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Trois clefs pour comprendre les identités en conflits, Maurice Godelier*

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Communauté, société, culture et identité, ces concepts sont-ils encore utiles à la production de connaissances scientifiques ?

 

J’aimerais inviter à réfléchir sur le contenu de quatre concepts – communauté, société, culture et identité –, probablement les plus utilisés dans les sciences sociales, mais aussi bien au-delà puisqu’on les retrouve en abondance dans les discours des politiciens, les articles des journalistes, etc. Du fait de leurs multiples usages dans des contextes les plus divers, ces quatre concepts sont-ils encore utiles à la production de connaissances scientifiques ? Je le pense, mais c’est à certaines conditions que j’essaierai de définir.

 

 

Communauté et société

 

[…] Notre analyse nous permet de préciser la différence qui existe entre une « communauté » et une « société ». Il est essentiel de ne pas confondre ces deux concepts ni les réalités sociales et historiques distinctes auxquelles ils renvoient. Un exemple suffira pour montrer clairement cette différence. Les juifs de la diaspora qui vivent à Londres, à New York, à Paris ou à Amsterdam forment des communautés au sein de ces différentes sociétés et de ces États, la Grande-Bretagne, les États-Unis, la France, les Pays-Bas, etc. Elles coexistent avec d’autres communautés, turques, pakistanaises, etc. qui ont chacune leurs propres façons de vivre, leurs traditions. Par contre, les juifs de la diaspora qui ont quitté ces pays pour aller vivre en Israël vivent désormais dans une société qui est représentée et gouvernée par un État dont ils veulent voir les frontières reconnues définitivement par les populations et les États voisins. Et c’est ce que revendiquent également les Palestiniens, un territoire et un État. Là encore, le critère qui fait société, c’est celui de la souveraineté sur un territoire. Il est important de remarquer que toutes ces communautés mènent au sein de leur société d’accueil une existence sociale qui leur est particulière. Pour donner un autre exemple, dans la plupart des métropoles du monde existent des Chinatown où les Chinois continuent à parler leur langue, à suivre leur calendrier de fêtes et à ouvrir des restaurants. Ils forment des communautés mais ne constituent pas une société. Au passage, je voudrais également faire une distinction qui semble aujourd’hui obsolète à beaucoup d’entre nous. J’ai appelé « tribu » la forme de société qui est celle des Baruya, comme j’ai appelé « clans et lignages patrilinéaires » leurs groupes de parenté. Et j’ai appelé aussi  « ethnie » l’ensemble des  groupes locaux qui dans cette région affirment avoir une origine commune et être issus de la dispersion de groupes vivant autrefois près de Menyamya. Les Baruya et leurs voisins utilisent, pour désigner cet ensemble de groupes auquel ils se savent appartenir, l’expression : « ceux qui portent les mêmes parures que nous ». Cependant, le fait d’être conscient d’appartenir à ce même ensemble ne procure à un Baruya ni un accès à la terre ni un accès aux femmes et par ailleurs ne l’empêche pas de faire la guerre aux tribus voisines appartenant au même ensemble. On voit par là que c’est seulement la « tribu » qui constitue pour un Baruya une « société », tandis que « l’ethnie » constitue pour lui une communauté de culture et de mémoire, mais non une « société ». Ceci éclaire le fait que pour devenir une société, une ethnie doit souvent de nos jours réussir à former un État qui lui assurera une souveraineté sur son territoire. C’est là une revendication des groupes kurdes répartis entre plusieurs États, et ce fut hier une revendication des Bosniaques ou des Kosovars. Et dans certains cas une ethnie, en revendiquant pour elle seule l’appropriation d’un État et d’un territoire, s’autorise à procéder à des épurations ethniques.

 

 

Les réponses des États

Dans les sociétés occidentales dont le régime politique est en principe démocratique, on peut constater deux réponses des États à l’existence en leur sein de communautés de natures diverses, religieuses ou ethniques. Soit le communautarisme à la façon britannique, soit l’intégration à la française de toutes les communautés au sein de la République. Les deux formules ne semblent pas avoir véritablement réussi à répondre aux problèmes posés par la diversité culturelle et religieuse au sein des sociétés modernes.[…]

 

Culture et identité

Qu’est-ce que j’entends par « identité » ? Pour moi, c’est la cristallisation à l’intérieur d’un individu des rapports sociaux et culturels au sein desquels il/elle est engagé(e) et qu’il/elle est amené(e) à reproduire ou à rejeter. On est le père ou le fils de quelqu’un par exemple et cette relation à l’Autre définit le rapport qui existe entre nous et en même temps en chacun de nous, mais sur un mode différent : le père n’est pas son fils. Cette définition est celle du Moi social que chacun d’entre nous offre aux autres. Mais il existe aussi un autre versant du Moi, le Moi intime, celui né des rencontres heureuses ou douloureuses de ce Moi social avec les autres. C’est pourquoi l’identité sociale de chaque individu est à la fois une et multiple de par le nombre des rapports que l’on entretient avec les autres.

 

Maurice Godelier* est anthropologue, directeur d’études honoraire à l’EHESS.

Maurice Godelier, Communauté, société, culture. Trois clefs pour comprendre les identités en conflits, Paris, CNRS Éditions, 2009. Extraits publiés avec l’autorisation de l’auteur

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Trois clefs pour comprendre les identités en conflits, Maurice Godelier*

le 19 juin 2011

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