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Construire le vivre ensemble, une urgence politique, Isabelle Lorand*

Les jeunes des quartiers populaires sont massivement et pleinement citoyens français. La nouvelle génération refuse la soumission. Donnons-leur toute leur place dans la vie de la cité.

Les résultats du 22 avril confortent l’importance primordiale du combat anti raciste et pour le droit des migrants. Le score de l’héritière Le Pen indique combien le racisme est prégnant. Certes, son électorat n’est pas homogène. Certes, il y a l’expression d’un ras-le-bol et du mal de vivre... Certes, c’est un vote de crise. Mais que l’on ne se raconte pas d’histoire, on ne met pas un bulletin Le Pen dans l’urne sans en connaître la connotation raciste. Un sondage réalisé en 2005, 1/3 des français se déclaraient racistes. Dans le même sondage, 6/10 pensaient que certaines attitudes pouvaient justifier une réaction raciste. Un sondage récurrent depuis 1984 montre une progression régulière depuis 1997 d’adhésion aux idées du FN. Il montre également qu’aujourd’hui près d’un sondé sur deux ne juge pas le FN dangereux.
Quand Hitler prend le pouvoir en 1933, y a-t-il une majorité de nazis prêts à la solution finale ? Évidemment non. En revanche, l’antisémitisme s’affiche banalement au quotidien. La relecture des travaux d’Hannah Arendt nous rappelle combien le fascisme  devient majoritaire quand il contamine Monsieur ou Madame Michu.

 

La suprématie des blancs sur l’indigène a marqué l’histoire de l’humanité. Esclavagisme, génocide inca, colonialisme en sont de terribles illustrations. Au XIXe siècle, le racisme est théorisé et devient objet politique. Comme tel, il est l’assimilation d’un peuple à une race, avec sa morphologie, ses pratiques, son histoire... niant ainsi le fait social. Les différences – parfois totalement construites – deviennent des problèmes intrinsèques et indépassables. Elles deviennent même le problème au détriment de toute vision de classe. Paradoxalement, dans l’Alle­magne nazie, elles s’appliquent à des populations « blanches » (Juifs, Tziganes). D’ailleurs, il n’est pas neutre de noter que le mot racisme fait son entrée dans le dictionnaire Larousse en 1930.

 

Depuis les années 2000, une évolution sémantique est notable. Nous ne sommes plus sur « il y a trop d’Arabes en France, ou d’Africains, ou d’Asiatiques »... Mais sur « il y a trop d’immigrés en France ». Le terme immigré désigne alors souvent tout autant les travailleurs venus dans les années 1960 que leurs enfants et petits-enfants français depuis parfois trois générations, tout autant les sans-papiers que les demandeurs d’asile politique, les Roms ou les primo-arrivants. Un imaginaire collectif se construit ainsi : l’idée d’une nébuleuse étrange, soudée et dangereuse. Source de tous les problèmes. Oui, le venin de la haine a pénétré les esprits. Et le combattre est devenu un enjeu de première importance. Dire cela amène immédiatement une question : comment ?

 

Être raciste : une honte

Nous avons, avec la campagne présidentielle, commencé à enrayer la complaisance à l’égard de Le Pen. Il est probable que sans l’intensité avec laquelle Jean-Luc Mélenchon l’a combattue, elle aurait fait un score supérieur. Et surtout, il est certain que nombre de victimes du racisme et de discriminations se sont enfin senties représentées dans l’espace politique. Il est également certain que notre détermination a redonné de la force au discours antiraciste. En matière de mouvement des idées, je crois plus aux rapports de forces qu’à la seule conviction rationnelle. Autrement dit, plus que d’aller convaincre les racistes, je crois qu’il faut que le malaise change de côté. La honte, ce n’est pas d’être immigré, c’est d’être raciste.
Les deux grandes luttes menées par les travailleurs sans-papiers, et par le réseau Éducation sans frontières a également contribué au cours de la dernière décennie à casser l’image d’une nébuleuse inquiétante. Quand un enfant en centre de rétention ou le sans-papiers a un prénom, un visage, un regard... la stigmatisation, aisée dans l’anonymat, devient plus difficile.
 

