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De la mésentente au rejet ? Henri Rey*

Comment la gauche peut-elle devenir majoritaire sans l’appui des classes populaires ?

 

On doit saluer l’intérêt du texte de Terra Nova sur les stratégies électorales conseillées à la gauche: il dit tout haut et sans afféteries ce que depuis longtemps déjà un certain nombre de responsables et d’experts profèrent et pratiquent avec plus de discrétion ou d’atermoiements : les ouvriers ne nous intéressent plus, ils sont passés à l’extrême-droite, à droite ou à l’abstention, voyons ailleurs. Depuis une vingtaine d’années  s’est progressivement imposée l’idée que la classe ouvrière est en train de disparaître et que sa dislocation s’accompagne de réactions répulsives : xénophobie, ressentiment à l’égard des élites, lutte de tous contre tous, pulsions sécuritaires, adhésion aux discours populistes, sans d’ailleurs qu’on s’interroge dans le même temps sur les pratiques et discours de la gauche en direction des milieux populaires. La classe ouvrière d’avant la mondialisation néo-libérale, celle qui votait encore massivement pour Mitterrand en 1988 aurait fini, avec la délocalisation des usines, le chômage de masse et les diktat des fonds de pension, à se volatiliser et ce qui en reste filerait du mauvais coton. L’avenir de la gauche se jouerait désormais du côté des classes éduquées, ouvertes au monde et à l’évolution des genres de vie, d’autant plus à gauche qu’elles sont bac++ et permissives. Trop de hâte pour voir pratiquement achevée l’évolution pressentie conduit toutefois à sous estimer largement le poids démographique des ouvriers et des employés, à oublier les 50% du vote ouvrier pour Ségolène Royal au 2ème tour de 2007 (plus que les 47% de son résultat global), à amplifier l’emprise déjà considérable du Front national, volontiers présenté comme le nouveau parti ouvrier et laisse sans réponse la question : comment devenir majoritaire sans l’appui des classes populaires ?

Inconsistance d’une gauche post-socialiste

 

L’embarras de la gauche à l’égard des catégories populaires prend naturellement des expressions diverses selon les courants et les formations, mais il est bien réel et résulte à mon sens d’au moins trois grands facteurs : le renoncement à leur voir jouer un rôle moteur de transformation sociale, la difficulté à imaginer une alliance entre les différentes composantes des catégories populaires, entre elles et avec les couches moyennes, et l’incapacité à rendre crédible une alternative à la gestion courante conduite par la droite en France et en Europe. Ces trois points sont étroitement liés car ils renvoient, au fond, à l’inconsistance de l’identité d’une gauche post-socialiste, ayant répudié jusque dans ses déclarations de principe, la notion de lutte de classes, hésitant à la simple énonciation du vocable « ouvrier », peu attentive au décryptage et à la gestion des contradictions qui divisent les catégories populaires et peu confiante dans sa propre capacité à porter des réformes appréciées comme significatives par l’électorat populaire. Ne resterait alors, pour la gauche, qu’à reprendre, sous des formes plus ou moins renouvelées, un discours républicain, qui ne la distingue pas en propre, et à la classe ouvrière à se fondre tant bien que mal dans la masse des citoyens.

*Henri Rey, est politiste, directeur de recherches à Sciences Po (cevipof), auteur de La gauche et les classes populaires, Histoire et actualité d’une mésentente, Ed. La Découverte.

 

La Revue du Projet, n° 10, septembre 2011

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le 22 septembre 2011

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