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La social-démocratie, une force du passé par Philippe Marlière*

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Le parti social-démocrate a historiquement rempli trois objectifs majeurs : il a établi des liens étroits avec la classe ouvrière (par le biais des syndicats) ; il a intégré la classe ouvrière aux régimes capitalistes et il a capté une large part du vote des classes moyennes.

 

Dans les trois décennies qui suivent la fin de la Deuxième Guerre mondiale (1945-1973), la social-démocratie européenne (il faut ici préciser du nord de l’Europe) a remporté des victoires électorales significatives et a occupé le pouvoir. A partir des années 70, le compromis social-démocrate a été bousculé par la forte progression du néolibéralisme aux États-Unis et au Royaume uni, et l’apparition de nouvelles problématiques dans le champ des idées de gauche. La social-démocratie a répondu à ces défis avec un triple axe programmatique : un axe classique s’est préoccupé de croissance économique et d'emploi. Un deuxième axe a tenté de s’approprier les thèmes postmatérialistes et anti-autoritaires les plus populaires dans l'opinion (défense de l'environnement, sécurité alimentaire, liberté sexuelle, égalité homme-femme). Le troisième axe était d'inspiration néolibérale (stabilité monétaire, compression des dépenses publiques, privatisations, baisse des impôts, Etat social restreint mais « actif »).

Après les brèves expériences néokeynésiennes du PS français (1981-1982) et du PASOK grec (1981-1984), la social-démocratie a mis en œuvre des politiques néolibérales. Cette conversion de fait a d'abord été passée sous silence, voire niée (Lionel Jospin et la « parenthèse de la rigueur » en 1982). Au milieu des années 90, Tony Blair a revendiqué le nouveau cours économique et a nommé cette nouvelle synthèse sociale-démocrate « troisième voie ». S’il s’est démarqué de l'ultralibéralisme hayékien, ce nouveau compromis a rejeté l’interventionnisme d’Etat et les politiques redistributrices de la social-démocratie des années 60-70. Le gouvernement de la Gauche plurielle de Lionel Jospin (1997-2002), en dépit d'un discours de gauche plus traditionnel et de politiques combattues par les tenants de l'orthodoxie néolibérale (la réduction du temps de travail), ne s'est pas écarté de manière significative du type social-libéral (Pacs, parité hommes-femmes, baisse des impôts, privatisations, acceptation du pacte de stabilité européen).

 

L’impasse de la troisième voie

 

Après avoir compté entre 1997 et 2002 jusqu’à douze gouvernements dans l’Union européenne (UE), la social-démocratie est aujourd’hui au creux de la vague. Le discrédit touche avant tout le projet libéral-technocratique de type « troisième voie ». La « nouvelle » social-démocratie (des années 90 à nos jours) a fait des choix en rupture avec ses idées et ses politiques égalitaristes et redistributrices.Les politiques de type « troisième voie » ont contribué à accroître les inégalités en Europe. Depuis les années 80, la part des salaires dans les revenus nationaux est passée de 72,1 % à 68,4 %. Depuis les années 90, le taux d’activité est passé de 61,2 % à 64,5 %, ce qui signifie qu’un plus grand nombre d’actifs se partage un volume de richesses moindre. Selon l’indice Gini, les inégalités sociales ont fortement augmenté depuis les années 80. L’« Europe sociale » n’a pas dépassé le stade du slogan, car elle est rejetée par des formations appartenant au Parti des socialistes européens. L’UE est une zone profondément inégalitaire : 20 % des plus pauvres reçoivent 4,5 % du PIB dans l’UE, contre 8,1 % en Inde et 5,1 % aux Etats-Unis.Le capitalisme est aujourd’hui en crise. La gabegie financière et l’échec des politiques néolibérales ont largement discrédité ce mode de production. Pourtant, aucun parti social-démocrate en Europe ne semble prêt à remettre en cause le positionnement « social-libéral » hérité des années 90. Certains se font même les défenseurs des intérêts capitalistes contre des  peuples qui souffrent (Grèce, Espagne). Aucune de ces formations n’a exprimé le souhait de revenir sur des décennies d’accompagnement social d’un capitalisme de plus en plus nocif pour les peuples et l’environnement. La social-démocratie apparaît comme une force du passé dans un monde qui bouge et qui a soif de justice sociale.

 

*Philippe Marlière est professeur de science politique à University College London (université de Londres). Dernier ouvrage : La Social-démocratie domestiquée. La voie blairiste, Bruxelles, Ed. Aden, 2008.

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le 17 May 2011

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