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Au service du progrès des connaissances, une aventure humaine exemplaire, Gilles Cohen-Tannoudji*

L’exemple des succès du CERN, créé au lendemain de la seconde guerre, montre l’importance d’un progrès des connaissances, non soumis aux exigences de l’utilité immédiate.

L e 4 juillet 2012, l’Orga­nisation européenne pour la physique des particules (le CERN), annonçait, dans une conférence mondialement retransmise, que deux expériences, menées chacune par plus de trois mille chercheurs du monde entier, avaient découvert dans les collisions produites par le Grand collisionneur de protons du CERN (LHC) près de Genève, une nouvelle particule dont l’existence avait été prédite depuis près de cinquante ans. Cette particule le boson1 BEH (pour Brout, Englert, Higgs, du nom des théoriciens auteurs de cette prédiction) est la clé de voûte de ce que l’on appelle le modèle standard, la théorie de référence de la physique des particules et des interactions fondamentales, qui en se rapprochant de la cosmologie et de la physique statistique, contribue à répondre à un besoin séculaire et universel de l’homme, celui, comme le dit Henri Poincaré, de « se raconter l’histoire de l’univers et de reconstituer son évolution passée. »

Le succès du CERN

Le CERN a été créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour mener, dans le prolongement de l’aventure nucléaire, des recherches dans le domaine de la recherche fondamentale en physique des particules, avec comme tâches celles de révéler les secrets de la nature, de rassembler par-delà les frontières, d’innover et de former de nouvelles générations de travailleurs scientifiques.
Le CERN doit son succès à l’atout essentiel d’un financement stable, garanti par un traité international. C’est ce qui lui a permis de mettre en œuvre une stratégie à long terme, exclusivement motivée par les besoins de la recherche fondamentale, en vue du progrès des connaissances. Pour répondre à ces besoins de manière optimale, cette stratégie vise toujours à construire du nouveau à partir de ce qui existe déjà et à continuer à faire vivre ce qui existe en y développant ce qu’il a d’unique (les anciennes machines servent d’injecteurs aux nouvelles machines mais sont aussi l’objet de développements qui les maintiennent durablement à niveau).

Pourquoi le WEB est-il gratuit ?

Parmi des très nombreuses retombées technologiques et socio-économiques de ces recherches, il convient de mentionner l’effet spectaculaire des innovations collaboratives auxquelles le CERN a recours pour faire travailler ensemble des milliers de scientifiques répartis dans le monde entier.  Le WEB en est une première illustration. Sait-on que la première proposition de la toile d’araignée mondiale (le fameux World Wide Web, WWW) a été soumise au CERN par Tim Berners-Lee en 1989, puis affinée par lui-même et Robert Caillau en 1990 ? L’immense mérite du CERN, dont les statuts lui interdisaient de déposer un brevet, a été de rendre publics le concept et la réalisation du WEB, de sorte qu’aucune compagnie ne puisse prendre de brevet sur le WEB. C’est la raison pour laquelle le WEB est maintenant gratuit et contribue tant à l’essor de la société de l’information.
Dans le domaine du traitement des données, le CERN a récemment mis en œuvre un nouveau paradigme. Au lieu d’avoir un supercalculateur localisé au CERN et traitant toutes les données, on réalise ce supercalculateur en répartissant les données sur tous les ordinateurs utilisés par les chercheurs qui, de par le monde, travaillent sur les expériences menées au LHC. Ainsi un utilisateur en Inde ou aux États-Unis ou en Europe a-t-il accès à la même puissance de calcul, la grille d’ordinateurs, et a accès à toutes les données sans qu’il ait besoin de savoir où s’exécuteront les calculs qu’il a programmés et où se trouvent les données qu’il souhaite utiliser. C’est un système puissant de traitement des données, optimisé (l’achat des ressources est réparti), transparent et démocratique (tous les chercheurs sont à égalité de moyens). Ce système qui marche donc très bien est utilisé maintenant par des chercheurs d’autres disciplines. Pour les usages du secteur privé qui demandent plus de confidentialité et de sécurité, il a évolué en ce qu’on appelle  le cloud computing (informatique en nuage). Dans le domaine collaboratif, la contribution du CERN s’est étendue aux logiciels libres (comme le LINUX) à certains matériels libres et aussi aux publications scientifiques.
Ce qu’à mon avis prouve l’exemple des succès du CERN, c’est qu’à partir de la seule motivation du progrès partagé des connaissances, il est possible de former des équipes de jeunes au travail au sein de grandes collaborations internationales, de mobiliser au service de l’intérêt général de vastes communautés scientifiques où chacun contribue selon ses moyens et a accès à tout ce dont il a besoin pour être efficace.
Compte tenu des nuages qui assombrissent actuellement notre horizon, pensons-nous que nous pourrons faire l’économie d’un progrès soutenu des connaissances, dans tous les domaines ? Pourquoi ce qui a été possible avec le CERN ne serait-il pas possible dans les nombreux autres domaines où le progrès des connaissances, non soumis aux exigences de l’utilité immédiate, est plus que jamais nécessaire ? 

*Gilles Cohen-Tannoudji est physicien. Il est chercheur émérite au laboratoire des recherches sur les sciences de la matière (LARSIM).

La Revue du projet, n° 23, janvier 2013
 

Il y a actuellement 1 réactions

  • Pourquoi le WEB est-il gratuit ?

    Le WEB est gratuit mais pas le fournisseur d'accès, ce qui rend en pratique son utilisation payante par le particulier, permettant par la même aux intermédiaires (Orange, free, SFR, etc...), sans lesquels l'utilisation du WEB est quasiment impossible,de gagner beaucoup d'argent. La notion de grille d'utilisation qui met en commun des millions de processeurs de micro-ordinateurs est réellement enthousiasmante, est-ce-qu'elle inclue aujourd'hui les téléphones portables, et les supercomputers comme les TIANHE chinois, CRAY ou IBM américains ou FUJITSU japonais ?

    Par DUPUY, le 21 November 2014 à 01:25.

 

Au service du progrès des connaissances, une aventure humaine exemplaire, Gilles Cohen-Tannoudji*

le 09 January 2013

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