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Alejandra Pizarnik par Katherine L. Battaiellie

Alejandra Pizarnik est née en 1936 à Buenos Aires, au sein d’une famille d’immigrants juifs d’Europe centrale dont la plupart des membres ont été exterminés. Elle est en proie dès sa jeunesse à d’intenses angoisses (« Nous vivons ici-bas une main serrée sur la gorge »), des troubles du langage qui la font bégayer, de grandes difficultés à faire face au quotidien. Elle commence sans les achever des études supérieures de philosophie, de lettres, de journalisme, fréquente l’atelier d’un peintre. Elle entreprend une analyse. Elle écrit et publie un premier recueil de poésie, à 19 ans, puis deux autres.

En 1960 elle part à Paris. Elle y demeure quatre ans, se mêlant à la vie littéraire, nouant des liens avec notamment André Breton, qu’elle traduit en espagnol, André Pieyre de Mandiargues, Octavio Paz, qui préface un de ses livres. Elle y travaille quelque temps, en dehors de travaux alimentaires, pour une revue culturelle. Rentrée à Buenos Aires, dans sa toute petite chambre elle se consacre exclusivement à la lecture (elle fut une lectrice avide et l’auteur de nombreux articles de critique) et à l’écriture : « Écrire, c’est donner un sens à la souffrance » furent les derniers mots de son journal. Journal, correspondance et poésie s’évoquent et se répondent, constituant un seul et même texte, une seule et même expérience d’une très haute exigence (« Je ne veux aller/rien de moins/qu’au fond des choses ») et dont l’enjeu est la possibilité de vivre. Elle publia de son vivant des extraits de son journal, dont elle disait qu’il était « une manière d’essayer de se rappeler qui l’on est ». Les éditions des Busclats viennent de publier la belle correspondance avec Léon Ostrov, son premier analyste, à qui elle a dédié son deuxième recueil.

Épuisée par une incessante douleur à vivre, malgré l’alcool, les amphétamines, les amours contingentes, aspirant à la paix de la mort (« Je me consume et me détruis. C’est mon but »), après deux tentatives de suicide et un séjour dans un hôpital psychiatrique, celle qui avait écrit dans son journal dès 1962 : « Ne pas oublier de me suicider » met fin à sa vie, en septembre 1972.
Peu connue en France malgré de premiers poèmes parus dans La Nouvelle Revue française et Les Lettres nouvelles, elle fut très vite célèbre en Argentine, où elle reçut de nombreux prix, et fut traduite dès 1962 en allemand et en arabe.

Hantée par la crainte d’une mauvaise maîtrise de l’espagnol (n’ayant pratiqué dans son enfance que le yiddish), elle s’interrogea sans cesse sur le langage. Elle avait dans sa chambre un tableau noir sur lequel elle notait ses poèmes, puis s’y battait avec les mots, inlassablement, effaçant, remplaçant, jusqu’à dégager les « pierres précieuses », pour copier enfin le texte définitif dans un carnet.
L’extraordinaire densité de ses vers magnétiques (« La nuit a la forme d’un cri de loup ») irradie.

Katherine L. Battaiellie

Ces os qui brillent dans la nuit,
ces mots telles pierres précieuses
dans le gosier vivant d’un oiseau pétrifié,
ce vert tant aimé,
ce lilas chaud,
ce cœur qui seul est mystérieux.

Arbre de Diane, traduction de Claude Couffon, 1962.

elle dit qu’elle ne sait rien de la peur de la mort de l’amour
elle dit qu’elle a peur de la mort de l’amour
elle dit que l’amour c’est la mort c’est la peur
elle dit que la mort c’est la peur c’est l’amour
elle dit qu’elle ne sait pas

Arbre de Diane, traduction de Claude Couffon, 1962.

ENFANCE

Heure de l’herbe qui pousse
dans la mémoire du cheval.
Le vent prononce des discours ingénus
en l’honneur des lilas,
et quelqu’un entre dans la mort
avec les yeux ouverts
comme Alice dans le pays du déjà vu.

Les Travaux et les nuits,
traduction de Silvia Baron Supervielle, 1965.

Je suis la nuit et nous avons perdu.
C’est ainsi que je parle, lâches.
La nuit est tombée et on a déjà pensé à tout.

Textes d’ombre et derniers poèmes,
traduction de Silvia Baron Supervielle, septembre 1972.

Poèmes extraits d’Œuvre poétique (postface d’Alberto Manguel), éditions Actes Sud, 2005.

La Revue du projet, n° 62, décembre 2016

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Alejandra Pizarnik par Katherine L. Battaiellie

le 31 December 2016

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