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Après le meurtre de Clément Méric, une « prise de conscience » médiatique de courtes durées ? Camille Ascari

Le 7 juin 2013, alors que la France pleure le jeune Clément Méric, militant antifasciste de 18 ans assassinés deux jours plus tôt, la presse condamne cet acte de barbarie perpétré par l’extrême-droite.

       Elle semble se réveiller après un long déni de la banalisation des idées d’extrême-droite que diffusent sans complexe la droite et les média. Le Monde titre ce jour-là « Un jeune frappé à mort à Paris : la marque de l’extrême-droite ». Le même quotidien constate chez les hommes politiques la « multiplication des appels à dissoudre les groupes ultras ». Pourtant, l’heure n’est pas à une analyse de la situation ayant permis un tel acte, mais bien, pour certains analystes, au déni pur et simple du contexte politique actuel. On lit sur Le Figaro.fr sous la plume de Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême-droite qu’ « il y a toujours eu des violences entre les groupes extrémistes » et que des affrontements entre militants d’extrême-gauche ont lieu régulièrement ». Le même jour, sur NouvelObs.com, l’analyste remarque « prudemment » que « les faits sont trop graves pour tirer des conclusions dès ce matin. Des bagarres, il y en a souvent. Le 1er mai dernier encore. ». Pour Les Échos, ce qui pose problème aujourd'hui, « c'est plus l'exacerbation des tensions dans un climat de crise économique et sociale aiguë ou la brutale radicalisation de certains mouvements contestataires ».

Poursuite de la mise dos à dos des extrêmes
Ce que Jean-Yves Camus semble ne pas prendre en compte, c’est la multiplication d’agressions de rue envers non seulement des militants d’extrême-gauche, mais aussi contre des militants de gauche, des progressistes, des communistes, des homosexuels, de la part des militants de ces groupuscules qui sévissent partout en France, et en particulier à Lyon. Pourtant, la mise dos à dos des extrêmes se poursuit, d'abord avec la remarque de Jean-François Coppé qui réclame « la dissolution des groupuscules d'extrême-droite comme d'extrême-gauche », mais aussi par certains média qui, à leur tour, s'interrogent à ce sujet : Jean-Yves Camus, toujours à propos du 1er mai, ose la comparaison entre le défilé des syndicats et celui du FN : « Tous les ans, lors du défilé du 1er  mai par exemple, les militants des deux parties jouent une partie de cache-cache ». Si bien que l'amalgame principal dénoncé et relayé par les média n'est pas tant celui, pourtant récurrent, des militants antifascistes et de l'extrême-droite, mais bien celui des groupuscules d'extrême-droite et des participants à la « manif pour tous ». C'est le sens du titre « Les politiques contre l'amalgame » de Libération, le 7 juin, article qui recense les dénonciations outragées d'hommes politiques de droite et de membres du Printemps français, celui-là même qui reçoit le soutien inconditionnel du GUD ou des Identitaires, de l'amalgame (...) ignoble avec la Manif pour tous.

