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Le local du Parti

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À propos de :
Les territoires du communisme. Élus locaux, politiques publiques et sociabilités militantes,
Armand Colin, 2013
Emmanuel Bellanger, Julian Mischi (dir.),   
Par Igor Martinache
Les responsables du Parti communiste français (PCF) n’ont jamais réellement fait leur l’expression de « communisme municipal », tant par souci de promouvoir une approche politique globale privilégiant l’échelon national, sinon international, que par celui d’éviter la constitution de « fiefs personnels » que résume la dénonciation du « crétinisme municipal » par Étienne Fajon dès 1945. Et pourtant, force est de constater que jusqu’à présent, c’est sans doute à cette échelle que se fait le plus sentir l’empreinte communiste sur la société française. Ou plutôt les empreintes, car les expériences sont très diverses d’une municipalité à l’autre. Le contexte socio-économique comme les évolutions de la configuration et des sociabilités militantes locales influent, en effet, grandement sur la place et l’action des communistes d’un territoire donné. L’étiquette de « banlieue rouge » tend à dissimuler cette diversité, en même temps que l’implantation forte du parti dans certaines zones rurales, ainsi que l’avait déjà bien montré le sociologue Julian Mischi en comparant l’implantation communiste dans le bassin industriel de Saint-Nazaire, dans la région grenobloise et dans le bocage bourbonnais (Servir la classe ouvrière, Presses universitaires de Rennes, 2009). C’est justement Julian Mischi qui coordonne avec l’historien Emmanuel Bellanger cet ouvrage collectif, lui-même tiré d’un colloque organisé en décembre 2009. L’ouvrage entend s’inscrire dans un triple renouvellement de la recherche : le dépassement tout d’abord des frontières disciplinaires académiques constituées, en faisant dialoguer politistes, historiens et sociologues, la promotion d’une approche localisée du politique, attentive donc aux formes de sociabilité et de politisation les plus fines, à rebours d’une « vision surplombante ou abstraite », et enfin le renouvellement des études consacrées au PCF, formation partisane qui a sans doute fait couler le plus d’encre dans l’hexagone, afin notamment de saisir quelques éléments de son « déclin », que d’aucuns – dont les animateurs du Projet et de cette revue évidemment ! –  ne veulent pas considérer comme inéluctable.  Les analyses développées peuvent à bien des endroits apparaître sévères vis-à-vis du PCF. C’est le cas dans la contribution de Nicolas Bué et Fabien Desage qui montrent comment, après s’être vigoureusement opposés au développement de l’échelon intercommunal, en pointant non sans justesse ses potentialités dépolitisantes, les élus et responsables communistes s’y sont finalement ralliés après avoir perçu, sans mauvais jeu de mot, le parti qu’ils pouvaient en tirer. L’article conclusif de Julian Mischi est lui aussi critique. Il met en évidence la réorganisation du PCF autour de l’échelon local au cours des décennies 1980 et 1990 et la rupture notamment avec le primat des cellules d’entreprise. L’organisation de l’appareil partisan est alors calquée sur le maillage administratif officiel que le PCF avait pourtant longtemps sciemment ignoré au profit de logiques sociales et militantes. Si l’on suit l’auteur, cette réorganisation fait du PCF un parti d’élus, à l’instar de l’UMP ou du Parti Socialiste, à propos duquel Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki avaient déjà mis en évidence le lien entre d’une part le glissement idéologique des dernières décennies et d’autre part la rétractation de l’appareil partisan et en particulier l’éviction des militants populaires. S’il est bien évidemment permis, et même nécessaire, de mettre en débat les interprétations proposées ici, c’est aussi à une (auto-)critique constructive qu’elles invitent. Mais plus largement encore, elles montrent bien comment les transformations du PCF ne tiennent pas seulement à des facteurs endogènes : elles relèvent aussi de celles qui traversent l’action publique et le rapport des citoyens à la politique et au militantisme au sens large. Les contradictions qui les traversent n’épargnent pas le PCF. Celui-ci s’assimile en effet moins que jamais à l’image de contre-société que certains lui ont attachée, en raison de ses multiples organisations « satellites » encadrant largement la vie quotidienne de ses adhérents. C’est à l’une de ces organisations, la trop méconnue Confédération nationale des locataires créée en 1916, que s’intéresse