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Démocratisation du sport, une question urgente pour tous, Jean Lafontan*

La démocratisation du sport, replacée au cœur de la question sociale et politique, doit contribuer à instituer une citoyenneté active et inspirer des structures publiques rénovées.

L’ apparence peut être trompeuse. Le sport a-t-il envahi la vie des Français ? Des média, de tout un business lié au spectacle et au professionnalisme, aux grands événements ? Certainement ! Mais dans la vie quotidienne ? Ce qui frappe d’abord, c’est le peu de connaissances scientifiques disponibles qui fassent consensus, sur l’état des pratiques sportives. Entre 43 et 89% de Français (et moins de Françaises) pratiqueraient, plus ou moins « régulièrement », un sport ! 65% pour l’INSEE, pratiqueraient une fois par semaine (89% avec les vacances incluses), 48% s’exerceraient une fois par mois pour IPSOS, 47% (soit 23,5 millions de Français) déclareraient pratiquer un sport (2009) pour INEUM Consulting, 32% déclarent ne jamais pratiquer un sport, bref, on se rend compte que l’état des connaissances est à parfaire et que la démocratisation est à mieux définir.

Pourquoi faire du sport ?

 

Pour la santé, pour la cohésion sociale, répond massivement une partie des politiques. Les études disponibles surchargent le sport de ces responsabilités, l’intégrant dans notre pharmacopée ou au rang des extincteurs sociaux dans les banlieues désignées comme posant des problèmes de cohésion sociale. Bien des études sociologiques disponibles, contestent pareil intérêt mais, inlassablement, ces options refont surface. Cette instrumentalisation fait porter aux fédérations sportives des responsabilités qui relèvent de politiques publiques et conduit plus à leur culpabilisation qu’à leur dynamisation. Ne doit-on pas, a contrario, faire du sport un enjeu de développement de soi consubstantiellement lié aux autres par le fait associatif ; son développement repose sur une inventivité, dénuée de tout rapport direct au travail, produit de l’imagination des individus, de leurs talents et capacités et dont le libre accomplissement permet toutes les variétés de techniques corporelles, qui, de plus en plus adossées à des technologies, en décuplent les prouesses. Le sport est d’abord une activité qui s’abstrait du réel, procure du plaisir et forme le socle d’une émancipation, momentanée mais indispensable à l’existence humaine. Si cette approche est fondée, on voit bien que le sport ne peut être dissocié du social et du politique, sans y être soumis ou instrumentalisé, mais porteur d’une exigence fondamentale, parce qu’il est sur le chemin du libre développement de chacun. La démocratisation puise ses exigences dans cette vision qui en constitue son substrat revendicatif. Une partie de la maladie du sport est liée aux objectifs étriqués qu’on lui impose (santé, insertion…) ; le remède est dans l’urgence d’installer durablement le sport dans ce qu’il est et ce qu’il porte. Première décision à prendre pour le nouveau gouvernement.

Démocratiser les pratiques

 