Le droit à la diversité

 

Pour franchir un cap, il faut que le Front de gauche soit envahi par les immigrés et donc par les quartiers populaires. Il y a dans les zones urbaines sensibles 23,6% d’immigrés (au sens vrai du terme). Il suffit de regarder les photos dans les écoles des quartiers populaires pour savoir combien ils sont aux couleurs du monde. Jusqu’en 2002, la gauche de transformation sociale devançait le PS dans les quartiers populaires. C’étaient des lieux d’hégémonie du Parti communiste dont l’implication locale était telle qu’il était reconnu comme acteur déterminant du lien social. Les résultats du Front de gauche en 2012 sont d’un niveau globalement inespéré : la participation importante et les scores très élevés du Front de gauche dans les quartiers populaires y ont contribué. Pour franchir le seuil de 15%, il faut maintenant reconstituer des zones d’influence majoritaire. Les villes populaires doivent redevenir des places fortes. Chômage, précarité, crise du logement ou de l’école, vie chère... les enjeux sociaux doivent entrer en résonnance avec l’opiniâtreté contre le racisme et pour le droit à la diversité. Contrairement à ce que l’on entend parfois, les jeunes de ces quartiers sont massivement et pleinement citoyens français. Les chibanis, immigrés des heures glorieuses, ont été cantonnés dans les emplois les plus durs aux revenus les plus faibles. Cette inégalité est inscrite dans la personnalité des jeunes des quartiers. Qui n’a jamais entendu « Nos parents nous apprenaient à baisser la tête ». La nouvelle génération refuse la soumission. Et elle crie sa colère pour aujourd’hui, hier, et des siècles d’esclavagisme et de colonialisme. Cette colère doit trouver place au Front de gauche. Et là encore, il faudra faire preuve d’ouverture et d’inventivité dans les formes et le fond.

 

En défendant le droit de vote pour les résidents étrangers, le Front de gauche fait la promotion d’une idée simple : je vis ici, je bosse ici, je paye mes impôts ici, je décide ici. J’aurais souhaité que la profession de foi de notre candidat évoquât cette proposition ainsi que celle sur la régularisation des sans-papiers. Pas seulement parce qu’il s’agit de points forts de notre programme partagé, mais aussi parce que c’est précisément un des champs sur lequel notre campagne aura marqué les esprits. J’ajoute que si le PS en a pris l’engagement également, il faut tout faire pour éviter le syndrome 1981 : « J’voudrais bien, mais j’peux point ». À cet égard aussi, le nombre de député-e-s du Front de gauche sera un facteur de réussite à gauche.

 

Une autre mesure émanant des associations œuvrant dans les quartiers populaires me paraît emblématique de la lutte antiraciste : la lutte contre les contrôles au faciès et l’obligation de remettre lors de tout contrôle un récépissé indiquant le motif du contrôle et le matricule de l’agent. Outre la suppression de la politique du chiffre, une telle mesure changerait le quotidien des jeunes de nos cités. J’ajoute qu’elle serait également très significative pour leurs parents qui  vivent cette agression permanente comme une humiliation. Encore une mesure qui devra compter sur la détermination des député-e-s et des sénateurs et sénatrices du Front de gauche. Depuis qu’à l’occasion de la rédaction du tract en direction des quartiers populaires, nous avons fait nôtre cette proposition, le syndicat Alliance, proche de l’UMP, est vent debout pour s’y opposer. C’est dire qu’il y a du grain à moudre !
En période de crise économique majeure, le racisme n’est pas une question morale ou philosophique. C’est une question politique majeure. 

*Isabelle Lorand  est responsable du secteur Libertés et droits de la personne du PCF. Elle est membre du Conseil exécutif national du PCF.
 

La Revue du Projet, n° 17, Mai 2012

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Construire le vivre ensemble, une urgence politique, Isabelle Lorand*

le 16 mai 2012

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