Sébastien Jolis, qui en retrace les oscillations en matière d’autonomie vis-à-vis du PCF. Une autonomisation longtemps sous un contrôle étroit de l’appareil partisan, au moins jusqu’aux années 1970, à l’instar de celle des élus municipaux qu’analyse pour sa part Paul Boulland pour les deux décennies suivant la Libération à travers le cas de la banlieue parisienne. Emmanuel Bellanger montre quant à lui comment, du fait de la rétivité originelle de l’appareil à l’égard du pouvoir municipal, les élus de la petite couronne entourant la capitale y ont déployé un réformisme « officieux » mais néanmoins d’une longévité souvent remarquable. Pris dans une tension entre une radicalité subversive affichée et une pratique cédant aux compromis et à une certaine normalisation dans les manières d’administrer, les communistes agissent aussi parfois comme aiguillons lorsqu’ils ne dirigent pas directement l’exécutif. C’est le cas à Roubaix, bastion du socialisme municipal analysé par Rémi Lefèbvre. Cette contradiction entre vélléités d’administrer autrement et banalisation traverse également la gestion de l’emploi municipal, comme le suggère Emilie Biland à travers l’étude du cas d’une commune bretonne de 15 000 habitants depuis les années 1970. Elle met en évidence le passage d’un encadrement personnalisé et protecteur des agents municipaux vers une gestion de leur recrutement et de l’encadrement qui traverse l’ensemble de la fonction publique, notamment territoriale.  Parmi les autres contradictions analysées par les contributeurs, on peut également évoquer, en matière de « peuplement », c’est-à-dire de politiques visant à maîtriser la composition sociale des populations occupant différentes parties de la ville, le dilemme entre la promotion de l’habitat ouvrier et la revalorisation du territoire urbain passant par l’attraction de catégories mieux dotées. C’est ce qu’illustre Violaine Girard à travers le cas de la municipalité de Pierre-Bénite dans le voisinage immédiat de Lyon. A contrario, le peuplement peut aussi influer fortement sur les politiques et prises de position de la section et des élus locaux, comme le montre de son côté Françoise de Barros en comparant les manières très contrastées dont les communistes ont traité la guerre d’Algérie à Roubaix, Nanterre et Champigny au moment de cette dernière, selon qu’ils étaient ou non inclus dans la majorité municipale, mais aussi suivant la présence plus ou moins grande de migrants algériens parmi leurs habitants. Autre rapport complexe à l’indépendance, celui du Parti communiste calédonien dont le rôle moteur dans la remise en cause des rapports coloniaux est analysé par Benoît Trépied durant les décennies 1920, 1930 et 1940. David Gouard analyse pour sa part les transformations du sens de l’affiliation communiste pour les habitants d’Ivry-sur-Seine, emblème s’il en est de la banlieue rouge et dirigée sans discontinuer – exception faite évidemment de la Seconde Guerre mondiale – par le PCF depuis 1925, tandis que Jean-Luc Deshayes montre les difficultés rencontrées par les communistes de Longwy, ville symbolique, elle, du bassin sidérurgique lorrain, face à la désindustrialisation de la région, oscillant notamment entre actions « offensives » et « défensives » à côté des acteurs associatifs locaux. Rédigé par des chercheurs, cet ouvrage n’est cependant pas réservé à ces derniers. Ses auteurs évitent le jargon de leurs disciplines respectives et pointent suffisamment d’enjeux qui concernent le PCF tout en en dépassant son seul cas, pour encourager son appropriation par les militants et les publics intéressés. Ils n’échappent cependant pas à la contradiction qu’ils pointent entre l’échelon local et le discours général : il leur est difficile de rendre compte de dynamiques globales tout en restant attentif à la diversité des contextes locaux. Cela rend leurs analyses et les généralisations qu’ils en tirent sujettes à discussion. Espérons donc que cet ouvrage alimentera les débats au sein des cellules et des sections. Autrement dit, au niveau...local !  n

 Pour aller plus loin…

• Frédéric Sawicki, Les réseaux du Parti Socialiste, Paris, Belin, 1997
• Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki, La société des socialistes, édition du Croquant, 2006
• Julian Mischi, Servir la classe ouvrière, Presses Universitaires de Rennes, 2009
• Bernard Pudal, Un monde défait, éditions du Croquant, 2009
• Benoît Trépied, Une mairie dans la France coloniale. Koné, Nouvelle-Calédonie, Paris, Karthala, 2010
 

La Revue du projet, n° 29, septembre 2013

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