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Développement durable avec ou sans progrès ? Yvette Veyret

Le développement durable, c’est-à-dire un projet de société plus équitable, où chacun aurait du travail et vivrait en bonne harmonie avec la nature, ne peut se réaliser sans recherche scientifique et technique.

L e développement durable se définit par sa dimension économique, autrement dit la croissance associée à une meilleure qualité de vie, par l’équité sociale et par un usage en « bon père de famille » de la planète et des ressources qu’elle fournit (air, eau, biodiversité, minerais, sources d’énergie, etc.). Autrement dit, le développement durable n’est pas, loin s’en faut comme beaucoup le pensent, la seule protection de la nature ou « l’écologie » c’est bien autre chose, un projet de société plus équitable, où chacun aurait du travail et vivrait en bonne harmonie avec la nature. Une utopie certes, mais une utopie constructive permettant de penser des liens complexes entre des éléments rarement associés, sociaux, économiques, écologiques.
Cette utopie est-elle compatible avec le capitalisme ou non ? C’est déjà une première question face à laquelle les réponses divergent. Cette utopie implique-t-elle le refus du progrès ? Implique-t-elle de vivre comme dans le passé, au plus près de la nature, en considérant que ce mode de vie constituerait un modèle parce que l’on « vivait mieux » alors, « sans stress », au sein de la « mère nature » ? Or, dans les siècles passés, le travail des champs qui mobilisait l’essentiel de la population y compris les enfants, était d’une dureté extrême, la nourriture produite localement manquait parfois pour faire la soudure entre deux périodes de production, les calamités agricoles (printemps trop frais, trop humide, été trop sec…) pouvaient être à l’origine de disettes répétées, l’eau était de mauvaise qualité et entraînait des épidémies récurrentes en été.

L’espérance de vie, un révélateur

Parallèlement au progrès scientifique et technique qui s’amorce dès le XVIIIe siècle, à l’époque des Lumières, l’espérance de vie de la population commence à augmenter Au milieu du XVIIIe siècle, la moitié des enfants mouraient avant l’âge de 10 ans et l’espérance de vie ne dépassait pas 25 ans. Elle atteignait 30 ans à la fin du siècle, et 37 ans en 1810 en partie grâce à la vaccination contre la variole. La hausse s’est poursuivie à un rythme lent pendant le XIXe siècle, avec un recul pendant les guerres, elle atteint 45 ans en 1900. Au cours du XXe siècle, les progrès sont plus rapides, à l’exception des deux guerres mondiales. Les décès d’enfants diminuent fortement : 15 % des enfants nés en 1900 mouraient avant un an, 5 % de ceux nés en 1950 et 0,4 % (4,4 ‰) de ceux nés en 2000 (rappelons que la mortalité infantile est encore de 171 ‰ au Burkina Faso et de 316 pour mille en Sierra Leone). La hausse de l’espérance de vie se poursuit grâce aux progrès dans la lutte contre les maladies cardio-vasculaires et les cancers. En 2000, l’espérance de vie en France atteignait 79 ans. En 2008, elle était de 81 ans. Or, rappelons encore qu’en 1952 le démographe Jean Bourgeois-Pichat considérait qu’en ce qui concerne l’espérance de vie moyenne, « 77 ans était une limite biologique infranchissable sauf découverte scientifique extraordinaire permettant de retarder le processus de vieillissement biologique de l’espèce humaine » (INED).
Ces progrès sont dus à la science et à la technique, à la vaccination, aux recherches pastoriennes, aux antibiotiques… mais aussi à une alimentation plus abondante et plus variée liée à une agriculture plus productive et au développement des transports. Quels autres critères que l’espérance de vie sont de meilleurs révélateurs des conditions de vie, de l’accès aux soins, des progrès de la connaissance en matière d’hygiène, d’une alimentation de meilleure qualité, d’un environnement dont globalement la qualité a augmenté ? Cette généralisation n’exclut pas des différences entre riches et pauvres, entre cadres supérieurs et ouvriers… entre la ville et la campagne, c’est dans les villes et notamment dans les plus grandes, que l’espérance de vie en France est la plus longue.
Le « c’était mieux avant » que l’on entend si souvent, passéisme qui a pignon sur rue aujourd’hui où tout doit être patrimonialisé, conservé… est un leurre. C’est évidemment le progrès en chimie, en médecine (les pastoriens), c’est la technique (mécanisation…) qui ont conduit à une meilleure qualité de vie. Peut-on envisager de cesser toute recherche considérant que l’espérance de vie est désormais suffisante, que la mortalité infantile a suffisamment baissé ? C’est oublier que de nouvelles maladies dites émergentes peuvent survenir, que nos sociétés demandent sans cesse plus de sécurité, ce qui impose un recours continu aux progrès scientifique et technique. La recherche scientifique est indispensable pour permettre un usage adapté des ressources, pour réduire le gaspillage de celles-ci en pratiquant le recyclage et ce que l’on nomme « l’économie circulaire ».

Être vigilant par rapport à
la face « cachée » du progrès

Néanmoins, science et techniques doivent faire l’objet de surveillance, y compris de la part du citoyen afin d’éviter que pour accroître leurs profits, les acteurs économiques ne les utilisent mal. La nouveauté désormais est que chaque aspect du progrès doit être envisagé avec sa face « cachée » voire sa « face noire » ce qui n’a guère été le cas dans le passé. Nous devons être vigilants sur la qualité des produits utilisés, sur les modes de fabrication, sur les effets nocifs de certaines fabrications… Les pluies acides, l’amian­te, les pollutions par les nitrates, en ont fourni des exemples récents. Mais on sait de plus en plus grâce à la recherche maîtriser les effets négatifs de certaines pratiques (recherche sur une gestion de l’eau moins gaspilleuse, irrigation au goutte-à-goutte, meilleure adaptation des végétaux au stress hydrique, recherche destinée à réduire les rejets polluants dans l’atmosphère, énergies renouvelables remplaçant les énergies plus polluantes…). L’éducation doit pouvoir aussi expliquer aux jeunes la nécessité de moins gaspiller, de recycler.  
Il reste évident, que seul le progrès scientifique et technique maîtrisé permettra de faire vivre 9 milliards d’humains sur une planète dont les ressources ne sont pas inépuisables, grâce à des pratiques économes, à l’invention de nouveaux produits, aux échanges.  

*Yvette Veyret est géographe. Elle est professeur émérite à l’université de Paris X-Nanterre.

La Revue du projet, n° 23, janvier 2013
 

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Développement durable avec ou sans progrès ? Yvette Veyret

le 09 janvier 2013

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