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Penser (enfin !) le droit à la ville, Corinne Luxembourg*

La proximité n’a jamais cessé d’être une condition nécessaire et spontanée à la citoyenneté.

Comment habite-t-on la ville ? Comment la vit-on ? Comment y vit-on ? La plupart des salariés ne travaillent pas dans la commune dans laquelle ils dorment, c’est-à-dire qu’ils ne vivent pas principalement dans la ville dans laquelle ils logent. Plus encore, les lieux d’activité peuvent se multiplier, créant chaque fois de nouvelles sociabilités, de nouveaux lieux d’habiter, parfois encore ils ne logent pas au même endroit en semaine et le week-end. L’accroissement des possibilités de mobilité fait que nous pouvons habiter plusieurs lieux. Force est de constater le déficit de lieux d’expression et de décisions pour ces habitants qui ne dorment pas. […]
C’est à ce moment que le choix de gouvernement intervient. Ce moment est stratégique pour l’avenir des territoires. Une fois de plus, il est nécessaire d’avoir une vision transversale et de changer d’échelle. Les réflexions autour des métropoles (Grand Paris par exemple), qui ont pu marquer la vie politique française, se situent uniquement à l’échelle de la métropole et abandonnent rapidement ce qui est constitutif de l’habiter quotidien pour se concentrer sur les volets de technicité des axes de transport. Après avoir répété, des années durant, la nécessité, « pour penser global, [d’] agir local », il semble qu’une fois encore le local ait été oublié lors de la conception des métropoles, pire c’est l’interrelation des niveaux de décisions qui n’existe pas. Or construire les métropoles, les encadrer d’une législation forte sans re/penser les modes de décision, de gouvernement n’aura pour effet que de déposséder un peu plus les populations de leur pouvoir de décision, ne pas les imaginer interconnectés témoigne d’un retard de conception du monde en mouvement ou d’une volonté politique de se servir de cette transition pour effacer toute progression sociale et démocratique. À regarder les mouvements citoyens, notamment des « Zones à défendre » (ZAD), il s’avère bien que la proximité n’a jamais cessé d’être une condition nécessaire et spontanée à la citoyenneté.

La réflexion sur la démocratie locale est indissociable des projets de métropoles et, à ce titre, se doit de prendre en compte l’évolution de la vie de la population, souvent forcée par l’évolution des conditions de travail. La déréglementation des horaires, la suppression des jours chômés, le morcellement obligé des journées, ne sont sans doute pas pour rien dans la désaffection de la politique, notamment de la politique locale. L’éloignement d’instances de décision, la perte de pouvoir des échelons communaux, en même temps que la dépossession (sous quelque forme que ce soit) du temps libre, c’est-à-dire, du temps sans travail affaiblissent la démocratie. […]

La gestion du temps
Remplacer l’accélération systématique par la vitesse nécessaire. Prendre le temps nécessaire pour garantir l’émancipation. Le système capitaliste valorise l’efficience, la rapidité, la diminution du temps, fidèle au vieil adage que le temps est de l’argent. Il en fait un facteur d’exclusion de qui n’est pas assez véloce. La société capitaliste est jeune et bien portante, plutôt masculine, elle n’a pas de temps à perdre avec les congés maternité. Pour caricaturale qu’elle puisse être, voilà l’image des organes de direction des entreprises. La gestion du temps est tout aussi spéculative que la gestion de l’espace. Le constat n’est pas neuf, la maîtrise du temps à l’envi est un luxe que la majorité d’entre nous ne peut s’offrir, subissant ou bien la rapidité d’exécution nécessaire au respect d’un calendrier ou bien la lenteur de l’inaction (chômage) ou de la mise à disposition (temps partiel imposé par exemple aux emplois de caisse). La question du temps nécessaire au bien être, mais aussi des rythmes de pratique de la ville impose d’appréhender les mobilités, les temps de parcours, l’évolution des horaires de travail. Opter pour des politiques du temps peut être un outil de lutte contre les inégalités sociales, de genre, de génération, dans un contexte où la synchronisation des activités n’existe plus, soit parce que les horaires de travail sont déréglementés, soit parce que l’écart spatial entre le logement et le lieu de travail s’est creusé et que le temps de parcours s’agrandit avec la distance… De telles politiques du temps sont autant une nécessité nationale posant la question des temps partiels imposés par exemple, de la réglementation horaire d’ouverture de magasins, qu’une nécessité locale, afin de favoriser des modes de garde pour les individus dépendants (enfants, adultes dépendants de façon temporaire ou non...) permettant l’accès aux activités de loisirs, d’engagement citoyens… On le voit la question est transversale. […]

Une taille nécessaire
Lié au temps nécessaire, sans doute faut-il penser les lieux de productions selon une taille nécessaire. Cette taille nécessaire aurait à voir avec les besoins de consommation, de réparation, avec le type de production. Consommer et travailler (entre autres par ce que devrait être la rémunération, voir Bernard Friot, L’enjeu du salaire, 2012) sont deux lectures transversales de l’urbain, des territoires, de leurs relations. En effet, consommer et travailler sont indéfectiblement liés. On le perçoit d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un travail de production physique. La relation à l’objet produit contient la relation au processus même de production. Pour une part, ce travail est effacé de l’espace public, enfermé dans des usines, installées en périphérie. Le réenchevêtrement peut avoir fonction de rendre à nouveau visible le travail, il peut aussi créer des espaces de porosités entre espaces publics et espaces privés et ce faisant permettre de mutualiser des actions semblables ou non, professionnelles ou domestiques. Plus l’espace privé ou semi-privé est cloisonné, résidentialisé, moins il permet cette porosité des espaces plus courant, par exemple en Europe du Nord où la rue, comme certains espaces sont conçus comme des espaces mixtes entre le privé et le public.  

*Corinne Luxembourg est responsable de la rubrique Production de territoires.

Extrait de Corinne Luxembourg, Pour une ville habitable. De l’espace-temps comme enjeu démocratique. Collection Projet, éditions du Temps des Cerises.

La Revue du projet, n°50, septembre 2015
 

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Penser (enfin !) le droit à la ville, Corinne Luxembourg*

le 03 November 2015

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