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Lutte contre le système prostitutionnel et pénalisation des clients, Frédéric Tribuiani*

L’analyse des fondements de la proposition de loi montre qu’elle peut être positive si elle s’accompagne des moyens nécessaires, en particulier en matière de réinsertion.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France soutient une approche abolitionniste de la prostitution, tout en refusant de l'interdire purement et simplement. Plutôt que d'interdire la prostitution, le but était de la décourager en la plaçant à côté du droit. Aujourd'hui, les auteurs de la proposition de loi relative à la lutte contre le système prostitutionnel estiment que la prostitution est une violence dont les victimes sont avant tout les personnes prostituées elles-mêmes. Cette approche est cependant contestée par certains, dont les clients, mais aussi quelques prostituées et notamment le Syndicat du travail sexuel (STRASS), organisation non-représentative et notoirement critiquée par les organisations progressistes. Dans tous les cas, force est de reconnaître que les personnes prostituées sont majoritairement des femmes (80%), que les clients sont quasi-exclusivement des hommes (99%) et que cette répartition extrêmement sexuée des rôles révèle un problème d'égalité entre les hommes et les femmes.
Le principal problème quant à la prostitution est qu'il s'agit d'un phénomène très mal connu. Les statistiques sur le sujet sont peu nombreuses, très contestées et très contestables. En effet, les données disponibles en France sont principalement des estimations pouvant varier de 1 à 40 selon les sources. Il semble ainsi difficile de prendre une position sans données objectives. Cepen­dant, il semble que les personnes prostituées victimes de réseaux de traite des êtres humains soient de plus en plus nombreuses et qu'elles surpassent largement en nombre les « traditionnelles », celles qui travaillent à leur propre compte. Or, tous et toutes sont évidemment favorables à une lutte vigoureuse contre ces réseaux, non seulement car il s'agit d'esclavage, mais aussi car la force de ces multinationales du sexe tarifé  permet de casser les prix.

Incriminer l'offre de prostitution par le racolage ou la demande par la pénalisation du client
Or, la lutte contre les réseaux de traite peut passer efficacement par la pénalisation de la prostitution. En effet, la majorité des prostituées en sont victimes et l'achat d'actes sexuels constitue leur principale source de revenus. Ainsi, l'interdiction pénale de la prostitution, ou de l'un des actes nécessaires à la « passe », permettrait de lutter à la fois contre la violence que constitue pour certains la prostitution, et que constitue pour tous la traite des êtres humains. Ce mécanisme consistant à incriminer un comportement qui, a priori, n'est pas nuisible pour éviter un comportement nuisible est ce qu'on appelle un « délit obstacle ». À titre d'exemple, on incrimine l'excès de vitesse non parce que c'est un comportement nuisible en soi, mais pour faire baisser la vitesse sur les routes et ainsi réduire les accidents.
Si la France semble avoir choisi l'approche du « délit obstacle », deux solutions s'opposent encore aujourd'hui : incriminer l'offre de prostitution par le racolage ou la demande par la pénalisation du client. Depuis 1939, le racolage actif, c'est à dire le fait d'inciter publiquement autrui à des relations sexuelles en échange d'une rémunération, est pénalement sanctionné. En 2003, la même incitation mais par une attitude passive est punie de la même manière. Ces dispositions ont pour but de permettre l'appréhension des personnes prostituées par les forces de l'ordre afin de les inciter à sortir de la prostitution et à témoigner contre les proxénètes et réseaux de traite. Cepen­dant, il s'avère que cette disposition n'a permis que très peu de dénonciations car la plupart du temps, les prostituées préfèrent se taire de peur de représailles ou ne savent rien de leurs esclavagistes. De plus, les juridictions pénales sont réticentes à condamner une personne qui n'a eu qu'une attitude passive. Le problème est que, même si la répression judiciaire est très faible, le délit de racolage étant puni d'une peine d'emprisonnement, les forces de l'ordre peuvent placer une personne suspectée d'être prostituée en garde-à-vue. Ainsi, cette disposition a surtout favorisé une migration prostituée à l'écart des quartiers chics voire en dehors des agglomérations, les mettant ainsi hors de portée des forces de l'ordre censées les protéger et des associations qui souhaitent les aider. Enfin, en cas d'agression, la victime, dès lors qu'elle est prostituée, doit, lors du dépôt de sa plainte, avouer avoir commis un délit.
La proposition de loi relative à la lutte contre le système prostitutionnel a choisi l'autre approche. En effet, outre l'abrogation totale du délit de racolage, il est question d'éducation à l'égalité entre les hommes et les femmes et de sensibilisation contre l'achat d'actes sexuels dès le plus jeune âge, et d'accompagnement vers une sortie de la prostitution par un accès facilité à un titre de séjour provisoire, un suivi sanitaire et social et une formation professionnelle en échange d'un engagement ferme et constant à un changement de mode de vie. Cet accompagnement serait ouvert indifféremment aux victimes de la traite et aux « traditionnelles ». La principale question qui se pose est de savoir si les moyens alloués à ces programmes seront suffisants et constants, compte tenu de la politique de rigueur du gouvernement actuel.

