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ACTA, l'arme atomique de la rente informationnelle mondiale, Jérôme Relinger

La mise en commun des connaissances, c’est ce à quoi s’engagent les différents secteurs du parti en publiant régulièrement des bulletins accessibles à tous.
Une modeste contribution à la lutte contre la privatisation de l'information au coeur du projet ACTA présenté ici.

ACTA instaure des sanctions pénales étendues et dangereuses sans aucun contrôle démocratique, instituant une police et une justice privée du Copyright sur les réseaux, à laquelle les libertés numériques et la diversité de la création ne survivraient pas.  

 

ACTA est un projet d'accord international préparé dans le plus grand secret au nom de la lutte contre la contrefaçon. Prétextant de la défense contre les produits et marchandises contrefaits, ACTA est en fait une arme au service de la spoliation des biens communs immatériels . Contournant le débat démocratique pour imposer une logique répressive dictée par les industries du divertissement, les big pharma et les grands semenciers, ACTA vise à systématiser, imposer et sanctuariser les économies de rente sur l'information. S'il était voté, notamment au parlement européen en juin, il établirait un nouveau cadre juridique mondial créant son propre organisme de gouvernance, indépendant des institutions internationales déjà existantes (OMC, OMPI...). Glissant des biens matériels aux richesses informationnelles comme si ceux-ci étaient comparables, ACTA instaure des sanctions pénales étendues et dangereuses sans aucun contrôle démocratique, utilisant les fournisseurs d'accès à l'internet pour faire la basse besogne, instituant une police et une justice privée du Copyright sur les réseaux, à laquelle les libertés numériques et la diversité de la création ne survivraient pas.

Privatisation de l'information

 

Au-delà des loisirs numériques, ACTA s'attaque aux médicaments génériques, aux contenus collaboratifs, aux semences paysannes, aux actifs publics immatériels... ACTA est ainsi le fer de lance de l'extension sans limite de la privatisation de l'information et de la connaissance mondiale, puis de sa surexploitation marchande. Il est l'arme stratégique d'un système politique et idéologique, le capitalisme dans sa version contemporaine de capitalisme informationnel. Cette volonté, cohérente et obstinée, d'étendre à l'immatériel le talon de fer de l'exploitation ne date pas d'hier. ACTA s'inscrit en effet dans une logique stratégique de long terme négociée à la fin du cycle d’Uruguay du GATT en 1994 (accords de l’OMC sur la propriété intellectuelle), dont il durcit les termes tout en en opacifiant les conditions. Armé de brevets, s'appropriant tout, privatisant des biens communs par essence collectifs (les semences paysannes, le génome humain, la « marque » Louvre, la couleur bleue de Pepsi Cola, les algorithmes de base de la pensée informatique...) ce modèle dit de « propriété intellectuelle » raréfie, dégrade et sur-marchandise les œuvres de l'esprit, et par extension toute la richesse informationnelle et la connaissance cumulée (la biosphère, la génétique, les mathématiques, les ressources éducatives...). ACTA est la pointe avancée d'un hold-up planétaire sur l'immatériel, censé permettre à quelques intérêts privés de s'approprier ce qui était public, puis de revendre sans fin et très cher ce qui ne leur coûte plus rien aux populations qui en ont été spoliées. ACTA instaure des sanctions pénales étendues et dangereuses sans aucun contrôle démocratique, utilisant les fournisseurs d'accès à l'internet pour faire la basse besogne, instituant une police et une justice privée du copyright sur les réseaux, à laquelle les libertés numériques et la diversité de la création ne survivraient pas.  

Une question de civilisation

 

Cette logique de péage prive la collectivité humaine du progrès propre à l'informationnel – le coût marginal de reproduction nul. Corollaire de cette obsession de verrouillage et de contrôle, l'hypersurveillance numérique totalitaire se met en place. Navigation surveillée, puces espionnes, réseaux écoutés, logiciels sous contrôle sont déjà là. Il ne reste qu'à les rendre incontournables et à créer des officines privées ayant droit de police et de justice : Hadopi en France, SOPA et PIPA aux États-Unis, en sont les prémices. Bien sûr, tout cela est fait au nom entre autre de la protection des auteurs et ayant-droit, faux-nez de tous les durcissements contre la liberté de partage et le droit à l'anonymat sur internet. Toutes les lois de sanctuarisation des profits des majors sont passées au nom des artistes. Sept ans après la LCEN, cinq ans après DADVSI, deux ans après Hadopi, quel est le vrai bilan ? Ces lois n'apportent pas un centime de plus aux auteurs, aux artistes, aux ayant droits. Et elles ne font pas davantage baisser le téléchargement non autorisé, ceux qui en sont à l'origine disposant de tous les moyens techniques de les contourner.  En revanche, ce qui est mis sous coupe réglée, ce sont nos libertés collectives d'une part, le libre accès aux richesses informationnelles d'autre part. Or ce dernier point pose une question de civilisation : c'est de notre patrimoine cognitif, historique, imaginaire, génétique, c'est notre mémoire collective, nos cultures partagées, rien moins que les strates cumulées du processus d'hominisation qui sont en cours de privatisation. Le vrai danger d'ACTA, c'est de prolétariser l'être humain de sa propre substance.

L'information, la culture, l'accès à Internet ont d'autant plus de prix que le reste devient inabordable. Ils sont à la fois une richesse encore accessible permettant, par exemple, à certaines industries logicielles d'exister, et une ouverture revendiquée sur le bruissement du monde. Plus fondamentalement, l'exacerbation de l'opposition entre la rapacité financière étendues aux richesses du savoir et de l'information d'une part, et le besoin d'universalisation et de partage de la connaissance qu’appelle notre époque complexe et mondialisée d'autre part, est de nature anthropologique. La connaissance appartient-elle à l’humanité ou à des intérêts particuliers ? À cette question il n’y a pas de réponse universelle, mais des choix de civilisation. C'est précisément au nom des principes civilisateurs qui ont permis l'humanisation par la mise en commun des connaissances, des idées et des arts, que la vampirisation de notre patrimoine im­­matériel doit être combattue.

 

Jérôme Relinger
Responsable du secteur Revolution numérique et société
de la connaissance du PCF.
 

La Revue du projet, n° 17, mai 2012

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ACTA, l'arme atomique de la rente informationnelle mondiale, Jérôme Relinger

le 11 June 2012

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