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Bon voyage dans le progrès ! Amar Bellal*

V ive le Progrès ! Très osé comme titre tant le sujet est clivant et tant il y a de désillusions autour de cette idée. Cependant, à l’image du séminaire organisé par la fondation Gabriel Péri sur le sujet, nous avons senti le besoin de réinvestir cette notion, en l’explicitant, en faisant la part des choses afin de renouer avec elle et ne plus être sur la défensive. La difficulté est de taille, car nous sommes les enfants d’une société hautement technologique, ce qui finit par nous rendre complètement aveugles sur les liens entre les possibilités d’amélioration de nos vies et les inventions et découvertes scientifiques. C’est le paradoxe : l’omniprésence de la technologie dans des aspects de nos vies que nous ne soupçonnons même plus, finit par la rendre invisible. Qui a conscience par exemple de ce qu’implique ce simple geste, remplir un verre d’eau chez soi et pouvoir le boire sans tomber malade ? Pour deux milliards de personnes dans le monde, cela relève encore d’un luxe inaccessible, et pour cause : faute d’industries, de filières chimiques, de savoir-faire en mécanique, de main-d’œuvre qualifiée, faute de matériaux, d’énergie aussi, c est impossible à réaliser… Boire un verre d’eau confortablement chez soi dans une grande ville de plusieurs millions d’habitants, implique des siècles de progrès dans une multitude de domaines.

Le progrès est aussi un enjeu de classe évident : qui peut croire que nous pourrions aujourd’hui nous battre pour une retraite à 60 ans si l’espérance de vie plafonnait comme au début de ce siècle à 40 ans ? Oublier cette dimension est un danger. Un peu à l’image de la sécurité sociale, son caractère révolutionnaire oublié par le peuple, son dévoiement et sa privatisation deviennent alors possible.

Et puis notons aussi toutes les ambivalences du progrès avec la série de scandales sanitaires et les grandes catastrophes industrielles. Celle de Bhopal est emblématique : usine fabriquant des pesticides, condition de la révolution « verte » agricole engagée en Inde, qui a permis de stopper les famines et a permis de garantir une certaine sécurité alimentaire. Mais en retour, d’autres problèmes sanitaires apparaissent liés à l’utilisation et à la fabrication massive de ces produits chimiques, avec les risques industriels inhérents. Ainsi ces 20 000 morts en 1984 lors de l’explosion de cette usine, au cœur de Bhopal même, suite, il faut le dire, à l’incurie d’une multinationale soucieuse plus de ses profits que d’investissements dans la sûreté de ses installations.
Ambivalence aussi avec la catastrophe de la Mer d Aral qui nous rappelle que la propriété publique est une condition mais n‘est pas une garantie qui nous prémunit du dévoiement de l’idée de progrès : le scientisme, le productivisme alliés à la bureaucratie ont aussi leurs lots de ravage. Il s’agit alors de bien garantir les conditions  d’une orientation démocratique du progrès.
Cette maîtrise renvoie alors à la qualité des expertises et de leur indépendance comme nous l’avons vu récemment avec les OGM, sujet que nous traitons dans notre rubrique « Sciences ».
La difficulté c’est aussi de pouvoir mesurer le progrès : l’agriculture moderne avec ses hauts rendements libère du temps, nous garantit une sécurité alimentaire, ce qui rend nos vies plus confortables et nous permet d’écrire des textes pour La Revue du projet et même de nous engueuler sur la notion de progrès en comité de rédaction dans un bureau confortable, chauffé et éclairé. Tout cela est tout de même mieux que de passer nos vies dans les champs en priant pour que la météo cette année soit bonne, que les criquets ne soient pas particulièrement virulents ou en espérant qu’une maladie ne ravagera pas les récoltes… Mais que faire de cette richesse de ce temps libéré ? Il est évident que ce temps n’aura pas la même signification si on l’utilise pour fréquenter les musées, lire, exercer une activité artistique, se former pour soigner des gens, construire des maisons plus sûres et confortables, plutôt que pour passer ces journées dans les centres commerciaux et regarder Secret Story sur TF1. Pas du tout la même signification s’il s’agit pour le système de profiter de ce temps libéré pour accroître l’ exploitation au travail dans d’autres domaines, augmenter les profits, au service d’une société de consommation et des valeurs qu’elle véhicule. Il y a donc une dimension du progrès qui ne se résume pas à « plus de » mais qui est de l’ordre du qualitatif, qui semble insaisissable et subjective, qui relève d un projet de société : libérer du temps pour des activités librement choisies et émancipatrices. Tout un programme !

Le pari de ce dossier est de mieux cerner toutes ces facettes : enjeux de développement et de sortie de la misère de pays entiers, enjeu écologique, enjeu autour des rapports homme/nature, de la démocratie, du projet de société, de l’émancipation, du développement des savoirs, des valeurs, de la morale, compréhension de sa construction historique… oui, cela paraît fou mais ce dossier aborde toutes ces questions à la fois. Et nous espérons qu’il contribuera à élever le niveau du débat et à y voir plus clair. Bon voyage… 

*Amar Bellal est responsable de la rubrique Sciences. Il est coordonnateur de ce dossier.

La Revue du projet, n° 23, janvier 2013
 

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Bon voyage dans le progrès ! Amar Bellal*

le 09 janvier 2013

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