Le choix de l’éducation
En ce qui concerne la pénalisation du client, la proposition de loi a fait le choix là aussi de l'éducation. En effet, l'achat d'actes sexuels serait une contravention de cinquième classe punie de 1 500€ d'amende. La récidive dans un délai de trois ans suivant la première condamnation serait un délit puni d'une amende de 3 750€.
Le choix de la contravention de cinquième classe dont la récidive est un délit est judicieux. En effet, la constatation de la commission des faits ne sera pas aisée puisqu'il s'agira de prendre le client sur le fait au moment où il conclut l'accord avec la personne prostituée ou de procéder à une surveillance plus longue pour démontrer qu'il y a eu dans un même temps remise d'une rémunération et accomplissement de faveurs sexuelles. À l'inverse, le racolage passif ne permettait pas aussi facilement de passer au travers des mailles du filet puisque l'acte incriminé n'était pas commis en un temps bref mais sur une période de plusieurs heures. Compte tenu des moyens à mettre en place, le recours à une contravention des quatre premières classes aurait été insuffisant, faute d'adéquation entre le coût des opérations et le montant des amendes récoltées.
La qualification de délit quant à elle aurait obligé les forces de l'ordre à constater la commission d'une infraction, ce qu'ils ne sont pas tenus de faire en matière de contravention. Or, la proposition prévoit qu'un stage de sensibilisation contre l'achat d'actes sexuels semblables aux stages de sensibilisation à la sécurité routière pourra être ordonné en plus ou à la place de la peine d'amende par le tribunal de police, voire par le procureur de la République au titre des alternatives aux poursuites qui sont des procédures qui permettent de sanctionner une personne avec son accord sans qu'elle soit jugée. Le choix de la contravention de cinquième classe permettra ainsi aux policiers d'intervenir avant que la prestation sexuelle n'ait eu lieu afin de sensibiliser les clients sans pour autant devoir enclencher une procédure judiciaire, celle-ci étant réservée à ceux pour qui la prévention policière n'a aucun effet.
La contravention de cinquième classe a un autre avantage quand sa récidive constitue un délit : la procédure de l'amende forfaitaire utilisée dans le cas des excès de vitesse n'est pas possible, et le contrevenant qui sera jugé le sera par un magistrat au cours d'un véritable procès.
Enfin, le dernier point fort de la loi est l'aggravation des peines encourues lorsque des violences, agressions sexuelles ou viols sont commis sur des personnes prostituées.

Ainsi, cette proposition de loi est positive mais, pour être efficace, elle ne doit être qu'un point de départ suivi d'autres mesures audacieuses. De plus, des moyens humains et financiers importants seront nécessaires à la réalisation des objectifs fixés, notamment en ce qui concerne la réinsertion sociale des personnes prostituées et la lutte effective pour démanteler les réseaux de traite et de proxénétisme.

*Frédéric Tribuiani est étudiant de second cycle en droit pénal et sciences criminelles à l'université Toulouse-1-Capitole.

La Revue du projet, N° 33, janvier 2014
 

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le 15 janvier 2014

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