Alfred Ancel (1898-1984), né à Lyon, issu de la bourgeoisie du textile, engagé volontaire en 1915, ordonné prêtre en 1923, supérieur général du Prado (1942-1971), évêque auxiliaire de Lyon (1947-1973), évêque au travail mais non prêtre ouvrier (1954-1959), personnalité active et écoutée au concile Vatican II (1962-1965), a beaucoup écrit. Il fut un des personnages clés du dialogue entre communistes et chrétiens au XXe siècle.
L’Association des prêtres du Prado a été fondée en 1860 par le père Antoine Chevrier (1826-1879), prêtre du diocèse de Lyon, en vue de l’évangélisation « des pauvres, des ignorants et des pécheurs », car Dieu s’est fait pauvre en Jésus-Christ né dans une étable, Jésus-Christ est resté pauvre jusqu’à la mort sur la croix, il s’agit de le vivre vraiment. Si le Prado a Lyon pour origine, ses prêtres officient aujourd’hui dans de nombreux pays du monde.
En 1946, Alfred Ancel a 48 ans. Des chrétiens et des communistes ont été unis dans la Résistance ; le PCF a un grand prestige ; il participe au gouvernement et met en place des mesures appréciées, comme la Sécurité sociale, le statut du fermage et du métayage. Des chrétiens, y compris des paysans, se posent donc souvent la question d’un rapprochement avec les communistes, d’actions communes, voire de plus. C’est alors qu’Alfred Ancel publie la petite brochure Le Communisme et les paysans. Parmi les conclusions, p. 83, on lit :
« Par conséquent, les communistes ne doivent pas s’étonner quand l’Église dit :
1) Il est interdit à un chrétien d’être communiste.
2) Il est interdit à un chrétien d’appartenir au Parti communiste.
3) Il est interdit à un chrétien de voter pour les communistes.
Alors, elle ne fait pas de politique ; elle ne s’occupe pas de doctrines économiques. Elle fait de la religion. »
Quant à la possibilité de collaborer ponctuellement avec les communistes, il admet sur « un cas précis » une « alliance temporaire », mais « encore faut-il bien faire attention ». Il ajoute tout de même qu’« il ne faut pas faire un front anticommuniste » (p. 88-89). Il rappelle qu’il faut aimer ses ennemis (p. 7) et écrit aussi : « Si les communistes nous secouent et nous obligent à sortir de la routine tant mieux ! » (p. 87).
Pourquoi et comment celui qui fut considéré dans les années 1970 comme l’apôtre du dialogue communistes-chrétiens peut-il s’exprimer ainsi au lendemain de la Libération ? A-t-il basculé ensuite à 180 degrés ? Pour cela, voyons d’abord la nature des reproches qu’il adresse aux communistes (en France et dans le monde) en 1946.
« D’après la doctrine communiste, il n’y a pas de justice, pas de bonheur possible pour les travailleurs tant que durera le régime capitaliste. [...] Par conséquent, une seule chose compte : il faut renverser le capitalisme. Le reste ne compte pas » (p. 21). Les communistes sont sincères et désintéressés, mais à leur façon, la fin justifie les moyens, ils peuvent mentir, tuer, etc. : « ça dépend » si cela aide à détruire le capitalisme, « ils ne croient pas non plus à la conscience humaine ». Le communisme athée combat les religions, le « succès du communisme aboutirait à une persécution terrible contre [elle] » (p. 83). Les communistes veulent tout nationaliser, leurs alliés temporaires (en particulier les petits paysans) doivent le savoir. Les communistes nient l’individu et ne veulent voir que le collectif. Alfred Ancel prend des exemples dans l’URSS à l’appui de son analyse.
Avec le recul du temps, on appréhende mieux cette réalité contradictoire : le PCF a tendu la main aux travailleurs catholiques en 1936, il a fait preuve d’ouverture dans la Résistance, il n’a pas touché aux libertés (même religieuses), mais il est totalement inséré dans la doctrine stalinienne. En d’autres termes, les objections d’Alfred Ancel sonnent en partie juste ; en partie seulement, parce que la vie est plus forte que les doctrines et qu’Alfred Ancel reste prisonnier de ses origines, du présent, et ne prévoit pas que la vie va faire évoluer les communistes, comme les chrétiens !
