Parler aujourd'hui d'énergie c'est être au carrefour d'un enjeu technique, politique, social, économique, écologique et ce sont des choix qui engagent plusieurs générations.
Droit à l'énergie, besoins en France et dans le monde et questions environnementales avec le réchauffement climatique et les pollutions directes, constituent un triple enjeu auquel il faut répondre simultanément. En effet, proposer des politiques qui négligent un seul de ces aspects, n'est pas crédible et terriblement dangereux pour l'avenir. C'est le cas par exemple d'une des variantes du scénario du GIEC mis en avant médiatiquement en mai 2011 sans réelle nuance et sans citer tous les détails de l'étude. Cette étude laisse entendre qu'il serait possible de produire à l'échelle mondiale 75 % de l'énergie par du renouvelable d'ici 2050. Pourtant, lorsqu'on lit dans le détail, on se rend compte qu’elle table sur des projections sous-estimant les besoins mondiaux, ce qui exclurait, de fait, des milliards d'êtres humains des perspectives de développement. Disons-le clairement, c'est inacceptable.
Depuis la maîtrise du feu, l'énergie est un des symboles de notre émancipation : elle nous soigne, nous nourrit, nous cultive, nous transporte... Elle conditionne notre niveau de productivité et donc la libération des forces productives qui peuvent ainsi se consacrer à d'autres activités, elle permet le mouvement du progrès. Une des originalités du projet communiste, à l'opposé du malthusianisme, est de trouver légitime la satisfaction des droits élémentaires de tous les êtres humains et cette conviction profonde qu'aujourd'hui, nous avons les capacités techniques de pouvoir y répondre complètement. Le principal obstacle à ce projet étant d'ordre politique, vu la nature du système capitaliste qui ne vise en aucun cas cet objectif, mais la maximisation des profits.
Dis-moi quelle quantité et type d'énergie tu consommes et je te dirais comment tu vis et quelle est ton espérance de vie... Tel pourrait être un résumé de l'importance que prend la satisfaction de ce droit. Pas étonnant que les débats liés aux choix énergétique soient très souvent passionnels. Il y aurait beaucoup à dire sur les raisons profondes de ce phénomène mais si la passion est toujours aussi vive, c'est qu'elle interroge très étroitement notre relation au progrès, à la nature, au temps, à la confiance en la science et aux hommes qui l'élaborent, à notre relation aux risques que nous sommes prêts à accepter. Sur ce dernier point, prenons l'exemple des déchets nucléaires : les connaît-on vraiment ? A-t-on vraiment des éléments de comparaison avec le volume des déchets des autres activités humaines ? On serait étonné d'apprendre par exemple que la quantité des déchets ultimes de toute la production du parc électronucléaire français depuis son existence pourrait tenir dans une piscine olympique...
La nature même du capitalisme est source de pollutions
Pourtant est-on prêt à l'accepter ou devons-nous considérer que cela reste encore trop et qu'il faut par conséquent « sortir du nucléaire » ? La durée de nocivité est de plusieurs dizaines de milliers d'années, c’est un facteur dont il faut évidemment tenir compte. Des solutions sont par exemple étudiées tel que l'enfouissement dans des couches géologiques stables depuis plusieurs millions d'années, ce qui exclurait un retour à la biosphère. Ces problématiques de longue durée et de nocivité sont elles des questions spécifiques au nucléaire ? Prenons l'exemple des centrales à charbon et des secteurs du transport par route qui, en plus des gaz à effet de serre, rejettent des centaines de tonnes de métaux lourds chaque année dans la biosphère : rappelons-le ces déchets ont une durée de vie infinie, sont tout aussi nocifs et ne bénéficie pas de la même attention médiatique... Nous pourrions aussi faire ce même exercice de comparaison concernant la pollution réelle pour les différentes filières. L'accident de Fukushima est survenu à la suite d’un tremblement de terre d'une ampleur considérable, et à juste titre, l'attention s'est focalisée sur les rejets radioactifs dans l'océan et aux alentours sur terre ferme. Ce n’est pour autant pas la seule pollution. Des polluants toxiques de longue durée ont été rejetés dans l'océan suite au tsunami sur la côte japonaise notamment ceux de l'industrie chimique. La question de « la sortie de la chimie » a-t-elle été posée pour autant ? Une pollution n'en balaie pas une autre certes, mais nous devons nous efforcer de bien énoncer les problèmes, par exemple en ayant un examen sérieux du niveau de risque que nous sommes prêts à accepter, et des moyens que nous nous donnons pour le réduire au minimum. La question des moyens que l'on se donne est évidemment très politique et pointe du doigt la nature du capitalisme avec les défaillances de TEPCO pour Fukushima, mais aussi de BP lors de la marée noire du golfe du Mexique : des économies de quelques millions de dollars sur des systèmes de sécurité ont conduit à une des plus grandes pollutions maritimes de l’Histoire.
C'est en ce sens que nous souhaitons un grand débat sur l'énergie, traitant tous les aspects, avec une réelle expertise scientifique, afin que les citoyens puissent choisir en toute connaissance de cause. Puisse ce dossier en être une vraie contribution.
Je conclus en insistant aussi sur le fait que nous devons interroger nos modes de consommation. La société actuelle produit des biens qui se périment de plus en plus vite, préférant la valeur d'échange à la valeur d'usage des objets, les désirs construits artificiellement par la société de consommation aux services socialement utiles : sur ce terrain aussi la politique doit agir et inverser les logiques.
*Amar Bellal est coordonnateur du dossier « Lumières sur l’énergie ».
La Revue du Projet, n° 13, janvier 2012.
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