Différentes enquêtes sont révélatrices de la disponibilité de la jeunesse à la transformation sociale, aux choix progressistes.
Quasiment le jour même de la publication de la note du LEM (Lieu d’étude du mouvement des idées et des connaissances) intitulée Prendre le parti pris de la jeunesse débutait la mobilisation contre la loi « Travail » contre laquelle la jeunesse s’est fortement mobilisée. Cette note se donne comme objectif d’aider le Parti communiste français à mieux cerner les potentialités et blocages coexistant dans la jeunesse quant à son éventuelle implication dans le combat émancipateur et sa traduction politique. Elle ne cherche pas à dresser un tableau sociologique de la ou des jeunesses. Elle vise plutôt à pointer des caractéristiques utiles à cet objectif. Elle s’appuie sur des auditions de chercheurs, d’élus, de la direction du Mouvement jeunes communistes de France, des lectures d’ouvrages, d’études, d’enquêtes.
L’ensemble de ce travail étalé sur plus d’une année conduit à encourager les communistes à prendre résolument le parti pris de la jeunesse. Ce travail met à mal beaucoup de clichés et d’idées reçues. Soif d’égalité, refus des discriminations, engagement pour réussir sont les valeurs très majoritairement partagées par une grande partie de la jeunesse.
Des idées reçues
à combattre
De larges fractions de la nouvelle génération constituent des forces potentielles pour le combat émancipateur. Encore faut-il, pour leur donner des capacités transformatrices, avoir la volonté d’aller à sa rencontre en s’extrayant d’un certain nombre d’idées reçues comme la dépolitisation, l’individualisme, le recul des valeurs progressistes.
Trois enquêtes permettent de les combattre. L’une, menée conjointement par l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) et l’Observatoire de la jeunesse et des politiques de jeunesse, étudie l’évolution des valeurs des jeunes Français et Françaises depuis 30 ans.
Une deuxième, réalisée par l’Observatoire de la jeunesse solidaire, est centrée sur l’engagement politique.
La troisième, Génération quoi ? a interrogé 210 000 jeunes de 18 à 34 ans, en 2014.
Quelles sont les tendances à l’œuvre telles qu’elles sont analysées par les chercheurs :
• une politisation en hausse ;
• une faible participation électorale, mais une forte participation protestataire ;
• un clivage droite-gauche qui fait toujours sens et un positionnement politique orienté moins à gauche mais davantage aux extrêmes ;
• un désir affirmé de changement social pour une société plus égalitaire.
Un vote intermittent
Même s’il reste encore à un niveau relativement modeste, le pourcentage de jeunes les plus politisés, ceux qui considèrent la politique comme très importante dans la vie et qui se déclarent très intéressés par la politique, double entre les deux dernières enquêtes (entre 1999 et 2008). D’autre part, aujourd’hui les 18-29 ans qui discutent souvent de politique avec leurs amis sont deux fois plus nombreux que lors de la dernière enquête. Rappelons que l’abstention a de tout temps été plus forte chez les jeunes que dans le reste de la population. Cette moindre participation électorale est une donnée structurelle qui s’explique par un effet de cycle de vie : la sociologue Anne Muxel parle du « moratoire électoral des années de jeunesse ». Le vote augmente avec l’entrée dans la vie adulte, au fur et à mesure de l’insertion sociale et professionnelle et d’une familiarisation progressive avec la vie politique. Il apparaît que le différentiel de participation entre les jeunes et les adultes demeure relativement stable depuis 30 ans. Les abstentionnistes systématiques ne représentent qu’environ 10 % des inscrits. L’augmentation de l’abstention, particulièrement chez les jeunes, résulte donc moins d’une abstention systématique que d’un recul du vote régulier au profit d’un vote intermittent. Avec le renouvellement générationnel, le vote est moins conçu comme un devoir, autrefois accompli sans même être politisé, que comme un droit exercé au gré des enjeux mobilisateurs du moment.
En même temps que se développe l’abstentionnisme intermittent, des formes de participation politique non conventionnelles tendent à s’accroître parmi les jeunes. Près de deux jeunes sur trois ont déjà signé une pétition en 2008 ; près d’un sur deux a participé à une manifestation. Même si elle reste minoritaire, la participation à un boycott (en forte hausse) ou à une grève, à l’occupation de bureaux ou d’usines augmente. Cette importance accordée à l’action directe est à rapprocher de la remise en cause, dont témoigne le vote intermittent, de la médiation traditionnelle que constitue la représentation politique. Aux modes de participation politique institutionnels sont préférées des formes d’actions plus individualisées.
Des commentaires insistent souvent sur le caractère dépassé du clivage droite-gauche ou, en tout cas, sur le resserrement de l’offre de l’échiquier politique, notamment sur les questions économiques. Or les résultats de la dernière enquête Valeurs fait apparaître que les Français, et tout particulièrement les jeunes, refusent nettement moins qu’auparavant de se classer sur une échelle gauche-droite. Ce moindre refus de se positionner politiquement semble confirmer la tendance à une augmentation de la politisation et indiquer que la polarité politique fait toujours sens pour les Français, y compris chez les jeunes générations.
