforce la fragmentation genrée de l’espace public. En effet la rupture spatiale entre les lieux d’activités professionnelles et les lieux de logement raréfie la mixité d’usages des espaces publics et avec la mixité genrée.

Il ne s’agit alors pas tant de la seule forme urbaine que du fond de ce qui construit l’urbanité quotidienne. Or, cette quotidienneté du quartier comme espace vécu est souvent féminine. Les politiques urbaines ne se penchent sur la question féminine qu’au début des années 1980 en faisant des femmes non plus des occupantes silencieuses des quartiers mais des relais de la démarche de Développement social des quartiers. Il s’agit, entre autres, d’encourager la formation et la professionnalisation. En effet, durant la décennie suivante les femmes accèdent plus nombreuses à l’emploi, bien que cet emploi soit souvent à temps partiel et à durée déterminée. Néanmoins, la lutte pour la place des femmes dans l’espace urbain est d’autant plus difficile qu’il s’agit d’une construction sociale du territoire « après coup » et qu’elle ne va pas encore de soi pour l’ensemble de la société, acteurs institutionnels compris, ceci dans un contexte où la conception de l’urbanisme est à repenser au prisme d’un habiter plus diversifié.

 

Un projet de recherche-action participatif

Comme l’ensemble de la région parisienne, Gennevilliers a connu, pendant la période de la Reconstruction, la production de grands ensembles de logements collectifs. Elle a, par la suite, connu les différentes périodes des politiques de la ville : Habitat et Vie sociale, Développement social des quartiers, Développement social urbain, interventions de l’Agence nationale de renouvellement urbain… C’est sur cette dernière période que nous avons choisi de nous attarder, à travers deux quartiers l’un, le quartier des Grésillons, sortant d’une opération ANRU, le second, les Agnettes, récemment classé ANRU 2.

« La ville côté femmes » est un projet de recherche-action participatif et critique à Gennevilliers qui s’appuie sur une expérience d’éducation populaire, orientée à la fois vers l’habiter, le droit à la ville, la mixité des usages des espaces publics en prenant conscience de la permanence d’un contrôle social sur les femmes. Cette approche permet aux habitantes et aux habitants de s’engager dans le projet en partageant leurs connaissances de la ville, mais aussi d’échanger sur ce que peut être un urbanisme qui faciliterait des modes d’habiter émancipateurs.

 

Les cartes mentales

Pour renforcer cette première approche, les cartes mentales sont un outil pertinent. Il a l’avantage de rendre plus lisibles les « marqueurs spatiaux ». Ces cartes ne respectent pas la métrique habituelle mais c’est, entre autres, de ces distorsions que l’on tire des informations. Avec un minimum d’éléments de contextualisation (âge, date d’arrivée à Gennevilliers, quartier de résidence ou de travail) et une feuille blanche, nous avons demandé aux hommes et aux femmes de représenter leurs déplacements dans la commune en différenciant les parcours appréciés en vert, les parcours sans intérêt (ni aimé ni mal-aimé) en noir, les parcours faisant l’objet d’un malaise, d’une appréhension, d’une méfiance en rouge. En trait plein sont dessinés les trajets de jour, en pointillés les trajets nuit, en variant les couleurs selon le ressenti. Ce protocole a été mis en œuvre auprès d’un premier petit échantillon de plus de 70 habitantes et habitants.

 

L’analyse de 76 cartes également réparties entre hommes et femmes tend à montrer que les femmes s’approprieraient plus largement le territoire communal, elles le connaissent mieux et le territoire parcouru est plus étendu que celui des hommes. Si ceux-ci le parcourent sans doute, ils ne représentent et ne citent que peu de quartiers sur les sept de la commune.

 

Les femmes, plus que les hommes, font ressortir des espaces publics appréciés ou au contraire évités. Elles montrent une plus grande appropriation territoriale en même temps qu’une confrontation à des espaces vécus comme peu accueillants alors que ces mêmes lieux sont ou bien appréciés ou ignorés par les hommes. De ces premiers résultats, l’idée du confinement spatial féminin se trouve nuancée par l’étendue de trajets répondant essentiellement à des raisons utilitaires. n

 

 

*Corinne Luxembourg est géographe. Elle est maître de conférences à l’université d’Artois.

Dalila Messaoudi est docteure en géographie des universités de Paris VIII et Paris X.

La Revue du projet n°43, janvier 2015. 

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le 21 January 2015

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