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Quand le « passage des bits aux atomes » appelle l’appropriation sociale des moyens de production, Yann Le Pollotec*

Les Fab-Labs, laboratoires de fabrication, s’inscrivent dans des logiques de bien commun, de coopération et de valeur d’usage.

La révolution numérique se développe dans un mouvement contradictoire : elle a donné naissance à des géants du capitalisme comme Apple, Microsoft, Intel, Google, qui n’ont de cesse de vouloir privatiser les connaissances et de verrouiller l’accès au savoir, et en même temps la libre circulation et le partage des informations et des savoirs constituent son moteur. Ce mouvement contradictoire s’appuie sur une caractéristique magique de l’information : on peut la partager avec autrui à l’infini sans en être dépossédé. Avec la révolution numérique et le « passage des bits aux atomes », non seulement les « machines objectivent certaines fonctions du cerveau »  mais grâce à l’effet réseau il devient possible à un nombre illimité de personnes de contribuer à développer un projet sans contrainte de lieux et de temps.

Logiciels libres et Fab-Labs
L’une des évolutions les plus prometteuses de la révolution numérique est l’open source hardware,  c’est-à-dire l’application du principe des logiciels libres et des licence creative commons (licences pour la mise à disposition d'œuvres en ligne) à la conception et la production d’objets matériels. Le logiciel libre et l’open source hardware  ne sont pas des technologies mais des modes d’organisation sociale pour créer, produire, utiliser, modifier un logiciel ou un objet matériel. Les objets de chacun sont créés collectivement et souvent à partir des plans numériques d’autres objets. Tout en gardant la paternité de son œuvre, on partage sa création en mettant en ligne sur le réseau les plans, et tout ce qui permettra de reproduire l’objet, de le réutiliser, de l’améliorer, de le détourner.
Plus un projet est librement partagé, plus il se développe, car il s’enrichit et s’améliore au contact des autres via les réseaux. Pour le créateur, la reconnaissance et la protection de la paternité de son travail sont d’autant plus fortes qu’elles sont présentées et exposées à tous.
Au cœur de cette nouvelle manière de produire et de créer on trouve des acteurs :
• les hackers (un hacker n’est pas un méchant pirate mais quelqu’un qui s’approprie une technologie pour la transgresser), les makers,... (les fabricants) des briques technologiques – impression 3D, découpeuse laser, scanner 3D et circuit électronique libre Arduino
• un concept – les machines auto-réplicables des machines dont les plans seraient accessibles à tous, via Internet, et qui permettraient de produire la majeure partie de ses propres pièces (ce concept s’est concrétisé en 2006 avec le projet international « RepRap » de conception et fabrication libre d’imprimantes 3D, des lieux de partages, d’échanges, de créativité et de production connectés en réseau : les Fab-Labs. Les LABoratoires de FABrication, sont des ateliers locaux, mettant gratuitement à disposition de tous des logiciels libres de création numérique, connectés à de petites machines outils. Ils combinent l’efficacité des technologies industrielles et le sur-mesure de la production artisanale.

Faire, partager, apprendre, droit à l’erreur, gratuité
Les Fab-Labs s’inscrivent dans des logiques de biens communs, de coopération et de valeur d’usage. Les mots-clefs qui définissent un Fab-Lab sont : faire, partager, apprendre, droit à l’erreur, gratuité. Le fonctionnement d’un Fab-Lab se fonde sur quatre pratiques : « créer plutôt que consommer », « l’apprentissage par les pairs », « faites-le vous-même », « faire avec les autres ».
Dans ce monde, celui qui est le plus socialement utile est celui dont les créations sont les plus partagées, modifiées, transgressées. Les acteurs des Fab-Labs sont donc confrontés à la nécessité de dépasser le carcan que constitue pour leur activité la propriété privée des moyens de production, que cela soit sous la forme de copyright ou de brevets. Nombre d’entre eux revendiquent de « hacker le capitalisme » : version hacker du dépassement du capitalisme ? Les hackers ne limitent pas l’appropriation sociale des moyens de production à la seule question de la propriété. Il s’agit d’ouvrir le capot, pour se rendre maître de la technologie, de la modifier, de la détourner, de la transgresser. L’open source hardware pose les questions de la rétribution sociale des créateurs-producteurs et du dépassement du salariat pour entrer dans une société de revenu universel dissocié du revenu du travail, rejoignant ainsi la thèse de Marx dans les  grundisse : « la distribution des moyens de paiement devra correspondre au volume de richesses socialement produites et non au volume de travail fourni »

Des lieux de politisation
Certes, on peut crier à l’utopie techniciste et ironiser sur ces « marginaux » qui auraient la prétention de changer le monde avec des imprimantes 3D. Mais de fait, les Fab-Labs se multiplient de par le monde. Ils deviennent des lieux de politisation, comme l’avaient été les cafés et les salons au XVIIIe siècle. On ne se contente pas d’y interpréter le monde, on a l’ambition de le hacker ici et maintenant.
Ainsi, en 2012 un rapport d’HEC comportait l’avertissement suivant : « Si l’on pousse encore plus loin la logique d’ores et déjà présente dans les Fab-Labs, on peut même imaginer ce que signifieraient ces mini-usines de proximité pour le système capitaliste. Outre le retour de l’idée de propriété collective de moyens de production – car c’est bien de cela dont il s’agit quand une université ouvre un atelier équipé de machines-outils –, les Fab-Labs pourraient ainsi aller à l’encontre de certaines grandes tendances du capitalisme du fait de la dispersion du capital induite par ces petites unités de production localisée. Par ailleurs, [...] la démocratisation de la connaissance technique dans le cadre des Fab-Labs pourrait signifier la fin de l’équivalence entre technique et concentration du pouvoir et des ressources ». 

*Yann Le Pollotec est responsable du secteur Révolution numérique du Conseil national du PCF.
La Revue du projet, n° 27, mai 2013
 

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Quand le « passage des bits aux atomes » appelle l’appropriation sociale des moyens de production, Yann Le Pollotec*

le 07 mai 2013

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