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Paroles de jeunes avocats

Certains ont choisi ce métier par hasard, par tradition familiale ou parce qu’ils ont cru que c’était un créneau porteur. Il y en a d’autres qui l’ont choisi par conviction, en voulant s’engager pour une cause. Deux d’entre eux, qui ont prêté serment fin 2015, nous parlent de leurs aspirations, de leurs premières expériences, de leurs craintes et de leurs espoirs.

Pourquoi et comment se lancer dans cette carrière ?
A.L. J’ai toujours été intéressé par les questions environnementales (agriculture paysanne, AMAP pour étudiants, etc.), mais je ne me suis pas senti la vocation d’avocat dès l’enfance. J’ai choisi une filière de droit avec un programme assez ouvert : de la philosophie, des sciences politiques. En master 1, lors d’une année de césure aux Pays-Bas, en droit international, j’ai eu la chance d’être en contact avec un professeur engagé dans le droit de l’environnement. C’était une belle expérience, impliquant des jeunes très actifs, travaillant avec les associations. Ensuite en master 2, j’ai fait mon stage à France Nature Environnement et j’ai donc pu mieux apprécier le monde associatif, la puissance du collectif.
Les mobilisations qui partent de la base, les associations, c’est primordial, les partis politiques peuvent rendre les revendications plus institutionnelles, leur donner plus de résonance, mais ils ne sont pas toujours très efficaces ; le droit peut être un outil. Le droit de l’environnement, c’est très manichéen : soit tu défends les gens, soit tu défends les pollueurs, il faut choisir un camp. Certes, avec un master de droit, on peut aussi devenir juriste associatif, on peut plaider des causes sans être avocat, certains le font très bien, mais un avocat a une sorte de légitimité supplémentaire vis-à-vis des juges. Et puis, les associations n’ont en général pas les moyens d’embaucher.
Donc je fais du droit avec une finalité, en m’interrogeant sur les ressources, l’espace, l’humain, la santé, sur l’idéal de démocratie, les modes de prise de décision, le collectif, l’intérêt général, sur ce que peut être une légitimité. J’avoue que je me suis beaucoup questionné sur les formes de mon engagement juridique : il n’y a pas que la profession d’avocat, mais finalement je me suis lancé dans la préparation de l’école et j’ai eu la chance que ça ait marché du premier coup.

K.M. Je cherchais un emploi et un revenu (ce qui n’est pas si simple), mais pas en faisant n’importe quoi. Certes, il y a une tradition familiale, puisque ma mère est une avocate algérienne féministe, bien connue ici, mais au départ je ne voulais pas faire la même chose qu’elle. J’ai suivi des études de droit, mais aussi socio-économiques. Dans les enseignements juridiques, on t’assène : voici ce que dit la loi, voici comment on l’applique, mais on ne t’explique pas pourquoi on en est arrivé là . Or, quand on fouille, l’économique et le social sont toujours sous-jacents. J’avais la possibilité de travailler pour une société de recouvrement, c’est facile et on gagne bien sa vie. Si on veut être huissier, c’est un peu plus sélectif, mais on ne galère absolument pas. Comme rien de tout cela ne me correspond, j’ai décidé, après tâtonnement, de m’installer en libérale, de ne pas avoir de patron. Cela dit, je ne défends pas « une cause », par exemple le féminisme, je défends l’intérêt du client qui se présente à moi, c’est-à-dire de presque tout le monde : « presque », parce qu’il y a la clause de conscience, je n’irais pas défendre un patron de combat contre un salarié. Mais se cantonner à un seul type de cause, c’est illusoire. Exercer à Vaulx-en-Velin, pour moi, c’est un choix : j’ai affaire à des gens pas fortunés, plus fragilisés que d’autres, cela me semble utile.

Tes premières expériences sont-elles conformes à ce que tu attendais ?
K.M. Plus conformes à mes craintes qu’à mes aspirations ! D’abord, au bout de quelques semaines, on se rend compte de la difficulté de la tâche, d’une responsabilité que je n’imaginais pas. Même sur une « petite » affaire, tu peux tout rater, parfois à 24 heures près. Un exemple : je défends un monsieur âgé, issu de l’immigration, qui ne sait ni lire ni écrire, qui vient de se faire arnaquer de 1 600 euros par un assureur pour une complémentaire. Rien à voir avec les sommes qu’on traite dans un cabinet d’affaires, mais pour lui ces 1 600 euros, c’est énorme. D’après moi, c’était une cause évidente ; eh bien, le juge a considéré que cet homme n’avait qu’à faire attention et on a été débouté ; j’ai passé des nuits blanches.