Les prêtres ouvriers
La vie alors, c’est d’abord la classe ouvrière et la lutte des classes. Alfred Ancel n’a pas attendu les lendemains de la guerre pour partager la condition des pauvres et des ouvriers, c’est la vocation même du Prado. Mais une maturation se fait et, en son sein, l’expérience des prêtres ouvriers et des prêtres au travail. Le mouvement informel des prêtres ouvriers naît à peu près à la Libération. En 1949, ils ne sont qu’une cinquantaine. Les motivations sont diverses, selon les individus : mise au service de la classe ouvrière, évangélisation ou/et… concurrence face aux communistes. À partir des grandes grèves de 1947, la conscience ouvrière se durcit dans la lutte et plusieurs prêtres ouvriers s’investissent dans des responsabilités syndicales. C’est alors la découverte des réalités ouvrières par les prêtres, avec une osmose progressive sur le terrain, qui fait peur à la hiérarchie. L’interdiction des prêtres ouvriers à partir du 1er mars 1954, par Pie XII, puis l’interdiction totale du travail des prêtres, même à temps partiel et hors usine en 1959, marquent profondément les esprits. Alfred Ancel, qui a effectué des petits boulots avec les prolétaires entre 1954 et 1959 dont il rendra compte en 1963 dans Cinq ans avec les ouvriers, a eu l’occasion de réfléchir dans son cadre théorique mais aussi dans la pratique. On suivra ce mouvement et ses crises dans le chapitre 10 du livre d’Olivier de Berranger (p. 159-200). En deux mots ? La lutte des classes est d’abord un fait. C’est aussi un combat pour la justice (même Pie XII le dit) ; quelle souffrance est acceptable ? Sans quitter sa vision évangélique, Alfred Ancel essaie de vivre les choses de l’intérieur, lui qui est issu du monde bourgeois. En dehors du monde ouvrier, l’expression « lutte des classes » est toujours prise dans un sens « marxiste » et désigne une action violente menée « dans un esprit de haine ». Dans le monde ouvrier, en revanche, c’est le refus de l’injustice, une libération et une promotion collective. Alfred Ancel veut dépasser cette incompréhension : apprendre de l’autre, c’est connaître son langage pour pouvoir dialoguer. Mais il n’a rien d’un communiste caché à l’intérieur de l’Église, il reste d’une obéissance sans faille vis-à-vis de la hiérarchie et défend la Doctrine sociale de l’Église, avec ses principes : du bien commun, de la destination universelle des biens, de subsidiarité, de participation, de solidarité. Il la comprend dans le sens du Concile, dont il a été un acteur essentiel : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité » (Constitution pastorale Gaudium et Spes « sur l’Église dans le monde de ce temps » 1965).
Le meilleur agent du dialogue chrétiens-communistes au XXe siècle, ce fut en fait le rayonnement de la classe ouvrière dans la vie politique française. Et retournons une phrase d’Alfred Ancel : « Si les chrétiens nous secouent et nous obligent à sortir de la routine tant mieux ! » n
Quelques ouvrages d’alfred ancel, parmi les 56 recensés par la Bibliothèque municipale de Lyon :
• Le Communisme et les paysans, Providence du Prado, Lyon, 1946
• Cinq ans avec les ouvriers. Témoignage et réflexions, Le Centurion, 1963
• Dialogue en vérité. Chrétiens et communistes dans la France d’aujourd’hui, Éditions sociales, 1979
• Un militant ouvrier dialogue avec un évêque (avec Joseph Jacquet), Éditions ouvrières et Éditions sociales, 1982
Une biographie
Olivier de Berranger, Alfred Ancel. Un homme pour l’évangile, Le Centurion, 1988.
Le stock d’une bonne partie de ces ouvrages se trouve dans les caves du Prado, 13, rue du Père-Chevrier à Lyon. Le lecteur de la revue peut entrer directement en contact avec eux.
La Revue du projet, n° 61, novembre 2016
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