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Petit manuel pour une laïcité apaisée, à l’usage des profs, des élèves et leurs parents, Jean Baubérot et le cercle des enseignants laïques

La Découverte, 2016

Par Igor Martinache

La laïcité a bon dos en cette époque troublée : ce principe fondamental de notre République ne cesse en effet d’être invoqué à hue et à dia pour justifier diverses restrictions aux libertés individuelles concernant nos concitoyennes et concitoyens de religion musulmane sans que le trouble à l’ordre public censé les justifier soit caractérisé. L’hystérie médiatico-politique provoquée par le « burkini » l’été dernier en est le dernier avatar, et les réactions interloquées, pour dire le moins, de la presse étrangère n’ont guère grandi une société qui se veut la « patrie des droits de l’homme ». Mais contrairement à ce que certains font mine de croire, ce sont peut-être moins ces critiques étrangères que les gardiens prétendus de la « laïcité à la française » qui en méconnaissent la logique et les objectifs voulus par les concepteurs de la fameuse loi de 1905. À commencer par le fait que sa mise en œuvre vise à apaiser les tensions au lieu de les attiser comme aujourd’hui. Il est donc primordial de se repencher sur les fondations de ce principe et les manières dont il pourrait être appliqué aujourd’hui en favorisant la cohésion sociale. C’est ce que proposent utilement les auteurs de cet ouvrage, quatre enseignants de disciplines et établissements différents. S’inscrivant dans la lignée de la thèse de la « laïcité falsifiée », développée récemment par Jean Baubérot – incontestablement le meilleur spécialiste de la question qui préface cet ouvrage – pour montrer comment la droite (y compris la plus extrême) avait détourné ce marqueur de gauche, ils proposent ici avec pédagogie dans de courts chapitres sous la forme de questions-réponses (« La laïcité à l’école est-elle une exception française ? », « Pourquoi parle-t-on autant de la laïcité à l’école depuis les années 1980 ? », « La religion musulmane est-elle incompatible avec la laïcité ? », « Qu’est-ce que la liberté de conscience ? », etc.), tout une série de clarifications essentielles autour des origines de la loi de 1905 et des tensions soulevées par sa mise en œuvre au cours des dernières décennies. Les auteurs mettent ainsi notamment en évidence les glissements problématiques successifs intervenus depuis « l’affaire » du foulard de Creil en 1989, culminant avec la loi du 15 mars 2004. Ils rappellent que l’obligation de neutralité s’impose aux fonctionnaires et lieux publics et non aux usagers, mais aussi, point encore plus oublié, que cette obligation est tout autant politique et commerciale que religieuse. Un rappel plus que nécessaire vu les partenariats en tout genre qui se multiplient dans l’Éducation nationale avec certaines firmes, sans parler des offensives de certains groupes de pression, patronaux ou religieux, concernant la réécriture des programmes… Il est en revanche un débat relatif à la laïcité qui est étrangement occulté depuis une trentaine d’années, et pour être plus précis depuis 1984 avec l’échec du projet porté par Alain Savary d’un grand service public de l’éducation : il s’agit du financement public des écoles privées, comme les auteurs le rappellent utilement. Enfin, dans une dernière partie, les auteurs se font plus pragmatiques et esquissent un certain nombre de pistes concrètes tirées de leur propre expérience d’enseignantes et d’enseignants dans des zones dites « sensibles » afin de mettre en œuvre cette laïcité de manière « apaisée ». Ils proposent ainsi une marche à suivre face à un élève, un collègue ou encore un intervenant extérieur qui semblerait contrevenir à la laïcité ou invoque cette dernière pour refuser une activité donnée (la participation à un cours d’éducation physique et sportive ou portant sur la théorie de l’évolution par exemple, ou encore à une sortie scolaire). De quoi aider plus d’un professionnel désemparé face à pareils cas. Au-delà de ces situations, la connaissance plutôt que l’ignorance s’avère une voie nécessaire pour calmer les tensions, d’où l’intérêt d’enseigner le fait religieux en cours comme le plaident les auteurs plutôt que de vouloir le bannir totalement des classes. n

La Revue du projet, n° 63, janvier 2017
 

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le 25 février 2017

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