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Remettre les stages au service de la formation, Jean-Pierre Sceaux*

600 000 stagiaires en 2006, 1 600 000 en 2014, dont 900 000 étudiants (source CESE). Seuls 38 % de stages sont formateurs et rémunérés, selon le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ). Seulement 20 % des stagiaires de niveau bac +4 trouvent leur emploi grâce à leur stage (source Association pour l’emploi des cadres, APEC). Des secteurs entiers (communication, publicité, commerce) ont massivement recours à ces pratiques. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) estime à 100 000 le nombre d’emplois que cela revient à geler. Quatre lois (2006, 2009, 2011, 2013) devaient encadrer les pratiques. Mais, décrets d’applications trop lâches ou jamais pris, le droit du travail est toujours contourné. Même la loi récemment votée renvoie encore trop de mesures à de futurs décrets.

Pourtant, il est urgent de mettre fin aux pratiques illégales. Les mobilisations des jeunes ont mis en échec le CIP de Balladur en 1994, le CPE de Villepin en 2006, mais l’utilisation d’une main-d’œuvre peu coûteuse demeure l’objectif du patronat. Un objectif économique mais pas seulement. La pratique actuelle des stages conduit souvent à minorer l’apport du diplôme, à mettre à mal la dignité du stagiaire, et à survaloriser le rôle formateur de l’entreprise.

Dans l’enseignement supérieur public, technologique notamment (IUT, masters, écoles) mais pas uniquement, le stage fait partie intégrante de la formation. Il a des objectifs pédagogiques précis, au-delà de la préparation à l’insertion future. La parfaite maîtrise des savoirs, savoir-faire et techniques au cœur du diplôme passe par une expérience concrète, tout en se rappelant que la formation à un métier n’est pas la simple adaptation à un emploi. Pour ce faire, les établissements se doivent de vérifier la pertinence du stage au regard des contenus de formation, de refuser toute prolongation hors période universitaire et d’assurer un suivi de qualité. Ceci nécessite de reconnaître l’importance de cette séquence et de la valoriser comme une tâche d’égale dignité avec les autres missions d’enseignement. Les interventions dans les formations des représentants des salariés pourraient par ailleurs être généralisées. Le statut de stagiaire doit être réservé à la formation sous le contrôle de l’établissement formateur. En assurant que la grille des gratifications suive celle des qualifications, on pourrait assurer une rémunération décente des stagiaires. Ceci implique également que l’État montre l’exemple en transférant aux établissements publics ou dépendant de financements publics les budgets nécessaires à la gratification des stagiaires recrutés dans leurs propres services. Par ailleurs, le droit du travail et les conventions collectives doivent réglementer toute activité en entreprise de façon à ce qu’il ne soit plus possible d’utiliser le stagiaire comme main-d’œuvre à bas coût et simple variable d’ajustement. Ceci doit permettre de faire primer les intérêts pédagogiques sur les intérêts économiques. À cette condition seulement, le nécessaire débat sur la place du stage dans la formation pourra avoir lieu sereinement : y a-t-il lieu de donner un rôle plus important aux stages dans la formation des étudiants ? Dans quelles filières ? Selon quels critères ? Quels dispositifs mettre en place pour offrir aux étudiants un égal accès aux stages, au-delà du seul réseau individuel, dépendant de l’origine sociale et vecteur de reproduction sociale et d’exclusion ?

Par Jean-Pierre Sceaux,
ancien directeur de l’Institut universitaire
de technologie du Havre
La Revue du projet, n° 37, Mai 2014
 

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Remettre les stages au service de la formation, Jean-Pierre Sceaux*

le 28 mai 2014

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