A.L. Les annonces de places d’avocat, c’est aux trois quarts du droit des affaires et du droit fiscal. Pour le droit de l’environnement, c’est plutôt rare, il y a peu de cabinets spécialisés. Bien sûr, le jeune avocat a en général ce qu’on pourrait appeler un statut d’indépendant aménagé, mieux protégé que celui d’auto entrepreneur ; quand il travaille dans un « cabinet », il garde ce statut, il est rarement « salarié ». Mais certains barreaux sont encombrés : dans ma promotion, il y a beaucoup de jeunes diplômés qui ont galéré six mois, un an, pour trouver une place, même avec un bon CV, surtout s’ils ne choisissaient pas le droit des affaires.
À Amiens, où j’ai passé moins d’un an, et aujourd’hui à La Rochelle, je me suis forcément retrouvé dans des cabinets qui traitent d’affaires diverses et pas seulement d’environnement : du « civil », de l’administratif, de l’urbanisme, de la construction, etc. Évidemment, au départ, j’aurais souhaité ne faire que du droit de l’environnement et n’avoir que des causes exaltantes à défendre ; mais finalement, je suis content de pouvoir élargir mon spectre, d’apprendre la diversité du métier. D’après ce que j’ai compris, il faut bien cinq/six ans pour acquérir de l’assurance. En outre, certaines causes, sans être strictement « environnementales », sont indirectement liées à ce domaine et enrichissent la réflexion (par exemple dans l’urbanisme). Un cabinet d’avocats peut être plus ou moins « engagé », je n’irais pas n’importe où, mais à partir du moment où il y a une ouverture, un bon état d’esprit, où j’ai la liberté de défendre des causes qui correspondent à mes idéaux, cela me convient. On a une certaine latitude pour choisir ses affaires ; bien sûr, je ne défendrais pas Monsanto ou la ferme des mille vaches, mais, de toute façon, ils n’ont pas besoin de moi, ils ont des défenseurs bien payés et prêts à aller dans leur sens.
Il faut dédramatiser les plaidoiries : dans les média, on met en avant les grands orateurs des procès criminels, mais, au tribunal administratif, au civil dans les petites affaires de construction, il n’y a pas cette culture de la belle plaidoirie. Le style dépend beaucoup du type de juridiction et de litige. L’essentiel est de prendre conscience de la nécessité de travailler sur le fond.

Comment vois-tu l’avenir ?
K.M. Plutôt sombre. En matière civile, sur les questions de famille, de consommation, on peut, dans une certaine mesure, faire son travail. Au pénal, c’est beaucoup plus dur. Les textes, la jurisprudence nous clament que l’avocat a le principe de la liberté de parole à la barre, mais ce n’est pas vrai. Si tu cherches à comprendre comment la personne en est arrivée là, à voler une paire de baskets, par exemple, le juge te répond avec mépris : « Vous rigolez, Maître. Enfin, il a volé, il n’a qu’à aller travailler. » On doit se contenter de chercher des circonstances atténuantes en enrobant, sans dire la vérité. Les juges et les procureurs sont répressifs, les réquisitions sont très dures, surtout à Lyon. Bien sûr, il y a le Syndicat de la magistrature, qui est actif et prend de bonnes positions, mais son implantation est limitée, même à l’échelle de la France. Et, en plus, aujourd’hui, avec l’« extrême droitisation » de l’opinion, les juges humains sont accusés de « laxisme ». En matière de droit des étrangers, de contrôle au faciès, d’expulsion des logements, la situation s’aggrave.
Il est vrai qu’il y a eu des avancées sur certains points : la reconnaissance des orientations sexuelles, la lutte contre les violences faites aux femmes. Mais cela peut être remis en cause et il y a des risques de perversion, par exemple si l’on débouche sur le commerce des mères porteuses, ce qui est une domination supplémentaire sur les femmes. D’autre part, la répression contre un mari violent est certainement nécessaire, mais il ne faudrait pas croire que c’est la solution sur le fond. Les violences aux femmes n’ont pas diminué, il est vrai qu’elles portent plainte davantage, du fait de la loi.
A.L. La priorité, c’est d’apprendre, de progresser, de travailler consciencieusement, de garder un lien avec le monde associatif. Je ne suis plus dans l’illusion d’avoir exclusivement à traiter de grands et beaux dossiers en droit de l’environnement. J’ai toujours aimé le droit public, comprendre comment la collectivité fonctionne. D’autre part, le droit social et le droit à l’environnement sont liés. Le droit social, c’est la santé, la sécurité au travail ; quand il y a des procédés industriels dangereux, les premières victimes ce sont les travailleurs, donc, pour moi, le droit environnemental, c’est aussi celui du salarié. Quand une entreprise est négligente sur l’environnement, elle traite mal ses salariés, parce qu’en fait, c’est qu’elle cherche à rogner sur tous les plans.
De ce côté-là, il va y avoir du travail, il y a de quoi être inquiet, beaucoup de réformes ne vont pas dans le bon sens. Elles renoncent souvent au principe « pollueur-payeur », la nomenclature des installations classées se dégrade, on « allège » certaines normes de protection des ouvriers et des riverains, on assiste à un discours dans l’air du temps du type : « La réglementation sociale et environnementale entrave l’activité économique et la compétitivité. »
Je souhaiterais aussi que les partis politiques qui ont pour vocation de défendre les salariés, les travailleurs, les petites gens, améliorent leur réflexion sur la prétendue « croissance », le productivisme, qu’ils anticipent mieux les conséquences des crises environnementales, les « événements climatiques », car ceux-ci ne font que commencer. 

Propos recueillis par Pierre Crépel et Marie-France Marcaud.

La Revue du projet, n° 62, décembre 2016

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