Un souci de l’égalité
Notons que les évolutions montrent un positionnement politique des jeunes qui, s’il reste ancré à gauche, tend à glisser légèrement vers le centre et la droite, mais aussi vers l’extrême droite et l’extrême gauche.
En effet, à une question relative aux modalités de changement dans l’organisation sociale, une nette majorité de jeunes se prononce pour une amélioration progressive de la société par la réforme. Les opposants résolus à tout changement sont de plus en plus minoritaires. Mais l’évolution la plus notable concerne les adeptes de la position radicale, visant à changer toute l’organisation de la société par une action révolutionnaire (¼ des jeunes), en très nette augmentation. Mais de quel idéal de société peut témoigner ce désir de changement ?
Voyons les questions posées aux jeunes interrogés qui devaient notamment choisir entre les deux propositions suivantes :
• « Je trouve que la liberté et l’égalité sont également importantes. Mais s’il fallait choisir l’une ou l’autre, je considérerais que la liberté est plus importante, c’est-à-dire que chacun puisse vivre en liberté et se développer sans contrainte. »
• « Certainement la liberté et l’égalité sont importantes. Mais s’il fallait que je choisisse, je considérerais que l’égalité est plus importante, c’est-à-dire que personne ne soit défavorisé et que la différence entre les classes sociales ne soit pas aussi forte. »
À l’aube des années 1980, la majorité des jeunes opte pour la liberté. En 1990 et 1999 l’écart tend à se réduire pour se renverser en 2008 ; les partisans de l’égalité deviennent alors majoritaires
Une énergie latente
« Les jeunes expriment une demande d’État, en souhaitant par exemple que leur période de formation soit financée. Ils pensent que les politiques, s’ils en avaient le courage, pourraient avoir une influence sur leur vie. Mais qu’ils ont laissé la finance prendre le pouvoir. Il y a du mépris dans ce regard des jeunes. Ils n’y croient plus ». « Ce sont des gens informés, qui ne se fichent pas de la politique, qui ont des habitudes participatives liées à l’usage des réseaux sociaux. Mais l’offre politique ne répond pas à leurs attentes. La démocratie ne s’adresse pas à eux. Ils n’iront pas voter mais ce sera une abstention politique, réfléchie, presque militante ».
« Les jeunes ne sont pas dans la résignation. Il y a une énergie latente, comme en 1968 », perçoit la sociologue Cécile Van de Velde. En temps de crise, explique-t-elle, on peut adopter une stratégie d’adaptation au système (loyalty), de départ (exit), ou de révolte (voice). «“Loyalty’’ pourrait bien se transformer en “voice’’ si rien ne bouge… Il suffit d’une étincelle…»
Et d’une figure cible. La chance des politiques jusqu’à présent ? Qu’il soit plus malaisé de se rebeller contre un ennemi lointain et abstrait – la finance, la mondialisation, l’Europe – que contre la génération de ses parents, comme en 1968.
Certes, soyons lucides : le PCF est englobé – même si c’est injuste – dans le rejet des partis, des institutions. Il convient évidemment de faire la part des choses entre ce qui découle de comportements encore tournés vers une conception dépassée de la transformation sociale et la méconnaissance de la réalité des transformations à l’œuvre au Parti communiste. Son rajeunissement que personne ne conteste est un atout pour que le militantisme soit en phase avec les attentes des jeunes.
En m’appuyant sur les tendances exprimées, je ne cherche pas à enjoliver le tableau. Sur le terrain nous savons tous que des contradictions sont à l’œuvre : comment pourrait-il en être autrement dans une société en crise ? Nous connaissons tous le sentiment d’impuissance, la tentation du renoncement, au repli. Nous constatons tous la droitisation de l’offre politique. La difficulté à faire grandir une alternative de gauche. Mais l’implication conséquente des jeunes contre la loi « travail » confirme les possibilités. Raison de plus de savoir détecter les disponibilités à la transformation sociale, aux choix progressistes.
C’est aussi le constat d’Henriette Zoughebi ancienne vice-présidente à la région Île de France à l’issue de son expérience d’élue : « J’ai pris le parti pris des jeunes en essayant de faire résonner leur parole dans l’espace public pour que soit reconnues leur belle liberté, leur intelligence, leur énergie. Leur engagement, leur force de conviction et de proposition sont, j’en suis convaincue, des leviers de transformation de la société, de construction de l’avenir, pour peu qu’on leur donne leur place comme citoyennes et citoyens à part entière ».
Surtout si l’on pense que l’avenir de la jeunesse ne peut se concevoir sans sa participation. Comme disait un vieux barbu : il faut savoir entendre l’herbe qui pousse. n
*Patrick Coulon est membre du secrétariat du LEM.
La Revue du projet, n°59, septembre 2016
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