Radicalisation à droite, démobilisation à gauche ne signifient pas droitisation populaire généralisée. La résistance au chacun pour soi est vivante, elle a besoin d’espoir et d’une perspective.
Cet article sur les évolutions de la droite et de l’extrême droite s’appuie sur le travail mené depuis deux ans et demi au Lieu d’étude sur le mouvement des connaissances et des idées (LEM) en commun avec de nombreux chercheurs. À force d’auditions et de réflexions approfondies nous commençons, ensemble, à dégager quelques enseignements forts.
Le Front national de Marine Le Pen poursuit le combat du père, Jean-Marie, à deux différences notables près : une entreprise de dédiabolisation par la communication et son corollaire politique, la recherche déterminée de l’accession aux pouvoirs, au pouvoir.
Dédiabolisation du FN par la communication
L’entreprise de communication ne change pas le fond du programme dont la préférence nationale reste l’axe structurant. Elle vise à mettre en avant des mots-clés qui brouillent ce choix : social, services publics, revendications populaires, nation... et à éviter les dérapages médiatiques dont Jean-Marie Le Pen avait fait sa spécialité.
Quand on regarde de plus près son programme, le social y est réservé aux « Français de souche » et encore en rejetant, au-delà des étrangers, tous les « assistés ». Les services publics doivent être réservés aux mêmes et les fonctionnaires sont vus par le FN comme des profiteurs. Les revendications populaires sont portées par des « syndicats libres »... patronaux. La nation selon Marine Le Pen reste une France repliée sur elle-même, xénophobe, anti-européenne, ne s’occupant pas des affaires du monde et laissant faire les dictateurs chez eux. On pourrait allonger la liste. Marine Le Pen se laisse parfois aller à distiller la haine ordinaire de son père, par exemple en critiquant la présentation des otages de retour en France. Devant le tollé, elle doit s’en excuser pour maintenir son image. Dédiabolisation oblige !
Recherche du pouvoir
Le deuxième objectif de ce « nouveau » FN est sa volonté d’accéder aux pouvoirs. Le FN veut des députés, des maires et plus tard beaucoup d’autres élus afin de mettre effectivement en œuvre ses politiques ségrégationnistes, du local au national, et de coordonner l’extrême droite à l’échelle de l’Europe. Il s’agit alors de construire des passerelles avec une droite droitisée, extrémisée autant pour la diviser que pour permettre les rapprochements avec une partie d’entre elle. Cette ambition n’est malheureusement pas sans perspective. La droite de Sarkozy a, depuis une décennie, rejoint sur bien des sujets les thèses du FN. En portant la concurrence comme un modèle de rapport entre les humains, en justifiant les inégalités au nom du mérite, en combattant de fait la solidarité en l’assimilant à de l’assistanat, en se servant de la notion de sécurité pour opposer les gens, les peuples entre eux, ils font cause commune. Ces choix détruisent le vivre ensemble, la politique, la démocratie et jusqu’à la société elle-même. L’objectif était, paraît-il, d’assécher l’extrême droite. La conséquence concrète, assumée par des dirigeants de droite de plus en plus nombreux, a été de l’alimenter.
Les électeurs préfèrent, en définitive, toujours l’original à la copie, ils se sont donc, à droite, radicalisés, décomplexés. Les dirigeants de droite ont rompu les digues et maintenant le constat est sans appel, il y a peu de différence de contenu entre leurs propositions et celles du Front national et nombre d’entre eux appellent à l’alliance ou à un rapprochement, à leurs yeux aujourd’hui, nécessaire.
Les électeurs font de même. Et le fait d’être ouvrier ou employé ou retraité ne change rien à l’affaire. Tous les Français n’ont pas été résistants pendant l’occupation allemande, et l’électorat populaire de droite a toujours existé. Aujourd’hui il se radicalise.
Faire reculer la droite et l’extrême droite
La colère, le mécontentement ne sont pas toujours bons conseillers. La crise n’aidant pas, quand on ne veut pas ou quand on pense ne pas pouvoir s’attaquer aux puissants, quand on confond assistanat et solidarité, quand on préfère, souvent par sentiment d’impuissance, se battre pour travailler le dimanche ou pour faire des heures supplémentaires plutôt que pour augmenter son salaire, quand la peur du déclassement gagne, on peut être tenté de se retourner vers plus faible, plus fragile que soi et penser ainsi s’en sortir.
La condamnation de tels comportements ne suffit pas. Faire reculer la droite et l’extrême droite demande plus que de la résistance, elle nécessite surtout et d’abord d’assumer et de promouvoir haut et fort un projet et des valeurs d’une gauche décomplexée. C’est le choix inverse que le Parti socialiste porte depuis un certain temps maintenant. N’explique-t-il pas lui-même, alimentant les thèses libérales, que « le politique ne peut pas tout face à l’économique » ou que la renégociation du traité européen est impossible. Il soutient, lui aussi, l’égalité des chances au nom du mérite et de nécessaires et justes inégalités. Il reprend dans la bouche de la droite et de l’extrême droite le mot d’assistanat… Abandonnés les notions d’égalité et le combat pour une République des égaux, abandonnée la solidarité comme cœur battant du vivre ensemble, de la promotion d’une humanité humaine chère à Jean Jaurès. On peut croire, à gauche, que la critique de cette dérive suffit à la prise de conscience, que la désespérance mène à la lutte, ou plus grave encore, en ne retenant que les symptômes inquiétants de la société penser qu’elle se droitise et l’on justifie ainsi, même à son corps défendant, les pires renoncements de la gauche. Déçus, nos concitoyens sont déboussolés, le « ni gauche, ni droite » progresse, surtout à gauche. Comment s’en étonner ? Et le résultat est malheureusement là : radicalisation à droite, démobilisation à gauche. À ne pas confondre avec droitisation populaire généralisée.
Mobiliser sur une perspective positive
À y regarder de plus près face à la droitisation bien réelle celle-là, des états-majors de droite et du Parti socialiste, on devrait s’étonner et se réjouir. Malgré tout, la société résiste. Elle se cherche certes mais ceux qui ont voté pour le changement en 2012 sont déçus, mécontents de Hollande non pas parce qu’il est trop à gauche mais parce qu’il ne l’est pas assez. « Nous n’avons pas voté pour cela » disent-ils. Et ils ont raison. Une enquête publiée par le journal Le Monde daté du 13 décembre 2013, montre, une nouvelle fois, que nos concitoyens sont attachés à l’égalité, au vivre ensemble et qu’ils sont lucides sur les causes de la dégradation : la montée des inégalités et la crise économique et sociale. Ils résistent au chacun pour soi, dans leur grande majorité.
À une question posée dans un débat où un interlocuteur me demandait si l’ambition de « décrotter les indécrottables » n’était pas trop haute dans la situation actuelle, j’ai répondu « mobilisons déjà les mobilisables ». Et ils sont très nombreux ! Tel est mon credo aujourd’hui, en étant convaincu que cette mobilisation se construira sur l’espoir et une perspective positive. La désespérance, la description de la catastrophe annoncée sans les moyens de la conjurer, la critique sans perspective ne peuvent qu’alimenter nos adversaires, l’extrême droite la première.
En 1955, au cœur de l’apartheid, Mandela et ses camarades pensaient une société de l’égalité et du vivre ensemble. Ce choix est aujourd’hui encensé par le monde entier. N’a-t-on pas à en tirer enseignements pour notre combat ici et maintenant ?
*Michel Laurent est responsable du LEM.
La Revue du projet, n° 35, mars 2014
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