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De quoi la FAGE est-elle le nom?, Gérard Streiff

A l'issue des élections au Conseil national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS) le 31 janvier, la FAGE ( Federation des associations générales étudiantes) est passée devant l'UNEF (Union nationale des étudiants de France)… Ici ou là, on a tiré des enseignements définitifs, et prématurés, sur ce fait. Reste qu'il dit quelque chose sur l'air du temps et l'adaptation à la crise.

 

 Le 29 novembre dernier, aux élections des CROUS, la FAGE, avec 76 sièges, devançait l'UNEF, 66 sièges, et l'Union nationale interuniversitaire (UNI), ancrée à droite, 12 sièges, sur un total de 196 sièges. Il s'agit d'un mandat de deux ans dans les 28 CROUS de France. Cette information fit quelques titres de presse : on parla de « tournant », de « séisme », de « cataclysme » au sein de la jeunesse étudiante. Gardons raison et voyons d'un peu plus près.

1. La première caractéristique du scrutin de l'hiver dernier, c'est l'abstention. Il y a eu 7 % de votants, 93 % d’abstention. Un chiffre effarant. Certes, le fait n'est pas nouveau dans ce genre de scrutin ; et le phénomène participe d'un mouvement de défiance qui se généralise envers toutes les formes d'institutions. Cela ramène, pour le moins, à de plus justes proportions toute leçon globale que l'on voudrait tirer de cet événement.

L'abstention, disent certains, a pour cause le manque de démocratie dans les instances universitaires : les étudiants ne sauraient pas très bien à quoi sert le CROUS, et les représentants étudiants dans ces structures n'y auraient presque aucun pouvoir.

2. Dans le cadre d'une si faible participation, toute structure un tant soit peu organisée peut faire un score. C'est le cas de la FAGE et ce n'est pas tout à fait une surprise. À plusieurs reprises, ces dernières années, cette organisation a talonné l'UNEF. Née en 1990, la FAGE a tenu son XXVIIe congrès annuel en 2016. Au fil des ans, elle a confirmé une forme d'implantation de plus en plus précise. La FAGE est née en Alsace (elle est d'ailleurs déclarée sous un « statut » Alsace-Moselle). Elle semble plutôt bien implantée dans des facultés de médecine, de pharmacie, des instituts universitaires de technologie (IUT), des écoles d'ingénieurs ; elle serait moins forte dans les universités de lettres ou de droit.

3. Dans l'air du temps, elle tient un discours « anti-appareil », alors même qu'elle a su se structurer durablement comme organisation. Elle ne se veut pas un « syndicat », terme tenu à distance, mais une fédération d'associations locales et de filières. Cette fédération ne se revendique pas comme un syndicat étudiant mais comme « une association de jeunesse et d'éducation populaire » qui regroupe des antennes régionales (FédEA, Fé2A, ARB3…). Une « assoc » d' « assoc » en quelque sorte. Ça sonne nettement plus « moderne », plus fun, même si on peut retrouver là un vieux discours antisyndical et antiparti.

4. La FAGE est-elle « apolitique » ? Fustigeant ses concurrents prisonniers d'idéologies diverses, dit-elle, elle se veut pragmatique, autre mot magique, et plus acceptable qu' « opportuniste ». En vérité, sous réserve d'inventaire, elle semble très adaptable ou compatible avec les diverses facettes de l'autorité. On la voit travailler avec la droite en Alsace ou avec le PS en Bourgogne. Elle revendique d'ailleurs ce statut. Coralie Binder, première vice-présidente de la FAGE, déclare : « Nous ne sommes pas apolitiques, car on considère que, quand une association se positionne sur un budget d'université ou sur une capacité d'accueil, et qu'on descend dans la rue, c'est déjà une action politique. Mais on ne reçoit d'argent d'aucun parti : il y a des villes où on travaille très bien avec la droite, d'autres très bien avec la gauche. »

5. Ce pragmatisme, on a pu le mesurer grandeur nature lors de la bataille contre la loi Travail. Dans une trajectoire proche de celle de la CFDT, la Fage a d'abord pris une posture critique puis, dès la première esquisse d'ouverture du gouvernement, elle s'est retirée du front commun syndical et a soutenu le texte de Myriam El Khomri. Son argumentaire est rodé : face aux organisations sectaires et hors sol, la FAGE est réaliste et concrète. Elle, elle connaît la vie, dit-elle, la précarité étudiante, et elle sait y répondre.

6. De la même manière, elle dit privilégier le terrain. C'est, semble-t-il, son point fort, en tout cas l'argument qui revient le plus souvent chez ses sympathisants. Dans ses tracts, la FAGE insiste sur sa présence en bas, dans les amphis et son désir de rendre service aux étudiants. Elle entend développer ce qu'elle appelle des « Agoraé », des lieux de vie et des « épiceries solidaires », novation dont elle parle beaucoup. Elle met en avant « l'intermédiation locative », notamment avec le logement intergénérationnel (un des « dadas » de Macron), la réforme du système des bourses ; elle s'occupe des « polycopies » (qu'elle fait payer cher, répondent ses critiques), organise volontiers des soirées (arrosées et aux affiches de tonalité parfois « sexiste »).

7. Dans une tribune, discutable mais stimulante, parue sur le site « regards.fr » début décembre (voir extraits), l'associatif Frédéric Amiel parle de « cataclysme discret à l'université ». Il voit – sans doute un peu vite – dans ce score le triomphe « du pragmatisme et de l'action de terrain », du refus de se positionner politiquement (« 90 % des problèmes qui concernent les étudiants ne sont pas placés sur l'échiquier droite/gauche », disait un des présidents de la FAGE). « Ce signal, venu du monde étudiant, est un écho très clair à la défiance généralisée qui s'installe dans notre pays vis-à-vis des partis politiques. Les électeurs de tous âges en ont assez de voter pour des théoriciens hors sol, des donneurs de leçons à la carrière jalonnée de mandats. Ils cherchent à se tourner vers ceux qui font, ceux qui sont capables de démontrer qu'ils peuvent changer leur quotidien par des actes plutôt que par des paroles. [...] Les partis politiques comme les associations seraient bien inspirés de garder un œil sur ce qui se passe dans les universités. »

Propos un tantinet hâtifs qu'on ne partage pas complètement mais qui pointent de vrais problèmes et caractérisent assez bien la crise de la politique telle qu'elle se manifeste aujourd’hui, expliquant notamment le phénomène de la « macromania » par exemple. Ce texte a suscité sur la Toile un assez vif débat. Les uns ont mis l'accent sur le caractère « corpo » de la FAGE, la « réaction tranquille » que signifie sa progression, signe aussi d'une certaine démobilisation étudiante. D'autres saluent la présence de la FAGE sur le terrain, sa proximité avec « les préoccupations quotidiennes ». Un débat qui ne fait que commencer. 

La Revue du projet, n° 64, février 2017

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De quoi la FAGE est-elle le nom?, Gérard Streiff

le 20 mars 2017

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