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En finir avec l’anarchie de la production, Jean Quétier

Pierre Gattaz n’aime pas les « commandes électoralistes » et « artificielles » de locomotives que le gouvernement a passées auprès d’Alstom pour tenter de calmer la colère des salariés et des habitants de Belfort. De manière générale, le patron des patrons n’aime pas que l’État se mêle de ce qu’il juge être ses propres affaires – sauf bien sûr quand il s’agit de lui faire des cadeaux fiscaux comme le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ou encore le Crédit d’impôt recherche (CIR). Le président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) a d’ailleurs eu l’occasion de préciser sa vision des choses lors d’une interview à RTL : « Les entreprises sont des êtres vivants qui s’adaptent dans un monde en mutation permanente. Donc, soit il y a des vraies commandes qui arrivent, et bravo, ce site de Belfort pourra être sauvé, soit il n’y a pas de commande, il n’y a pas de marché, et alors il faut adapter ce site. » Cette rhétorique, condamnant par avance toute forme de volontarisme politique et même toute stratégie industrielle pour notre pays, a pour elle l’apparence du bon sens, mais l’apparence seulement. Elle repose au fond sur l’idée qu’on ne peut rien imposer aux entreprises, mais qu’en contrepartie on peut imposer à peu près tout aux salariés. C’est bien le sens de la loi El Khomri. C’est aussi celui de la répression qui s’abat chaque jour plus durement contre les syndicalistes, à Air France, Goodyear et ailleurs.
Dans le chapitre XII du livre I du Capital, Marx affirmait déjà que l’anarchie de l’organisation sociale de la production et le despotisme patronal sur le lieu de travail étaient « la condition l’un de l’autre dans la société du mode de production capitaliste ». Il est vrai que le patronat ne s’embarrasse guère de contradictions, mais il est toujours bon de rappeler, comme le fait Marx, que celui qui célèbre « la soumission inconditionnelle du travailleur [...] dénonce tout aussi fortement le moindre contrôle social conscient et la moindre régulation du procès social de production comme une atteinte aux inviolables droits de la propriété, de la liberté et du “génie” auto-dispensé des capitalistes individuels ». Cette combinaison de despotisme et d’anarchie n’est pas simplement la manière, pour la classe capitaliste, d’imposer sa domination à l’ensemble de la société. Elle est aussi ce qui mène la société dans son ensemble, et à terme les capitalistes avec, droit dans le mur. Le mode de production capitaliste porte en lui la crise comme la nuée porte l’orage, pourrait-on dire en paraphrasant Jaurès.
Nous pouvons faire quotidiennement l’expérience de la justesse de ces analyses formulées il y a déjà cent cinquante ans. Chaque emploi détruit, chaque fermeture de site – 887 usines ont fermé en France depuis 2009 selon une étude du cabinet Trendeo – en apporte la preuve douloureuse. Malheureusement, rares sont aujourd’hui les responsables politiques français qui, comme les communistes, ont la lucidité d’en tirer les conséquences. On ne s’étonnera pas que les représentants de la droite libérale et réactionnaire hurlent avec les loups du MEDEF et soient vent debout contre toute forme de nationalisation – voyez par exemple Alain Juppé récemment sur le dossier Alstom. On ne s’étonnera plus non plus des gesticulations gouvernementales qui ont consisté, à quelques mois d’échéances électorales décisives, à commander des locomotives supplémentaires au site de Belfort sans vision de long terme. Les salariés qui, par leur lutte, ont réussi à arracher ce premier recul ne sont pas dupes : il s’agit d’un cautère sur une jambe de bois. On est très loin du « contrôle social conscient » évoqué par Marx !
Alors que nous manquons cruellement d’une politique industrielle digne de ce nom, l’État français choisit de se saborder lui-même. Il laisse dépérir une entreprise dont il est actionnaire à hauteur de 20 %. Il sabote la filière ferroviaire qui en constitue le débouché naturel, en laissant fermer des lignes, en autorisant la concurrence du transport par autocar (polluant et inconfortable), en cessant d’investir dans des projets d’avenir… L’anarchie de la production n’est pas seulement le résultat d’une action patronale à courte vue, rivée sur le taux de profit, elle est aussi le produit des choix d’un gouvernement soumis aux intérêts du capital. Qu’on se le dise : François Hollande et ses ministres ne sont pas les spectateurs impuissants du naufrage industriel français, ils en sont les complices actifs.
Mais si la débâcle à laquelle nous assistons a bien été instituée, elle peut aussi être défaite. Nous n’y sommes pas condamnés, pas plus qu’à subir indéfiniment les méfaits du capitalisme. Une partie de la population commence – ou recommence – à en prendre conscience et peut-être dans une proportion plus grande qu’on ne le croit parfois. Les résultats de la grande enquête « Que demande le peuple ? » menée par le PCF auprès de 65 000 personnes pendant ces derniers mois révèlent que 71 % des personnes interrogées considèrent qu’il n’y a pas de fatalité au fait de vivre de plus en plus mal, et qu’il est possible de faire autrement. Dans le cas d’Alstom, les communistes portent des propositions concrètes, notamment la nationalisation du groupe. À nous de faire grandir l’espoir dans les semaines et les mois qui viennent pour que ces solutions ne restent pas lettre morte.  

Jean Quétier
Rédacteur en chef
de La Revue du projet
 

La Revue du projet, n° 61, novembre 2016
 

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En finir avec l’anarchie de la production, Jean Quétier

le 20 novembre 2016

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