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Pour une réflexion audacieuse sur la sécurité, Entretien avec Fabien Guillaud-Bataille*

Le problème de la sécurité mérite une réflexion approfondie et non un traitement émotionnel, politicien et uniquement répressif. La situation actuelle est intenable, ce qui fait mal à l’individu est divers. Ni l’enfermement généralisé, ni le laisser-faire ne sont des solutions.

La sécurité est-elle encore une question qui divise les partis ?
Les partis au pouvoir – l’actuel comme le précédent – n’ont pas une pensée différente sur la sécurité, la police et la justice ; ils ne préparent pas à un avenir autre que la répression. Les timides tentatives de dissonance proposées par Christiane Taubira ont été immédiatement taxées de « laxisme », y compris dans son camp.
Au PCF, nous travaillons à une vision alternative : la sécurité n’est pas qu’une question de délinquance ou d’agres­sions, il faut parler en même temps de tout ce qui fait du mal à l’individu, au citoyen, à la société. Ce qui nous distingue aussi d’autres courants politiques, c’est que nous défendons les conditions de travail concrètes des policiers qui sont des travailleurs, des salariés du service public (effectifs, congés, locaux, etc.), mais pas les revendications de certains de leurs soi-disant leaders auto­proclamés (davan­tage d’armes, extension de la légitime défense, pressions sur les juges, etc.). Nous partageons cela avec de nombreuses associations humanitaires ou de défense des libertés.

Est-il pertinent de mettre sur le même plan tous les actes qui relèvent de ce qu’on désigne comme « l’insécurité » (vols, violences, trafics, etc.) ? Ont-ils tous évolué de la même manière au cours des dernières années ?
Il faut préciser les termes et considérer les statistiques avec précaution. La justice distingue, dans l’ordre de gravité, les contraventions, les délits et les crimes : il faut revenir à ces mots, avec leurs sens et leurs défi­nitions juridiques. Aujourd’hui, un mot à la mode, c’est « l’incivilité », cela confond à tort des actions aussi différentes que cracher par terre ou taper un chauffeur de bus.
Quant aux évolutions, elles ne sont ni linéaires, ni uniformes. Les politiques « du chiffre » tordent les statistiques, elles visent à faire croire que des affaires sont « résolues » ; en outre, on brandit souvent tantôt un chiffre, tantôt un autre pour montrer que ça baisse ou que ça augmente, en fonction des intérêts politiciens de tel ou tel. L’augmentation statistique des vols avec violence est-elle réelle ou liée à la possibilité d’en élucider davantage à l’aide des caméras de vidéosur­veillance ? Celle du nombre des plaintes pour viols et crimes sexuels est-elle due à une croissance de ces actes ou à une évolution (positive) de la société qui les tolère moins et accepte moins qu’ils soient tus ?

Comment sortir du dilemme « répression ou laxisme » ?
Le fameux « expliquer, c’est déjà excuser » de M. Valls est malheu­reusement repris un peu partout, y compris dans la rue, au bistro. C’est pourtant une absurdité. Les agressions ou, pire, les attentats sont un fléau, il ne s’agit pas d’amoindrir leur gravité ; mais, pour combattre un fléau, quel qu’il soit (tremblement de terre, guerre, maladie, racisme), il faut l’analyser, l’étudier dans toutes ses dimensions, chercher ses causes tant immédiates qu’à plus long terme ; sinon, comment s’y attaquer efficacement ? Les conditions sociales peuvent être l’un des facteurs d’explication, mais parmi d’autres, il n’y a rien d’automatique, la majorité des gens qui vivent dans des conditions difficiles ne sombrent pas dans la délinquance ou le crime. Il faut donc affirmer le caractère exceptionnel des comportements délictueux, organiser la prévention sociale, psychologique, l’encadrement. Il faut surtout de la présence humaine : éducateurs, policiers connus dans le quartier, permanences juridiques, écoles de la deuxième chance... (voir l’encadré p. 11).

L’emploi du mot « sécuritaire », pour désigner les politiques actuelles, ne laisse-t-il pas croire que les gouvernements récents recherchent sincèrement la « sécurité » de la population ?
C’est ce qu’on appelle un « mot-valise ». Cela fait vingt ans que les gouvernements affichent une politique dite « sécuritaire » et ils s’en vantent maintenant, mais l’insécurité ne diminue pas ; donc leurs politiques n’ont pas vocation à résoudre le problème, y compris celui du grand banditisme.
Prenons l’exemple de Marseille, il y a souvent des règlements de comptes en série, on nous a dit : « Là-bas, c’est la culture du banditisme, l’aïoli, le pastis, la mafia ; donc il faut envoyer des renforts de CRS, de la BAC. » Et cela ne résout rien. Marseille, c’est le plus grand port de commerce et d’échanges de la Méditerranée. C’est donc par là que passent les mar­chandises des trafics (drogue, contrefaçon, contrebande). Alors envoyons plutôt des centaines de douaniers pour ouvrir les containers, envoyons des agents des impôts pour examiner les coffres-forts de la Côte d’Azur. Où est l’argent ? Où va l’argent ? Là se situent les sources et les éléments du crime. Combattre le banditisme ne se réduit pas à arrêter quelques dealers.

On assiste depuis quelques années à une criminalisation de l’action syndicale, des manifestations pour l’environnement, de la solidarité (avec les migrants, les sans-papiers, les SDF). Comment s’y opposer efficacement ?
Il y a un amalgame voulu. Le « trouble à l’ordre public », cela veut dire un peu n’importe quoi. De plus en plus, des termes non définis et outrés comme « terrorisme », « prise d’ota­ges » sont systématiquement utilisés pour qualifier une grève des transports, une chemise déchirée. Il faut com­battre cette dérive sur le fond : un acte isolé qui sert l’intérêt personnel ne doit pas être confondu avec un acte de lutte. La lutte des classes n’est pas une « théorie », c’est une réalité cons­tatée (d’ailleurs avant Marx, par des auteurs bourgeois) et la violence sociale est plus dure du côté des capitalistes que des salariés. Seules la mobilisation et l’explication argu­mentée pourront faire reculer ces atteintes aux libertés.

Il n’y a pas que les homicides...
Un Français voit davantage de morts par coups de feu à la télévision dans une journée, qu’il n’en voit en réel durant toute sa vie. C’est une éducation à la violence, l’omni­présence du crime dans l’outil de divertissement le plus partagé de la population, on banalise la mort sanguinaire ; en même temps, les média focalisent sur les attentats et certains types de crimes. Les homi­cides, c’est moins de 1 000 cas par an en France, mais il existe d’autres types de mort violente, injuste ou préma­turée : plus de 10 000 suicides, 3 000 à 4 000 morts sur les routes, environ 500 par accidents du travail (sans compter toutes les mutilations), la mort plus lente par les drogues, l’alcool, le tabac, la pollution, etc. Pour les faire reculer, il faudrait dépasser l’émotionnel, mener des études sérieuses avec une approche scien­tifique, sociologique, globale de ce qui cause la mortalité brutale ou plus sournoise. n

*Fabien Guillaud-Bataille est membre du Comité exécutif national du PCF. Il est responsable du Secteur Police/Sécutité du Conseil national du PCF.

Propos recueillis par Pierre Crépel.

 

La Revue du projet, n° 62, décembre 2016
 

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le 31 décembre 2016

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