Au fur et à mesure que des avancées interviennent dans les batailles contre Daech, notamment celles de libération de la deuxième ville irakienne, Mossoul, et que la défaite militaire totale semble envisageable dans un futur proche, les spéculations vont bon train à propos des menaces et des opportunités auxquelles vont faire face l’Irak en premier lieu, mais aussi la région.
La sécurité et la paix civile
Pour l’Irak, les défis après la libération des territoires conquis par Daech sont énormes. Les plus immédiats portent sur la capacité des services de sécurité à localiser et à mettre hors d’état de nuire les cellules terroristes dormantes et à empêcher Daech de se reproduire ailleurs en Irak sous d’autres formes ; assurer le retour des centaines de milliers de personnes déplacées dans leurs villes et leurs habitations, remettre rapidement en état le minimum requis pour la restauration de la vie normale, et trouver les fonds et les ressources nécessaires pour la reconstruction des villes et villages dévastés d’où Daech a été chassé.
À cela s’ajoutent des questions et des problèmes plus graves, plus compliqués d’ordre politicosocial et institutionnel qui pourraient porter atteinte à la structure de l’État irakien, à la configuration des forces politiques, les rapports de pouvoir et à la paix civile. Bien que la probabilité d’une remise en cause des frontières issues des accords secrets de Sykes-Picot, conclus en 1916 entre la France et la Grande-Bretagne sur le partage du Proche-Orient, s’est amenuisé, le projet demeure de restructurer l’État irakien en un État fédéral constitué de régions disposant de larges pouvoirs et d’un gouvernement fédéral doté de pouvoirs réduits, qui peut avoir le soutien de certains pays voisins et des États-Unis. Plus concrètement, concernant le statut administratif de Mossoul, les équipes qui doivent prendre le relais en matière de sécurité et de gestion des affaires de la ville après le retrait de l’armée et des forces de police fédérale font l’objet de projets différents qui se disputeront l’influence sur la détermination de l’avenir de Mossoul
Par ailleurs, les rapports entre le gouvernement central et le gouvernement régional du Kurdistan peuvent être envenimés par le refus des forces de Peshmergas de se retirer des « territoires contestés » que les forces kurdes ont libérés de Daech. Ces territoires sont soumis aux dispositions de l’article 140 de la Constitution irakienne qui prévoit une procédure de référendum pour permettre à la population de se prononcer sur le rattachement à la région autonome du Kurdistan.
La question de la réconciliation
L’après-Daech posera la question de réconciliation nationale et sociétale d’une manière plus urgente au vu des déchirures dans le tissu social causées par les crimes horribles et les exactions perpétrées par les hordes de Daech contre l’ensemble de la population, notamment contre les femmes et les minorités ethniques et religieuses.
La future intégration des formations paramilitaires de la « Mobilisation populaire », à domination chiite, au sein des forces armées suscite quelque inquiétude quant au rôle qu’elles peuvent, ou vont, jouer si elles devenaient une force parallèle à l’armée.
Sans sous-estimer les difficultés, la complexité et les incertitudes qui caractérisent la situation du pays après Daech, les victoires militaires remportées contre l’organisation terroriste mettront le pays dans une meilleure disposition pour affronter les défis qui émergeront. Cependant, pour que la victoire militaire se transforme en victoire politique qui mettrait le pays sur la voie de l’éradication des sources du terrorisme, la restauration de la paix, de la stabilité et de la reconstruction et du développement, un ensemble de conditions politiques, économiques, sociales, culturelles et médiatiques doit être réunies.
Un modèle de gouvernement générateur de crises
Or le pays connaît une crise de nature structurelle profonde. Les causes sont multiples, mais la principale réside actuellement dans un mode de gouvernement fondé sur le partage ethnique et sectaire des pouvoirs, l’instrumentalisation des identités confessionnelles et religieuses dans la vie politique, et dans la construction, le fonctionnement et la conduite de l’État. L’expérience des douze dernières années a montré de manière concluante les inepties et l’incapacité de ce modèle de gouvernement à apporter des solutions aux problèmes du pays. Bien au contraire, il a été générateur de crises, un terreau pour la corruption, incitateur de conflits incessants entre les partis et les groupes politiques au pouvoir, pour le partage des pouvoirs et des privilèges.
De plus en plus d’Irakiens rejettent ce système de gouvernement, ainsi que ceux qui le dirigent. Ils sont en colère contre la « classe politique » qu’ils tiennent pour corrompue, incompétente et avide. Une partie de la population a un sentiment de frustration quant à la possibilité de déloger les forces au pouvoir, en raison des énormes moyens politiques et financiers dont elles disposent ; en raison aussi de leur emprise sur les média et du soutien de puissances étrangères.
Vers un État civil démocratique
Un mouvement populaire de protestation se poursuit sans interruption depuis dix-huit mois. Ses principaux mots d’ordre sont l’exigence de réformes politiques profondes et de tous les pouvoirs, la traduction des responsables politiques corrompus en justice, l’amélioration des services publics qui sont en piteux état, et l’établissement d’un État civil démocratique.
À l’issue de son Xe congrès qui s’est tenu en décembre dernier, le Parti communiste irakien appelle au changement vers un État civil démocratique et la justice sociale. Mais le passage de l’État actuel à un État fondé sur le principe de citoyenneté ne peut se réaliser sans des modifications profondes dans les rapports de forces en faveur des forces civiles démocratiques, et sans le reflux de la vague de confessionnalisme politique qui a détenu les principaux leviers du pouvoir au cours des dix dernières années. Une telle perspective exige l’unité d’action des partis, des forces et des personnalités démocratiques, l’accroissement de la pression populaire et le développement des mouvements sociaux. Les communistes irakiens et leurs alliés dans le mouvement démocratique sont en première ligne dans cette lutte. n
*Raid Fahmi est ancien ministre irakien des Sciences et Technologies ; Il est membre du Parti communiste irakien.
La Revue du projet, n° 64, février 2017
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