L'évidence première de la dissolution des groupuscules d'extrême-droite
Par ailleurs, après l'évidence première de la dissolution des groupuscules d'extrême-droite, un second temps semble dévolu, dans les semaines qui suivent la mort de Clément Méric, au retour de la dédiabolisation de ces groupes, avec l'idée que la dissolution ne résoudrait rien. Et c'est l'éternel retour au statu quo, au scepticisme, et à la stagnation quant à ces questions. Nombreux sont les journalistes, et mêmes sociologues et « analystes » de l'extrême-droite, qui s'interrogent sur le bien-fondé des procédures contradictoires de dissolution des groupuscules d'extrême-droite lancées par le gouvernement dès le 11 juin. Dans Le Monde, ce jour-là, on peut lire que « la dissolution de ces groupes d'extrême droite doit répondre à des critères parfois difficiles à définir et ne constitue pas une solution à long terme [...] Autre écueil : la création d'un nouveau groupe ». D'autres encore arguent du fait que la dissolution n'empêchera pas la poursuite de la violence de la part des individus ayant appartenu à ces groupes : « la dissolution ne change pas les idées et les engagements de ces membres », lit-on dans L'Express, qui titre le 7 juin « Mort de Clément : dissoudre les groupuscules d'extrême droite, fausse bonne idée ? » et cite le sociologue Sylvain Crépon à ce propos : « ces groupuscules réémergent toujours sous une nouvelle forme ». Si Erwan Lecoeur la considère comme « un outillage politique et juridique important », lui même pense « qu'interdire ces groupes ne change pas fondamentalement les choses ». Le politologue Jean-Yves Camus lui est tout bonnement catégorique : « Quant à savoir si les interdictions résoudraient le problème, non ». Le journaliste de l'Express résume bien l'état d'esprit dans lequel lui-même est impliqué : « Pour l'heure, Matignon préfère prendre son temps et laisser l'émotion retomber ». « La simple dissolution ne peut suffire à régler le problème » a déclaré sur I-Télé Najat Vallaud-Belkacem. Peut-on cependant se dispenser de la dissolution au point de la nommer « fausse bonne idée »? Rien n'est moins sûr. Ce qui semble certain, c'est, en tout cas, le retour de la banalisation et le déni de l'urgence d'une telle mesure.
En effet, certains média, ne se sont pas privés de pousser le vice jusqu'à transformer Clément Méric en coupable. Sans compter les occurrences nombreuses d'une supposée provocation de Clément Méric, RTL transforme l'auteur du meurtre en victime. Sur les images de la caméra de la RATP prétendument analysées comme telles par la police « on voit notamment, pendant une bagarre générale, le jeune militant d'extrême gauche se précipiter dans le dos d'Esteban Morillo [...] pour lui assener un coup [...]. Ces images montrent un Clément Méric provocateur et confortent la thèse du juge sur une mort accidentelle à la suite de coups donnés ». Le même jour, Le Point titre que « Clément Méric voulait vraiment en découdre » et récolte des témoignages concernant la « haine » de Clément Méric contre la personne d'Esteban Morillo : « les vraies raisons de la bagarre qui a abouti, jeudi 6 juin au soir, à la mort de Clément Méric sont en train de s'éclaircir ». De la même façon, le 7 juin, Serge Ayoub, leader des Jeunesses nationalistes révolutionnaires, était invité sur I-télé pour qualifier Clément Méric d'agresseur et l'acte des auteurs de l'agression de « légitime défense ». Dans la même veine s’inscrivent les réactions à l’arrestation et la condamnation à deux mois de prison ferme d’un militant anti-mariage homosexuel à la suite de la manifestation du 16 juin. En effet, le 27 juin, Valeurs Actuelles reprend les expressions des défenseurs de « Nicolas, prisonnier politique » et parle de « répression » en notant que « la disproportion frappe, notamment avec les Femen ou les militants d’extrême gauche, souvent authentiquement violents ceux-ci », tandis que Le Figaro magazine raconte de manière larmoyante « la vie en prison de Nicolas, l’anti-mariage gay ».

Un détachement du politique de la politique
En bref, tout le monde s'accorde à dire que l'assassinat est politique. Toutefois, les quelques aspects que nous avons cru pouvoir dégager du traitement médiatique du meurtre, à savoir :
- le brusque mais éphémère réveil des média sur cette affaire en particulier, lorsqu’une force politique comme le Parti communiste français ne cesse depuis longtemps de mettre en garde contre la multiplication des agressions de la part des groupuscules d'extrême droite fondées sur des critères d'appartenance politique et racial ;
- la comparaison douteuse de groupes d'extrême droite dont les pratiques et les discours sont fondamentalement différents de ceux de militants progressistes et antifascistes ;
- le recul que constitue le doute quant à la dissolution des groupuscules d'extrême droite ;
- la transformation de Clément Méric en agresseur, ce qui n'est pas sans lien avec le véritable amalgame pointé plus haut. Tous ces aspects montrent l'absence d'une analyse de fond illustrée par un détachement du politique de la politique. De sorte que rares sont les analyses qui mettent en cause la politique menée qui rend possible un terreau favorable à ce genre de tragédie. La banalisation des propos du FN se perpétue, Marine Le Pen étant placée sur le même plan que les autres politiciens. Le Monde du 7 juin 2013, au milieu du recensement des réactions choquées d'hommes politiques de droite comme de gauche, cite ses propos à ce sujet : « s'il est démontré que ces groupements donnent des instructions de violence à leurs membres, alors la mesure peut être envisagée ». Mais un mois après la mort de Clément Méric, les idées d’extrême droite ont plus que jamais besoin d’être combattues, afin qu’elles n’aient pas encore à démontrer qu’elles sont capables de tuer. n

Erratum : La précédente rubrique Revue des médias « Le combat contre le mariage pour tous, porte d’entrée du “Printemps français“ » était de Caroline Haine et non d’ Anthony Marangh

 

La Revue du projet, n° 29, septembre 2013

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le 09 septembre 2013

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