Partons du constat qu’en 54 ans le nombre de licenciés a été multiplié par 86 et le nombre de pratiquants par beaucoup plus. L’explosion du nombre est-il le signe d’une démocratisation ? L’accord des observateurs, se fait sur les phénomènes de ségrégation liés au sexe, aux revenus, aux diplômes, à l’habitat, etc. ; bref, de lourdes inégalités sont profondément agissantes dans ce secteur dont les couches les plus populaires font
les frais. Les politiques publiques depuis les années 1980 (années d’entrée massive en lice des média) ont quelque peu capitulé devant ce qu’il est traditionnellement appelé le sport de masse, pour tous, populaire, grand public… pour se centrer sur des publics restreints, dits « cibles » et que la générosité démocratique ne pourrait condamner : public des femmes, handicapés, jeunes, habitants des ZUS (zone urbaine sensible). L’État-providence est alors devenu sélectif, délaissant une approche globale et difficile de lutte contre les inégalités au profit d’actions d’assistance. Cette orientation s’est menée en même temps que la financiarisation du sport s’est accrue par sport professionnel et spectacle sportif interposés et que la politique dite de RGPP (réforme générale des politiques publiques)  a totalement désintégré un ministère, déjà faible et maintenant sans puissance d’intervention.
Les actions de démocratisation doivent jouer sur le triple niveau de développement du sport : des formes de compétition et de pratique (multiplication de chacune des formes), des cadres de regroupement (associatif, public, privé, « libres »…), des moyens disponibles (financiers, équipements, encadrement). La démocratisation ne peut donc se réduire à l’accès de tous à un modèle sportif dominant (compétitif et associatif) mais à la prise en compte de la gestion de la diversité des aspirations de la population. Les clubs doivent-ils donc chercher à répondre à tous les besoins, c'est-à-dire devenir, de fait un service public, mais qui dénaturerait sa composante associative ou bien ne doit-on pas impulser des politiques locales pu­bliques, assises sur un service public national rénové, qui généreraient le vivier indispensable de pratiquants aux clubs ? Depuis le début des années 60, le modèle sportif français s’est traditionnellement construit sur une entente entre l’État et le mouvement sportif ; cela a donné, et donne encore de bons résultats sportifs mais pas nécessairement de bons résultats socio-sportifs. Depuis le milieu des années 80, le repli de l’État, la marchandisation accrue et le cortège de déviances que ce secteur a produit à grande échelle (corruption, violence, dopage,…) ont produit des forces centripètes qui conflictualisent ce milieu. Un besoin nouveau d’orientation s’affirme avec force et se dispute entre des responsabilités publiques neuves ou une privatisation accrue. Un nouveau modèle à forte assise publique est à inventer, dépassant le modèle cogestionnaire antérieur.
 

Démocratiser les instances

En sus des conditions sociales, économiques, administratives, la question de la structuration du mouvement sportif vient en force. L’Europe dans les rapports de François Rochebloine et de André-Noël Chaker et en France le CNOSF (comité national olympique et sportif français), avancent des propositions pour rendre le pilotage des fédérations sportives plus démocratique. Le débat est serré tant les enjeux, essentiellement financiers, sont considérables et  les usages de ce secteur  fortement marqués par une absence de transparence dans les décisions. Une aspiration à plus de contrôle apparaît. Les questions ne font que débuter. Dans l’immédiat, s’esquissent des modèles de « gouvernance » liés à l’air du temps libéral : le modèle entrepreneurial tend à être copié (conseil de surveillance et directoire) en le présentant comme le seul susceptible de faire face au manque de « professionnalisme » des responsables, fréquemment bénévoles. Il nous semble que cette question ne devrait pas se satisfaire d’appréciations et de décisions trop rapides tant que ne sera pas explorée plus précisément la répartition des pouvoirs entre le politique (décisions à prendre), l’exécutif et le contrôle des décisions. En tout état de cause le dossier est ouvert et n’attend plus qu’un débat plus large parmi les citoyens et leurs représentants.
Cette question en appelle une autre qui, en sus de ce que devrait être un ministère en charge des sports, devrait aborder largement le statut d’un organisme national, placé auprès de ce ministère, et susceptible d’être un organe d’expertise, de conseil et de contrôle sur l’ensemble des questions que les activités sportives posent à toute la société. Le CNOSF, avec les ministères précédents, Chantal Jouanno et David  Douillet, ont bricolé une instance, après un simulacre démocratique particulièrement affligeant, appelée « conférence nationale du sport » ; composée de 32 membres, propulsant le MEDEF à égalité de représentation avec les collectivités territoriales et l’État, écartant toute la société civile au prétexte qu’elle ne porterait aucune question d’intérêt général, attribuant sans vergogne ce label au MEDEF. Cet organisme doit être immédiatement dissous et une nouvelle procédure, associant largement toutes les forces investissant le secteur sportif, doit être mise en place. Le mouvement sportif doit se socialiser et faire de sa rencontre avec la question sociale un acte de fécondation réciproque en lieu et place d’une autonomie revendiquée mais stérile du point de vue de l’intérêt social qu’il porte.
La lutte pour la démocratisation du sport doit devenir une action constante, consciente et replacée au cœur de la question sociale et politique comme moment d’institution d’une citoyenneté active et lieu d’émancipation de son individualité au quotidien.

*Jean Lafontan est syndicaliste, membre du centre de recherche EPS et société.

La Revue du projet, n° 18, juin 2012
 

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Démocratisation du sport, une question urgente pour tous,  Jean Lafontan*

le 04 juin 2012

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