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Mouhammad al-Nawâdjî ou l’amour des garçons en terre d’Islam

Mouhammad al-Nawâdjî naquit au Caire en 1383 et mourut en 1455. Surnommé « Soleil de la Religion », voici ce qu’en dit René R. Khawam dans l’introduction qu’il donne à son édition de La Prairie des gazelles. Éloge des beaux adolescents : « On rapporte qu’il consacrait le plus clair de ses loisirs à l’histoire naturelle et à la poésie. La religion n’était pas oubliée : notre homme étudia à son heure les Traditions islamiques (aux collèges al-Housayniyya et al-Djamâliyya), et il lui arriva de diriger des séances de prières mystiques – appartenait-il à quelque confrérie soufie ? on peut le supposer. »
La Prairie des gazelles, dédiée à Allah et au prophète, est divisée en chapitres thématiques dont les titres sont comme des programmes poétiques : « Des garçons qui exercent un art ou un métier », « Les porteurs de duvet » ou « Les porteurs de grains de beauté »... À la beauté des garçons, répond la volupté des images – et inversement. René R. Khawam souligne que dans cette poésie « les cinq sens trouvent de quoi se repaître en abondance : et le toucher, l’odorat et le goût (si négligés par l’imaginaire occidental) presque autant que l’ouïe ou le regard. » Il ajoute que cette poésie « s’invite enfin à jouer sur les mots non moins que sur les corps. Mais les mots eux-mêmes, façonnés par la langue, offerts par les lèvres, n’ont-ils pas un corps ? Ce que le sage Nawâdji se fait un plaisir de nous rappeler à l’occasion, attentif qu’il est à célébrer, par-delà la chair promise aux caresses, le corps écrit, le corps subtil du désir. » Notons que ce recueil fait écho à une anthologie grecque de l’époque de l’empereur romain Hadrien (117-138), La Muse adolescente de Straton de Sardes, également consacrée aux jeunes hommes et dans lequel les métaphores florales abondent tout autant : les « fleurs naturelles sont beautés garçonnières ».
Franck Delorieux

Pour un [garçon], qui dirigeait la prière :
Je n’oublierai jamais
ce que j’entrevis de sa beauté
la nuit où je le visitai en son oratoire.

Devant le mihrâb,
tourné vers La Mecque il récitait,
pieusement entouré
par la foule : « Ne tuez pas vos semblables,
Dieu les a rendus sacrés ! »

Je songeai : « As-tu réfléchi
à ce que tu récites ? Toi le meurtrier,
toi dont les yeux assassinent ! »

*

Il a cueilli au jardin
une rose pour moi,
plus belle que sa belle
promesse non tenue.

Trempant sa tige dans la coupe
de vin que tenait sa paume,
au parfum plus fort
que celui de l’ambre gris, il dit :

« Toi, mon amour, bois agréablement
de ma paume
cette eau de ma bouche
répandue sur ma joue ! »

*

J’ai fouetté avec des roses les joues
de celui que j’aime à la passion.
Fleurs accordées par leur couleur
et leur parfum, au discours
de ces joues mêmes !

Il me fit cette réponse : « Étrange,
que tu n’aies pas osé atteindre
plus directement ta cible !
À moins que ton geste n’ait voulu en secret
réconcilier ces fleurs et les miennes… »

*

J’ai vu la tige du narcisse
prendre une nouvelle vigueur
entre les doigts de celui que j’aime !

On eût dit un rameau d’émeraude
au bout duquel eût éclaté
un bouton d’argent et d’or !

Mouhammad al-Nawâdjî, La Prairie des Gazelles. Éloge des beaux adolescents. Texte établi sur les manuscrits originaux
par René R. Khawam. Éditions Phébus, 1989.
Publié avec leur aimable autorisation.

La Revue du projet, n° 25, mars 2013
 

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