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Misère de la philosophie contemporaine, au regard du matérialisme. Heidegger, Husserl, Foucault, Deleuze. Yvon QUINIOU

L’Harmattan, 2016

Par Florian Gulli

Beaucoup de philosophie, mais peu de réflexion sur la philosophie, tel est le point de départ de ce livre d’Yvon Quiniou. Ce qui pose un véritable problème : quel statut pour la philosophie à une époque où les sciences fournissent l’essentiel de nos connaissances sur le monde ? Y a-t-il d’ailleurs encore une place pour la philosophie ?
La thèse de l’auteur est la suivante : la philosophie ne peut, de façon directe, produire de savoirs positifs, « elle ne peut s’affirmer qu’en se confrontant à la science, voire à travers la médiation de celle-ci, donc indirectement ». Cette articulation entre science et philosophie n’est pas sans rappeler les analyses de Marx. Soit la fameuse 11e Thèse sur Feuerbach : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe, c’est de le transformer. » Contre une lecture anti-intellectualiste, congédiant tout effort théorique au nom de l’action, Yvon Quiniou explicite ainsi la formule : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, il s’agit désormais de l’expliquer scientifiquement pour le transformer. » On est loin, on le voit, des nombreux courants philosophiques, y compris contemporains, qui se constituent en faisant le procès de la science et de la rationalité.
S’agit-il de dénier à la philosophie tout espace qui lui soit propre ? Non. Sa principale fonction désormais est de révéler l’implicite philosophique des sciences, d’en produire une synthèse, explicitant leur signification quant au monde et quant à l’homme. La philosophie doit donc être fondée sur la science. Ce qui implique d’abandonner l’ambition de produire des systèmes spéculatifs, achevés et clos. La philosophie devra désormais être fondamentalement ouverte aux évolutions continues du savoir scientifique.
Mais cette ouverture ne signifie pas absence de principe et laxisme théorique. Pour Yvon Quiniou, une philosophie fondée sur la science, c’est-à-dire qui explicite la conception globale de l’homme et du monde qu’elle contient, doit adopter un certain nombre de positions théoriques, thèses immanentes au développement scientifique lui-même : la matérialité du monde, l’immanence de la pensée à la matière, la productivité de la matière, la possibilité de connaître le réel justifiée par la puissance pratique des résultats scientifiques, l’absence de liberté, définie comme libre-arbitre, etc.
Cette philosophie appuyée sur la science, dont nous venons d’exposer certaines thèses fondamentales, a un nom : le matérialisme. Il définit une ontologie générale à partir des résultats et des méthodes scientifiques, mais sans prétendre à la moindre connaissance directe du réel, tâche réservée à l’activité scientifique elle-même. L’ontologie matérialiste se caractérise par sa modestie. Elle a des bornes indépassables, qu’elle assume. Elle ne peut se prononcer sur la totalité de ce qui est, mais seulement sur le réel exploré par la science, c’est-à-dire sur une partie du monde matériel. Ce qui n’est pas sans conséquence. Premier exemple. Le matérialisme est un athéisme au sens où il se passe de la référence à un Dieu pour comprendre le réel. Mais il s’agit d’un « athéisme privatif », qui ne peut se transformer en « athéisme positif » affirmant qu’il n’existe pas de Dieu. Le matérialisme fondé sur la science ne peut se prononcer sur Dieu, puisque ce dernier, par définition, ne peut être l’objet d’une approche scientifique. Deuxième exemple. Le matérialisme ne peut que condamner le créationnisme, lequel entre en contradiction avec la théorie de l’évolution. En revanche, on peut toujours croire, ayant reconnu la théorie, que cette évolution est guidée par Dieu. Le matérialisme n’a rien à objecter à cette croyance, dès lors qu’elle se présente pour ce qu’elle est, une croyance, et ne prétend pas au statut de science.
Il est donc possible de croire en l’existence de Dieu, de l’âme et du libre-arbitre, objets traditionnels de la métaphysique. Il s’agit d’ « additions interprétatives » qui peuvent s’ajouter en « surimpression au texte de la science », à condition de se donner pour ce qu’elles sont : des croyances non nécessaires. Le matérialisme, comme « philosophie scientifique », est donc loin d’un matérialisme dogmatique. Le dogmatisme est le symptôme d’une philosophie qui n’assume pas son lien aux savoirs scientifiques, d’une philosophie qui n’a pas renoncé à son ambition originaire de se prononcer sur le tout.
S’ensuit une critique des philosophies contemporaines les plus connues, qui ne répondent pas à ce réquisit matérialiste : celles de Heidegger, Husserl, Foucault et Deleuze. Je laisse le soin aux lecteurs de la découvrir et de l’apprécier.

La Revue du projet, n° 61, novembre 2016
 

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Misère de la philosophie contemporaine, au regard du matérialisme. Heidegger, Husserl, Foucault, Deleuze. Yvon QUINIOU

le 21 November 2016

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