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Crise de la politique : défiance et attente, Gérard Streiff

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Les cantonales ont illustré, grandeur nature, la crise de la politique. Il y a peu, le deuxième baromètre sur la « confiance en politique » d'OpinionWay, pour le Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences-Po), traduisait déjà un approfondissement de cette crise mais aussi une envie de se faire entendre, un désir de justice sociale, une critique du monde de l'entreprise, une exigence de « réformer en profondeur » le capitalisme.

      

La politique a toujours nourri autant d'engouement que de répulsion. Vieille histoire. Voltaire écrivait déjà : «  La politique a sa source dans la perversité plus que dans la grandeur de l'esprit humain ». N'empêche : le discrédit actuel de la chose publique semble durablement installé. L'enquête du Cevipof, publiée en février 2011, un an après une première étude de même nature, le confirme bien. 56 % des Français ne font confiance ni à la droite, ni à la gauche pour gouverner. C'est un peu moins qu'il y a un an (60 %) mais cela reste un mouvement très majoritaire dont on a déjà parlé dans ces colonnes. Notons un léger mieux pour la gauche ( 22 % de confiance, +7), un très léger recul de la droite (21 %, -1) mais les chiffres de confiance restent très bas.83 % (+2) considèrent que « les responsables politiques, en général, se préoccupent peu ou pas du tout » des gens comme eux. Et 57 % (+9) pensent que « la démocratie ne fonctionne pas bien en France ».

Les partis n'inspirent confiance qu'à 13 % des sondés.

Phénomène nouveau : désormais, même les élus locaux, qui ont longtemps bénéficié d'une prime de proximité, régressent : le Président est à 29 % de confiance (-3), le député à 38 % (-9), le conseiller régional à 42 % (-11), le conseiller général à 43 (-11), le maire à 52 (-13). « Face aux difficultés, les élus locaux représentent un rempart de protection. Or toute une partie de l'opinion a le sentiment que ce filet de sécurité est bel et bien troué » observe Pascal Perrineau, responsable du Cevipof, qui pense même que le pilonnage du pouvoir contre les collectivités locales, prétendues redondantes et parasitaires, aurait aussi fait des ravages.Il est tentant d'interpréter après coup un événement mais on peut penser que l'abstention massive aux cantonales s'explique aussi par cette dévalorisation, entretenue par le pouvoir, du département et des élus locaux. Notons que l'exigence d'honnêteté à l'égard des élus est à la hausse (64 %, +5).Cette chute de la confiance politique sanctionne, toujours selon Perrineau, « l'impression des Français que la scène politique nationale n'est plus qu'un théâtre d'ombres, que les élus sont impuissants à répondre aux problèmes de la société, dépassés par les forces internationales, G20, Union Européenne... »

 

Monte une demande forte de protection : l'étude indique que 40 % des sondés pensent que « la France doit se protéger davantage du monde d'aujourd'hui » (+10) ; ils sont plus nombreux que ceux qui espèrent que le pays « s'ouvre davantage au monde d'aujourd'hui » (27 %).Dans le même temps, la crise susciterait un phénomène de rejet : 59 % disent qu' « il y a trop d'immigrés » (+10).

 

Plus généralement, on observe une dégradation du moral des Français ; les termes qui reviennent le plus volontiers sont « lassitude » (34 %, +8 % en un an), « méfiance » (28 %), « morosité » (28 %).57 % se disent « pessimistes », la crise économique et financière est passée par là ; cette crise d'ailleurs, 65 % estiment qu'on n'en sortira qu'après 2012. Une crise donc que l'opinion croit durable.

 

 

A qui fait-on confiance ? A sa famille (74 %), aux gens qu'on connaît personnellement (57 %) ; 84 % se disent heureux en famille. L'étude rappelle une donnée confirmée dans tous les sondages : les gens font une assez  nette coupure entre l'image, positive, qu'ils ont de leur histoire personnelle, individuelle et celle, troublée, de leur pays. 69 % estiment que les enfants d'aujourd'hui auront moins de chances de réussir que leurs parents.

 

La défiance se manifeste à l'égard d'à peu près toutes les institutions, terme à prendre au sens large. La politique, on va en reparler, mais aussi les banques avec 20 % de confiance (- 9 sur 2009) ; les entreprises (37 %, -4). Des structures restent cependant plébiscitées, comme l'hôpital (78 % de confiance), même si ce lieu aussi voit son image un peu écornée (-5).Une majorité de sondés (58 %) dit toujours « s'intéresser à la politique » mais le mot suscite de la « méfiance » (39 %), voire du « dégoût » (23 %). Seuls 6 % disent nourrir de « l'espoir ».

 

Réformer le capitalisme

L'enquête du CEVIPOF est menée courant décembre 2010, c'est à dire au terme d'une année sociale riche, marquée par un mouvement d'opposition populaire fort à la réforme des retraites. De puissantes manifestations n'ont cependant pas fait reculer un pouvoir sourd aux demandes de la rue. Les sondés continuent de se déclarer « prêts à manifester » : 50 %, taux inchangé d'une année sur l'autre. Mais, interrogés sur l'efficacité des actions publiques, on note un double mouvement. D'un côté, la croyance en la pertinence des manifestations et des grèves recule. En même temps, les mêmes disent accorder plus de crédit aux élections (56 %, +8 en un an). Est-ce la seule approche de la présidentielle qui remotiverait ainsi ? Pour le directeur du Cevipof, cette insistance sur le moment de l'élection est à la fois rassurant sur l'engagement démocratique des concitoyens et inquiétant, ce sont ses termes, car « la scène électorale, en redevenant centrale, risque de canaliser le sentiment de défiance ». En d'autres termes, les sondés diraient : vous n'avez pas voulu nous entendre dans la rue, vous allez nous entendre dans les urnes. Ce message, lors du vote, pourrait-il se traduire en partie par un vote Front national ? C'est ce qu'a pensé par exemple le directeur du département opinion d'Harris Interactive, Jean-Daniel Lévy lorsqu'il présentait un autre sondage, le 6 mars dernier dans Le Parisien, mettant Marine Le Pen en tête des intentions de vote : « Ce score élevé (…) est plus une forme d'expression pour faire passer un message aux autres responsables politiques que la volonté de porter (Mme Le Pen) au pouvoir ». C'est, notamment, une des leçons des élections cantonales de mars.L'enquête ouvre en même temps d'autres perspectives. En matière économique et sociale par exemple. Il existe une demande majoritaire pour que l'Etat règlemente plus les entreprises. 53 % des sondés attendent cette action ; d'un autre côté, il est vrai, 44 % pensent que l'Etat doit « faire confiance » aux entreprises, signe d'une vraie division de l'opinion. La même opinion est très globalement critique à l'égard des entreprises : on pense, à 77 % par exemple, que celles-ci provoquent la hausse des prix ou à 69 % qu'elles ne pensent qu'à leur profit. En matière de justice sociale, à la question: « Faut-il prendre aux riches pour donner aux pauvres ? », 62 % sont d'accord, 37 ne le sont pas. Un espace nouveau de contestation politique s'ouvre donc. Concernant l'avenir du système capitaliste, 47 % des sondés (+7) souhaitent qu'il soit « réformé en profondeur », 49 % (-4) qu'il soit « réformé sur quelques points » ; seuls 3 % demandent qu'il « ne soit pas réformé ». Du grain à moudre pour une bataille Front de gauche.

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le 18 May 2011

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